HENRI BÜSSER
de l’Institut
CHARLES
GOUNOD
Préface de Darius MILHAUD
EISE
Editions et Imprimeries du Sud-Est
46, rue de la Charité – Lyon
Collection Nos amis les musiciens
Directrice de collection : Andrée Duvouldy
1961
A Madame James Baignères,
petite nièce de Gounod,
en affectueux hommage.
Henri Büsser.
photo de Charles Gounod dédicacée à Henri Büsser le 15 avril 1893
TABLE DES MATIERES
PREFACE
La jeunesse : les dons musicaux. Le Lycée Saint-Louis ; le Conservatoire. Le Grand Prix de Rome. La Villa Médicis : le violon de Monsieur Ingres. Fanny Mendelssohn. Saint-Louis des Français : la Messe de Saint Louis. Séjour en Allemagne. Felix Mendelssohn.
Retour à Paris. Les Missions Etrangères : l'Abbé Gounod. Messe de Sainte-Cécile. Sapho à l'Opéra : Pauline Viardot. Les larmes de Berlioz. Comédie-Française : les chœurs d'Ulysse. A l'Opéra : la Nonne Sanglante. Mariage de Gounod. Le Médecin malgré lui au Théâtre-Lyrique.
Création de Faust : 1859, Mme Miolan Carvalho. Deux feuilletons de Berlioz ; une lettre de Saint-Saëns.
Rayonnement de Faust en province et à l'étranger. Gounod en Angleterre : le compositeur est séquestré par le ménage Weldon. Composition de Gallia, la Colombe, Philémon et Baucis, les Deux Reines, Jeanne d'Arc, instrumentation de Polyeucte.
Reprise de Faust au Théâtre-Lyrique ; son entrée à l'Opéra. Le Palais Garnier en 1875 ; la 2.000e en 1934.
La Reine de Saba. Mireille. Roméo et Juliette. Gounod à Maillane, chez Mistral.
Séjour à Rome : Rédemption, Mors et Vita, Marche Pontificale pour le Pape Pie IX. A Paris, création de Cinq-Mars, de Polyeucte et du Tribut de Zamora. Les chansons italienne de Biondina : Mme Juliette Conneau. La chanson de la Glu : Félicia Mallet, Yvette Guilbert.
Opinion des musiciens sur l'œuvre de Gounod : Massenet, Fauré, Debussy, Dukas, Koechlin, Reynaldo Hahn. Lettre d'Henri Dutilleux. Gounod et Wagner.
Les écrits de Gounod : le rôle du chef d'orchestre de théâtre. Projet de George Dandin. Messe de Jeanne d'Arc, à Reims.
L'homme et l'artiste. Les dernières œuvres. Gounod orchestre Namouna, ballet d’Edouard Lalo. L'orgue de Saint-Cloud : Requiem. La fin du Maître : sa dernière lettre (octobre 1893).
PREFACE
Si dans l'épanouissement de la musique lyrique du XIXe siècle, l'Italie a Verdi, l'Allemagne Wagner, la Russie Tchaïkovski, nous avons Charles Gounod. Et voici que maintenant Faust a cent ans et Faust garde sa fraîcheur, sa clarté, sa tendresse, son extraordinaire sens dramatique comme au premier jour. Nulle ride dans ce chef-d’œuvre. Et il est particulièrement passionnant qu'Henri Büsser nous parle de Gounod. En effet, il a eu la chance, non seulement d'approcher ce grand maître, mais de vivre dans son intimité. Ce fut Gounod qui fit nommer Henri Büsser organiste à l'Eglise de Saint-Cloud. Et il allait l'écouter chaque dimanche pendant la messe. Henri Büsser était reçu chez celui que l'on appelait « le patriarche de Saint-Cloud » comme un enfant de la maison, et ce fut pour le jeune Büsser une véritable illumination que d'entendre parler son Maître vénéré de Bach, de Beethoven et surtout de Mozart. Et pour Gounod, le secret infaillible de la musique ne vient que de la mélodie. Cette idée a soutenu la plupart des musiciens français et cinquante ans plus tard n'avons-nous pas entendu à la Classe Gédalge ce Maître nous dire : « Tâchez d'écrire huit mesures que l'on puisse jouer sans accompagnement ». Et puisque nous évoquons l'idée de la mélodie, n'est-il pas frappant de constater que dans la tradition de la mélodie française, celles de Gounod sont souvent une anticipation des adorables mélodies de la jeunesse de Gabriel Fauré ? Nos chanteuses qui souvent dans des récitals donnent des airs extraits d'opéra, devraient bien revenir à cette source pure que sont les Mélodies de Charles Gounod ainsi que celles qu'il a influencées : je pense à Bizet et même à Félicien David.
En relisant les Mémoires d'Henri Büsser « de Pelléas aux Indes Galantes », le chapitre consacré à Gounod nous laisse présager dans cette nouvelle étude des souvenirs d'une extrême authenticité, et étant donné la vivacité, la mémoire infaillible, le talent d'Henri Büsser, ce livre nous donnera sur Faust un témoignage précieux, que ce grand chef-d’œuvre, qui n'a cessé de rayonner depuis cent ans sur le monde entier, mérite.
DARIUS MILHAUD.
La jeunesse : les dons musicaux. Le Lycée Saint-Louis ; le Conservatoire. Le Grand Prix de Rome. La Villa Médicis : le violon de Monsieur Ingres. Fanny Mendelssohn. Saint-Louis des Français : la Messe de Saint Louis. Séjour en Allemagne. Felix Mendelssohn.
Charles Gounod, né à Paris le 17 juin 1818, perdit son père François Louis Gounod, peintre et graveur de talent, Prix de Rome, alors qu'il avait à peine cinq ans. Il fut élevé par sa mère, née Victoire Lemachois, excellente musicienne, qui donnait des leçons de piano pour vivre et élever ses deux fils, Urbain et Charles. C'est donc par sa mère que l'enfant fut initié à l'art qui devait faire sa gloire, sous l'égide d'Haydn et de Mozart dont il jouait de mémoire, à l'âge de dix ans, les plus belles sonates pour piano.
Frappée des dispositions musicales de son fils Charles, Madame Gounod eut l'idée de le conduire chez un de ses amis, le compositeur Janin, qui eut son heure de célébrité, pour lui demander conseil sur la carrière éventuelle de l'enfant. S'étant mis au piano, Janin improvisa quelques mesures pleines de modulations imprévues et immédiatement le jeune garçon, avec un calme surprenant, les découvrit une à une sans la moindre hésitation. Et Janin de dire à Madame Gounod : « Faites de Charles un musicien, je lui prédis une brillante carrière ».
Par la suite le proviseur du lycée Saint Louis, M. Poirson qui s'intéressait à son excellent élève Charles Gounod, mais qui n'était pas partisan de le lancer dans la musique, voulut le mettre à l'épreuve en lui demandant de composer un petit air sur les paroles « A peine au sortir de l'enfance » extraites de la romance de Joseph de Méhul. Deux jours après notre compositeur en herbe venait chanter au proviseur ébahi une mélodie ravissante, en s'accompagnant lui-même au piano et M. Poirson de s'écrier : « Entrez au Conservatoire, vous serez un grand musicien ! »
Gounod a raconté lui-même dans ses Mémoires d'un artiste qu'il eut, à quatorze ans, la révélation de l'art lyrique, en écoutant Othello de Rossini au Théâtre Italien, avec la Malibran dans le rôle de Desdémone ; deux ans après, le Don Giovanni de Mozart lui fit éprouver un « tressaillement de bonheur » : il l'a dit lui-même dans le livre fervent qu'il a consacré à cet ouvrage (1).
(1) Prenant la parole en 1882, à la séance publique des cinq Académies, Gounod parlant du Don Juan de Mozart, disait : « Je renonce à décrire ce que je ressentis dès les premiers accords de ce sublime et terrible prologue ; comment le pourrais-je, lorsque aujourd'hui, après cinquante ans d'une admiration toujours croissante, mon cœur tressaille d'y penser et ma main tremble en l'écrivant ? Tout ce que je me rappelle, c'est qu'il me semble qu'un Dieu me parlait... Je tombai dans une sorte de prostration douloureusement délicieuse et à demi suffoqué par l'émotion : « Ah, Maman, m'écriai-je, ça c'est la musique... J'étais littéralement éperdu. »
Tout en faisant ses humanités au lycée Saint Louis, le jeune artiste devint au Conservatoire l'élève de Reicha — musicien excellent, d'origine tchèque, qui lui apprit l'harmonie, le contrepoint et la fugue — puis d'Halévy, l'auteur de la Juive et surtout, pour la composition, de Lesueur, le compositeur des Bardes, le seul opéra qu'ait aimé Napoléon ! Dans le domaine de la musique religieuse, comme dans celui de l'art lyrique, Lesueur eut une influence prédominante sur son jeune disciple. Il constatait chez lui des dons remarquables. Formé à l'école rigoureuse de Reicha, le futur compositeur de Faust possédait déjà une formation solide. Harmonie, contrepoint et fugue se rejoignaient chez lui dans une manière d'écrire très personnelle.
Gounod prit part aux concours de Rome de 1836-37-38, et ce fut seulement à ce troisième concours qu'il obtint le Grand Prix avec sa cantate à deux personnages Fernand, sur un poème sans grand intérêt du comte de Pastoret, fournisseur habituel de l'Académie des Beaux-Arts. A dire vrai, on ne retrouve guère la personnalité de Gounod dans cette partition. Les procédés de son maître Halévy laissent croire que pour obtenir les suffrages des musiciens de l'Institut, alors fort retardataires, Gounod qui avait échoué l'année précédente, s'était assagi volontairement ; comme le fit avant lui Hector Berlioz, il avait écrit une musique pleine de sagesse pour flatter les compositeurs chevronnés qui devaient le juger.
En recherchant dans la liste des Grands Prix de Rome les noms des lauréats de 1837-38, j'ai trouvé ceux de Besozzi et de Bousquet, les heureux concurrents de Gounod, qu'il devait rejoindre à la Villa Médicis. Leurs noms, comme leurs œuvres, ne sont jamais parvenus jusqu'à nous. Ils devinrent des professeurs et n'écrivirent que fort peu de musique, mais ils eurent toujours en Gounod un soutien, un appui moral, au cours de leur modeste carrière.
Peu de temps avant ce premier succès, Gounod s'était fait remarquer, aux funérailles de son maître Lesueur par un Agnus Dei à trois voix et chœur. Parmi les compositions de ses camarades, qui figuraient au programme de la messe funèbre, Hector Berlioz citait surtout celle de Gounod. « Tout y est neuf et distingué, écrivait le maître, le chant, les modulations, l'harmonie, M. Gounod a prouvé que l'on pouvait tout attendre de lui ». Quel instinct de divination chez Berlioz !...
Gounod fut très affecté par la mort de son maître Lesueur, qui l'avait mis en garde sur sa trop grande facilité en lui citant les exemples de Beethoven, Mozart, et surtout Gluck pour lequel il professait un véritable culte : « Méfie-toi des succès mondains, lui disait-il, de ces réunions d'oisifs, de blasés qui viennent tuer le temps au théâtre. Veux-tu savoir ce que c'est que le vrai public ? Va écouter une représentation gratuite. A l'époque où j'étais maître de chapelle de la cour impériale de Napoléon, j'avais à organiser le programme des spectacles gratuits donnés à l'Opéra. C'étaient le plus souvent des œuvres de Gluck que je choisissais. Eh bien, je te déclare que je n'ai jamais vu les ouvrages de ce grand maître produire sur le public habituel la centième partie de l'impression qu'ils produisaient sur cette foule inculte, illettrée mais sensible aux accents du génie, et apportant devant l'expression profonde et sincère du pathétique, des âmes faites pour la vérité... Ces hommes et ces femmes du peuple pleuraient à des beautés d'accent que les gens du monde laissaient passer inaperçues... Voilà ce que j'appelle le public ».
A cette première apparition dans cet Agnus Dei de la « mélodie gounodienne », j'attacherai un souvenir personnel. En 1893, quelques mois avant sa mort, Gounod, dont j'étais l'élève, me conta que depuis l'âge de dix-sept ans, il avait composé chaque année cinq ou six mélodies et des motets à une voix. La mélodie, le chant, qu'il mettait au premier plan dans la création musicale, jaillissaient chez lui tout naturellement avec une fécondité qui peut nous surprendre, mais dont la spontanéité était une forme habituelle de la pensée. Ses premières inspirations il les devait à La Fontaine, Lamartine, Alfred de Musset, Victor Hugo et au chansonnier Béranger. Sur trois ou quatre cents morceaux, que Gounod écrivait au courant de la plume, pour des anniversaires de mariage ou de baptême, combien nous sont inconnus et n'ont pas figuré dans les nombreux recueils de ses mélodies, de ses motets. Quelle perte irréparable...
***
Dans les premiers jours de janvier 1840, trois jeunes gens se rendaient de Marseille à Rome, dans un modeste « voiturin » à deux chevaux : ils étaient pleins d'entrain et contemplaient, émerveillés, les beaux paysages qui se déroulaient sous leurs yeux pendant qu'ils longeaient la Méditerranée, de Nice à Gênes. Puis, en traversant la Toscane, ils découvrirent Florence, Pise et Sienne, avant d'arriver enfin à Rome, à la Villa Médicis, qui était le but de leur long voyage.
Les trois futurs pensionnaires de l'Académie de France, l'architecte Lefuel, le musicien Gounod et le graveur Vauthier, devaient y rejoindre leur chef de promotion, le peintre Ernest Hébert, ainsi que le statuaire Gruyère, qui les avaient devancés. Bien des fois, au cours de leur route, Gounod fut l'objet des taquineries de ses deux amis, qui s'étonnaient de le voir plongé dans un livre auquel il semblait prendre un intérêt prodigieux. « Est-ce un roman d'amour que tu lis, mon cher Gounod, avec cette passion ? » lui dit Lefuel. « Mais oui, répondit Gounod, le plus beau roman du monde, c'est le Faust de Goethe, traduit par Gérard de Nerval, que ma chère maman m'a donné au moment de mon départ. Quel admirable thème pour un musicien ! ».... Il faut rapprocher l'enthousiasme du jeune homme de l'impression qu'éprouva dix ans plus tôt Hector Berlioz à la lecture de Faust. Il en reçut, il l'a dit lui-même, « une impression étrange et profonde : le merveilleux livre me fascina de prime abord, je ne le quittai plus, je le lisais sans cesse ». C'est alors que Berlioz écrivit d'un jet les Huit Scènes de Faust, l'année même où il obtint le Grand Prix de Rome, et ces morceaux furent le point de départ de la Damnation de Faust, sans doute son chef-d'œuvre, comme Faust fut celui de Gounod.
A la Villa Médicis, les cinq « nouveaux » furent accueillis à bras ouverts par leur directeur, Monsieur Ingres, le peintre célèbre. Dès qu'il vit Gounod, il s'écria : « Cher enfant, comme vous ressemblez à votre père, qui fut mon ami. Venez que je vous embrasse ! » Séparé de sa mère, qu'il n'avait jamais quittée, Gounod eut une crise de tristesse et se trouva fort dépaysé dans la « Grande caserne académique » comme la qualifiait Berlioz. Ce même sentiment de « spleen » devait toucher, quarante ans plus tard, Debussy, quand il arriva à la Villa Médicis. Mais Gounod réagit vite en se mettant au travail ; il composa, sur des poèmes de Lamartine, deux de ses plus belles impressions le Soir et le Vallon. C'est la véritable mélodie gounodienne, cette longue phrase qui ondule et s'épanouit comme une fleur.
On a souvent reproché à Gounod d'avoir écrit des mélodies « à couplets » où la même musique souligne des textes poétiques très différents, ce qui nous paraît aujourd'hui inadmissible. Pourtant, dans le Vallon, dès le début : « Mon cœur lassé de tout, même de l'espérance », l'accompagnement échappe à la formule habituelle et appelle l'orchestre. Il en est de même dans l'épanouissement final, où l'on entend chanter des violons, sur un soutien des bois et des cuivres. Gounod dans cette page fait pressentir Fauré et Duparc.
Dans le salon du directeur, où l'on faisait beaucoup de musique, Monsieur Ingres prenait son violon et jouait des sonates de Haydn et de Mozart, accompagnées par Gounod. Puis notre musicien chantait ses pages favorites : les deux airs de Sarastro, de la Flûte enchantée, qu'il transposait pour sa voix fine, ténue, d'un timbre charmant, qu'il garda jusqu'à la fin de sa vie. Il fit aussi, dans ce salon, la connaissance de Fanny Mendelssohn, sœur de l'éminent compositeur, et par elle (car elle jouait admirablement du piano, en artiste de race) il fut initié aux œuvres de Bach et de Beethoven, qu'il connaissait mal. Fanny, mariée au peintre allemand Wilhelm Hensel, écrivit à son frère Felix : « Quant au jeune Gounod, la musique allemande le rend à moitié fou ». Certain soir, elle lui fit entendre la Sonate en Ut Majeur l'Aurore op. 53 de Beethoven et, dans son exaltation, Gounod de s'écrier : « Beethoven est un polisson ! » Alors ses camarades s'empressèrent d'aller le mettre au lit. Inutile de dire que le Faust de Goethe était le sujet de longues discussions avec Fanny Hensel. Elle analysait pour lui le caractère particulier de chacun des héros du roman : Faust, Méphistophélès, et surtout la tendre Marguerite « portrait de la jeune fille allemande » disait-elle. Plus tard, lorsque le ménage Hensel quitta l'Italie, Gounod se rendit dans le sud : à Naples, à Capri, dont les nuits splendides l'enchantaient. Il reprit son livre de chevet Faust. Il écrivait à sa mère : « Je rêvais à Marguerite, je m'identifiais à elle, son image frappait continuellement mon cœur. Je n'aspirais qu'à me trouver dans sa patrie, en Allemagne ».
De retour à la Villa Médicis, il fallut penser aux « Envois », c'est-à-dire à l'œuvre musicale que réclame chaque année aux jeunes pensionnaires l'Académie des Beaux-Arts. A Rome, Gounod avait pris l'habitude d'aller écouter souvent les chœur de la Chapelle Sixtine et surtout les œuvres « a capella » de Palestrina, qui lui révélèrent, en quelque sorte, l'art religieux. Aussi eut-il l'idée d'écrire un Te Deum à plusieurs voix, de grande envergure. Cette œuvre ne fut pas du goût de MM. les Académiciens et le rapporteur Spontini, auteur de la Vestale qualifiait Gounod de « jeune musicien présomptueux, qui osait s'attaquer à une pareille conception ».
Cette même année 1841, Gounod composait, en quelques semaines, une messe avec orgue, pour célébrer la fête de Saint Louis. Elle fut exécutée à l'église Saint-Louis des Français, en grande cérémonie, et son camarade, le peintre Hébert, écrivait à la mère de Gounod : « La messe de notre musicien a eu le plus grand succès : elle a été bien exécutée, grâce à l'activité que l'auteur a déployée à secouer ces vieux endormis ». Hébert voulait parler des choristes, assez médiocres, de Saint-Louis-des Français. Il faut considérer le style de cette messe de Saint-Louis comme très proche de celui de Palestrina dans la « Messe du Pape Marcel » que Gounod avait entendue à la Chapelle Sixtine et dont il admirait la polyphonie vocale. Déjà en 1839 il avait fait exécuter, à l'Eglise Saint-Roch à Paris, une messe avec orchestre d'un tout autre sentiment, d'une expression plus dramatique, un peu dans la manière de son maitre Lesueur. Pour écrire sa messe de Saint-Louis, Gounod était allé s'enfermer, pendant quelques semaines, dans le couvent de San Benedetto, à Subiaco. C'est là que le jeune musicien eut la pensée d'entrer dans les ordres : il avait connu, peu de temps auparavant, Lacordaire, dont les écrits et les discours firent sur lui une profonde impression. « J'ai vu là des choses, j'ai éprouvé des émotions que je n'oublierai de ma vie » disait-il. Combien de fois mon maître m'a-t-il parlé de son merveilleux séjour à Rome, au moment où j'allais moi-même devenir, en 1893, pensionnaire de l'Académie de France. « Tu verras, mon enfant, me disait-il, quel bienfait ce sera pour ta carrière : tu oublieras Paris, tes premières études, tu te recueilleras et tu trouveras en toi-même ce que tu auras à dire plus tard en musique. Rome, Saint-Pierre, le Vatican, la Chapelle Sixtine, quelles surprises t'attendent ! Ouvre tes yeux et tes oreilles : écoute battre ton cœur ! »
***
Ayant quitté Rome pour Vienne, en 1842-43, Gounod, encore sous l'influence de ses idées mystiques, composa une Messe des Morts, un Requiem, qui fut exécuté sous sa direction dans l'église Saint-Charles. Le public et la critique musicale firent un excellent accueil à l'œuvre nouvelle, et l'un d'eux s'exprimait ainsi : « L'harmonie de ce Requiem est souvent d'une hardiesse surprenante ; il y a aussi une grandeur de conception qui touche l'âme d'une manière ineffaçable. » Sur ces entrefaites, le comte Stockhammer, intendant des Beaux-Arts, fit à Gounod la commande d'une messe vocale qui fut donnée encore dans l'église Saint-Charles, au moment du Carême, et qui lui valut cet éloge du même critique : « Cette composition, conçue dans l'esprit de Palestrina, porte souvent le reflet d'une âme romantique ».
A peine remis d'une assez grave indisposition, contractée par suite de surmenage, notre jeune maître de chapelle se rendit à Berlin où l'attendaient avec impatience ses amis Hensel. C'est ainsi qu'il fit la connaissance à Leipzig, quelques jours après, de Felix Mendelssohn, qui l'accueillit vraiment en frère aîné. Chef d'orchestre du Gewandhaus, Mendelssohn réunit ses musiciens et fit entendre à Gounod sa Symphonie Ecossaise, puis il l'emmena à son orgue de la Thomaskirche, où il exécuta, à son intention, des œuvres de Jean-Sébastien Bach et quelques-unes de ses propres sonates pour orgue. Entre temps, car les deux musiciens ne se quittèrent guère pendant plusieurs jours, Gounod soumit à son confrère le Dies Irae de son Requiem, ce qui fit dire à Mendelssohn : « Mon cher ami, ce morceau est fort beau, il pourrait être signé Cherubini » (que l'on considérait à cette époque comme un des maîtres de la musique religieuse). Mais lorsqu'ils parlèrent de Faust, Mendelssohn essaya de dissuader Gounod de son entreprise qu'il jugeait téméraire, et au-dessus des forces humaines. En revanche, il incita fort son nouvel ami à écrire de la musique symphonique.
Pendant son séjour à la Villa Médicis, Gounod avait entrepris la composition d'une symphonie en ré majeur, dont le premier morceau — un Envoi de Rome — fut exécuté à la séance de l'Institut, le 7 octobre 1843. Cette première symphonie, publiée seulement en 1855, fut donnée à Paris, sous la direction de Jules Pasdeloup, au concert des « Jeunes artistes ». Elle atteste l'influence des symphonies de Haydn, par son côté spirituel et léger. L'Opéra de Paris l'a donnée sous la forme d'un ballet, en 1959, avec beaucoup de succès. La 2e symphonie en mi bémol, écrite par Gounod à l'instigation de Mendelssohn, emprunte parfois le style beethovenien, mais l'andante, d'une inspiration très élevée, est une fort belle page. On a prétendu que Gounod ne la fit jouer qu'en 1856 au concert des « Jeunes Artistes » : quand je l'ai donnée moi-même en 1934, avec l'orchestre de la Radio de Berlin, elle était connue en Allemagne, où Felix Mendelssohn l'avait fait exécuter à Leipzig, avec son orchestre du Gewandhaus. A Paris, c'est Edouard Colonne qui l'a ressuscitée à ses concerts du Châtelet.
Il est impossible de passer sous silence l'effort considérable qu'accomplit Jules Pasdeloup en faveur de la musique symphonique et en particulier pour celle des musiciens de l'Ecole Française, Gounod, Lalo, Bizet, Saint-Saëns, Guiraud, Massenet et bien d'autres, qui furent révélés au public des concerts avant d'être connus et consacrés par le théâtre. Tout jeune, j'ai eu la chance rare d'assister, au Cirque d'Hiver, à quelques concerts dirigés par Jules Pasdeloup. Il avait affaire à un public difficile, ombrageux, qui accueillait avec réserve des maîtres comme Beethoven et Wagner ; à plus forte raison les musiciens nouveaux. Pasdeloup fut le précurseur des Colonne, des Lamoureux, des Chevillard, de ces chefs d'orchestre hardis qui ont marché sur ses traces. Madame Gounod m'a raconté qu'un jour, allant assister à une première audition de son mari, elle se fit accompagner par la mère de Saint-Saëns afin d'être réconfortée par elle, en cas de mauvais accueil de la part du public. Or ce fut Madame Saint-Saëns qui s'évanouit après l'audition de l'œuvre nouvelle, devant le tumulte, les cris et les sifflets de l'auditoire. Et c'était la 2e symphonie de Gounod...
Enfin Gounod devait composer, en 1888, une Petite Symphonie pour instruments à vent, dédiée au chef d'orchestre Paul Taffanel, et qui est pleine de verve et de fantaisie. Il faut regretter que l'auteur de ce beau prélude de Faust — « page magistrale » disait Paul Dukas — ne se soit pas attaché davantage à la musique symphonique, où certainement son génie aurait pu s'épanouir aussi librement qu'au théâtre.
Ce séjour en Allemagne fut tout particulièrement profitable au jeune musicien, surtout dans le domaine de l'orchestre qu'il avait fort peu étudié au Conservatoire, où d'ailleurs Lesueur et Halévy n'enseignaient à leurs élèves que des formules assez étroites. Mendelssohn fit entrevoir à Gounod des horizons insoupçonnés dans cette matière et il en tira le meilleur profit. On comprend que les deux amis se soient séparés à regret. L'œuvre du compositeur du Songe d'une Nuit d'Eté fut toujours pour Gounod le plus précieux des modèles.
Avec quel enthousiasme Gounod parlait des symphonies, des sonates pour orgue, qu'il avait entendues à Leipzig et dont il analysait, avec éloquence, le style élégant et raffiné.
Retour à Paris. Les Missions Etrangères : l'Abbé Gounod. Messe de Sainte-Cécile. Sapho à l'Opéra : Pauline Viardot. Les larmes de Berlioz. Comédie-Française : les chœurs d'Ulysse. A l'Opéra : la Nonne Sanglante. Mariage de Gounod. Le Médecin malgré lui au Théâtre-Lyrique.
Mais revenons à 1843 : la mère de Gounod reçut avec joie son fils, après trois années d'absence. Elle avait émigré dans un appartement de la rue Vaneau, assez voisin du couvent des Missions Etrangères, dont le curé, l'abbé Desmarais, eut une profonde influence sur Gounod, lorsqu'il devint organiste de sa chapelle. Faust était-il oublié ? Gounod rapportait de Rome un O Salutaris Hostia qui devait être transformé, quinze ans plus tard, en la phrase célèbre du duo de Faust : « O nuit d'amour, ciel radieux ». Ainsi exprimait-il d'une même plume l'amour sacré et l'amour profane.
L'abbé Desmarais, homme très intelligent, avait laissé à Gounod la plus grande liberté pour exercer ses doubles fonctions d'organiste et de maître de chapelle. Le jeune musicien souhaitait une réforme de la musique religieuse. Il eut donc le souci de remplir sa tâche avec un esprit novateur. Sans être un virtuose, Gounod qui admirait J.-S. Bach, le maître des maîtres, et également Mendelssohn, aux tendances plus modernes, jouait leurs œuvres avec ferveur. Il avait également le don de l'improvisation : son jeu très fin, très musical, s'inspirait d'un sentiment mystique, à la fois élégant et raffiné, qui attirait aux messes du dimanche les « belles écouteuses ». D'autre part, son désir d'entrer dans les Ordres conduisit Gounod à obtenir de l'Archevêché de Paris l'autorisation d'habiter le couvent des Carmes, et de suivre les cours de théologie du séminaire de Saint-Sulpice. Pendant plusieurs mois, en 1846, il porta même l'habit ecclésiastique, et il signait ses lettres et quelques motets : abbé Ch. Gounod. Il en fut de même quand il fit entendre à Saint-Germain l'Auxerrois une nouvelle « Messe Solennelle » à quatre voix, où persiste encore l'influence de Palestrina.
Peu de temps après eut lieu, à l'Eglise Saint-Eustache, l'exécution de la messe de Sainte Cécile, sur laquelle Joseph d'Ortigue écrivait dans les Débats : « Cette messe est remarquable par la hauteur de la pensée, l'ampleur des formes, la noblesse du style ». Pendant plus d'un demi-siècle cette partition a rempli les cathédrales de France et de l'étranger de ses accents profondément émouvants, tant Gounod sait donner au texte latin sa véritable signification. Le « motu proprio » du Pape Pie X a malheureusement arrêté son essor, car ce Souverain Pontife proscrit les répétitions trop nombreuses des paroles, le développement excessif de certains épisodes, comme on en trouve chez Bach, Beethoven et Schubert. Leurs œuvres religieuses relèvent plutôt de la musique de concert. On a souvent reproché à la Messe de Sainte Cécile son caractère grandiloquent, assez proche du style de théâtre, ce qui me paraît fort injuste. Si dans cette œuvre, Gounod s'éloigne visiblement du style polyphonique de Palestrina, il emprunte parfois à Beethoven — le musicien de la Messe en ré — son art incomparable de marier les voix et l'orchestre. Mais chez Gounod le sentiment général reste profondément religieux. C'était l'opinion du Cardinal Verdier, archevêque de Paris, qui présidait à Saint-Eustache, le 22 novembre 1937, la Messe de Sainte Cécile que je dirigeais avec les classes d'Ensemble vocal et d'orchestre du Conservatoire de Musique. Depuis sa première audition, donnée en 1855 à Saint-Eustache, cette messe a parcouru le monde entier. En Angleterre, elle a obtenu plus de cinq cents auditions dans les grands concerts, à côté des œuvres de Bach et de Haendel.
En relisant les nombreuses messes que Gounod écrivit au long de sa féconde carrière, on est frappé du renouvellement de sa pensée dans la traduction du style liturgique. Nul plus que lui n'a eu le souci de rester simple, sans emphase, en soulignant le texte latin d'un commentaire profondément religieux. Le peintre Ernest Hébert, qui fut son ami de toujours depuis Rome, me disait que Gounod, en composant la musique sacrée, y trouvait un repos vraiment spirituel, un rafraîchissement indispensable, après avoir travaillé à une œuvre de théâtre.
***
Une rencontre fortuite avec un ancien ami, le violoniste Seghers, qui dirigeait l'orchestre de la société de Sainte Cécile ramena Gounod à son art et surtout au théâtre. Etant très lié avec la cantatrice Pauline Viardot, qui venait de créer le Prophète, le récent opéra de Meyerbeer, Seghers la persuada de s'intéresser à la carrière de Gounod et, par son entremise, il obtint pour le jeune compositeur la commande d'un ouvrage lyrique. C'est ainsi que naquit Sapho (la poétesse antique), sur un poème d'Emile Augier, et que l'ouvrage fut accepté en principe par Nestor Roqueplan, directeur de l'Opéra. C'était une chose rare pour un débutant de trente ans. Madame Pauline Viardot, artiste des plus musiciennes, avait connu Gounod à Rome et appréciait son talent. Il introduisit dans sa partition deux de ses plus belles mélodies, le Soir qui devint l'air de « Héro sur la tour solitaire » et la Chanson du Pêcheur (inspirée par des vers de Théophile Gautier) dont la musique fut celle des stances célèbres « O ma lyre immortelle » que chante la poétesse, à la scène finale, au moment de se jeter dans la mer.
En écrivant Sapho, le musicien rompait avec les traditions établies par Meyerbeer et Halévy. On peut dire que Gounod, en mettant la musique à sa vraie place, c'est-à-dire la première, donnait aux récits une nouvelle figure : ils reliaient par une ligne souple les différents morceaux, airs, duos, formant un tout essentiellement musical, où le pittoresque n'intervenait qu'en accessoire de l'ensemble décoratif. C'est ainsi que naquit l'opéra français par excellence ; il ouvrait la route à Bizet, à Massenet et à Saint-Saëns.
L'ouvrage fut bien accueilli par la critique, notamment par Berlioz qui, résumant ses éloges, disait : « le succès de Sapho est juste, pour les belles choses que contient la partition ». A l'issue de la représentation, Gounod rencontra Berlioz, qui tout ému, lui dit : « Bravo, voyez, j'ai les yeux pleins de larmes ». A ces mots, Gounod s'écria : « Cher Maître, venez montrer vos yeux à ma mère, ce sera ma meilleure récompense ! » Souvenir touchant que Gounod aimait à raconter. L'ouvrage, hélas ! ne fit pas recette et quitta l'affiche. Création le 16 avril 1851, reprise en 1858 et 1884, sans susciter un grand enthousiasme...
Après les représentations de Sapho, Gounod s'était fait remarquer, sur la scène du Théâtre Français, par son habile arrangement de la partition de J.-B. Lully, qui soulignait certains passages du Bourgeois Gentilhomme de Molière — annonçant ainsi la future partition du Médecin malgré lui. Puis, à ce même titre, il donnait les chœurs d'Ulysse qui accompagnaient la tragédie de Ponsard. Jacques Offenbach, qui dirigeait la musique à la Comédie-Française, avait prodigué tous ses soins à la musique de Gounod, dont Berlioz et Saint-Saëns firent les plus grands éloges. Mais la tragédie de Ponsard avait paru fort ennuyeuse et n'obtint qu'un petit nombre de représentations.
Gounod aurait pu se décourager. Il n'en fut rien. Sur les instances de Roqueplan, le directeur de l'Opéra, il entreprit la composition de la Nonne Sanglante, grand ouvrage en cinq actes sur un livret de Scribe et Delavigne, qui avait déjà tenté Berlioz et Félicien David. En quelques mois d'un labeur acharné, Gounod écrivit d'un jet sa partition — aujourd'hui injustement tombée dans l'oubli. Elle fut jouée à l'Opéra le 18 octobre 1854. Si le livret ne suscita pas l'enthousiasme, en revanche la partition retint l'attention de la critique. Adolphe Adam, le musicien de Giselle, écrivait : « Charles Gounod est un artiste sérieux qui ne fait aucune concession au mauvais goût ». Berlioz fut surpris de l'habileté dramatique avec laquelle le musicien avait traité un sujet très sombre, aux épisodes fantastiques. En relisant la partition, traitée à la manière de Verdi, on découvre un Gounod très différent du futur compositeur de Faust. Il y a souvent dans cet ouvrage des pages de réelle grandeur. Malgré le talent de l'interprète principale, Mlle Wertheimer, la Nonne Sanglante ne fut donnée que onze fois, avec des recettes pourtant supérieures à celles des opéras de Meyerbeer. Le livret offrait bien des points de ressemblance avec celui de Robert le Diable. Aussi Gounod eut-il beaucoup de mérite en s'efforçant de fuir le style grandiloquent de Meyerbeer. Il évita de tomber dans la forme facile et à effet de son illustre confrère. Il serait intéressant de remettre au jour la partition de la Nonne Sanglante, œuvre de jeunesse de Gounod. Le côté fantastique du livret pourrait tenter un metteur en scène intelligent.
Le directeur Crosnier ayant succédé à Roqueplan, la Nonne Sanglante, par un caprice du nouveau directeur, disparut à tout jamais de l'affiche. Peu de temps après, Gounod fut nommé à la direction de l'« Orphéon » de la ville de Paris, nouvelle fonction des plus absorbantes, qui cependant lui fournit l'occasion de composer de belles pages pour chœurs de voix d'hommes, parmi lesquelles retenons « le Vin des Gaulois » qui est devenu plus tard le « Chœur des soldats » de Faust.
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Ouvrons ici une parenthèse sur une composition de Gounod — qui n'en écrivit pas une seule note — et qui eut une fortune singulière : le fameux Ave Maria. Gounod, fiancé à Mlle Anna Zimmermann, allait fréquemment diner chez des amis avec sa fiancée et ses parents. Régulièrement il attendait dans le salon familial en improvisant au piano. Un jour, son futur beau-père, le pianiste réputé Zimmermann, qui fut le professeur de Marmontel et de Bizet, entendit son futur gendre improviser sur le premier prélude de J.-S. Bach, en ut majeur, une mélodie qu'il jugea ravissante. Gounod l'ayant répétée une seconde fois, Zimmermann s'empressa de la noter, puis quelques jours plus tard, il la fit entendre à Gounod, jouée par un violon une quinte au-dessus, et soutenue par un petit chœur. C'est ainsi que naquit la Méditation sur un prélude de Bach qui, par la suite, devint chez l'éditeur Heugel le fameux Ave Maria que Gounod n'écrivit jamais, et qui a tant fait pour sa popularité ! Ajoutons que Zimmermann, qui avait conclu l'affaire avec la maison Heugel, remit à Gounod une somme de deux Cents Francs pour l'achat de l'œuvre... Dans la Gazette Musicale le critique Smith écrivait : « Que de choses dans un simple prélude : Gounod y trouvera quelque jour un oratorio tout entier ». En effet, plus de quinze arrangements de ce morceau ont parcouru le monde de la musique. Mais, si Gounod ne le reniait pas, il contait avec esprit la naissance de ce « faux chef-d'œuvre »...
Le mariage de Gounod avec Mlle Anna Zimmermann s'était conclu d'une manière fort originale. Fréquentant assidument le salon de l'éminent pianiste, dont sa femme et ses quatre filles faisaient les honneurs, le musicien de Sapho qui était fort séduisant, avait touché le cœur de la jeune fille Anna. Mme Zimmermann s'en ouvrit très franchement à Gounod, en lui demandant de prendre une décision, épouser sa fille ou cesser ses visites trop fréquentes. A cette époque Gounod vivait très modestement avec sa mère, n'ayant pour toute ressource que son traitement de directeur de l'Orphéon de la ville de Paris. Après mûre réflexion, il écrivit à Mme Zimmermann pour lui expliquer pourquoi il était contraint de se récuser. Ne voulant pas adresser sa lettre par la poste, il alla la porter lui-même. C'est Mme Zimmermann qui lui ouvrit la porte en s'écriant : « Ah, mon cher enfant j'attendais votre visite. Venez embrasser votre fiancée ! » et c'est ainsi que Gounod disait : « Voilà un sujet d'opéra-comique : le Fiancé malgré lui ». Il n'eut pas à s'en repentir, car Mme Gounod fut pour son mari la plus tendre, la plus dévouée des épouses, une véritable collaboratrice.
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Faust, qui sommeillait dans l'esprit du jeune maître, devait prendre son essor en 1859, après de multiples péripéties. De nombreuses controverses se sont engagées pour savoir comment Gounod, après quinze années d'hésitations, décida de se mettre au travail pour réaliser son rêve le plus cher. Il l'a raconté lui-même dans son « Autobiographie » publiée à Londres, dès 1875.
A l'occasion de la création d'Ulysse, deux jeunes auteur Jules Barbier et Michel Carré firent la connaissance du compositeur et lui parlèrent d'une collaboration future. C'est ainsi que Gounod leur confia son désir de composer une partition de Faust. Il leur dit « son inclination passionnée pour cet incomparable sujet ». Or, il se trouvait que Barbier et Carré avaient déjà fait jouer, sur la scène du Gymnase, un Faust avec Frédérick Lemaître comme principal interprète : l'ouvrage avait été froidement accueilli et les auteurs désiraient prendre une revanche : ils furent enthousiasmés par cette proposition et derechef les trois collaborateurs se mirent au travail ; Gounod s'écriait : « Je suis heureux comme d'un mariage d'amour ». Puis le projet fut apporté à Léon Carvalho, directeur intelligent et artiste, à qui l'idée de monter Faust au Théâtre-Lyrique sourit tout à fait. Barbier et Carré lui soumirent le plan des huit tableaux qu'il agréa sans hésitation... Gounod se mit donc à l'ouvrage, poussé par cette flamme intérieure qu'il portait en lui depuis tant d'années. En moins de deux ans, 1857-1858, l'ouvrage était fait, dans une fièvre de tous les instants.
Mais voilà qu'au moment d'aboutir, le Théâtre de la Porte-Saint-Martin, proche voisin du Théâtre-Lyrique, annonce un Faust à grand spectacle, que le directeur Marc Fournier avait commandé au dramaturge d'Ennery... Carvalho ne se montre pas tellement ému de cette nouvelle. Il réunit les trois auteurs du futur Faust et leur fit une offre qu'ils acceptèrent sans hésiter : « Laissons passer l'orage de la Porte-Saint-Martin, leur dit-il, et écrivez-moi tout de suite un opéra-comique, d'après une comédie de Molière, soit le Médecin malgré lui soit le Mariage forcé et je le monte immédiatement ». Après s'être consultés, Gounod, Barbier et Carré optèrent pour le Médecin malgré lui qui fut prêt en quelques mois. Le succès de ce charmant ouvrage, que d'aucuns considèrent comme un petit chef-d’œuvre, ne se démentit pas au cours de 58 représentations consécutives données en 1858-59.
On peut dire que le Médecin malgré lui fut la première réussite de Gounod au théâtre. Dès l'exécution de l'ouverture le public fut conquis. Dans cette page symphonique, écrite d'une forme classique, l'auteur ne présente pas une sorte d'« olla podrida » des meilleures pages de la partition ; il prend deux thèmes principaux, celui de la scène de la « Consultation » dans un mouvement rapide et, par opposition, il choisit comme thème mélodique la jolie phrase de l'ensemble du dernier tableau « Et vite donnez-lui Léandre ». Je me souviens que Debussy, en 1902, au moment même de la création de Pelléas à l'Opéra-Comique, vint assister un soir à une représentation du Médecin que je dirigeais, et me dit sa surprise et son admiration pour cette ouverture si vivement enlevée, avec ses thèmes alertes et son instrumentation si souple, si légère. Dans cette œuvre charmante, les couplets sont bien venus, les ensembles et les divers épisodes portent l'empreinte d'un musicien de race, qui a su traduire Molière dans son véritable esprit. Le baryton Meillet, excellent comédien, fut un Sganarelle étourdissant ; plus tard, Lucien Fugère s'y montra, à son tour, d'une verve incomparable. « Hélas ! écrivait Gounod, il devait manquer à cette soirée de la première, le 15 janvier 1858, celle qui en aurait fait une joie pour mon cœur : ma pauvre mère était à l'agonie et je la perdais le jour suivant ! »... L'éditeur Colombier se rendit acquéreur de la partition pour la somme de quatre mille francs... C'était le premier argent que touchait l'auteur, qui devait en remettre le tiers à ses collaborateurs. Il faut se souvenir que l'ouvrage faillit ne pas être joué. La Comédie-Française réclamait, criait à l'empiètement sur ses droits ! sur son domaine ! Le ministre d'Etat, Achille Fould, chargé des Beaux-Arts, interdit la première représentation du Médecin. Mais grâce à l'intervention de la Princesse Mathilde, cousine de l'Empereur Napoléon III, l'interdiction malencontreuse fut levée. Aussi Gounod s'empressa-t-il de dédier sa récente partition à la Princesse, grande amie des arts. Le maître disait volontiers à ses intimes, qu'après les échecs de Sapho et de la Nonne Sanglante, il aurait renoncé à écrire pour le théâtre s'il n'avait eu la bonne fortune de rencontrer un directeur tel que Léon Carvalho, d'un esprit éclairé, et de surplus, excellent musicien. Régisseur remarquable, il savait mettre en évidence les moindres détails d'un ouvrage sans jamais en altérer le caractère musical. Après avoir révélé au grand public le Médecin malgré lui et Faust, il fut l'infatigable propagateur de Mireille, de Roméo et Juliette ainsi que de Philémon et Baucis.
Sapho, Ulysse et la Nonne Sanglante ne trouvèrent pas d'éditeur à leur apparition. Ce fut la belle-mère de Gounod, Mme Zimmermann, qui prit à sa charge les frais de l'édition « chant et piano » de ce troisième ouvrage, qui parut tout d'abord aux éditions Brandus, puis beaucoup plus tard à la Maison Choudens en même temps que les partitions d'Ulysse et de Sapho. A ce sujet Gounod m'a raconté ceci : il habitait encore rue de la Rochefoucauld. Un matin son éditeur Choudens vint lui faire visite et ayant découvert, en furetant dans la bibliothèque, les manuscrits de ces deux derniers ouvrages, il les prit, les mit sous son bras et dit à Gounod « Vous n'en faites rien, je les prends. » C'est ainsi qu'il en devint propriétaire, en ayant le consentement muet de l'auteur. Gounod était d'un tel désintéressement que cette anecdote ne peut nous surprendre.
Création de Faust : 1859, Mme Miolan Carvalho. Deux feuilletons de Berlioz ; une lettre de Saint-Saëns.
Entre temps, le Faust de la Porte-Saint-Martin s'était en quelque sorte effondré et l'on put songer sérieusement à l'œuvre nouvelle pour la saison 1859. Après avoir fait entendre les huit tableaux de leur ouvrage au directeur Carvalho, le compositeur et les deux auteurs durent choisir leurs interprètes. Gounod avait songé à Madame Ugalde pour le rôle de Marguerite (elle possédait de grandes qualités vocales et dramatiques). Après réflexion, il accepta Madame Miolan-Carvalho, épouse de son directeur. Il n'eut pas à le regretter car elle fut successivement Marguerite, Juliette, Mireille, Baucis, incarnant ainsi avec un égal bonheur toutes les héroïnes du maître. Le rôle du docteur Faust, avait été distribué au ténor Guardi, ami du jeune Georges Bizet, qui avait pour son maître Gounod une admiration sans bornes ; au cours des études, Guardi perdit pied et l'on dut le remplacer par un artiste expérimenté, le ténor Barbot. Pour Méphisto, d'un commun accord, directeur et auteurs arrêtèrent leur choix sur la basse chantante Balanqué, comédien lyrique de haute valeur.
Quant au chef d'orchestre Deloffre qui, disait Gounod, « laissait racler les violons au lieu de les faire chanter », il manquait d'envergure. Les amis de Gounod souhaitaient qu'il prît lui-même la baguette de chef, car il dirigeait alors l'« Orphéon de la Ville de Paris » et il s'y taillait des succès constants, mais ce n'était pas l'usage encore à cette époque, et Carvalho n'eut pas le courage de rompre avec une longue tradition.
Georges Bizet, qui fut avec Saint-Saëns un des premiers disciples du maître, était pensionnaire de la Villa Médicis, à Rome, en 1859, au moment de la création de Faust. Toute une correspondance s'échangea entre les deux musiciens et il est fort regrettable qu'on n'ait jamais pensé à la publier. Au cours des études de son ouvrage, Gounod écrivait à Bizet : « Madame Carvalho, dans le rôle de Marguerite, a des choses ravissantes ; elle est adorable quand elle chante les huit mesures de la Kermesse, au moment où Faust l'aborde ; elle joue supérieurement la scène de l'Eglise, qui est un des bons morceaux de l'œuvre. Quant à moi, je ne puis te dire ce que vaut ma partition. Je suis tellement noyé là-dedans que je suis très mauvais juge, je suis saturé de musique ; l'exécution en ce moment est très compromise par la mise en scène ; l'orchestre racle, mais tout cela reviendra aux dernières répétitions ». Quelques jours plus tard Gounod écrivait encore que sans l'intervention de son ami Monseigneur de Ségur, alors nonce du Pape, on allait supprimer la scène de l'Eglise. « Nous sommes très mal avec la Cour de Rome » disait le ministre Fould, pour justifier cette mesure.
Quels étaient les sentiments qui agitaient le cœur du compositeur au moment où son Faust, si attendu, allait apparaître ? Avant lui, Berlioz, Schumann s'étaient attaqués au poème de Goethe, et Liszt ne venait-il pas de le traduire symphoniquement après le succès de MéphistoValse dans le domaine pianistique ? Gounod avait mis dans son œuvre le meilleur de lui-même, et les huit tableaux de son opéra n'ont-ils pas chacun un caractère propre, une abondance d'idées mélodiques, une richesse harmonique toute nouvelle ? Le matin de la répétition générale, qui eut lieu le 27 mars 1859, Gounod — qui la veille avait dû pratiquer plusieurs coupures, car le spectacle dépassait une durée de quatre heures — Gounod avait dit à sa femme, Anna Zimmermann : « Aujourd'hui c'est toute ma carrière qui se décide ». En effet, l'apparition de Faust a été l'événement le plus considérable de la saison 1859 dans le domaine musical. Après le règne de Meyerbeer, de Rossini, de Donizetti, l'art français, sous la plume de Charles Gounod, reprenait sa place de premier rang.
« Faust était ma cinquième œuvre dramatique — a écrit le maître dans son autobiographie — la première représentation fut une « sensation » plutôt qu'un succès d'éclat. Les habitudes du public, des chanteurs et de la critique y étaient passablement déroutées, par conséquent celles des éditeurs ». Aussi ne s'en présenta-t-il pas un seul. Ce ne fut qu'après la septième représentation qu'un jeune éditeur se mit en avant pour acquérir l'œuvre nouvelle, en toute propriété en France et en Belgique, moyennant la somme de dix mille francs. Cet homme courageux se nommait M. de Choudens, et encore ne prit-il sa décision qu'après bien des hésitations, car... il n'aimait pas Faust ! Il suivit le conseil d'un ami, le compositeur Prosper Pascal qui admirait l'œuvre et avait confiance en l'étoile de Gounod. On sait que Faust a été le point de départ de la fortune de la Maison Choudens, qui publia, par la suite, la plupart des ouvrages de théâtre de Berlioz, de Bizet et de bien d'autres compositeurs.
L'accueil peu encourageant, parfois même hostile, fait par la critique à l'ouvrage de Gounod est resté légendaire. A peu près seul parmi ses confrères, Hector Berlioz comprit tout ce qu'il y avait de nouveau dans cette forme inhabituelle de drame lyrique, fort éloignée de l'emphase de Meyerbeer ou d'Halévy. Dans deux feuilletons substantiels, il fit une analyse détaillée des huit différents tableaux qui composent le spectacle. Il loue tout d'abord l'introduction d'orchestre « qui révèle le savant harmoniste » mais il passe sous silence la phrase si caractéristique de la fin de ce prélude, dont on a fait plus tard un arrangement vocal très contestable, un « air à effet » que chante Valentin, au tableau de la Kermesse, et qui est devenu le cheval de bataille de MM. les barytons, en province et à l'étranger, mais que Gounod a toujours proscrit du Théâtre de l'Opéra. Berlioz n'est pas très enthousiasmé par le premier duo entre Faust et Méphisto : il le trouve trop bruyant, « les violons crient trop haut ». En revanche, il apprécie le chœur si vivant qui ouvre la Kermesse, et il ajoute : « Rien de plus gracieux que la réplique de Marguerite à Faust : « Non Monsieur, je ne suis demoiselle, ni belle ». Il ignorait que Gounod, au cours des dernières répétitions, avait supprimé un duo entre Valentin et sa sœur, pour accentuer l'effet imprévu de cette simple phrase que chante la jeune fille, au moment où Faust lui adresse la parole.
A l'acte du Jardin, Berlioz commente la page devenue célèbre : « Salut demeure chaste et pure » qu'il déclare « délicieuse » ; il goûte infiniment la « Chanson du roi de Thulé », avec son caractère archaïque, issu du plain chant ; il admire sans réserve le quatuor entre Marguerite, Dame Marthe, Faust et Méphisto « page d'une rare qualité ». Parlant du duo entre Faust et Marguerite, il ajoute : « Cette charmante demi-teinte, ce clair crépuscule, séduit l'auditeur et le remplit d'une émotion qui va grandissant jusqu'à la fin du tableau. » Ces éloges furent d'un grand réconfort pour le compositeur, après les jugements « stupides » de certains folliculaires attardés : « Gounod a peu de mélodie — il est incompréhensible » écrivaient-ils ! Dans un second feuilleton, Berlioz renchérit encore : « Ce tableau est le chef-d'œuvre de la partition ». S'il apprécie la scène de la chambre de Marguerite et l'air du rouet, il critique au tableau suivant, le chœur des soldats devenu populaire : il lui reproche « son manque de distinction mais il ne tarit pas d'éloges sur la mort de Valentin « d'un puissant effet dramatique » et surtout sur la scène de l'Eglise, où le grand orgue se mêle aux chants religieux, qu'il trouve « supérieurement traitée » ; il termine en ces termes : « c'est tout simplement grandiose ».
Le sabbat de Blackberg, au cinquième acte, semble à Berlioz « beaucoup trop écourté ». On sait que Gounod composa par la suite un grand ballet, au moment où l'ouvrage fut monté à l'Opéra. L'auteur de la Damnation de Faust s'étonne aussi de la brièveté de la scène de la prison, et il donne, en passant, une leçon à ses confrères malveillants, quand il écrit modestement : « J'ai besoin de l'entendre de nouveau pour pouvoir en parler librement ». Admirons un tel scrupule chez ce maître de la musique...
M. Jean Bonnerot, qui a été l'ami et l'exécuteur testamentaire de Camille Saint-Saëns, a bien voulu me communiquer une lettre de l'auteur de Samson et Dalila, concernant la création de Faust. Cette lettre inédite est du plus haut intérêt :
« Je fréquentais chez Jules Barbier, le librettiste bien connu : Madame Barbier, très belle, était douée d'une voix et d'un talent qui auraient fait la fortune d'un théâtre, et l'on faisait dans son salon beaucoup de musique, mais ce n'était pas le temple de la musique sérieuse : Beethoven et Mozart y passaient pour des « raseurs » et Victor Massé était le grand homme du cénacle. Aussi fus-je extrêmement surpris d'y voir un jour apparaître Gounod, et d'apprendre par la maîtresse de maison que l'on préparait un Faust pour le Théâtre-Lyrique. J'entendis là pour la première fois, chantée par l'auteur, toute la première scène et j'avoue que l'invocation : « Salut, ô mon dernier matin » ne m'avait point séduit. Mais plus tard, chez lui, Gounod me chanta le duo du Jardin et j'eus l'impression qu'une œuvre supérieure allait voir le jour. Les répétitions furent longues et laborieuses : il y eut force tâtonnements et remaniements.
Après une première répétition générale, la pièce fut accrochée pour ne reparaître que trois semaines plus tard. Pendant ce temps l'opposition travaillait. Les frères Escudier, éditeurs des opéras italiens, avaient la main dans tous les journaux et comptaient bien s'opposer à un succès qu'ils auraient considéré pour eux comme une défaite. Le Théâtre, les amis de l'auteur annonçaient l'apparition d'un chef-d'œuvre, et l'on attendait avec la plus grande curiosité la transformation de Madame Carvalho, grande favorite du public, qui de l'emploi de chanteuse légère, où elle avait brillé d'un si vif éclat, passait à celui des héroïnes lyriques et dramatiques.
Vint enfin cette « première », une des plus sensationnelles qu'on ait vues. Longtemps avant que de l'orchestre on eût entendu les premières notes, la salle était comble. Le Prélude fit bonne impression, malgré l'affreux couac dont le cor, pris de peur, illustra fâcheusement la péroraison. Le prologue fut bien accueilli. Il n'y eut pas d'ailleurs, dans toute la soirée, d'opposition franchement exprimée ; et si le public eut été vraiment livré à lui-même, c'eût été dès l'abord un grand succès. Mais l'ennemi avait travaillé dans l'ombre et la prévention, si bien décrite par Beaumarchais (1) avait fait son œuvre : le public était séduit, mais il ne voulait pas en convenir et dénigrait dans les entractes l'œuvre qu'il avait applaudie. Le « Chœur des Vieillards » fut bissé. Chanté à demi-voix, dans un mouvement modéré, c'était alors une chose délicate et charmante, dont les spectateurs actuels n'ont point l'idée, maintenant qu'on en fait une grossière caricature. L'apparition de Marguerite fut une surprise et un enchantement. Avec ces quelques mots : « Non, Monsieur, je ne suis demoiselle, ni belle », Madame Carvalho conquit la salle du premier coup. Cette voix si pure, cette diction, ce charme sans pareil, ce style, on ne les a jamais retrouvés...
Hâtons-nous de le dire, comme la Mignon d'Ambroise Thomas, la Marguerite de Gounod n'est pas celle de Goethe mais celle d'Ary Scheffer. La Marguerite de Goethe n'est pas un idéal, une statue du Moyen-âge descendue de sa niche ; elle s'appelle Gretchen, c'est-à-dire Margot : honnête mais vulgaire, elle répond brusquement à Faust, en personne plus choquée que flattée d'un hommage qui la surprend. Présentée ainsi, le public français ne l'eût pas comprise ; et quand l'Allemagne adopta le Faust de Gounod, elle l'intitula « Margarethe » pour marquer qu'il s'agissait d'un personnage tout autre que la Gretchen si connue du public allemand.
L'air des bijoux, tant reproché à Gounod, fut pourtant de sa part un acte de courage, d'une ténacité dont il n'a pas toujours fait preuve. Madame Carvalho voulait un air plus brillant, où elle put déployer la merveilleuse exécution qui avait été jusqu'alors son plus grand élément de succès : un trille suivi d'une courte gamme de sept notes, c'est tout ce qu'elle obtint dans le domaine de la fioriture. De ce trille, de cette gamme, elle faisait une merveille.
La Presse, sauf quelques exceptions, ne fut pas franchement hostile : elle fut plutôt perfide, louant les grandes qualités de l'auteur, en insinuant que ces qualités n'étaient pas de celles qui conviennent au théâtre. Berlioz et d'Ortigue soutinrent franchement l'ouvrage, mais sans mettre dans leur appréciation cet enthousiasme sans réserve qui entraîne le public. Berlioz n'a-t-il pas remarqué que Méphistophélès, mis en fuite par les croix que font les étudiants avec les poignées de leurs épées, n'a plus peur, dans la cathédrale, de tout l'attirail de la religion. Dans le monde, on parlait beaucoup de Faust et le nouvel opéra était l'objet de discussions passionnées, présage du succès futur. D'aucuns trouvaient Méphistophélès insuffisamment diabolique ; il est certain que celui de Berlioz l'est d'autre façon. Pour les Philistins — le croirait-on ? — l'acte du Jardin faisait longueur ; et cela se disait tellement qu'il fut question de le supprimer. Mais la plus grande critique, et la plus injuste de toutes, visait l'originalité de cette musique, si différente pourtant de ce qui s'était vu jusqu'alors au Théâtre. « Gounod, disait-on couramment, est un érudit qui écrit avec ses souvenirs ; il n'a rien de lui ». N'ai-je pas vu faire le même reproche à Tristan, dont la musique, disait-on, était directement inspirée des œuvres de Weber ? En fait d'opinions émises sur les œuvres d'art, il ne faut s'étonner de rien ».
Camille Saint-Saëns.
(1) Air de la Calomnie dans le Barbier de Séville.
Aujourd'hui, avec le recul des années, il nous paraît surprenant de constater que parmi tous les musicographes qui ont traité de l'œuvre de Gounod, que ce soient Camille Bellaigue, les frères Hillemacher ou les écrivains Dandelot et Prod'homme, aucun n'ait découvert ce qu'il y avait de tout à fait personnel chez l'auteur de Faust, c'est-à-dire le « caractère intérieur, intime » de tous ses personnages. N'est-ce pas ce langage si simple, si direct, qui attire et retient depuis un siècle, la foule sans cesse renouvelée des auditeurs ? « L'art dramatique est un art de portraits, a dit Gounod « telles sont les immortelles figures d'Hamlet, de Richard III, d'Othello, créées par Shakespeare ». Cette définition peut s'appliquer au compositeur de Faust, de Roméo, de Mireille, qui a créé des amants impérissables...
Malgré la réserve de la critique, les représentations de Faust, au nombre de cinquante sept, de mars à décembre 1859, réalisèrent de belles recettes. Cette première version de l'ouvrage contenait du texte parlé dans la scène de la Kermesse, l'acte du Jardin et le tableau du retour des soldats. Gounod le remplaça par des récits chantés, quand son œuvre fut jouée en province et à l'étranger. En 1932, Jacques Rouché, qui présidait alors aux destinées de l'Opéra, voulut ressusciter pour quelques soirées cette première version, que j'ai eu l'honneur de diriger, avec Marthe Nespoulous (Marguerite), Villabella (Faust) et Pernet (Méphisto). Malgré le talent de ces interprètes, ce premier Faust n'a obtenu qu'un succès de curiosité, car les récits musicaux donnent à l'œuvre une unité parfaite, que brise nécessairement le langage parlé.
On s'est toujours étonné de l'interruption des représentations de 1859 à 1862. C'est ce qui a fait croire à l'insuccès de l'ouvrage. Il est bon de rappeler que le ténor Michot avait remplacé ses camarades Barbot et Guardi dans le rôle du docteur Faust. Au moment même où Michot obtenait le plus grand succès, le ministre de la Maison de l'Empereur, M. Fould, qui régissait les Beaux-Arts, enlève Michot à la troupe du Théâtre-Lyrique pour le faire engager à l'Opéra, où il fit ses débuts dans Alceste de Gluck. Malgré l'admiration qu'il professait pour l'auteur d'Orphée, Gounod en éprouva la plus grande contrariété. Peu après, Carvalho ayant quitté la direction du Théâtre-Lyrique, son successeur Réty se refusa, pendant deux ans, à reprendre Faust. Ce ne fut qu'en 1862, que Carvalho, de retour à la direction du Théâtre-Lyrique, s'empressa de rejouer l'ouvrage, qui depuis n'a plus jamais quitté le répertoire du Théâtre-Lyrique jusqu'en 1869, époque où il émigre sur la scène de l'Opéra.
A la fin de sa vie, Gounod se plaisait à évoquer, certain jour devant Saint-Saëns, ses souvenirs des premières études de Faust : on l'accablait de conseils, dans l'intérêt du succès de son ouvrage. Un ami lui disait, en parlant de l'acte du Jardin : « Songez donc, un acte qui dure plus d'une heure et qui se passe tout entier en amour, au clair de lune ». Un autre renchérissait : « Toute la salle dormira avant la fin de l'acte, faites des coupures ». Cependant c'est sur l'insistance de ses admirateurs que Gounod consentit à introduire, à la scène du retour de Valentin, le chœur des soldats qu'il avait écrit pour l'Orphéon de la Ville de Paris. Le trio final, que Berlioz trouvait écourté, fut modifié par Gounod en 1862. Il fit chanter en entier la phrase « Anges purs, anges radieux » à la reprise de ce thème, l'effet fut prodigieux et motiva un bis par acclamations.... André Messager devenu directeur de l'Opéra, en 1908, fit enlever ce bis intempestif qui nuisait, selon lui, à la conclusion foudroyante du tableau de la prison. « Quand on aime une œuvre, disait-il, il faut d'abord la respecter ».
M. Stéphane Wolff, historiographe de nos théâtres lyriques nationaux, nous donne les noms des créateurs de Faust au Théâtre-Lyrique du boulevard du Temple. Ce furent Mmes Carvalho, Faivre et Duclos, MM. Barbot, Balanqué, Raynal et Cibot. Ils se retrouvèrent pour la plupart à la reprise de 1862 : cette fois le docteur Faust fut chanté par le ténor Monjauze et le rôle de Wagner par le baryon Wartel. Ne soyons pas injustes avec le bon Deloffre qui était au pupitre de chef : il avait pour Gounod une admiration profonde, il le vénérait !...
Rayonnement de Faust en province et à l'étranger. Gounod en Angleterre : le compositeur est séquestré par le ménage Weldon. Composition de Gallia, la Colombe, Philémon et Baucis, les Deux Reines, Jeanne d'Arc, instrumentation de Polyeucte.
Pendant les deux années d'interruption forcée de Faust, Gounod put se consacrer entièrement, en compagnie de son éditeur Choudens, comme habile « manager », à la diffusion de son œuvre, tout d'abord dans plusieurs villes de France, puis en Belgique, Allemagne et Italie. C'est Strasbourg qui eut la primeur de l'ouvrage après Paris : le public et la presse lui firent un accueil chaleureux. Il en fut de même à Rouen, où Faust fut joué quinze fois. D'autres villes en France, Lyon, Marseille, suivirent cet exemple. C'est à Bordeaux, en 1860, que le texte parlé fut remplacé par des « récits chantés » ce qui donne à penser qu'ils furent composés antérieurement par Gounod, qui avait toujours eu l'intention d'écrire un opéra dans la forme traditionnelle, sans texte parlé. A Toulouse, à l'issue du spectacle, le directeur du Théâtre du Capitole ceignit le front de l'auteur d'une couronne de lauriers, au milieu d'un enthousiasme très méridional.
A l'étranger, la ville de Liège, en Belgique, donna le départ de Faust ; l'année suivante on le joua au Théâtre Royal de la Monnaie, à Bruxelles, qui avait déjà révélé à son public le Médecin malgré lui. Gounod y reçut les plus vifs éloges de la presse musicale, qui saluait en lui « un véritable novateur de l'art lyrique ». En Allemagne la création de Margarethe (Gretchen) nouvelle appellation de Faust, eut le plus grand retentissement, dès son apparition à Darmstadt. Le grand duc de Hesse, qui assistait au spectacle, remit solennellement à Gounod la médaille d'or des Arts et des Lettres. Depuis 1818, on jouait en Allemagne un Faust, en deux actes, du compositeur Spohr, ouvrage qui jouissait d'une grande audience, mais il fut entièrement éclipsé par celui de Gounod. La critique admira sans réserve la partition française et de plus, fit des éloges sur l'adaptation de Barbier et Carré, qui ne trahissait pas le poème de Goethe. Seule, la traduction de M. Dextler Manfred fut jugée fort médiocre. Un autre critique louait la mélodie simple, naturelle de Gounod, si éloignée de celle de Meyerbeer ; il signalait que la Chanson du Roi de Thulé et l'air du Rouet rappelaient les lieder de Schubert et de Schumann.
Gounod avait cédé aux éditeurs Bote et Bock de Berlin la propriété de ses droits en Allemagne pour la somme de mille francs. On croit rêver. Décidément notre grand musicien n'avait rien d'un homme d'affaires. Cette édition en grand format, admirablement gravée, est ornée d'une lithographie de mauvais goût, mais amusante. Alors qu'en France l'on accueillait d'une manière magnifique le compositeur italien Verdi, en lui offrant des cachets de cinquante mille francs lorsqu'il venait présider, à l'Opéra, aux études de ses œuvres les Vêpres Siciliennes ou Don Carlos, en Allemagne, notre pauvre Gounod ne touchait pas un liard... Il est vrai que l'éditeur Choudens réglait toutes les dépenses, les frais de chemin de fer et de séjour dans les hôtels, mais c'était tout.
Au cours de ces pérégrinations, Gounod eut l'occasion d'entendre la totalité des opéras de Gluck qu'il admirait profondément : « Lorsque Gluck apporta au théâtre la hardiesse de son inspiration sincère, écrivait-il, il eut contre lui les clameurs de la routine et il fut obligé de défendre son œuvre dans des lettres qui sont des trésors d'éloquence et de fierté... » C'est exactement le sort qui fut réservé à Gounod dans son pays.
L'accueil chaleureux fait à Faust à Mayence, se renouvela dans la plupart des villes d'Allemagne et d'Autriche, à Wiesbaden, à Hambourg (où l'ouvrage fut joué quarante deux fois dans la saison) puis à Dresde, à Munich et à Vienne. On sait que Franz Liszt, qui fut toute sa vie le grand ami de Gounod, eut l'idée d'écrire une « fantaisie » pour piano sur les principaux thèmes de la partition : de nos jours encore, ce morceau très brillant figure sur beaucoup de programmes des virtuoses. Rappelons un souvenir peu commun, que je tiens d'André Messager. Le jour du mariage de la fille de Gounod, Jeanne, avec le baron Pierre de Lassus Saint Geniès, on donnait à Saint-Eustache une audition de la Messe de Gran de Liszt. Après le concert, l'auteur se rendit à l'hôtel de la Place Malesherbes, où la famille Gounod recevait ses nombreux amis. En arrivant, Liszt dit à Gounod : « Je n'ai pas eu le temps d'acheter des fleurs pour Jeanne, mais voici un autre bouquet ». Il se mit alors au piano et interpréta sa Fantaisie sur Faust d'une manière éblouissante.
En Italie, le succès de Faust fut aussi vif que dans les pays d'Outre-Rhin, cependant la traduction laissait fort à désirer, et Gounod fut contraint de la refaire en grande partie. Il assistait à Milan, au théâtre de la Scala, à la première soirée et couvrit de compliments ses parfaits interprètes ainsi que l'excellent orchestre qu'il déclara « tout à fait admirable ». Il fut aussi très satisfait des représentations données à l'Opéra de Turin. Dans des lettres adressées à sa famille, à ses amis, Gounod insiste sur le « sérieux » des études des ouvrages lyriques en Italie, sur l'autorité du chef d'orchestre, qui est chargé non seulement de veiller à l'exécution de la musique, mais aussi de régler la mise en scène, en tenant compte des plus petits détails de la partition, alors qu'en France beaucoup de metteurs en scène ignoraient la musique ! Après Turin et Milan, d'autres villes : Gênes, Bologne, Naples, firent un chaleureux accueil à Faust. C'est sur l'intervention même de Verdi que l'ouvrage fut donné à Rome. Gounod et Verdi s'étaient liés dès leur première rencontre à Paris au moment où fut jouée pour la première fois la Traviata, d'après la Dame aux Camélias. Verdi n'avait pas sollicité l'autorisation d'Alexandre Dumas fils, pas plus que celle de Victor Hugo pour Hernani et pour Rigoletto (le Roi s'amuse). Bien des démarches de Gounod auprès de Dumas et de Victor Hugo firent que les ouvrages de Verdi purent être joués au Théâtre Italien ; par ailleurs, il obtint la commande par le Théâtre de l'Opéra d'un ouvrage à son éminent confrère, qui écrivit alors, en langue française, Don Carlos, que le Festival de Bordeaux a ressuscité en 1958, par les soins du directeur Roger Lalande. A l'une des dernières répétitions de la Traviata, Gounod suggéra à Verdi de faire reprendre, chantée par toutes les cordes, la « grande phrase si belle, si expressive » du Prélude du 1er acte, à l'instant même où les amants, Rodolphe et Violetta, se quittent désespérés. Selon Gounod « ce cri d'amour » redit par tout l'orchestre, accroissait l'émotion produite par le chant de Violetta :
« Adieu je t'aime. Songe au serment suprême.
Ah ! Jamais tu ne sauras combien je t'aime... »
Quand en 1926, Toscanini vint assister, à l'Opéra, à une reprise de la Traviata que je dirigeais, il me dit qu'il entendait pour la première fois cet effet saisissant, dont il ignorait l'existence jusqu'à ce jour.
A la même époque, Faust émigrait à Stockholm, à Barcelone, à Saint-Pétersbourg, faisant ainsi son tour d'Europe. Le mouvement de curiosité en faveur de l'œuvre française s'accentua encore de 1862 à 1864, le Metropolitain de New York l'inscrivait à son répertoire. Et pendant ce temps, Paris l'ignorait, ou plutôt le délaissait.
Quel chagrin pour Gounod de n'avoir point retrouvé à Leipzig son cher ami d'autrefois Mendelssohn, disparu depuis plus de dix ans ! A cette même époque toute l'Allemagne pleurait Robert Schumann, mort d'une façon tragique, dont Gounod entendait le Faust. Un jour, il me parla longuement de ce Faust, conçu plutôt dans la forme d'un oratorio et, se mettant au piano, il me fit entendre de mémoire le duo entre Faust et Marguerite qui commence cet ouvrage, il m'en fit saisir toute la poésie.
Ce n'est qu'en 1863 que Faust franchit la Manche, pour être joué à Londres, au théâtre « The Majesty », par les soins de son directeur M. Mapleson et du chef d'orchestre M. Arditti. A cette occasion, Gounod se rendit en Angleterre, accompagné de son éditeur Choudens. Le succès de la première soirée fut décisif. « Décisif à tel point, dit l'auteur, que M. Gye, qui dirigeait l'autre théâtre musical (Covent Garden Royal Opera) manifesta le désir de monter l'ouvrage dans le courant de la saison suivante, avec Mme Carvalho comme principale interprète ». La chose fut rapidement conclue, mais au détriment de l'auteur et de ses deux collaborateurs. Nous allons voir comment : la création de Faust à Paris ayant eu lieu le 19 mars 1859, l'éditeur Choudens s'entendit avec la maison Chapell de Londres, pour la publication de l'ouvrage en Angleterre. D'après la « Convention Internationale France-Angleterre », la partition devait être déclarée légalement dans un délai de trois mois après sa création, donc le 19 juin 1859, dernier délai. Or, par suite d'une négligence impardonnable des éditeurs Chapell, Faust ne fut déposé à Londres que le 21 juin, avec un retard de trois jours, ce qui fit tomber l'œuvre à tout jamais, pour la Grande-Bretagne, dans le domaine public... Gounod estimait à dix mille livres (250.000 francs or) le préjudice qu'il subit ainsi pour les droits de représentation dans les deux théâtres de Londres. Faust fut donc joué « gratis pro Deo » avec une moyenne de quinze représentations par saison. Bien entendu l'éditeur Choudens avait cédé la partition et le matériel d'orchestre à des conditions très avantageuses pour lui, mais les auteurs ne touchèrent pas un sou... les directeurs londoniens avaient la loi pour eux ; on peut qualifier ce procédé en trois mots : « un vol légal ». On en reste confondu ! Faust et Margherita tel était le titre donné à l'ouvrage quand il fut représenté en juillet 1863, à Covent Garden, dans une mise en scène et des décors magnifiques. La critique musicale, assez réservée après la création au Théâtre Majesty, n'eut alors que des éloges pour l'œuvre et ses interprètes. Si l'on trouvait que le rôle de Faust ne convenait guère au fort ténor Tamberlick, en revanche que de louanges pour le baryton J.-B. Faure et sa remarquable composition du rôle de Méphisto, que de compliments pour la voix et l'art du chant de Mme Carvalho ! On s'étonnait seulement de la voir jouer Marguerite en ayant constamment les yeux baissés, ce qui lui donnait l'air d'être « somnambule ». En regagnant Paris, tandis qu'ils devisaient tous deux en gare de Calais, l'éditeur Choudens dit tout-à-coup à Gounod : « J'ai fait avec la vente de Faust aux deux théâtres d'assez jolis bénéfices, eh bien ! nous partagerons entre nous deux ». « Hélas ! ajoute Gounod, je ne réfléchissais pas que ce qu'il m'offrait était si bien à moi ».
Gounod ne revint en Angleterre qu'en 1870, dans les circonstances suivantes. A la déclaration de guerre 1870-71, il se trouvait en vacances chez son beau-frère l'architecte Pigny, dans les environs de Dieppe : il travaillait à un grand ouvrage, Polyeucte, d'après la tragédie de Corneille, qu'il destinait à l'Opéra. Devant l'invasion allemande, après le désastre de Sedan, il accepta l'offre généreuse d'une de ses amies, la baronne Luisa Brown, d'aller se réfugier chez elle, avec sa femme et ses enfants : Jean et Jeanne, pour y attendre la fin de la tourmente. Gounod s'installa donc pour quelques mois à Blackheath, près de Greenwich, non loin de Londres. Pendant son premier séjour en Angleterre, Gounod s'était lié avec un homme charmant, Jules Benedict, directeur de la « Philharmonie Society » qui avait été enthousiasmé par Faust : ce fut lui qui eut l'idée de présenter le compositeur à l'éditeur de musique Littleton, successeur de Novello, et de l'inciter à faire paraître ses œuvres nouvelles dans la célèbre « firme » anglaise, en adoptant le « Royalty System ». Au lieu de vendre une fois pour toutes une partition à un éditeur, pour une somme déterminée, le système anglais oblige l'éditeur à donner à l'auteur un droit sur tous les exemplaires vendus, parfois aussi à lui verser une redevance sur les locations ou ventes des partitions et des parties d'orchestre. Ajoutons que cette façon d'agir, quand elle est appliquée loyalement, donne satisfaction à tout le monde. En Angleterre, « il fallait gagner sa pitance » disait Gounod. Aussi s'empresse-t-il de céder à M. Littleton quelques compositions de courte durée — mélodies, duos, motets, hymnes — qu'il écrivait au courant de la plume, avec sa facilité habituelle. Sur ces entrefaites, l'Administration de l'Exposition Internationale de 1871, devant la notoriété de l'auteur de Faust, lui demanda de composer une œuvre importante pour soli, chœurs et orchestre. C'est ainsi que vint au monde l'admirable Gallia, élégie biblique d'une puissante envergure, dans laquelle le musicien s'inspira des Lamentations de Jérémie. « L'idée me vint, écrivait Gounod, de représenter la France telle qu'elle était, non pas envahie, vaincue, écrasée, mais outragée, insultée, violée par l'insolence et la brutalité de son ennemi ». Au concert qui eut lieu le 16 mars 1871, Gallia produisit un effet considérable et « ce triomphe d'un moment, ajoute-t-il, fut bien plus une joie pour mon cœur de Français que pour mon orgueil d'artiste ».
Peu de temps après, Gounod ayant ramené sa famille en France, revint seul à Londres, « pour y vivre la grande erreur de ma vie » disait-il dans sa vieillesse lucide... Il avait connu l'année précédente, chez son ami Jules Benedict, le ménage Weldon, qui sut rapidement gagner sa confiance, en s'intéressant à tous ses démêlés avec les directeurs et éditeurs londoniens. Il passa chez les Weldon près de trois années, où il fut en quelque sorte « séquestré ». C'est là qu'il termina sa partition de Polyeucte dont il écrivit toute l'instrumentation. Charles Marie Widor, tout jeune alors, qui avait connu Gounod à Bruxelles, quand il vint y diriger Gallia, m'a raconté, maintes fois, que le ménage Weldon pressurait son hôte et lui faisait « suer de la musique ». On le montrait même comme une bête curieuse aux visiteurs quelque peu indiscrets, moyennant une juste rémunération ! Il faut dire cependant que l'Egérie anglaise n'était pas sans talent : « C'était une belle créature, elle avait une belle voix et une belle âme » disait Gounod à ses intimes, quand il revint en France. Elle fut une des premières interprètes du « soprano solo » de Gallia qu'elle chanta à Londres, à Bruxelles et même à Paris, à la Société des Concerts du Conservatoire : sa voix, richement timbrée, donnait un éclat particulier à la phrase magnifique : « Jérusalem, Jérusalem, reviens, reviens vers le Seigneur ». Elle chantait aussi un grand nombre de mélodies qu'écrivit Gounod à son intention. Il lui confiait, certain jour, la première audition de l'« Invocation à Vesta » de Polyeucte. Elle fut pour lui, sinon la fée bienfaisante, du moins une véritable inspiratrice : il faut savoir le reconnaître. Ainsi dans un des derniers concerts donnés par Gounod dans la salle de l'Albert Hall, on put écouter un nouveau Te Deum, œuvre d'une belle inspiration, largement développée, que suivit la première audition d'une page inspirée de Lord Byron « Vierge d'Athènes » dont Georgine Weldon mit en lumière le sentiment pathétique.
Ayant reçu à cette époque la visite de son fils Jean, Gounod comprit qu'il se trouvait dans une situation anormale, intolérable pour tous les siens. Aussi, quelques semaines après, se sentant très fatigué, accablé de soucis, il prit brusquement le parti de rentrer en France, en compagnie de deux amis, accourus à son appel, le docteur Blanche et M. de Beaucourt. L'Egérie, la belle cantatrice Georgina, en éprouva un profond dépit. Pour se venger, elle refusa de rendre à Gounod le manuscrit de la partition d'orchestre de Polyeucte, qu'il fut obligé de reconstituer de mémoire. Il serait fastidieux de conter ici les querelles qui découlèrent de cette aventure, les menaces de procès, les polémiques des journaux, etc. A la longue, le musicien Oscar Comettant, ami de Gounod, put arracher au ménage Weldon le précieux manuscrit et le restituer à son auteur, hélas ! tardivement, car l'ouvrage était déjà entré en répétitions à l'Opéra.
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Au cours de ses nombreux voyages à l'étranger, Gounod travaillait à deux nouveaux ouvrages : Philémon et Baucis et la Colombe, partitions de demi-caractère, que l'on ne saurait comparer à Faust. Le compositeur les écrivit au courant de la plume et il les orchestra entre deux trains, dans des chambres d'hôtel. Barbier et Carré, ses habiles adaptateurs, empruntèrent leurs sujets aux contes de La Fontaine. Ils favorisèrent ainsi le « processus » de Gounod qui se prolongeait, se renouvelait dans des ouvrages différents de forme et de couleur.
Donné le 18 février 1861 au Théâtre-Lyrique, Philémon et Baucis était présenté par le directeur Carvalho, dans une mise en scène somptueuse, un peu trop riche sans doute, car le sujet, assez mince, ne comportait pas un développement en trois actes. Dès le premier jour, Berlioz applaudissait au succès de son confrère Gounod, en écrivant : « Le musicien a été plus heureux que ses librettistes : sa partition nous semble une des plus gracieuses qu'il ait écrites ». En fait, Gounod avait eu le tort d'accéder au désir du directeur Carvalho, qui, pour corser son spectacle, avait obtenu des librettistes Barbier et Carré l'adjonction d'un troisième acte « à grand spectacle » qui dénaturait la fable très simple de Philémon et Baucis. C'était une idylle et, au théâtre, les sujets de ce genre perdent et se décolorent à être délayés. Les nombreux airs des divers personnages, Baucis et Philémon, Jupiter et Vulcain, sont du meilleur Gounod, d'une veine mélodique des plus attachantes. Cependant l'ouvrage ne dépassa pas onze représentations — succès d'estime pour cette charmante partition. Le chœur des Bacchantes « Fille d'Athos », page d'un entrain irrésistible par son mouvement et sa couleur, a survécu au naufrage de l'œuvre. Au Conservatoire de Paris, Georges Marty et moi-même en avons fait un des morceaux les plus appréciés du répertoire de la Classe d'Ensemble vocal. Gabriel Fauré, Henri Rabaud et Claude Delvincourt, les trois directeurs successifs de notre grande école, ne se lassaient pas de l'entendre... Plus tard, l'ouvrage fut ramené à deux tableaux, contenant les pages les plus saillantes de la partition. C'est ainsi qu'Albert Carré le reprit en 1903, à la Salle Favart, pour précéder la représentation du Médecin malgré lui. Tout jeune chef d'orchestre à cette époque, j'ai eu le plaisir de diriger ces deux ouvrages. Dans le rôle de Baucis, malgré la plus habile virtuosité, Mlle Korsoff ne pouvait faire oublier la créatrice, Madame Carvalho.
La Colombe, l'année suivante, fut représentée sur la scène de Baden-Baden par un grand ami de Gounod, le directeur Edmond Benazet. Etienne Carjat, en critique avisé, ne disait-il pas : « Les Allemands ont battu des mains et crié bravo au compositeur, en désignant Gounod comme le petit-fils de Mozart et de Beethoven ». Eloge qui toucha le cœur de l'auteur. Et n'est-ce pas à cette occasion que Wagner lui-même avait surnommé Gounod : « le prince charmant de la musique française » ?
Pendant son séjour à Londres, Gounod fut sollicité par le littérateur Ernest Legouvé, de composer une musique de scène pour illustrer son drame en 4 actes : les Deux Reines, qui fut représenté à Paris, à la Salle Ventadour, en 1872. Les morceaux qu'il écrivit à cette occasion furent extrêmement appréciés.
L'année suivante, Jules Barbier, à son tour, faisait appel à son fidèle collaborateur pour lui demander une partition de musique de scène pour accompagner une Jeanne d'Arc dont il était l'auteur : tâche que Gounod ne put refuser. Derechef, il prit sa plume pour élever un « édifice sonore » à notre héroïne nationale. Cette nouvelle œuvre comportait des pages symphoniques, des soli, des chœurs. Elle produisit la plus vive impression. J'ai pu en juger moi-même, en l'écoutant en 1890, au théâtre de la Porte-Saint-Martin. Sarah Bernhardt personnifiait remarquablement Jeanne la Pucelle, et Lucienne Bréval — alors jeune élève au Conservatoire — chantait de sa belle voix les nombreux soli.
Il y a quelque vingt-cinq ans, Raoul Gunsbourg, directeur du Théâtre de Monte-Carlo, eut l'idée singulière de fabriquer — le mot n'est pas trop fort — tout un opéra, en utilisant la musique de Gounod, agrémentée de nouveaux morceaux dont son chef d'orchestre, Léon Jehin, fut certainement l'auteur obscur, car Raoul le « Magnifique » (c'est ainsi qu'on le surnommait) ne connaissait pas une note de musique. Quand je confiai la chose à André Messager, qui présidait alors la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, il en fut outré et, écrasant dans l'œuf ce projet saugrenu, il refusa le bulletin de déclaration que Gunsbourg lui avait apporté.
Reprise de Faust au Théâtre-Lyrique ; son entrée à l'Opéra. Le Palais Garnier en 1875 ; la 2.000e en 1934.
Il nous faut revenir quelque peu en arrière, pour parler de la reprise de Faust en 1863, au Théâtre-Lyrique, cette fois dans la salle de la Place du Châtelet (aujourd'hui Sarah-Bernhardt). Depuis sa création, l'œuvre de Gounod avait fait un tour d'Europe triomphal. Les Parisiens, qui en étaient sevrés depuis plusieurs années, accoururent en foule à cette résurrection. Dès ce jour, l'ouvrage ne quitta plus l'affiche, jusqu'au moment où le théâtre de l'Opéra l'inscrivit à son répertoire en 1869. Léon Carvalho ayant fait de mauvaises affaires, fut dans l'obligation de céder Faust au Directeur de l'Opéra, Emile Perrin, qui le fit représenter en mars 1869, sur la scène de la rue Le Peletier. Cette fois, Marguerite apparaissait sous les traits d'une jeune cantatrice suédoise, Christine Nilsson, qui fut la créatrice d'Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas. L'éminent critique Paul de Saint-Victor, mit en relief les qualités de la nouvelle interprète, sa voix rayonnante ; il remarquait l'énergie poignante de son jeu pathétique dans la scène de l'église. Mlle Nilsson eut le geste gracieux de rendre son rôle à la créatrice, Mme Carvalho, quand elle fut engagée à son tour à l'Opéra. Le Méphistophélès de J.-B. Faure fit sensation, par l'intelligence vocale et scénique avec laquelle il mettait son personnage au premier plan. Au pupitre, le chef d'orchestre, Georges Hainl, dirigeait avec éclat le nouveau ballet que Gounod venait de composer et qui a fait école.
La centième représentation fut donnée le 12 novembre 1871. Cette fois une jeune et belle cantatrice, Fidès Devriès, dont la mère Rosa Devriès fut à l'étranger la première interprète du Prophète, effectuait ses premiers débuts dans le rôle de Marguerite. Sa voix superbe, d'un timbre plus puissant que celles de ses devancières, mettait en relief les phrases pathétiques de la scène de l'Eglise et du trio final. Elle eut comme excellents partenaires Mmes Mauduit et Desbordes, MM. Bosquin, Gailhard, Manoury et Gaspard sous la direction du chef d'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, l'habile Deldevez qui avait été le condisciple de l'auteur dans la classe d'Halévy. Gounod ne tarissait pas d'éloges sur ce remarquable chef d'orchestre qui sut donner à l'œuvre une exécution particulièrement nuancée, toute sa véritable expression. « Les premiers violons chantaient à l'unisson des interprètes, comme de véritables solistes, disait-il, ce fut pour moi une révélation, une joie que je n'oublierai jamais ».
A la suite de l'incendie de l'Opéra, Faust émigra, pour peu de temps, à la salle Ventadour. A cette occasion Adelina Patti la cantatrice italienne, alors dans tout l'éclat de sa jeunesse et de sa beauté, chanta Marguerite, de cette voix aérienne, lumineuse, qui enchantait les foules. Elle était tout particulièrement applaudie dans l'allegro final de l'air des bijoux, où sa brillante virtuosité faisait merveille.
Pendant ce temps, le Palais Garnier sortait enfin de terre et le Nouvel Opéra ouvrait ses portes le 6 septembre 1875. Ce fut pour Faust une entrée triomphale. Le ténor Vergnet chantait le rôle du docteur Faust, de sa voix généreuse, Pedro Gailhard présentait un Méphisto d'une allure caustique et amusante, le baryton Manoury incarnait un Valentin de noble prestance. Enfin, Mme Miolan-Carvalho faisait admirer, une fois de plus, son organe si musical, qui sonnait fort bien dans la vaste salle, d'une parfaite acoustique. Dans le ballet, on fit fête à Mlles Fonta, Mérante et Montaurez, à la grande joie de MM. les abonnés qui, chaque fois, s'empressaient de regagner leurs fauteuils, dès le lever du rideau, au tableau de Walpurgis. J'ajouterai que les décors somptueux de MM. Cambon, Rubé et Chaperon furent longuement admirés.
Gounod aurait aimé conduire l'orchestre pour cette solennité, mais il se heurta à cette formule sacro-sainte : « c'était contraire à la tradition ». Il écrivait à ce sujet : « On allègue que cette prétention des compositeurs est une atteinte aux droits et à la dignité du chef d'orchestre et compromet son autorité. On ajoute que de nombreux compositeurs sont incapables de diriger l'exécution d'une œuvre dramatique. Enfin, et pour trancher la question : ce n'est pas l'usage... » Gounod réfuta ces arguments, et chaque fois que cela lui était possible, il montait au pupitre de chef. Au moment de la première représentation d’Aïda à l'Opéra le maestro Verdi, ayant obtenu de diriger l'orchestre, il fut impossible de refuser à Gounod ce que l'on venait d'accorder à son confrère, et il conduisit la 500e de Faust. Cette soirée eut lieu le 11 janvier 1888. Les interprètes, Mmes Lureau-Escalaïs et Edith Ploux, les frères Jean et Edouard de Reszké, le baryton Melchissédec formaient un ensemble de premier plan. Quand Gounod conduisit cette soirée, Paul Taffanel, qui jouait alors la première flûte, recueillit au métronome tous les mouvements de l'auteur. André Messager, devenu en 1908 directeur de l'Opéra, eut le souci de communiquer ces mouvements à tous les chefs d'orchestre de la maison, Vidal, Rabaud, Bachelet et moi. Nous fûmes très surpris de la lenteur de toutes les indications métronomiques : cela bouleversait quelque peu la tradition.
Dans ma jeunesse, j'ai eu le rare privilège de voir Gounod diriger Faust et Roméo et Juliette à l'Opéra. Il avait le geste ample, majestueux, très précis toutefois. Sa présence à la tête de l'orchestre était saluée d'applaudissements unanimes. Le statuaire Carpeaux a fait un buste de l'auteur de Faust, qui est une de ses plus belles réussites. Il y traite le visage du maître avec une sorte de rayonnement dans le regard, celui du chef à la tête de ses musiciens.
J'ai sur Faust un souvenir très attachant pour moi. En 1881, à Bagnères-de-Luchon, j'ai assisté à une soirée de gala, pour l'inauguration de la salle du théâtre du Casino. On y donnait des fragments de Faust, joués en costume — le premier tableau, l'acte du Jardin, la scène de l'Eglise et le trio final. Les interprètes étaient le ténor Dereims, créateur de Cinq-Mars, sa femme Jeanne Dereims-Devriès, et Pedro Gailhard, trio d'artistes incomparable. Edouard Broustet (« chef d'orchestre des bals de l'Opéra » tel était son titre) conduisait l'orchestre avec une suprême élégance, le monocle à l'œil...
Le 25 décembre 1905, Faust atteignait sa millième représentation. Cette fois, Edouard Mangin conduisait l'orchestre et Mlle Lindsay chantait le rôle de Marguerite. Ayant été nommé, en 1906, chef d'orchestre à l'Opéra, j'ai conduit l'œuvre de mon maître avec la ferveur que l'on suppose. Je me souviens de plusieurs excellentes artistes que j'ai dirigées, entre autres, Mlle Géraldine Farrar et Mlle Geneviève Vix : cette dernière venait d'arriver du Conservatoire. Elle chantait Marguerite avec un talent juvénile et un charme dont j'ai gardé le souvenir.
La reprise de 1908, dans les décors et avec les costumes de Pierre Lagarde et Pinchon, très inspirés d'Albert Dürer et d'Holbein, eut un éclat extraordinaire. Les chanteurs Muratore, Delmas, Dangès, les chanteuses Jeanne Hatto, Catherine Mastio formaient un ensemble exceptionnel. Carlotta Zambelli menait le ballet avec sa grâce souriante et sa souple virtuosité. C'était Paul Vidal qui dirigeait l'orchestre.
La 2000e représentation eut lieu le 31 décembre 1934, sous la direction de Jacques Rouché. Philippe Gaubert était au pupitre et l'ouvrage avait pour interprètes le ténor Georges Thill, la basse Pernet, le baryton Rouard ; Yvonne Gall chantait Marguerite, Marisa Ferrer et Ketty Lapeyrette tenaient les rôles de Siebel et de Dame Marthe. Ce fut une magnifique soirée dont les échos se répercutèrent en France et à l'étranger.
Au même moment Henri Bidou, chroniqueur aux Débats, écrivait un long feuilleton sur Faust. « Evidemment, l'œuvre possède un secret » disait-il. Ayant entendu une représentation à Munich, où chantait Yvonne Gall, il ajoutait : « J'avais lu avec curiosité le jugement des critiques allemands. Gretchen est, pour les compatriotes de Goethe, la figure d'une vraie jeune fille, naturelle et simple. Ce qui les a émus et ravis, en écoutant l'artiste française, outre naturellement le timbre de la voix, la délicatesse des nuances et la perfection du chant, c'est la vérité et la simplicité chez l'interprète. Rien de théâtral. Une retenue musicale et sereine jusque dans les expressions les plus ressenties ». Bidou conclut ainsi : « L'emphase charlatanesque de Meyerbeer répugne visiblement à Gounod ».
Le centenaire de Faust a été célébré à l'Opéra, Emmanuel Bondeville étant directeur, en mars 1959. Louis Fourestier dirigeait l'orchestre et le rôle de Marguerite ne comprenait pas moins de trois interprètes : Mlle Jacqueline Brumaire dans l'acte du Jardin, Mme Lyne Cumia dans la scène de l'Eglise et Mme Jeanne Ségala dans l'acte de la Prison.
A ce propos, je voudrais rappeler les noms des artistes qui ont illustré ce rôle par leur talent personnel : Mmes Fanny Heldy, Ninon Vallin, Ritter-Ciampi, Geori Boué, Christiane Castelli. On sait que dans tous ses ouvrages, Gounod a placé un rôle de soprano travesti, Siebel dans Faust, Stéphano dans Roméo, Andreloun dans Mireille. N'ayons garde d'oublier quelques-unes de ces charmantes interprètes : Léonie Courbières, Catherine Mastio, Jeanne Laval et Laute-Brun ; ces deux dernières chantèrent également Marguerite.
On m'a demandé bien des fois, quels furent les meilleurs chanteurs que j'ai dirigés dans Faust. Je répondais invariablement : « le meilleur Faust comme le meilleur Roméo fut, à mon avis, Lucien Muratore. Par la perfection de son chant, son intelligence scénique, son élégance et sa distinction, il était vraiment l'interprète idéal de ces deux rôles. J'en dirai autant de Vanni-Marcoux dans le rôle de Méphisto, et du baryton Rouard, dans celui de Valentin ». J'ai conduit Faust près de cinq cents fois, à l'Opéra et à l'étranger, sans en être lassé. Je pensais toujours à ce que m'avait dit mon maître : « dans les ouvrages lyriques, il faut faire chanter les premiers violons comme des solistes, puisque leur rôle est d'exprimer bien des sentiments que les artistes chanteurs ne peuvent qu'énoncer ». D'ailleurs, dans cette œuvre unique, tout chante du haut en bas de l'échelle sonore.
La Reine de Saba. Mireille. Roméo et Juliette. Gounod à Maillane, chez Mistral.
En 1864 Gounod avait donné à l'Opéra la Reine de Saba qui, malgré une mise en scène somptueuse, n'eut qu'un succès éphémère. Napoléon III lui préférait Roland à Roncevaux du compositeur Mermet, sans doute à cause de son sujet d'allure guerrière. L'Empereur fut choqué par le livret qui mettait en scène le Roi Salomon (Soliman) fiancé à la Reine Balkis, laquelle s'était éprise d'un artiste fondeur d'art, Adoniram « le lion amoureux ». Pour la première fois, Berlioz, dans son feuilleton du Journal des Débats, se montra peu indulgent pour l'œuvre nouvelle. A son avis, les librettistes, Barbier et Carré, avaient mal servi le musicien, en lui fournissant un texte conçu dans la forme des opéras de Meyerbeer. La cantatrice Mme Gueymard, et la basse Belval, firent tour à tour applaudir l'air devenu célèbre « plus grand dans son obscurité » et la cavatine de Soliman : « sous les pieds d'une femme », deux morceaux que l'on apprécie encore de nos jours, dans nos écoles de musique.
Georges Bizet, qui fut à quinze ans l'élève de Gounod et qui n'avait jamais cessé d'aimer et d'admirer son aîné de vingt années, fut très surpris et peiné de l'insuccès de la Reine de Saba, dont il avait suivi fiévreusement toutes les études. Il ne cessait d'en vanter les beautés primordiales : l'admirable déclamation des récits, la diversité des airs, des duos, le chœur ravissant des Sabéennes qu'il transcrivit pour piano, et surtout la solide architecture des grandes scènes dramatiques. Gounod accueillit sans amertume son échec qu'il attribuait — comme pour la Nonne Sanglante et plus tard pour le Tribut de Zamora — à la forme traditionnelle de l'ancien opéra à grand spectacle, pour laquelle il n'avait guère d'inclination. Il devait prendre bientôt une éclatante revanche avec Mireille et surtout Roméo et Juliette, deux partitions que l'on peut placer par leur originalité et leur invention mélodique à côté de celle de Faust.
En 1900, le nouvel Opéra Populaire du Château-d'Eau inaugurait sa saison par une brillante représentation de la Reine de Saba, richement montée par le directeur Emile Duret. Faisant alors mes débuts au pupitre de chef, je donnai tous mes soins à l'œuvre de mon maître, qui tint l'affiche avec succès pendant deux mois. C'étaient Julia Brietti, soprano à la voix généreuse, et l'excellent ténor Emile Cazeneuve qui chantaient les rôles de Balkis et d'Adoniram. Massenet, Gabriel Fauré et Messager, venus à cette soirée, y retrouvèrent les souvenirs de leur jeunesse, car ils avaient aimé la partition de Gounod à son apparition. Ils en admiraient l'accent dramatique si juste, notamment dans la phrase émouvante de Balkis, agenouillée devant le corps inanimé de son amant Adoniram :
« Emportons dans la nuit sur un autre rivage
Les restes vénérés du maître qui n'est plus ».
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La partition de Mireille, mise au jour par l'infatigable Léon Carvalho, sur la scène du Théâtre-Lyrique, le 19 mars 1864, fut mieux accueillie. Mais Madame Carvalho contraignit Gounod à écrire la Valse du 1er acte : « ô légère hirondelle, messagère fidèle » et, chose plus forte, à marier au dénouement Mireille et Vincent ! Ce n'est qu'en 1939, sous l'égide de Jacques Rouché, nommé administrateur à la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux, que nous avons retrouvé, à l'Opéra-Comique, le véritable visage de l'héroïne...
A l'apparition de Mireio en 1859, Michel Carré eut l'idée d'apporter à Gounod ce poème de Mistral et ils le lurent ensemble. « Quel admirable sujet » dit le maître enthousiasmé. Le jour même, il écrivit à Mistral pour lui demander l'autorisation de porter son poème à la scène lyrique. Mistral accueillit avec joie cette proposition ; Michel Carré, qui avait une âme de poète, se mit au travail et, en quelques jours, il établit un scénario en 4 actes, dont Gounod se montra enchanté. Pour vivre véritablement son œuvre, le musicien se rendit en Provence, à Maillane, chez Mistral, qui le reçut à bras ouverts. S'étant en quelque sorte cloîtré dans une modeste maison de Saint-Rémy, Gounod écrivit, en moins de deux mois, les premiers tableaux de Mireille — la scène des Magnanarelles, le duo du acte, celui de Magali et le grand ensemble du 2e acte. Puis il fit une large esquisse des tableaux du Val d'Enfer, du Rhône ainsi que ceux de la Crau et des Saintes-Maries ; tout cela dans une fièvre de tous les instants. Au jour le jour, il jouait son œuvre à Mistral, sur un méchant petit harmonium de l'église du village. Se promenant dans la campagne, son carnet en mains, Gounod se baignait dans cette riche nature ensoleillée qui lui inspira tant de belles pages, telles que la mélodie ravissante du pâtre Andreloun, écrite pour une voix de femme et non pour un ténor, comme on a le tort de la faire chanter à l'Opéra-Comique.
Michel Carré avait conçu son livret sans texte parlé, dans la forme de l'opéra, mais le directeur Carvalho, étant pressé de frapper les trois coups, il fallut remplacer les récits chantés par un bref dialogue sans musique.
Après quelques mois de répétitions, Mireille parut à l'affiche le 19 mars 1864. Si les deux premiers actes obtinrent immédiatement un vif succès, les tableaux suivants furent accueillis avec plus de réserve. La belle ouverture, avec son frontispice brûlant, comme le soleil de Provence, les chœurs des Magnanarelles, les duos, la chanson du pâtre dans le désert de la Crau, retinrent surtout l'attention des connaisseurs. La critique musicale, de crainte de s'embourber comme elle l'avait fait pour Faust, se tint sur une réserve prudente, en louant cependant la maîtrise de l'auteur et son habile instrumentation. Dans le « Ménestrel », l'éditeur Heugel (celui qui publia l'Ave Maria) écrivit : « M. Gounod a fait simplement connaître qu'il était passé maître coloriste ; dire le contraire serait nier l'évidence ».
L'ouvrage n'obtint que vingt-cinq représentations, chiffre assez maigre, et le directeur Carvalho réduisit, plus tard, Mireille à trois actes. A la salle Favart, en 1899, Albert Carré rétablit l'ordre primitif des tableaux, cette fois avec les récits musicaux. Quarante ans plus tard, Jacques Rouché, comme il a été dit plus haut, fit revivre et mourir Mireille suivant le texte original de Mistral. Reynaldo Hahn et moi-même (j'étais alors directeur de l'Opéra-Comique), avons voulu rétablir la version primitive de l'ouvrage : le manuscrit de la scène de la Crau et celui de la mort de l'héroïne ayant été brûlés dans l'incendie du Théâtre en 1887, j'ai dû réorchestrer ces deux fragments très importants, sur la demande de Jeanne de Lassus Saint-Geniès, fille de Gounod.
Reynaldo Hahn, qui dirigeait l'orchestre, eut l'heureuse idée, adoptée depuis, de faire jouer l'ouverture entre le premier et le second tableau, de telle manière que le public n'en perdit pas une note. Cette résurrection d'un des plus beaux ouvrages du répertoire a obtenu le plus grand succès, non seulement à Paris, mais dans toute la France et à l'étranger. Quel est donc le folliculaire prétentieux qui a eu l'audace d'écrire que la musique de Gounod avait trahi la Mireio de Mistral ? Nous répondrons à cet avisé critique une chose très simple : Gounod a popularisé l'œuvre primitive et pour étayer notre argument, nous rappellerons l'immense succès de cette partition au Festival d'Aix-en-Provence, et récemment encore à Orange et à Arles. Actuellement, à l'Opéra-Comique, Mireille se donne autant que Faust à l'Opéra, et il est probable que nous verrons bientôt sa 1000e représentation.
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Trois ans après Mireille, Gounod faisait jouer au Théâtre-Lyrique de Léon Carvalho Roméo et Juliette, en collaboration avec ses fidèles librettistes Barbier et Carré. Bon nombre de musiciens et non des moindres — Saint-Saëns et Massenet, par exemple — mettaient la partition nouvelle au-dessus de celle de Faust. Cette préférence peut se concevoir ; toutefois, si l'ouvrage shakespearien présente quatre duos d'une inspiration élevée, l'on n'y trouve pas cette admirable conjonction des huit tableaux que nous admirons dans Faust, véritable chef-d’œuvre de l'opéra français.
A la lecture du scénario qu'avaient établi les librettistes, Gounod fut pris d'une sorte d'euphorie de travail. Il se réfugia à Saint-Raphaël, où il loua, sur les bords de la Méditerranée, une modeste villa et, seul avec son poème, il écrivit en très peu de temps les premiers tableaux de son nouvel ouvrage, ainsi qu'il l'avait fait quelques années plus tôt pour Mireille, sous le ciel de Provence.
Le Prologue, chanté a capella par l'ensemble des artistes dans l'esprit du drame de Shakespeare, produit un effet inattendu, saisissant même par sa simplicité voulue. C'est alors qu'apparaît l'admirable mélodie, exposée par le quatuor des violoncelles soli et que reprend l'ensemble des violons, phrase qui est en quelque sorte le « thème d'amour » que nous retrouverons au cours des derniers tableaux.
Pour la mise en scène de la « Fête chez Capulet » qui ouvre l'action, je tiens de la bouche même de mon maître qu'il aurait voulu une présentation moins banale que celle que l'on a adoptée, lors de la création au Théâtre-Lyrique en 1867, puis à l'Opéra à la reprise de 1888. Au lieu de faire évoluer une foule de choristes, de danseurs et de figurants dans un immense décor ouvert à tous les vents, Gounod plaçait dans un petit salon, donnant dans la salle des Fêtes du Palais de Capulet, toutes les scènes principales : l'entrée de Juliette, l'arrivée mystérieuse de Roméo et de ses amis, la chanson de la Reine Mab, dite par Mercutio — qui se perd dans un grand cadre — enfin la première rencontre des deux amants et leur délicieux duetto en forme de madrigal « Ange adorable » — sorte de marivaudage précieux. En mettant en coulisse les chœurs et l'orchestre, ainsi qu'on le fait au premier acte de la Traviata, on aurait atténué le côté solennel, un peu vulgaire, que l'on a souvent reproché à ce début de spectacle.
L'acte du Jardin est un merveilleux nocturne, qui commence par l'invocation de Roméo :
« O nuit : sous tes ailes obscures, abrite-moi ! »
Que de pages délicieuses se succèdent dont on ne saurait assez dire le charme et l'émotion ! La cavatine de Roméo : « Ah lève-toi soleil ! fais pâlir les étoiles » est un morceau délicat que la plupart des interprètes chantent « à pleine voix » alors que le compositeur demande un chant soutenu, se terminant sur un « pianissimo » absolu. La phrase de Roméo quand il quitte Juliette : « Va, repose en paix » que soutiennent les violons « en sourdine » laisse une impression de mystère, de recueillement. Charles-Marie Widor m'a dit souvent que ce tableau avait été bissé en entier le soir de la première représentation.
Si la scène de l'Oratoire — où le frère Laurent célèbre l'union des deux amants — nous paraît conventionnelle, en revanche l'acte des duels entre Tybalt et Mercutio, puis avec Roméo, est d'une grande force dramatique : récits ardents, parfois hachés, dans un mouvement irrésistible : le tableau s'achève sur la phrase de Roméo « Ah ! jour de deuil et d'horreur et d'alarmes » : cri d'un amant désespéré.
Massenet disait qu'il n'y avait pas une note à retrancher dans l'acte de la chambre. « Nuit d'hyménée, O douce nuit d'amour » chantent ensemble les deux époux, exprimant le bonheur d'être réunis. La phrase musicale grandit peu à peu et s'épanouit en des accents d'une émouvante sensibilité. Le chant de l'alouette et celui du rossignol — symbole du jour et de la nuit — mêlent leurs notes poétiques aux élans d'amour des jeunes époux. Et quand Roméo est parti, Juliette s'agenouille et dit : « Anges du Ciel ! à vous, je le confie » dans une courbe mélodique très simple, qui ramène l'admirable thème des violoncelles du premier tableau.
A propos de cette grande scène d'amour, Gounod écrivait à sa femme : « Enfin, je le tiens cet endiablé duo du 4e acte. Ah ! je voudrais savoir que c'est bien lui... Je les vois tous les deux, je les entends, mais les ai-je bien vus, les deux amants ? S'ils pouvaient me le dire eux-mêmes et me faire signe que oui... Je le lis, je le relis ce duo, je l'écoute avec toute mon attention, je tâche de le trouver nouveau. J'ai une frayeur de le trouver et de me tromper, et pourtant il m'a brûlé ! Il est d'une naissance sincère. Enfin ! j'y crois… »
Admirons ce scrupule chez ce chantre prédestiné de l'amour au théâtre. Le lyrisme du duo de la chambre a suscité l'admiration de tous les musiciens. Gabriel Fauré, dans un concours d'opéra du Conservatoire, en louait en termes enthousiastes la nouveauté, la sensibilité et surtout le charme voluptueux qui reste toujours dans une note discrète, intime...
Dans la scène suivante, où le Frère Laurent donne à boire à Juliette le narcotique dont l'effet doit la rendre à son époux, nous voyons apparaître le thème ténu du « sommeil de Juliette ». Sonorités estompées, parfois teintées d'une douce lumière, orchestre léger, aérien, impalpable...
Pendant les semaines qui précédèrent la création de Roméo et Juliette, Gounod peu satisfait de son dernier acte — celui du tombeau — prit la résolution de le récrire entièrement : sa décision fut « soudaine ». Un matin, il alla s'enfermer dans une chambre d'hôtel à Versailles et, en peu de jours, il écrivit, poème et musique, la scène puissante qui est le point culminant de sa partition. Tout est beau dans ce grand duo si richement musical. La forme habituelle du compositeur se transforme, s'élargit en des récits vigoureux, soulignés par un orchestre tumultueux et mouvementé. La joie, puis l'angoisse des deux amants s'expriment en des pages pleines de tendresse : c'est un merveilleux chant d'amour.
Créé au Théâtre-Lyrique à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1867, Roméo et Juliette obtint un succès immédiat de cent représentations. Les interprètes : Mme Carvalho (Juliette), MM. Michot (Roméo), Troy (Capulet), Cazaux (Frère Laurent) et Mlle Daram (Stéphano) formaient un ensemble de tout premier ordre.
Dès 1870, Gounod obtint du directeur de l'Opéra, Emile Perrin, que son œuvre serait représentée à l'Académie Nationale de Musique. La guerre de 1870-71 mit obstacle à ce projet. Ce fut seulement en 1888, après une série de représentations données à l'Opéra-Comique, que Roméo et Juliette fit son entrée sur la scène de l'Opéra, dirigé alors par MM. Ritt et Gailhard. J'ai eu le privilège d'assister à cette mémorable représentation. Gounod, salué par les acclamations de la salle entière, conduisait l'orchestre. Les remarquables interprètes se nommaient : Adelina Patti, les frères de Reszké, Melchissédec ; Mlle Agussol, qui chantait le rôle du page Stéphano, étranglée par le trac, perdit pied pendant quelques instants, et Gounod de la remettre en selle, en chantant lui-même quelques mesures à sa place : ce fut la note gaie de cette soirée.
A l'occasion de l'entrée de Roméo et Juliette au répertoire de l'Opéra, le maître écrivit un ballet très important pour l'acte du mariage. Ce divertissement, admirablement écrit pour la danse, n'a cependant pas l'attrait de celui de Faust. Il contient un bel adagio chanté par l'ensemble des cordes et un final très brillant, en forme de tarentelle. On a malheureusement supprimé la Marche Nuptiale qui préparait admirablement la puissante entrée du grand orgue précédant le beau récit de Capulet. Que de malencontreuses coupures ont été pratiquées dans le duo du Jardin et dans celui de la Chambre... Souhaitons qu'un directeur avisé ait l'idée de les rétablir.
Séjour à Rome : Rédemption, Mors et Vita, Marche Pontificale pour le Pape Pie IX. A Paris, création de Cinq-Mars, de Polyeucte et du Tribut de Zamora. Les chansons italienne de Biondina : Mme Juliette Conneau. La chanson de la Glu : Félicia Mallet, Yvette Guilbert.
Après le succès triomphal de Roméo et Juliette, Gounod se rendit à Rome, où il prit quelques mois de repos à la Villa Médicis dont son vieil ami, le peintre Ernest Hébert, était le directeur. Mais son repos fut de courte durée : le musicien eut d'abord l'intention d'écrire un oratorio sur la vie de Sainte Cécile, puis il y renonça pour entreprendre la composition de Rédemption, sur un poème dont il était l'auteur. « Ce poème, écrit-il à un de ses amis, part de la douleur et des larmes pour arriver à la pleine lumière et à la joie ». Camille Saint-Saëns, qui préférait la musique religieuse de Gounod à son œuvre de théâtre, faisait le plus grand cas de Rédemption. C'est une trilogie, découpée en seize morceaux, d'une inspiration élevée. Le texte littéraire s'apparente parfois à certaines scènes du Frère Laurent dans Roméo et Juliette. La ligne du chant et l'harmonisation sont identiques.
Il en est tout autrement de Mors et Vita, que pour ma part je préfère à Rédemption, et qui est sans doute le chef-d’œuvre du maître dans le domaine de la musique sacrée. Le texte liturgique de la « Messe des Morts » en est en quelque sorte le pilier : les soli nombreux et les chœurs que soutiennent l'orgue et l'orchestre, forment un tout d'une réelle grandeur. Gabriel Fauré, lorsqu'il était maître de chapelle de la Madeleine, faisait chanter souvent, aux cérémonies funèbres, un fragment de cet oratorio, l'Ego Sum, page magistrale d'un effet puissant, qui est l'assise de l'ouvrage, alors que la pure cantilène Felix Culpa, chantée par le soprano solo, en dessine la voûte lumineuse. Et nous comprenons l'admiration de Saint-Saëns pour cette musique dépourvue d'effets de théâtre, qui s'allie au style de Bach, de Haendel, et même du grand devancier Palestrina.
Dans cette « cathédrale sonore » qu'est Mors et Vita on pourrait poursuivre les comparaisons architecturales avec d'autres belles pages de cette partition. N'y voyons-nous pas apparaître aussi pour la première fois l'emploi de la « gamme par tons », chère à Debussy et à Paul Dukas, dans le thème des quatre notes : ut — si bémol — la bémol — sol bémol — qui évoque pour l'auteur la malédiction divine ?
Il faut joindre à ces vastes compositions la Grande Messe de Pâques, publiée à Londres en 1874-75, que l'on peut placer en parallèle avec celle de Sainte-Cécile. Sans relâche, le maître écrivit encore la messe du Sacré-Cœur, d'une teinte plus suave, le grave De Profundis et le psaume inspiré Super Flumina Babylonis. C'est encore de ce fructueux séjour à Rome que date l'Hymne Pontifical, dédié au Pape Pie IX, et qui a été exécuté récemment aux cérémonies d'intronisation de Sa Sainteté Jean XXIII.
Depuis quelques années le clergé a pris la fâcheuse habitude de faire chanter le « Credo » à la grand'messe par l'ensemble des fidèles : vox populi, vox Dei, mais, trop souvent, le plain-chant grégorien est malmené, trahi même par le populo barbaro.
Pour ceux qui ont entendu jadis le « Credo » dans les messes de Mozart, de Beethoven et de Schubert, cette innovation est des plus regrettables. Dans toutes ses messes, notamment celles de Sainte Cécile, de la Fête de Pâques ou du Sacré-Cœur, Gounod a donné au « Credo » la place primordiale qui lui revient. Que de pages d'un mysticisme poétique opposées à d'autres morceaux d'une véritable puissance ne sont plus jamais entendues !... Franz Liszt ne disait-il pas, en parlant des œuvres de musique religieuse de Gounod, qu'elles étaient un « acte de foi » ?
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Dès son retour en France, en 1872, après son séjour forcé chez les Weldon à Londres, Gounod composa successivement trois œuvres de théâtre : Cinq-Mars, Polyeucte et le Tribut de Zamora, qui lui demandèrent un effort considérable, mais un peu hâtif, puisqu'il écrivit la partition de Cinq-Mars en cinquante neuf jours...
Pour Polyeucte, l'adaptation lyrique de la tragédie cornélienne était de Barbier et Carré. On savait que cet ouvrage, pour lequel Gounod avait une prédilection, lui avait demandé de grands efforts. Il faut reconnaître que le musicien fut gêné pour la mise au point de son drame lyrique ; « Comment me hausser jusqu'à Corneille », disait-il à ses collaborateurs, qui lui avaient préparé un opéra « à grand spectacle » alors qu'il aurait souhaité la forme agrandie de l'oratorio. Gounod subit malgré lui l'influence de Gluck, dans bien des récits et des airs de sa nouvelle œuvre. Peut-être sa partition aurait-elle été mieux appréciée au concert qu'au théâtre. Je me souviens que la scène du Baptême de Polyeucte, donnée à un Exercice public d'élèves du Conservatoire, vers 1900, préparée par les soins éclairés de Paul Taffanel, pour l'orchestre,
et de Georges Marty, pour les chœurs, m'a laissé une impression d'une beauté sereine. Admirablement défendu à l'Opéra par Mme Krauss, cantatrice de grand style, dans le rôle de Pauline, et de vaillants interprètes tels que le ténor Salomon (Polyeucte) et le baryton Lassalle (Sévère), l'ouvrage n'eut qu'un succès d'estime et ne dépassa pas vingt-neuf représentations.
Le compositeur se montra très affecté par cet échec, et il en garda une profonde amertume jusqu'à la fin de sa vie. Mme Anna Gounod, qui partageait ses joies et ses peines, m'a dit un jour que son mari avait été « tiraillé » de tous côtés quand il écrivit sa partition. « Faites un oratorio disaient les uns, ou un grand opéra disaient les autres ». Il est évident que le maître, au cours des études musicales, fit de nombreux changements à l'ouvrage, sans trouver véritablement la forme opéra-oratorio que dans le fond il souhaitait.
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Paul Poirson, littérateur à ses heures, ami de la famille Gounod fut responsable de la chute de Cinq-Mars, car il était l'auteur du scénario que Louis Gallet, librettiste de métier, avait revu et versifié. L'action, inspirée du roman d'Alfred de Vigny, se déroulait sous le règne de Louis XIII, au moment de la conjuration de Cinq-Mars et du chancelier de Thou contre le Cardinal de Richelieu, à l'instigation de Gaston d'Orléans. Ce sujet historique et romancé manquait de lyrisme, et Gounod l'écrivit en peu de temps, comme pour se délivrer d'un pensum... Une très belle distribution, confiée au ténor Dereims et à la soprano Mme Chevrier, très remarquée dans le duo passionné du 4e acte, ne put sauver l'ouvrage qui disparut assez vite de l'affiche. On a gardé le souvenir de l'air : « Nuit resplendissante » que l'on chante encore dans nos grandes écoles de musique. Ernest Reyer, le compositeur de Sigurd, atténua dans un feuilleton des Débats les rigueurs de la presse musicale pour ces deux ouvrages, en attribuant leur succès éphémère à la faiblesse de leurs livrets respectifs.
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Comment Gounod fut-il attiré, par la suite, dans l'aventure du Tribut de Zamora, livret du dramaturge d'Ennery, fort peu propice à la musique ? La critique fut unanime à reconnaître le tour de force du compositeur de Faust, qui avait pris au sérieux cet ensemble de scènes hétéroclites. Et pourtant la plume du maître avait mis à jour quelques belles pages. Adolphe Julien, successeur de Reyer, aux Débats, reprochait à Gounod de ne pas avoir évolué depuis Faust et d'être revenu à la formule première de la Nonne Sanglante. Il se trompait, car cette partition, qu'il connaissait fort mal, est une œuvre de réelle valeur. Pourtant le Tribut de Zamora, dont Gounod avait dirigé l'orchestre le soir de la première, se manifesta fort honorablement par cinquante représentations. Comme j'en parlais un jour avec la veuve du maître, en lui faisant remarquer l'injustice de la répartition des droits d'auteurs dans les œuvres lyriques : à parts exactes entre le musicien et le librettiste, elle me dit vivement : « Ah, mon cher Büsser, on voit bien que vous ne savez pas ce qu'est un « beau four » comme Cinq-Mars ou le Tribut de Zamora. Mais oui, il faut donner une large part de droits aux librettistes, car ce sont eux les artisans du succès ». Mme Gounod avait raison. Faust, Roméo et Juliette, Mireille, l'ont prouvé. A bon livret, bonne partition.
On raconte qu'un matin, se promenant sur les grands boulevards, Gounod rencontra son éditeur Choudens, vêtu d'une superbe pelisse de fourrure : la caressant de la main, le maître aurait dit à Choudens : « Faust, Faust. » Alors celui-ci se découvrant montre à son interlocuteur un vieux chapeau tout bosselé en répliquant : « Oui, mais voyez le Tribut de Zamora ». Si non e vero...
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C'est de cette même période que date l'apparition de Biondina, recueil de douze mélodies italiennes que Gounod écrivit d'une plume légère sur des poésies italiennes de Giuseppe Zaffira, en laissant à ces chansons leur caractère folklorique. J'ai eu la grande joie de les entendre chanter dans ma jeunesse par Mme Juliette Conneau, femme du médecin de Napoléon III. D'origine corse, elle était douée d'une admirable voix de mezzo-soprano, qu'elle conduisait en artiste de réel talent. Elle avait été la première interprète de Biondina qu'elle chanta au Château de Compiègne, dans les salons de l'Impératrice Eugénie, accompagnée au piano par Gounod lui-même... Ce recueil publié à Londres en 1872, a été édité à Paris par Henry Lemoine, dans une traduction française qui ne dénature pas le texte primitif, écrit par Zaffira en vieux dialecte italien.
Une autre chanson, celle-là des plus dramatiques, vit le jour à cette même époque : la Glu sur des vers de Jean Richepin. Il me fut donné de l'entendre chanter par une artiste au talent rare, personnel, Félicia Mallet. Avec quelle vigueur, quelle âpreté elle clamait le refrain Et lon lon laine et lon la. C'était à vous donner le frisson... Yvette Guilbert, autre artiste de grande vogue, chantait aussi la Glu mais d'une manière moins violente. Gounod les couvrit de fleurs toutes deux.
Opinion des musiciens sur l'œuvre de Gounod : Massenet, Fauré, Debussy, Dukas, Kœchlin, Reynaldo Hahn. Lettre d'Henri Dutilleux. Gounod et Wagner.
Peu après la mort du maître, j'avais eu l'occasion de rencontrer Massenet au Conservatoire, au moment où il quittait sa classe de composition. Il était entouré de quelques-uns de ses élèves, Reynaldo Hahn, Charles Levadé, Koechlin. Après nous avoir dit sa profonde admiration pour Gounod et son œuvre, il nous rappela qu'à l'issue de la première du Cid, Gounod en le félicitant lui avait dit : « Viens dans mes bras, embrasse Papa !... » Et Massenet ajouta : « Nous sommes tous ses disciples, Bizet, Saint-Saëns, Guiraud, Paladilhe et moi-même ». Il nous dit encore : « Relisez l'admirable récit d'Adoniram, au début de la Reine de Saba, quelle déclamation ! C'est aussi beau que du Gluck ». En parlant ainsi, Massenet s'échauffait, les yeux brillants : il se souvenait avec émotion des encouragements que lui avait prodigués Gounod, au moment où l'on donnait Marie-Magdeleine et le Roi de Lahore, œuvres de jeunesse de l'auteur de Manon.
Gabriel Fauré considérait l'auteur de Faust comme un génie « miraculeux ». Il nous jouait au piano de mémoire des passages entiers des œuvres du maître, de ses mélodies le Soir, Venise notamment, où le style gounodien est si proche de celui de Fauré. Plus tard, en 1905, lorsque Fauré devint directeur du Conservatoire, j'ai eu l'occasion de préparer avec lui plusieurs programmes d'Exercices publics des élèves. J'étais alors suppléant de Paul Taffanel à la classe d'orchestre et titulaire de la classe d'ensemble vocal. Sous l'égide de notre directeur j'ai conduit Gallia, le dernier acte de Sapho et aussi le Psaume de César Franck, avec un ensemble de cent cinquante exécutants. A ce propos, Gabriel Fauré me disait : « Voyez comme ces musiciens, Gounod et Franck, sont près l'un de l'autre, comme des frères jumeaux. Lisez le Quam dilecta du premier et le Panis Angelicus du second, même sentiment mélodique, même souplesse de l'harmonie ; on a bien tort de les opposer l'un à l'autre ».
D'autre part, il faut constater l'influence indéniable de Gounod sur Gabriel Fauré, en passant par Mendelssohn. Relisons le Cantique de Racine, composé par Fauré à l'Ecole Niedermeyer, alors qu'il avait à peine vingt ans, ligne mélodique dans l'esprit de Gounod, harmonies chatoyantes à la manière de Mendelssohn. Bel exemple de la filiation entre les maîtres de la musique.
Ayant été nommé en 1906, chef d'orchestre à l'Opéra, sur l'intervention même de Gabriel Fauré auprès d'Aristide Briand, alors ministre de l'Instruction Publique, j'eus la surprise, un soir que je dirigeais Faust, d'apercevoir le maître dans la salle. Il vint me voir après le spectacle, et me fit quelques remarques dont j'ai fait mon profit : « Vous prenez la Kermesse dans un mouvement un peu trop vif, donnez plus d'ampleur, dans la scène de l'Eglise, à la grande phrase de Marguerite « Seigneur accueillez la prière d'un cœur malheureux », il faut laisser la voix de la chanteuse s'étaler sur les sonorités lointaines des chœurs et de l'orgue ; puis dans le trio final « Anges purs, anges radieux » élargissez la phrase à chaque reprise du théine, que ce soit grand, très grand ! » Il connaissait Faust mieux que moi.
A la classe de composition d'Ernest Guiraud, un jeune élève très présomptueux parlait en termes désobligeants de l'œuvre de Gounod, Faust, Roméo et Juliette, Mireille qu'il qualifiait de musique trop facile. Entendant ces propos, notre répétiteur André Gédalge lui dit : « Jeune homme, écoutez ceci ». Et il lui fit entendre la phrase du duo de Faust « Laisse-moi contempler ton visage » et la réplique de Marguerite « O silence ! O bonheur ! ineffable mystère » et il ajouta : « Quand vous aurez écrit une phrase comme celle que je viens de jouer, vous pourrez parler... »
On a répandu le mot prononcé par Gounod, à propos de Debussy, le jour où il obtint le Grand Prix de Rome, en 1884, avec sa cantate de l'Enfant Prodigue. A la sortie de l'Institut, Gounod dit au futur auteur de Pelléas et Mélisande : « Toi, mon petit tu as du génie ». Vingt ans après, j'ai eu l'honneur de diriger Pelléas, à l'Opéra-Comique, pour remplacer au pupitre André Messager, appelé à Londres, à Covent Garden. Certain soir, Debussy vint écouter un spectacle Gounod : Philémon et Baucis précédant le Médecin malgré lui. Si Debussy ne fut pas très enthousiasmé par Philémon, en revanche le Médecin fut pour lui une véritable révélation : la légèreté, l'esprit, la pittoresque instrumentation de ces trois actes si bien venus l'enchantèrent. D'ailleurs, il connaissait mal l’œuvre de Gounod, son théâtre, sa musique religieuse. Il me dit un jour : « Büsser, vous devriez couper dans Faust l'air de Siebel « Faites-lui mes aveux » qui dépare cet acte du jardin, paradis musical ».
Certes, ce n'était pas l'avis de Charles Kœchlin qui trouvait charmant ce même morceau. L'auteur des ravissants « Rondels » de Théodore de Banville, admirait profondément Gounod. Combien de fois l'ai-je vu à l'Opéra, venant écouter Faust ou Roméo, il en appréciait les réelles beautés.
Paul Dukas savait tout, connaissait tout : l'œuvre de Gounod lui était donc familière. Il me dit un jour, alors que nous professions tous deux au Conservatoire : « Pourquoi donc le père Gounod a-t-il si peu travaillé, vous qui l'avez bien connu qu'en pensez-vous ? » Je me récriai : « Mais Gounod a composé quinze opéras, vingt messes, trois symphonies, des mélodies, des motets, vous voulez sans doute plaisanter ! » Alors Dukas en riant : « Cher ami, ne vous fâchez pas, je considère l'auteur de Faust comme un « grand bonhomme » (sic) mais il n'a pas évolué. Voyez Wagner et Verdi ! Quel chemin parcouru entre le Vaisseau Fantôme et Parsifal chez le premier, entre la Traviata et Falstaff chez le second. Gounod ne s'est guère renouvelé : il a écrit ses plus belles pages avant d'avoir la cinquantaine, il n'a pas repris son joli fagot du Médecin malgré lui, chef-d'œuvre de sa jeunesse ». Si Paul Dukas avait raison de parler ainsi, il n'en admirait pas moins dans Faust la scène de l'Eglise, qu'il qualifiait de « magistrale ». Pour lui, la forme, l'architecture, l'équilibre devaient être les principes fondamentaux de l'art d'écrire de la musique théâtrale ou symphonique. Il l'a montré dans Ariane et Barbe Bleue, son chef-d'œuvre.
Dès que j'ai connu Reynaldo Hahn (nous n'avions pas vingt ans) nous nous retrouvions régulièrement à la Société des Concerts, à l'Opéra, à l'Opéra-Comique, et quel échange d'idées sur les maîtres que nous admirions !... Pour lui il existait une trilogie glorieuse : Mozart, Gounod, Saint-Saëns. Nous admirions Faust, Roméo et Mireille et même Hamlet de notre directeur, le vénérable Ambroise Thomas. Toutes ces œuvres suscitaient notre intérêt et nous apprenaient notre métier de théâtre. Parfois se mettant au piano, Reynaldo chantait de sa voix charmante le petit récit qui annonce l'air des bijoux : « Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme » ou la « Chanson du Roi de Thulé » avec le mélange de ces phrases brèves : « Je ne savais que dire et j'ai rougi d'abord », qui interrompent la mélodie. Il en admirait le côté naturel, intime. De même, il goûtait la phrase si simple que chante Mireille « Et moi, si par hasard, quelque jeune garçon me disait doucement Mireille, je vous aime », quelle émotion dans cet aveu de la jeune fille !...
Que de fois aussi, aux cours d'ensemble de Madame Joseph Duglé, nièce du maître, n'avons-nous pas célébré le culte de Gounod, de Saint-Saëns, de Fauré, en faisant chanter des chœurs, des mélodies, des duos, des pages à la fois simples et émouvantes. Certain jour, une audition improvisée des plus belles mélodies de Gounod, avec Reynaldo Hahn au piano, nous fut révélée par la fille de la maîtresse de maison, musicienne accomplie qui est devenue Madame James Baignères. Ils nous firent entendre successivement : la Chanson du Printemps, les Deux Pigeons (illustration musicale si réussie d'une fable de La Fontaine), la Sérénade « Dites, la jeune belle où voulez-vous aller ? » Nous écoutions ravis, Gabriel Fauré, Koechlin, d'Ollone, Halphen, Henri Rabaud et moi-même. Un pur enchantement...
D'autres musiciens, Gabriel Pierné et Georges Hüe, Claude Delvincourt et Paul Paray, aux aspirations totalement différentes, m'ont parlé souvent de l'œuvre de Gounod avec la plus vive admiration.
Il m'a paru intéressant de recueillir l'opinion d'un jeune compositeur sur l'art de Gounod. Voici ce que m'écrit à ce sujet un de mes meilleurs élèves, Henri Dutilleux, que j'ai conduit jadis au Grand Prix de Rome et dont la personnalité se détache au premier plan, parmi les auteurs contemporains :
« Quand j'étais encore étudiant au Conservatoire, j'adorais Faust et je ne comprenais pas la Damnation. A vrai dire, je ne connaissais vraiment très bien ni l'une ni l'autre de ces deux admirables partitions. A présent, si j'avais à faire un choix, ce serait en faveur de Berlioz (seul, le prélude de Faust me ferait encore hésiter). En disant cela et en avouant que Faust ne m'a jamais fait oublier Tristan, je sais bien que je vais décevoir mes aînés (et vous-même, mon cher Maître, pardonnez-moi) Je sais aussi combien de telles comparaisons peuvent être vaines. Gounod n'est d'ailleurs pas tout entier dans son Faust et certaines mélodies ou Mors et Vita ont pour moi plus de prix encore. Ce qui me semble donner une si grande place à Gounod dans notre histoire de la musique, c'est que Faust ait été écrit, ait surgit en même temps que Tristan, précisément, auquel il a servi en quelque sorte d'antidote pour les musiciens français. Cette coïncidence fut d'une grande portée pour notre école et nous comprenons parfaitement que Debussy, Stravinsky et je crois même Milhaud, aient trouvé dans le culte de Gounod une manière de se venger de Wagner et plus encore du wagnérisme.
Mais personne ne peut exiger de ma génération la même attitude, dictée par une réaction fort naturelle et parfaitement saine, au début du siècle. De nos jours, le wagnérisme est heureusement passé de mode, mais il nous reste Wagner. De même, il n'est plus du tout original de se réclamer de Gounod, comme le faisait l'avant-garde de 1925, au grand étonnement des officiels. Mais nous savons aujourd'hui qu'il n'y avait pas de problème dans cette position. Elle correspondait à un besoin de retrouver les chemins de la simplicité, du naturel, du « familier », à un désir de séparer la philosophie de la musique, à une véritable défiance du sublime, à un profond mépris de la fausse grandeur. Dans les meilleures pages de Gounod, j'aime par-dessus tout, comme chez Mozart, cette pureté infinie, cette tendresse indéfinissable et ces accents d'une si grande vérité pour exprimer l'amour divin et l'amour humain. »
Henri Dutilleux.
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Puisque notre étude nous a entraîné à parler de Gounod et de Wagner, sans vouloir les opposer l'un à l'autre, je tiens à rappeler un souvenir personnel. En 1893, j'ai eu la joie d'assister à l'Opéra, dans la loge même de Gounod, à la répétition générale de la Walkyrie que dirigeait Edouard Colonne, l'éminent chef d'orchestre qui nous a révélé Berlioz. Mon maître avait déjà vu en Allemagne le second ouvrage de la Tétralogie ; il en avait lu la partition d'orchestre, car il me conta qu'un vieil ami, pour lui faire une petite taquinerie, lui avait offert les partitions des quatre grands ouvrages du maître de Bayreuth... et Gounod les avait lues avec le plus grand intérêt.
Après l'audition du premier acte que nous écoutâmes religieusement, Gounod me dit : « Voilà un tableau merveilleux qui vient de m'enchanter... » « Ce n'est pas seulement la « Chanson du Printemps » qui m'a charmé, mais aussi ce langage musical direct, émouvant, le commentaire de cette action si dramatique. La rencontre de ces deux êtres — Siegmund et Sieglinde — frère et sœur qui s'ignorent, entraînés l'un vers l'autre par une passion irrésistible. Tout cela est humain, d'une réelle beauté d'expression et j'en suis profondément ému. Qu'importe la méthode, le système, cette œuvre est vraiment magnifique ». Au deuxième acte, il fut plus réservé. Les scènes entre Wotan et Fricka lui parurent un peu longues et fastidieuses, mais « l'annonce de la mort » par Brunhilde à Siegmund, pleine de noblesse, que domine le thème des deux beaux accords si wagnériens, eut le don d'émouvoir Gounod au plus haut point. Se sentant un peu fatigué, il ne put assister au troisième acte, dont il connaissait les plus belles pages : les adieux de Wotan et l'embrasement final, avec son lumineux orchestre, si puissamment coloré.
Quelques jours plus tard, me retrouvant à Saint-Cloud avec mon maître dans son « chalet Gounod », je lui reparlai de cette inoubliable audition de la Walkyrie, et il me fit alors un bref exposé de ses idées et de celles de Wagner sur l'art lyrique. « Dans Tristan et Isolde, la Tétralogie et Parsifal, me dit Gounod, tout repose sur l'orchestre, qui expose les thèmes, les développe, les « pétrit » en quelque sorte, selon les différentes situations du drame musical ; les voix des chanteurs se « juxtaposent » sur cette trame orchestrale, à la fois généreuse et limpide. Pour moi, je mets au « premier plan » le chant, la mélodie, donc la partie vocale ; l'orchestre la soutient, l'étoffe, la colore sans jamais la dominer. Si j'ai parfois dans Faust, Roméo et Juliette et Mireille usé du rappel de phrases mélodiques, jamais je ne les ai introduites dans le commentaire orchestral que je mets au second plan ».
Et voilà sans doute le secret de Faust que cherchait Henry Bidou. Ce secret de Gounod ne serait-il pas simplement la science de l'auteur, cette suprême habileté à traiter avec tant d'intelligence des ouvrages totalement différents les uns des autres ?
Les écrits de Gounod : le rôle du chef d'orchestre de théâtre. Projet de George Dandin. Messe de Jeanne d'Arc, à Reims.
Dans le domaine littéraire, Gounod nous a laissé une abondante production. On connaît son livre sur Don Juan de Mozart, dans lequel il analyse les beautés que contient cet admirable ouvrage. Les Mémoires d'un Artiste, publiés après la mort du maître, s'arrêtent malheureusement à la création de Faust, en 1859 ; ils nous apportent bien des détails sur la vie et l'œuvre du célèbre compositeur : ce sont des souvenirs vivants, écrits d'une plume alerte et séduisante.
Mais il faut s'arrêter sur l'Autobiographie, publiée à Londres en 1873 par la cantatrice Georgina Weldon, malgré les protestations du maître, édition qui fut tirée à un petit nombre d'exemplaires, vendus au profit de l'Orphelinat qu'elle fonda pour les enfants d'artistes. Ce livre rarissime, composé en grande partie d'articles de Gounod sur la « routine » dans l'art, est d'un intérêt exceptionnel. Sans doute peut-on suspecter les dires de Madame Weldon, dans la Préface et l'Introduction qu'elle a rédigées. Personne n'ayant vu ni lu le manuscrit de Gounod, nous sommes bien obligés de prendre ses récits pour de l'argent comptant ; d'autant plus que ceux qui ont connu le grand musicien y retrouvent sa pensée dans tous les domaines de l'art musical. Il y a aussi les remarques sur l'incompréhension du public et même de la critique devant la musique de théâtre, où la sacro-sainte « routine » est toujours en honneur. Les relations des compositeurs avec leurs librettistes, leurs directeurs et aussi leurs éditeurs y tiennent une place importante. Le chapitre le plus attachant traite de la question brûlante à cette époque et même de nos jours, du compositeur-chef d'orchestre. Toute sa vie Gounod ne cessa de protester contre les chefs d'orchestre de métier, anciens instrumentistes, simples batteurs de mesure, ignorant pour la plupart la science musicale : l'harmonie, la fugue et l'instrumentation. Faisaient exception à ce médiocre assemblage des musiciens tels que Georges Hainl ou le réputé Deldevez, qui fut le condisciple de Gounod à la classe d'Halévy au Conservatoire.
Dans ses nombreux voyages à l'étranger, et surtout pendant son long séjour en Angleterre, Gounod prit le parti, depuis la première audition de Gallia, en 1871, de diriger lui-même ses œuvres en concert. Il écrit à ce sujet : « Partout ailleurs qu'en France, les compositeurs ont la facilité de diriger soit au théâtre, soit dans les grands concerts, l'exécution publique de leurs œuvres. En Italie, en Allemagne, en Angleterre, cela s'est pratiqué depuis un temps immémorial ». Gounod cite l'exemple de Verdi, de Mendelssohn, de Wagner, qu'il a vus souvent au pupitre de chef. N'oublions pas que de son temps, chez nous, Hector Berlioz dirigeait toujours les concerts qu'il organisait pour faire connaître sa musique symphonique, ses grandes œuvres : la Damnation de Faust, Roméo et Juliette, l'Enfance du Christ. Mais à l'Opéra, à l'Opéra-Comique, au Théâtre-Lyrique les chefs de métier opposaient aux auteurs une barrière infranchissable. « Ce n'est pas l'usage » disaient ces messieurs.
Ecoutons parler Gounod : « On n'imagine pas à quel point une dérogation, légère en apparence, aux conditions d'accent, de mouvement, de nuances telles que l'auteur les a conçues, peut altérer la pensée et lui enlever sa couleur et son expression, jusqu'à la rendre parfois méconnaissable. J'ai vu Wagner se débattre comme un « lion furieux » pendant la représentation de Tannhäuser à l'Opéra et prêt à tout moment à escalader l'orchestre pour arracher le bâton des mains du chef qui dirigeait l'œuvre à rebours des intentions du compositeur (1). Il y a des chefs d'orchestre froids et apathiques, brouillons et emportés : j'en ai connu un qui ramenait tous les mouvements de l'allegro à l'andante, à une sorte de moderato uniforme, insipide, sans caractère ni accent, dont la monotonie semblait être la pulsation tranquille de sa propre indifférence. Le désir d'un auteur de diriger sa musique n'implique nullement que le chef ne soit pas un musicien expérimenté, capable de remplir parfaitement son rôle. La question est celle-ci : pour bien diriger une œuvre, pour en donner une interprétation juste, fidèle, il faut absolument la connaître dans ses moindres détails ». « Et qui connaît mieux que l'auteur sa propre musique ? » comme l'a proclamé Berlioz.
(1) C'était, nous le savons, Dietsch, maître de chapelle de la Madeleine. II n'aimait ni Wagner ni sa musique, et il fut l'artisan prémédité d'un désastre...
En terminant son étude Gounod écrit encore : « les raisons qu'on allègue pour contester aux auteurs le droit de conduire leurs ouvrages se réduisent à des préjugés. Ce que je souhaite, c'est qu'on donne à un art aussi fugitif, délicat et pénétrant que la musique, tous les moyens possibles d'échapper à des infidélités d'expression et d'intention, qui peuvent dénaturer une œuvre musicale, au point de tromper absolument l'auditeur sur la véritable pensée du compositeur ».
Massenet ne parlait pas un autre langage que celui de l'auteur de Faust. A l'une des répétitions d'une reprise de Manon que dirigeait André Messager à l'Opéra-Comique, il me disait : « Il faut au pupitre un chef d'orchestre doublé d'un compositeur, capable de suppléer, par son goût et son intelligence, l'auteur — mort ou vivant — dont il est le mandataire, pas autre chose. » Faut-il rappeler aussi que c'est à André Messager, le compositeur de la Basoche que l'on doit les créations de Louise, de Pelléas à l'Opéra-Comique et les inoubliables représentations du Crépuscule des Dieux et de Parsifal à l'Opéra ?
Un autre chef d'orchestre, Camille Chevillard, qui avait écrit de la musique de chambre et des poèmes symphoniques de réelle valeur, ne nous a-t-il pas révélé, au pupitre des Concerts Lamoureux, la totalité des œuvres de Liszt, ses poèmes symphoniques, des Préludes à Mazeppa, et surtout la trilogie de Faust ? Dans le cas de Chevillard, le chef est non seulement le plus parfait des traducteurs, mais aussi le prophète d'une musique injustement délaissée.
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Dans les séances publiques de l'Académie des Beaux-Arts et des cinq Académies, Gounod a pris souvent la parole en prononçant des discours, en lisant des notices pleines d'imprévu et hautement instructives dans le domaine de l'art sous toutes ses formes, même de l'art plastique, car il avait été dans sa jeunesse aussi doué pour la peinture que pour la musique. On a retenu dans ses rapports sur les Envois de Rome des pensionnaires musiciens de la Villa Médicis, ce qu'il écrivit sur Debussy et Gustave Charpentier dont il a pressenti le génie créateur. Il s'est toujours intéressé à l'avenir de la musique française : il a encouragé les efforts d'un Alfred Bruneau, d'un Gabriel Pierné, dès leurs premiers débuts dans le domaine du théâtre et du concert.
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Au cours de sa longue et féconde carrière, Gounod fut tenté par de nombreux sujets d'opéras : Ivan IV dont il confia le livret à Georges Bizet, puis la Conjuration de Fiesque, remise à son confrère Edouard Lalo, qui l'abandonna par la suite. Enfin, la lecture des lettres d'Héloïse à Abélard l'incita à composer un nouvel ouvrage Maître Pierre dont Louis Gallet écrivit le livret. Il est regrettable que cette partition soit restée inachevée : les fragments inédits que nous en a révélés Reynaldo Hahn, dans une audition aux Concerts Colonne, sont d'une grande fermeté d'écriture, d'une inspiration aussi pure que les plus belles pages de Faust. La scène de l'apparition du fantôme d'Héloïse à Abélard forme un duo magnifique qui fut remarquablement chanté par Mme Germaine Lubin, et M. Endrèze, de l'Opéra. Une autre audition avait été donnée par la nièce de Gounod, Mme James Baignères, dans l'atelier même du maître, place Malesherbes. Elle en fut l'émouvante interprète, avec un amateur distingué, Guy Ferrand, très dévoué à Gounod. Le musicien Max d'Ollone était au piano.
Il faut rappeler aussi que la comédie en prose de Molière, George Dandin, inspira longtemps à Gounod le désir d'écrire une œuvre lyrique, en rythmant simplement le texte original. J'ai lu ce projet assez informe que m'avait confié Mme Gounod, mais qui aurait demandé une collaboration pour laquelle je ne me sentais pas préparé. Mon maître avait l'habitude, quand il composait une œuvre lyrique, d'indiquer sur un exemplaire copié du livret les longues et les brèves des vers à mettre en musique, puis il ajoutait au-dessus des paroles des notes éparses ne portant aucune indication de mesure ni d'armure (dièses et bémols). C'est ainsi qu'il avait entièrement préparé le texte de George Dandin, sans y faire la moindre coupure : lui seul pouvait se retrouver dans cette esquisse incomplète qui, de ce fait, fut irrémédiablement perdue !
Voilà ce qu'il écrivait à ce propos dans son Autobiographie : « Cet ouvrage est une tentative d'innovation dans le domaine de la musique dramatique (déclamation du chant au théâtre). Au lieu d'être adaptée à des vers, la musique s'adapte à la prose même de Molière, dont le ton si énergique, l'allure si ferme, la forme incisive et si pénétrante ont été conservés par le compositeur. Cette innovation présente des difficultés mais elle offre des avantages. Le vers, par sa symétrie, donne au musicien un canevas beaucoup plus facile, en ce sens qu'une fois entraîné par le rythme que le premier vers d'une série fait jaillir de l'esprit et de l'oreille du musicien, celui-ci devient l'esclave du dialogue au lieu d'en rester le maître. C'est ainsi que la vérité de l'expression musicale disparaît sous l'entraînement banal de la formule et de la routine. Il est évident qu'une belle prose vaut mieux que des vers médiocres ; et ce n'est certes pas dans la poésie fabriquée à l'usage des musiciens que l'on ira chercher la supériorité du vers sur la prose... Les oratorios de Bach, Haendel et Mendelssohn sont là pour prouver à quel point la régularité du rythme et de la période est compatible avec l'emploi de la prose. La rime est-elle indispensable à l'impression musicale ? En aucune façon. Souvent même elle se dérobe dans la coupe de la phrase de musique. D'autre part, elle peut devenir une fatigue par son opiniâtreté. Quant aux avantages que la composition musicale peut retirer de l'emploi de la prose je les trouve immenses et illimités... La variété infinie des périodes ouvre aux musiciens des horizons tout neufs qui les délivrent de la monotonie et de l'uniformité. Quelle mine féconde, inépuisable de variétés dans l'intonation chantée. Le vers est une espèce de dada qui emporte les musiciens dans une négligence déplorable. »
Il est fort regrettable que Gounod n'ait pu mettre son projet à exécution, comme il l'avait si ardemment démontré dans les lignes qui précèdent. Quelle leçon en auraient reçues les compositeurs soucieux de trouver un nouveau langage, en échappant à la routine. Cependant l'auteur de Faust a été bon prophète. En écrivant sa partition de Pelléas et Mélisande sur le texte en prose si poétique de Maurice Maeterlinck, Debussy a prouvé d'une manière vraiment géniale, il faut le dire, que le texte chanté pouvait se passer du vers, de ce ronron monotone qui a été si longtemps en usage dans le langage lyrique. Par contraste, dans Louise, Gustave Charpentier reste fidèle au vers, mais au vers libre, souvent même avec une simple assonance :
« Depuis le jour où je me suis donnée
Toute fleurie semble ma destinée »
chante la petite ouvrière montmartroise dans l'air devenu célèbre. Gounod nous a laissé cependant un bel exemple de la prose mise en musique, son Ave Maria de l'Enfant qu'il composa dans les dernières années de sa vie, à l'intention d'une toute jeune artiste de talent, Marguerite Naudin, dont il goûtait la jolie voix et la précoce intelligence musicale. Ce morceau est une page d'un sentiment très pur.
Plusieurs œuvres de musique religieuse occupèrent Gounod : tout d'abord la Messe de Jeanne d'Arc pour soli, chœurs et accompagnement de deux orgues, que précède un Prélude avec fanfare dont l'effet fut grandiose dans la cathédrale de Reims en 1891. Le maître avait été sollicité de composer cette messe par son ancien condisciple des Carmes, devenu son Eminence le Cardinal Langénieux, archevêque de Reims. C'est le style de Palestrina qui anime les meilleures pages de la partition : il en fut de même pour les messes de Clovis et de Saint Jean qui datent de la même époque (1888-90) et dont le sentiment profondément religieux évoquait pour l'auteur ses premières impressions romaines de la chapelle Sixtine.
L'homme et l'artiste. Les dernières œuvres. Gounod orchestre Namouna, ballet d’Edouard Lalo. L'orgue de Saint-Cloud : Requiem. La fin du Maître : sa dernière lettre (octobre 1893).
L'homme et l'artiste sont inséparables, car les actes de Gounod musicien étaient motivés toujours par son humanité, sa bonté. Dès son élection à l'Académie des Beaux-Arts, le maître s'intéressa, et cela jusqu'à la fin de sa vie, aux jeunes gens qui concouraient pour le Grand Prix de Rome. Il allait les « mettre en loge » à l'ancien Conservatoire du Faubourg Poissonnière, il leur dictait les textes littéraires sur lesquels ils devaient écrire leurs chœurs et leurs cantates, en donnant aux mots leur véritable sens, leur accentuation, ce qui était pour eux une admirable leçon de déclamation lyrique. Pour ma part, quand j'ai par deux fois concouru, en 1892-93, j'ai eu le soin de souligner au crayon bleu toutes les indications si précieuses qu'il nous donnait et c'est à cela, en grande partie, que j'ai dû ma réussite.
Paul Dukas qui avait connu l'auteur de Faust à ces séances de mise en loge, en 1888, l'année où il obtint un second Grand Prix, a écrit sur Gounod les lignes suivantes, quand le maître mourut, en 1893 : « C'était un homme affable et éminemment séduisant. Tous ceux qui ont eu l'occasion de l'approcher savent à quel point il était accueillant et plein d'indulgence paternelle. Il laisse non seulement le souvenir d'un artiste plein de foi et d'enthousiasme en son art, mais encore celui d'un cœur droit et foncièrement bon. Et peut-être est-ce là la plus belle part de sa gloire, et la plus pure ».
Il nous faut aussi vanter le désintéressement du maître : il en a donné une preuve touchante dans ce fait que je tiens à citer. Ayant appris que son ami Edouard Lalo, le compositeur du Roi d'Ys était gravement malade et ne pouvait achever l'instrumentation de son ballet Namouna, en cours de répétition à l'Opéra, Gounod s'offrit spontanément pour accomplir cette tâche difficile. Il le fit en peu de temps et cela « gratis pro Deo » sans vouloir accepter aucune part sur les droits d'auteur... Il y a quelques années, j'assistais à l'Opéra, avec Florent Schmitt, à une représentation de Suite en Blanc, extraite de Namouna : comme mon voisin de fauteuil ne tarissait pas d'éloges sur la brillante orchestration des célèbres variations, je lui dis « Sais-tu que c'est Gounod qui a écrit ces pages si colorées, si vivantes ? » Florent Schmitt l'ignorait et il ne put me cacher son admiration pour un travail aussi remarquable, quoiqu'il ne fût pas précisément un « gounodien »...
De tout temps Gounod faisait copier sa musique par le père Garbet, homme des plus modestes, très dénué d'argent. J'ai été témoin de la sollicitude du maître à son égard, il lui payait très largement ses travaux, le recevait à sa table et le traitait d'égal à égal, ce qui flattait infiniment le brave Garbet, musicien des plus effacés.
On a prêté à Gounod beaucoup de bons mots : il en a fait d'excellents, très spirituels mais jamais méchants. Etant en quelque sorte tourmenté par une chanteuse mondaine, obsédé de sollicitations incessantes, de demandes d'auditions de ses mélodies ou motets, il l'avait surnommée « la carpe éolienne » car elle chantait en ouvrant démesurément la bouche... Un jeune compositeur, sans grand talent, qui se croyait un homme de génie méconnu, accabla le maître de ses réclamations : un ami compatissant lui disait « Il aime tant la musique » — « Oui, répondit Gounod, mais hélas ! elle ne le lui rend pas !... »
Un autre « maestro » que l'on avait surnommé « l'Insistance publique » venait à tout moment lui exposer ses déboires, ses déceptions. Un dimanche de juillet 1893 à Saint-Cloud, j'avais accompagné mon maître dans le parc du château, pour écouter avec lui un Festival organisé par M. Gay, chef de la musique militaire : on jouait l'ouverture de Mireille, les ballets de Faust et Roméo ; nous étions à l'ombre d'un cèdre magnifique. Tout à coup Gounod me dit : Tiens, regarde, voilà cet animal de L. qui nous cherche » et aussitôt mon maître se lève, nous tournons autour de l'arbre qui nous cachait aux regards du fâcheux, tantôt à gauche, tantôt à droite. C'était d'un comique irrésistible. Enfin Gounod se rassied en poussant un soupir de soulagement car L. était parti !
Mais quand il aimait quelqu'un, un homme de talent comme Saint-Saëns ou Massenet, alors Gounod ne tarissait pas d'éloges. Il disait du compositeur de Samson et Dalila : « C'est notre maître à tous, il dérive de Rameau, notre grand classique ». Il aimait à taquiner l'auteur de Manon. On savait que Massenet attachait le plus grand prix aux recettes de ses ouvrages, à l'Opéra et à l'Opéra-Comique, et le maître de lui dire un jour en riant : « Tu sais, mon petit, je t'ai enfoncé... Faust a fait vingt mille cette semaine et ton Cid seize mille seulement... tu n'as plus qu'à te suicider... »
Un des grands chagrins qu'éprouva Gounod, fut, en 1875, la mort foudroyante de Bizet, quelques jours après la première de Carmen : sa douleur fut immense, il devait faire un discours aux obsèques de son cher disciple : il ne put articuler, devant le cercueil, que quelques mots des plus émouvants. Combien de fois ai-je entendu le maître me parler du génie créateur de Bizet, de son incroyable puissance de travail, de son goût si sûr et de son dévouement pour ses confrères, ses camarades de Rome : Guiraud, Paladilhe, Massenet. A la répétition générale de Carmen, Gounod était assis à côté de l'auteur, dans sa loge. En écoutant l'air de Micaëla, au troisième acte, il lui dit : « ça, mon petit, c'est à Papa ». Me trouvant, en 1934, à Berlin où j'avais l'honneur de représenter la France au « Congrès International des Compositeurs » que présidait Richard Strauss, j'ai pu constater avec fierté que les deux théâtres de musique, l'Opéra et l'Opéra Populaire, jouaient alternativement Faust et Carmen, chose incroyable que nous n'avons connue chez nous qu'au moment des représentations de Don Juan de Mozart, données simultanément à l'Opéra et à l'Opéra-Comique, dans deux traductions différentes.
Gounod pouvait disserter sur tous les sujets. Ses idées en littérature, comme en peinture, ses remarques sur l'art de l'architecture, qu'il comparait à la musique, étaient toujours de la plus juste observation. Il aimait la clarté et la précision. Que dirait-il aujourd'hui de la musique concrète ? Il sourirait dans sa barbe blanche, il ouvrirait ses grands yeux et nous dirait : « La mélodie avant tout ! »
« La musique est un art de repos et de recueillement » a dit Stendhal qui admirait passionnément les œuvres de Cimarosa et de Rossini. Aurait-il apprécié l'art discret de Gounod ? C'est probable. On sait qu'il se délectait en écoutant Il Matrimonio Secreto et les mélodies de Gounod l'auraient charmé, comme le firent certains airs du divin Mozart.
Dans la période 1889-93 Gounod vécut en pleine gloire. Faust et Roméo alternaient sur l'affiche de l'Opéra, Mireille et Philémon et Baucis sur celle de l'Opéra-Comique. Plusieurs auditions de Mors et Vita, de Gallia et de Rédemption furent données dans la salle du Trocadéro. Le maître allait régulièrement aux séances de l'Institut et j'ai conservé le souvenir de ses affabilités quand il venait mettre en loge, à l'ancien Conservatoire du Faubourg Poissonnière, les logistes du Concours de Rome en 1892-93.
Quand je fus nommé, sur son intervention, organiste de Saint-Cloud, je le voyais presque tous les dimanches à la messe de neuf heures et il me faisait le grand honneur de s'asseoir à mes claviers pour improviser un offertoire ou une sortie. Sa nièce Mme Joseph Duglé venait chanter à cette messe matinale. C'est ainsi que j'appris par elle que son oncle lui avait donné l'idée d'écrire une méthode de chant, pour laquelle il lui avait fourni les plus précieux documents. Ayant perdu mon maître Ernest Guiraud, je devins l'élève de l'auteur de Faust et j'écoutais ses conseils. J'allais le voir fréquemment à son hôtel de la place Malesherbes à Paris où se mettant à son orgue, il improvisait, invoquait le souvenir de Mozart. Il me chantait aussi de sa voix fragile mais charmante de ténorino quelques-unes de ses belles compositions vocales. Quelles séances merveilleuses où j'ai appris tant de choses ! Et mon maître me parlait littérature, peinture, car il avait gardé, à près de soixante-quinze ans, une mémoire surprenante. Comme je lui demandais un jour quelles étaient dans la vie ses préférences, il me répondit : « Vois-tu, mon enfant, Dieu a créé trois belles choses : la musique, les fleurs et les femmes, ce sont elles que j'ai toujours chantées... » Et moi de lui dire, avec l'audace de mes vingt ans « Mon cher Maître, on aime les femmes, on leur apporte des fleurs et on fait de la musique avec elles ». Marguerite, Juliette, Mireille, Baucis ne furent-elles pas pour Gounod les inspiratrices de son art le plus intime, le plus émouvant ?
Jusqu'à ses derniers moments mon maître ne cessa d'écrire ; ce fut la musique de scène des Drames Sacrés d'Armand Silvestre et Eugène Morand, joués au Théâtre du Vaudeville en mars 1893, partition d'un caractère élevé, puis la mélodie Repentir sur un texte de lui-même, Tout l'univers obéit à l'amour sur une poésie de La Fontaine, page composée par le vieux maître avec une flamme juvénile, ainsi que ses deux ravissants quatuors à cordes conçus dans un esprit mozartien.
Frappé en 1891 d'une attaque d'hémiplégie peu grave, l'auteur de Faust s'était remis très rapidement et il avait conservé toutes ses facultés créatrices. Il entreprit alors d'écrire sur le texte latin de la Messe des Morts un Requiem à la mémoire de son petit-fils Maurice, fils de Jean Gounod, disparu prématurément. Le dimanche 15 octobre 1893, mon maître se rendit à Saint-Cloud à la messe de neuf heures, sans monter à la tribune de l'orgue, contrairement à son habitude. Il me fit dire par le souffleur de descendre pour lui parler. « Pourrais-tu venir chez moi, me dit-il, avant les vêpres ? Je voudrais te confier la partition de mon Requiem dont je viens de terminer l'instrumentation, pour que tu en fasses la réduction pour orgue dès que tu seras arrivé à Rome, à la Villa Médicis ». Très surpris et flatté de l'offre qui m'était faite si affectueusement, je me rendis à une heure exactement dans le salon de la villa de Montretout où Gounod m'attendait. Posant le manuscrit de sa partition sur le piano, ayant à sa droite sa fille Jeanne de Lassus et moi à sa gauche, mon maître nous donna l'audition intégrale de son Requiem qu'il chantait à mi-voix, en réduisant au piano l'essentiel de son œuvre, les dessins, l'écriture harmonique. Je fus frappé par la simplicité et la beauté de cette musique si pure, notamment dans le Benedictus à deux soli. Jeanne de Lassus donnait la réplique à la voie ténue de son père, minutes mémorables pour moi, et aussi pour Mme Gounod et sa sœur Mme Pigny qui écoutaient cette émouvante audition.
Quelques minutes après mon départ, mon maître, en rangeant sa partition, fut frappé soudainement d'une attaque d'apoplexie foudroyante qui devait l'emporter en trois jours. Je pus le voir quelques instants avant sa mort, il respirait doucement et s'éteignit sans souffrances, en tenant dans ses mains un crucifix qu'il ne devait plus quitter.
Dès mon arrivée à Rome je me luis à entreprendre la tâche sacrée que m'avait confiée mon maître et je revivais ainsi, jour par jour, les moments inoubliables de cette audition de Saint-Cloud.
Sur l'initiative de Paul Taffanel le Requiem fut donné à la Société des Concerts du Conservatoire, le Vendredi et le Samedi Saint de 1894, puis à l'église de la Madeleine, sous la direction de Gabriel Fauré, alors que Saint-Saëns était au grand orgue et improvisait sur des thèmes du maître qu'il avait aimé et vénéré.
Pour terminer ce livre de souvenirs, je voudrais citer cette lettre que Charles Gounod adressa quinze jours avant sa mort à son confesseur le Père Moro, de l'ordre de Saint-Barnabé, qui se trouvait à Stockholm, pour une mission :
Saint-Cloud, 3 octobre 1893.
Non, certes, mon bien Cher Père, je ne vous laisserai pas débarquer sur cette terre lointaine et froide sans vous envoyer un peu de chaleur d'un cœur toujours si près du vôtre. On a beau s'éloigner de ceux qu'on aime, on les emporte autant qu'ils vous gardent dans cette unité qui est le seul principe d'union ici-bas, jusqu'à ce que nous y soyons consommés là-haut. Mais s'il ne nous manquait la « Vision », nous serions au Ciel où elle nous attend. Vous n'allez pas, au moins, me laisser partir pour l'autre monde avant votre retour : c'est à vous à me signer ma feuille de route et à m'embarquer sur l'Océan du Purgatoire où Dieu veuille ne pas m'infliger une trop longue traversée. Il faut, d'ailleurs, que vous soyez ici pour notre fête, et j'espère bien la célébrer dans vos mains bénies, si, comme je le pense, la saison nous ramène à Paris pour cette époque. Tous ici se joignent à moi pour vous envoyer leurs respectueux souvenirs ; moi, je fais plus encore, je vous envoie toute mon âme et mon cœur de fils.
Ch. Gounod.
Dans cette lettre touchante que Mme Suzanne Baignères a bien voulu nous communiquer, Gounod se montre tel qu'il fut toute sa vie, plein de foi et d'ardeur, en même temps que de noblesse et de modestie.
FAUST, opéra en cinq actes (intégral avec le ballet)
Direction André Cluytens
Mlles V. de Los Angeles, L. Berton, Rita Gorr
MM. Gedda, Christoff, E. Blanc
Orchestre et Chœurs de l'Opéra.
FAUST, ballet.
Orchestre Philharmonia Direction Karajan.
MIREILLE, opéra en cinq actes (intégral version H. Büsser).
Direction André Cluytens
Mlle Vivalda, MM. Gedda et Veissières
Chœurs et Orchestre du Festival d'Aix-en-Provence.
ROMEO ET JULIETTE, opéra en cinq actes (intégral avec le ballet).
Direction Erede
Mlle Jeannine Micheau, MM. Jobin, Cambon, Rialland
Orchestre et Chœurs de l'Opéra.
PHILEMON ET BAUCIS.
Deux airs de Vulcain par André Pernet, de l'Opéra.
Air de Philémon, par Gérard Souzay.
POLYEUCTE.
Stances : Source délicieuse, par José Luccioni, de l'Opéra.
SYMPHONIE EN MI BEMOL (intégrale).
Direction Igor Markevitch
Orchestre des Concerts Lamoureux.
MARCHE FUNEBRE D'UNE MARIONNETTE.
Direction Paul Paray
Orchestre du Conservatoire.
AVE MARIA sur le 1er Prélude de J.-S. Bach.
par Mlle Jeannine Micheau, de l'Opéra.
par Mlle Martha Angelici, de l'Opéra.
par Camille Maurane, de l'Opéra-Comique.
SERENADE « Dites la jeune belle ».
par Camille Maurane, de l'Opéra-Comique.
SERENADE.
par André Baugé, de l'Opéra-Comique.
VENISE, mélodie.
par Camille Maurane, de l'Opéra-Comique.
Consulter le catalogue général des disques de 1961, nombreuses mélodies dans les Récitals accouplés avec d'autres auteurs.
Ouvrages du même auteur.
Chez Durand, éditeur :
- Traité pratique d’instrumentation (Guiraud-Büsser)
- Précis de composition
Chez Arthème Fayard :
- De Pelléas aux Indes galantes (De la Flûte aux Tambours)
TABLE DES MATIERES
PREFACE
La jeunesse : les dons musicaux. Le Lycée Saint-Louis ; le Conservatoire. Le Grand Prix de Rome. La Villa Médicis : le violon de Monsieur Ingres. Fanny Mendelssohn. Saint-Louis des Français : la Messe de Saint Louis. Séjour en Allemagne. Felix Mendelssohn.
Retour à Paris. Les Missions Etrangères : l'Abbé Gounod. Messe de Sainte-Cécile. Sapho à l'Opéra : Pauline Viardot. Les larmes de Berlioz. Comédie-Française : les chœurs d'Ulysse. A l'Opéra : la Nonne Sanglante. Mariage de Gounod. Le Médecin malgré lui au Théâtre-Lyrique.
Création de Faust : 1859, Mme Miolan Carvalho. Deux feuilletons de Berlioz ; une lettre de Saint-Saëns.
Rayonnement de Faust en province et à l'étranger. Gounod en Angleterre : le compositeur est séquestré par le ménage Weldon. Composition de Gallia, la Colombe, Philémon et Baucis, les Deux Reines, Jeanne d'Arc, instrumentation de Polyeucte.
Reprise de Faust au Théâtre-Lyrique ; son entrée à l'Opéra. Le Palais Garnier en 1875 ; la 2.000e en 1934.
La Reine de Saba. Mireille. Roméo et Juliette. Gounod à Maillane, chez Mistral.
Séjour à Rome : Rédemption, Mors et Vita, Marche Pontificale pour le Pape Pie IX. A Paris, création de Cinq-Mars, de Polyeucte et du Tribut de Zamora. Les chansons italienne de Biondina : Mme Juliette Conneau. La chanson de la Glu : Félicia Mallet, Yvette Guilbert.
Opinion des musiciens sur l'œuvre de Gounod : Massenet, Fauré, Debussy, Dukas, Koechlin, Reynaldo Hahn. Lettre d'Henri Dutilleux. Gounod et Wagner.
Les écrits de Gounod : le rôle du chef d'orchestre de théâtre. Projet de George Dandin. Messe de Jeanne d'Arc, à Reims.
L'homme et l'artiste. Les dernières œuvres. Gounod orchestre Namouna, ballet d’Edouard Lalo. L'orgue de Saint-Cloud : Requiem. La fin du Maître : sa dernière lettre (octobre 1893).
Dépôt légal 2e trimestre 1961.