les Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
Le 18 octobre 1957, nouvelle reprise à l'Opéra-Comique des Pêcheurs de perles de Georges Bizet, dans une mise en scène de Vanni-Marcoux, une chorégraphie d'Espanita Cortez, des nouvelles maquettes des décors et costumes de Jean Souverbie, décors exécutés par M. Pelegry, costumes exécutés par MM. H. et A. Mathieu et Mlle Thérèse Marjolet dans les ateliers de l'Opéra-Comique, avec Mme Martha ANGELICI (Leïla), MM. Alain VANZO (Nadir), Jean BORTHAYRE (Zurga), Charles CLAVENSY (Nourabad), sous la direction de Jésus ETCHEVERRY.
deux scènes des Pêcheurs de perles lors de la reprise à l'Opéra-Comique en 1957 : en haut : Martha Angelici (Leïla) et les Chœurs ; en bas, de g. à dr. : Charles Clavensy (Nourabad), Martha Angelici (Leïla) et Alain Vanzo (Nadir)
Le premier opéra de Bizet. Les Pêcheurs de perles à l’Opéra-Comique.
A vingt-cinq ans, Georges Bizet faisait représenter sa première œuvre lyrique ; c'est en effet le 29 septembre 1863 qu'étaient créés au Théâtre-Lyrique les Pêcheurs de Perles. Ils y furent joués dix-huit fois. Aux côtés de Léontine de Maësen qui incarnait Leïla, Morini chantait Nadir, et Ismaël : Zurga.
Quel fut l'accueil réservé à cette œuvre de jeunesse ? Camille Bellaigue qui en souligne le demi-succès a pu dire qu' « à défaut d'un drame, Bizet a fait des paysages. Les Pêcheurs de Perles constituent dans son œuvre la part de l'exotisme ». Le public fut étonné par cette musique, très différente de celle de Félicien David à laquelle il était habitué et dont la recherche d'originalité et de couleur le déroutait.
Pourtant il fut sensible, au premier acte, à l'andante du duo de Nadir et de Zurga, puis, au second acte, à l'air de Leïla : « Comme autrefois dans la nuit sombre » et, au troisième acte, à l'air de Zurga.
La critique se montra sévère, témoignant ainsi de bien peu de clairvoyance. Seul Berlioz sut deviner l'avenir de ce jeune compositeur dont la carrière devait être aussi brillante que brève ; il écrivait en effet dans les Débats : « La partition des Pêcheurs de Perles contient un nombre considérable de beaux morceaux expressifs, plein de feux et d'un riche coloris... Elle fait le plus grand honneur à M. Bizet qu'on sera forcé d'accepter comme compositeur, malgré son rare talent de pianiste lecteur ».
L'auteur n'avait pourtant pas été servi par ses librettistes Cormon et Michel Carré qui lui avaient fourni un poème dont le dénouement fait appel à une des ficelles usées du métier théâtral.
Après un silence d'un quart de siècle, l'œuvre montée à Milan, puis à Aix-les-Bains en 1886, fut reprise à l'Opéra-Comique en 1893 avec une éblouissante distribution : Emma Calvé et Soulacroix. Elle devait faire le tour du monde dans les années qui suivirent immédiatement ces deux reprises.
Pour l'ouverture de la saison 1956-1957, M. François Agostini, Directeur de l'Opéra-Comique, a confié à M. Vanni-Marcoux le soin de remettre en scène les Pêcheurs de Perles dans les décors et les costumes de M. Souverbie.
L'interprétation de cette œuvre, qui nécessite un tempérament de cantatrice original et vibrant, réunira les noms de Mme Martha Angelici et de MM. Alain Vanzo, Jean Borthayre et Charles Clavensy.
Le nom de l'auteur de Carmen s'inscrit aujourd'hui au premier rang de l'histoire de la musique française. Il était bon qu'à côté des œuvres familières à tous les mélomanes notre deuxième scène lyrique consacrât ses soins à l'opéra de début d'un musicien de génie.
(Frivolant, revue l’Opéra de Paris n° 13, 2e trimestre 1956)
maquette de Jean Souverbie pour la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
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Cette pièce a été reprise récemment à l'Opéra-Comique. Ci-après, l'interview qu'a bien voulu nous accorder M. Agostini, directeur de l'Opéra-Comique. Reportage photographique Lipnitzki.
Alain Vanzo (Nadir) et Martha Angelici (Leïla) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Serait-il indiscret, Monsieur le Directeur, de vous demander les raisons qui vous ont décidé à reprendre les Pêcheurs de perles sur la scène de l'Opéra-Comique ?
— Mais, les Pêcheurs de perles n'ont virtuellement jamais quitté la scène de l'Opéra-Comique... En fait, il n'aurait dû y avoir aucun arrêt entre l'ancienne et la nouvelle version (la mise en scène de cette dernière ayant été confiée, comme vous le savez, à Vanni-Marcoux). Pourquoi une « nouvelle version » ou, plutôt, une nouvelle présentation scénique ? Tout simplement parce que costumes et décors avaient besoin d'être refaits. Et, aussi, parce que nous estimions qu'un grand acteur et metteur en scène comme Vanni-Marcoux infuserait à l'ouvrage une vie nouvelle par la simplification des mouvements de foules, par le dépouillement du jeu scénique... . . . . . . . . . . — S'il y a eu un « arrêt » dans la mise à l'affiche des Pêcheurs, cela provient tout simplement du fait qu'au moment où la nouvelle version allait être présentée des modifications profondes du système d'éclairage de la scène ont été réalisées à l'Opéra-Comique. Nous avons donc pensé qu'il valait mieux repousser la « première » de la nouvelle version jusqu'au jour où l'on pourrait présenter l'œuvre de Bizet avec tout l'éclairage désirable. Sachez qu'il n'y avait, autrefois, dans la salle de l'Opéra-Comique, que deux projecteurs archaïques. Il y en a, maintenant, douze modernes. Quant à la scène, elle dispose, aujourd'hui, de quatre-vingts appareils supplémentaires. . . . . . . . . . . — Oui, les éclairages dépendent, en principe, des conceptions du décorateur et du metteur en scène. Ils sont également fonction, vous vous en doutez, de l'habileté du chef électricien. Maïs, pour ce chapitre, comme pour tout ce qui a trait au spectacle, c'est, en fin de compte, le directeur qui prend ses responsabilités... De cette collaboration, et de l'utilisation de nos procédés nouveaux, est née la présentation que vous avez vue l'autre soir, nimbée d'éclairages variés, et où nous avons recherché tout particulièrement les « fondus » — par exemple, dans les moments de crépuscule ou d'aurore, dans les clairs de lune, dans les discrètes palpitations de la mer, dans la grande scène de l'orage. Le public a vigoureusement marqué sa satisfaction... N'est-ce point là, pour nous, le « test » infaillible ? Il m'est d'ailleurs facile, maintenant, de m'entretenir librement avec vous de la nouvelle version des Pêcheurs de perles. Je ne l'aurais pas fait avant la « première », de crainte de paraître présenter un plaidoyer pro domo. A l'heure actuelle, le public a jugé, et la feuille de location répond victorieusement à certains critiques professionnels. L'un d'eux s'étonnait devant moi de cette reprise et regrettait de voir à nouveau les Pêcheurs à l'affiche de l'Opéra-Comique, en déplorant la faiblesse de la partition, comparée à celle de Carmen. J'ai, alors, demandé à ce juge sévère : « N'y a-t-il pas, pourtant, dans cette œuvre de Bizet, certains morceaux très réussis ? — Certes », m'a répondu mon interlocuteur. « Eh bien, lesquels ? » ai-je interrogé. Et j'ai noté soigneusement sa réponse, que voici : « Au premier acte, le duo Nadir-Zurga, la romance de Nadir et le grand air de Leïla. Au second acte, le deuxième grand air de Leïla et le duo Nadir-Leïla. Au troisième acte, le grand air de Zurga et le duo de Zurga et de Leïla. Enfin, le final avec le fameux trio. » De plus, notre censeur a bien voulu reconnaître que, dans tous les actes, toutes les parties de chœur étaient excellentes... En comptant sur ses doigts le nombre des réussites, notre bon critique a reconnu qu'il était parfaitement injuste. Mais voilà, il avait déjà écrit son article ! La critique a le droit d'avoir son opinion. Le public également. Je note simplement qu'à la dernière représentation des Pêcheurs il y a eu... quatorze rappels !
Charles Clavensy (Nourabad), Martha Angelici (Leïla) et Alain Vanzo (Nadir) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Peut-être le succès des Pêcheurs est-il dû aux qualités vocales de la partition ? — et nous savons bien que les habitués de l'Opéra-Comique sont des enthousiastes du chant...
— Il est bien évident que, dans un ouvrage comme les Pêcheurs de perles, les qualités vocales priment tout le reste... La plupart des scènes sont statiques et les voix, y compris celle du choral (qui est extrêmement important), jouent un rôle capital. Vous avez pu noter que chacun des quatre rôles principaux est extrêmement dépouillé ; chacun contient des passages de chant « pur » sans possibilité d'effets grandiloquents. Il importe donc d'avoir, pour la présentation d'une œuvre de ce genre, des chanteurs possédant à la fois une très grande pureté de style et de brillantes qualités vocales. Pour désigner les protagonistes, nous avons été embarrassés, car il y a, dans notre troupe, plusieurs artistes susceptibles de tenir, dans d'excellentes conditions, les rôles principaux... Que je dise, ici, ma satisfaction à l'égard du chœur qui a su parfaitement tenir sa partie dans cette œuvre, en effet, il constitue un vrai personnage — je le comparerais volontiers au chœur antique... . . . . . . . . . . — Evidemment, Bizet est un magnifique compositeur de théâtre. Car, en dehors de ce que vous appelez la qualité « vocale » de la partition, c'est-à-dire l'art de mettre en valeur les qualités des chanteurs solistes et des chœurs, il y a la partie orchestrale admirablement écrite, et qui a permis au chef précis et sensible qu'est M. Jésus Etcheverry de montrer, une fois de plus, la valeur exceptionnelle de l'orchestre de l'Opéra-Comique.
Alain Vanzo (Nadir), Martha Angelici (Leïla) et Charles Clavensy (Nourabad) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Voudriez-vous maintenant, nous dire un mot des recherches faites sur le plan de la décoration ?
— Voyez-vous, pour l'ensemble de cette présentation, il a fallu tenir compte de l'antinomie suivante : d'une part, la précision des indications de Bizet (une plage de l'île de Ceylan ; les ruines d'un temple indien ; une tente indienne, etc.) — et, d'autre part, la musique même de Bizet, qui ne présente aucun caractère oriental authentique. C'est la raison pour laquelle M. Souverbie s'est écarté délibérément de toute formule réaliste. Dans son très beau décor, il a précisé simplement quelques détails, sans trop insister sur le caractère proprement indien. Il importait, vous le comprenez, d'éviter la reconstitution de scènes folkloriques... . . . . . . . . . . — Oui, une « évocation » d'Extrême-Orient, et ceci sur le plan du décor comme sur le plan des costumes. En prenant bien garde, évidemment, de ne pas tomber dans le domaine de la fantaisie. Des recherches très précises ont été faites et ce n'est qu'ensuite, à partir de documents authentiques, qu'a été réalisé un travail de stylisation. Ainsi donc, vous voyez : transposition et rejet de réalisme.
Alain Vanzo (Nadir) et Martha Angelici (Leïla) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Comment concevez-vous le personnage de Leïla, au point de vue vocal comme au point de vue scénique ?
— Leïla est une mystique. Prêtresse de Brahma, elle a pour rôle de protéger, par ses chants et par ses prières, les travaux et la vie des pêcheurs de perles. Mais son serment de célibat ne peut empêcher son cœur de s'émouvoir à la vue de Nadir. Et comme cette touchante amoureuse devient pathétique lorsqu'elle s'efforce d'arracher à Zurga la grâce de Nadir, qui a été surpris avec elle ! Situation à la fois profondément dramatique et très simple, très humaine.... Leïla doit toujours s'exprimer avec la plus grande pureté d'âme. Vous devinez que c'est là qu'interviennent le style et la sensibilité. Ces qualités majeures doivent être possédées, intégralement, authentiquement, par toute artiste chargée de ce rôle magnifique et délicat... Naturellement, de précieuses qualités vocales sont nécessaires, et de manière aussi impérative que les précédentes — car les airs de Leïla contiennent des difficultés énormes exigeant, pour les surmonter, une parfaite technique du chant...
Martha Angelici (Leïla) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Et ce rôle de Nadir, qui est à la fois l'espoir et la terreur des ténors, comment le jugez-vous, sous l'angle vocal et scénique ?
— Le personnage de Nadir est de structure psychologique plus simple. En aimant Leïla, le vaillant coureur des bois ne trahit aucun serment sacerdotal ; mais il brise un pacte d'amitié passé avec son compagnon, Zurga. A vrai dire, ses scrupules disparaissent assez vite : il ne songe qu'à son amour.. Son amitié première pour Zurga et son amour pour Leïla s'expriment en très beaux airs — dont la « romance » du premier acte, qui est, comme vous le disiez justement, l'espoir et la terreur des ténors ! Il est doux comme une caresse, mais le piège de la mièvrerie se trouve dans chaque mesure. L'ensemble du rôle, à la tessiture assez tendue, exige à la fois de la souplesse, du charme et de la virilité.
Alain Vanzo (Nadir) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Avec Zurga, nous sommes en pleine tragédie... Et avec Nourabad, le grand prêtre, nous pénétrons dans un monde impitoyable, n'est-ce pas ?
— Zurga est un chef, possédant des qualités d'autorité. Il se trouve blessé dans son amitié et dans son amour. Mais il sait oublier tout cela, du moment qu'il s'agit de sauver celle qui, autrefois, l'avait lui-même sauvé... Le duo du premier acte, la scène de la tente, le trio final demandent de la vaillance, une grande sensibilité et d'indéniables dons tragiques. . . . . . . . . . . — En ce qui concerne le personnage de Nourabad, le schéma psychologique du personnage est plus dépouillé encore : c'est un mystique absolu, insensible à toute considération humaine. Un représentant implacable de la loi divine. Bien que ses interventions vocales soient assez courtes, elles nécessitent de grandes qualités d'autorité, de rigueur musicale.
Jean Borthayre (Zurga) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Pouvez-vous me dire quelques mots de la partie chorégraphique ?
— Pour évoquer, avec certaines précisions indispensables, les danses sacrées de l'Inde, Mlle Espanita Cortez, qui a conçu et réglé la partie chorégraphique des Pêcheurs de perles, a poursuivi un énorme travail de documentation dans les bibliothèques et les musées. Dans son cas, tout comme dans le cas du décorateur et du metteur en scène dont je vous ai entretenu tout à l'heure, il y avait un très délicat problème à résoudre : il importait de tenir compte de l'esprit de la musique de Bizet (laquelle ne possède aucune des caractéristiques de la musique indienne), tout en réglant des danses... d'Extrême-Orient ! Mlle Espanita Cortez a su tourner, elle aussi, la difficulté : en partant d'une documentation scrupuleuse, elle est parvenue à une stylisation parfaitement évocatrice.
danseuses dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
• Puisque nous voici au chapitre de la chorégraphie, voulez-vous nous dire — et ce sera le mot de la fin — vos vues personnelles sur la réorganisation des ballets à l'Opéra-Comique ?
— Les ballets de divertissement, inclus dans de nombreux ouvrages lyriques (Lakmé, Manon, Eugène Onéguine, les Contes d'Hoffmann, la Poule Noire, Ciboulette, les Noces de Figaro, etc.) ne peuvent être bien dansés que par un ballet continuellement entraîné. C'est justement pour obtenir cet entraînement intensif, nécessaire à la vie même de notre théâtre, et, aussi, pour être à même d'afficher des œuvres d'auteurs et de compositeurs modernes, que les spectacles de ballets viennent d'être repris — avec tant de succès, d'ailleurs — à l'Opéra-Comique...
Propos de François AGOSTINI, Directeur de l'Opéra-Comique, recueillis par Henri Gaubert. (Musica, février 1958)
maquette de Jean Souverbie pour la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957
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Jean Borthayre (Zurga) dans la reprise des Pêcheurs de perles à l'Opéra-Comique en 1957