Geori BOUÉ dans la Belle Hélène au Théâtre Mogador
juin 1960
Geori Boué (Hélène) et Bernard Plantey (Pâris) dans la Belle Hélène au Théâtre Mogador en juin 1960
Dans le climat de la légende.
Que d'aventures courues par Hélène, la rayonnante, depuis l'abandon du domicile conjugal jusqu'aux longues et âpres luttes qui, sous les murs de Troie, immolèrent des milliers de Grecs, en hommage à la beauté ! Et aussi, se mêlant à ces tueries, que de papotages, de commérages dans le milieu des dieux et des déesses, réunis dans leurs somptueuses demeures de l'Olympe ! Elle eut, cette merveille de la légende grecque, Ménélas comme compagnon d'existence. Un brave époux de poche, de tout repos, qu'elle moquait si une fantaisie imprévue surprenait son humeur. Et puis, que lui eût importé de s'entendre traiter de la plus belle entre les plus belles, si un être d'exception ne lui venait rendre un hommage plus attentif, et, même, lui offrir des propos galants !
Elle s'ennuya, jusqu'au jour où, enfin, un berger, le splendide Pâris, vint à elle, illumina ses rêves, éveilla un désir en sommeil, et relégua l'époux dans les grisailles et les inutilités de la vie quotidienne. Elle ne tenta pas de résister à son séducteur, d'essence divine, assurait-on, haut protégé de Vénus qui le défendait contre la rancune, la vindicte et la jalousie de puissantes rivales de l'Olympe. Hélène vivait dans l'oisiveté des seigneurs achéens. Elle était choyée, gâtée, adulée par tous les preux de la chevalerie grecque, envoûtés par son charme éblouissant. L'amour fut le plus fort, et elle s'enfuit avec Pâris. Et la guerre de Troie eut lieu.
Le mari, après cette désertion, ne garda pas rancune à l'infidèle. Il la reprit, et la légende assure, entre autres versions, qu'Hélène retrouva, ses sens au repos après avoir « voulu de l'amour », le calme de son ancienne vie, égrenant, sans doute, ses souvenirs, le soir, à la chandelle, eût dit quelque poète de la Pléiade. Veuve, elle aurait été assassinée par une femme qui redoutait l'astuce de cette fille de l'aventure, et se méfiait de cendres amoureuses peut-être chaudes encore.
Geori Boué (Hélène) dans la Belle Hélène au Théâtre Mogador en juin 1960
Avec un peu de Boulevard autour.
Hélène n'était pas au terme de ses aventures. Au siècle dernier, Offenbach, Meilhac et Halévy guettaient la belle disparue. Assez de sang avait coulé ; assez de morts, plus de guerre de Troie. Place maintenant aux bons mots, à la drôlerie sur un sujet grave, aux situations cocasses, aux plaisantes discordes de ménages, aux rois dont la majesté se colorait du vernis de l'ironie. Nos auteurs n'obligent pas l'héroïne ni les seigneurs de l'Antiquité — Agamemnon, Achille, Ajax, Oreste, Calchas — à quitter la bonne terre de Grèce où l'on vit si bien. Mais sous leur plume, la Grèce ancienne se retrouve avec les boulevardiers des contemporains de Napoléon III. Ils ont, comme eux, la blague facile, fréquentent la plage choisie par la gentry grecque, découvrent le jeu de l'oie, font des charades, dont « locomotive » est l'enjeu, prennent le train pour Corinthe, parlent de chemin de fer, s'initient à la dernière mode.
Hélène est au centre de ces événements, comme nous le confie le titre. Elle est sensible au coup de foudre quand apparaît le beau Pâris. L'opérette lui permet de ne pas être obsédée par ce sentiment au point d'en oublier le sommeil et le contrôle de soi. L'étonnante apparition de Pâris la délivre d'un époux sans grandeur, mais elle ne sera jamais Yseult. Et au lieu de mourir au moment du rideau, elle s'embarquera pour un pays moins sévère, et mettra la voile sur les enchantements de Cythère, comme l'a prévu le grand augure de Vénus, île réputée pour ses plaisirs. Pâris l'accompagnera sous l'œil d'un mari respectueux de l'ordre divin. Personne ne sera mobilisé pour Troie et la lignée des Minotaures s'enrichira d'une unité.
Le roi des rois, Agamemnon, n'est pas un despote, loin de là. C'est un prince qui préfère l'amusement aux soucis du pouvoir. Il s'intéresse aux papotages, qui vont leur train autour de lui. Nos librettistes en font, de temps à autre, un boulevardier, du Boulevard d'autrefois. Comme lui, les autres personnages de l'opérette feront la navette entre la Grèce des temps homériques et la vie parisienne du Second Empire. Agamemnon donne le ton, le bon ton, et les roitelets de son entourage l'imitent, persuadés qu'ils détiennent les secrets de l'élégance et du goût.
Vous vous doutez un peu qu'Achille s'est mis au ton de cette cour. Avant d'y pénétrer, il a déposé une bonne part des attributs dont le vieil Homère lui a fait cadeau. Il s'en voudrait d'être un bouillant guerrier. Il a adhéré au pacifisme intégral et répugne aux propos belliqueux. Il est presque le dandy de cette époque. Par anticipation, il rappelle, pourtant, une particularité de son physique, son fameux talon que sa mère avait oublié de tremper dans les eaux du Styx. Ce qui lui attirera, plus tard, quelques désagréments. Pour le moment, il a banni ses colères.
Les Ajax l'ont imité. Ces militaires bon teint renoncent aussi à leurs fureurs, aux frénésies de leur humeur, aux hallucinations dont Homère n'avait pu les guérir. Oreste est un jeune homme qui exerce sa blague sur tout le monde. Les Furies ne lui ont pas encore rendu visite, et il ignore les troubles du remords. Il ne songe pas encore à venger sa mère, Clytemnestre. De celle-ci, Agamemnon parle d'une manière qui montre assez que le torchon brûle déjà dans le ménage. Quant au devin Calchas, il n'a pas l'air de prendre au sérieux ses hautes fonctions. Il a une bonne place, et il tient avant tout à la garder. Tant pis si les dieux ne sont pas contents.
Geori Boué (Hélène) dans la Belle Hélène au Théâtre Mogador en juin 1960
Geori Boué, alias Hélène de Sparte, fille de Jupiter et femme de l'infortuné Ménélas, étudie la robe qu'elle doit revêtir à l'occasion des Jeux olympiques (il s'agit de "jeux d'esprit...").
Trois auteurs trouvent leur sujet.
C’est sous le masque de cette hâblerie que ces personnages s'échappent de l'Antiquité, et, sous la conduite d'Offenbach, lient connaissance avec les contemporains du siècle dernier. Meilhac et Halévy sont aussi les boute-en-train de cette opérette. Ils mettent l'anachronisme dans leur jeu, et tirent de piquants effets de ce mariage de l'Antiquité et de leur siècle. Les héros en oublient leur origine glorieuse, et sont les premiers, le sourire aux lèvres, à se moquer de leur condition royale. Certes, dans tout ce charmant machiavélisme de la drôlerie, il est des mots qui manquent parfois la cible et perdent un peu de leur sel. Certaines ripostes ont égaré une partie de leur efficacité d'antan, mais, dans l'ensemble, nous nous amusons et rions ; et la manière dont est traité le sujet continue de plaire par son entrain, sa vivacité exubérante, sa truculence qui, jadis, invitaient l'Europe à venir se détendre de ses frictions politiques au Théâtre des Variétés.
Et puis, il y a la musique d'Offenbach. Une vraie musique d'opérette, sans façons, désinvolte, préoccupée de vous entraîner dans l'orbite du rire et de dissiper vos soucis, si vous les traînez derrière vous, au théâtre. Parfois, cette musique s'aventure gentiment jusqu'au couplet sentimental, un couplet qui ne se pique pas d'escalader les pentes du sublime. Certains couplets auront bientôt franchi le seuil du siècle. Ils poursuivent leur apostolat de l'enjouement et prêchent la bonne humeur. La vertu cascadeuse d'Hélène, la fatalité aidant, en prend son parti. La coupable s'accuse, sur le mode plaisant, d'aimer le fruit défendu, et donne libre cours à sa malice grâce aux philtres de la musique. Les ruptures de syllabes, leur piquant isolement, comme si Agamemnon les mettait en quarantaine, pour, ensuite, les mieux délivrer, dans le fameux « Roi barbu qui s'avance », ne ratent pas leur effet, de même que les couplets d'Oreste, qui n'a pas encore trempé dans le crime, collectionnent les saillies. Les ensembles qui terminent chaque acte sont chargés de résumer la situation, et portent par leur mouvement endiablé. Et sur tous ces chants, un rythme, un orchestre qui prennent parti pour la drôlerie et doublent l'efficacité d'une musique dont la folichonnerie a pour principaux stimulants la charge et la parodie.
Bernard Plantey (Pâris) et Geori Boué (Hélène) dans la Belle Hélène au Théâtre Mogador en juin 1960
Final : le faux augure de Vénus (le berger Pâris) emmène, vers la galère de la déesse, la belle Hélène. Et ce sera la guerre de Troie !
L'interprétation.
Henri Varna a bien servi cette reprise, et n'a pas lésiné sur les moyens pour assurer à « la Belle Hélène » une présentation extrêmement vivante, qui comptera parmi les bonnes soirées de l'année. Que les mânes d'Offenbach lui en soient reconnaissants !
La distribution des rôles est choisie. Chacun est à sa place, chacun tient le public dans une atmosphère de bonne humeur. Geori Boué chante et joue Hélène. Un rôle difficile. Elle allie à la noblesse du sang royal la dignité de l'amoureuse malgré elle, au milieu d'une cour préoccupée de bouffonneries et de plaisirs. Parfaite comédienne, elle trouve l'attitude, le caractère, le charme, la mousse qui conviennent aux situations. Elle joue avec intelligence, avec malice, à l'occasion, et ne force pas la parodie. La voix est ample, belle, d'un éclat particulièrement vif dans l'aigu, moelleux dans le médium, fidèle à l'expression du texte, sans recherches, sans effets communs. Dany Califano, dans le rôle de Bacchis, suivante d'Hélène, montre une vivacité plaisante, qualité que retrouvent Josy Lafont et Anne-Marie Montbellet dans leurs rôles de courtisanes.
Le soupirant d'Hélène, Pâris, est Bernard Plantey. Une voix généreuse de ténor, bien placée, souple dans ses inflexions, détaillant, avec une malice parfois attendrie, le couplet, et doublant son rôle de grand séducteur d'une ironie qui n'était pas aisée à fixer dans ce rôle de grand amour. Calchas a Jean Raymond pour interprète. Ce devin, qui a de l'esprit, unit une dignité occasionnelle de grand pontife à la flagornerie due aux grands de ce monde. Il y réussit avec beaucoup d'autorité. L'une des vedettes de la soirée est, à coup sûr, Marcel Perchik, dans le rôle de Ménélas. Mari complaisant, il nous amuse par son art d'accepter d'être berné et trompé. Ses cocasses réparties provoquent le rire, et il prête à son personnage une sottise intelligente, difficile à placer, mais empreinte d'une jovialité entrainante. Dominique Tirmont campe un Agamemnon avantageux, au verbe solide et à la voix de basse timbrée, rompue aux difficultés du chant. Michel Valéry est un folâtre Oreste, et Jacques Villa et Robert Marivaux travestissent avec entrain les deux Ajax. Compliments aux chœurs bien stylés. Ils bougent et prouvent l'existence du mouvement.
Tout ce monde s'agite en scène. Le repos n'a pas cours ici. En une telle pièce, c'est la règle du jeu, un jeu qui exigea, de chacun, tension et attention au moment du travail. Les décors d'André Delfau ont de la gaieté, de la fantaisie, et baignent dans une couleur claire. L'esprit du music-hall accède au plateau de Mogador, pas très éloigné du Casino de Paris. Un divertissement chorégraphique pittoresque, bien réglé par Evelyne Gray, accentue cette agitation scénique où se distingue la souplesse de René Sartoris. Il fallait à ces Grecs la stylisation d'aujourd'hui, et André Delfau a réussi sa tâche et, sans doute, son plaisir.
La direction, au pupitre, de l'ouvrage est confiée à Marcel Cariven. Un orchestre au point, léger, aéré, laissant une liberté suffisante aux voix sans léser l'équilibre de l'ensemble. L'esprit l'agite, le bon goût s'y fixe. Qualités qui assurent la vie du plateau et distribuent la bonne humeur dans la salle.
(Paul Le Flem, Musica disques, juin 1960)
Geori Boué (Hélène) dans la Belle Hélène au Théâtre Mogador en juin 1960
1. Acte I. "Amours divins, ardentes flammes" - 2. Acte II. Invocation à Vénus "On me nomme Hélène la blonde" - 3. Acte II. "Un mari sage est en voyage" - 4. Acte III. "Là vrai ! Je ne suis pas coupable" extraits de la Belle Hélène d'Offenbach Geori Boué (Hélène), Chœurs et Orchestre Symphonique dir Marcel Cariven 45 tours Orphée, enr. en 1964
|