Adolphe WILLETTE

 

 

Adolphe Willette [photo H. Manuel]

 

 

Adolphe Léon WILLETTE dit Adolphe WILLETTE

 

peintre et dessinateur français

(Châlons-sur-Marne [auj. Châlons-en-Champagne], Marne, 30 juillet 1857* 28 rue Lacroix, Paris 17e, 04 février 1926*)

 

 

 

Fils du colonel Willette, qui fut l'aide de camp de Bazaine et montra au maréchal un grand dévouement jusqu'à vouloir partager sa captivité, il entra à l'Ecole nationale supérieure des beaux-arts dans l'atelier d'Alexandre Cabanel. Il débuta au Salon de 1881, et donna : la Tentation de saint Antoine (1881) ; la Mort et le Bûcheron (1882) ; le Mauvais Larron (1883). En 1886, la Veuve de Pierrot marquait déjà le côté fantaisiste, spirituel, où l'artiste allait incliner de plus en plus. Dès lors, ses toiles se firent rares (Portrait de mon père, 1887) et il s'adonna au dessin, à la lithographie, au pastel. Il se fit d'abord remarquer au Chat-Noir, puis au Courrier français. Mais il a aussi collaboré au Triboulet, au Boulevard, au Rire et à vingt autres publications illustrées. Il a fondé le Pierrot, puis le Pied-de-Nez. Les Pierrots de Willette, ses Colombines, sont d'un Watteau montmartrois à la fois satirique et rêveur. Willette a été le dessinateur des cabarets littéraires. Lithographe, il a composé de charmantes affiches, recherchées des connaisseurs. Il a publié : Cent Dessins de Willette (1904), morceaux choisis dans son œuvre. Willette a exposé pendant ses dernières années un certain nombre de peintures : un ensemble de panneaux décoratifs, les Quatre saisons, la Barricade, le portrait de Mme Belin, un plafond pour un libraire, une Eve destinée à la salle du bal Tabarin ; Au clair de la lune, le Temps des cerises (1925). L'artiste s'y montre le continuateur des petits maîtres du XVIIIe siècle, et sa peinture, un peu grise et crayeuse au début, se fit enfin dans les dernières œuvres plus plaisante et plus colorée.

 

« Ce n’est pas Lautrec qui a créé la légende de Montmartre, non plus qu’aucun des grands artistes qui ont trouvé leur voie en décrivant le plaisir faisandé et brutal offert par le Moulin Rouge, les boîtes de nuit, le monde des filles et des voyous.

La belle légende de Montmartre, la légende des belles amours, des idylles au clair de lune, des amoureux sans le sou, de la misère couronnée de roses, des aimables filles dont le coeur est une marguerite qu’on effeuille et la vie une éternelle chanson... c’est Willette »

(André Warnod [1885-1960])

 

 

 

 

 

"En province :

- Une Parisienne, c'est le choléra."

 

dessin de Willette pour le Courrier français (10 juillet 1892)

 

 

 

 

Pierrots, dessin de Willette pour le Chat-Noir (1882)

 

 

 

Son père étant, comme tous les officiers, soumis à de fréquents déplacements, c'est le hasard qui fit naître Adolphe Willette à Châlons-sur-Marne. Sans mépriser ce pays, auquel l'attachait seulement le registre de l'état civil, il était fier de se dire Parisien. Sa famille s'était établie dans la capitale en 1742, et il produisait volontiers cette preuve d'une origine incontestable. De fait, il possédait, avec ses défauts véniels, toutes les qualités du gamin de Paris : la verve primesautière, la bravoure gouailleuse et la générosité, de ce Gavroche qu'il dessina si souvent et à qui il assigna un premier rôle dans une tapisserie des Gobelins. Le génie qui préside aux mutations ne lui permit de connaître ni les champs ni le camp Catalauniques. A l'âge de deux ans, il fut dirigé sur Bourges. Puis, nous le retrouvons à Dijon où il fit ses études. Il avait voué au lycée de Dijon un indéfectible ressentiment. Mais, si « mouillée » qu'elle fût, « l'abondance » qu'il y but était tout de même issue d'un glorieux terroir, et, le franc bourgogne des jours de sortie aidant, il est probable qu'il a puisé là cette belle humeur dont il fit preuve toute sa vie et qui, par grâce bachique, est le privilège des fervents du vin de France.

Dès le premier âge, il est surpris le crayon aux doigts et délayant de salive les couleurs sans danger d'une boite de sapin. On a conservé quelques cahiers où, d'après la correspondance de son père, il retraçait naïvement, mais avec un sens déjà sûr de la composition, les épisodes de la guerre du Mexique.

Survint celle de 1870, et le désastre de Sedan. Le colonel Willette, aide de camp de Bazaine, fut envoyé en captivité à Cassel, et la mère du jeune Adolphe l'y rejoignit avec ses enfants. C'est là que notre collégien commença son apprentissage artistique. Les Français, à cette époque, n'étaient pas antipathiques aux gens de la Hesse. Le directeur de l'Académie de Cassel, un sieur Muller, ancien élève de notre École des beaux-arts, reçut cordialement en la sienne le fils du colonel prisonnier, lui révéla le fusain, et le fit dessiner d'après la bosse. Période heureuse. Vie paisible, plantureuse, très « vieille Allemagne ». D'où, quelque nostalgie quand il fallut réintégrer le lycée de Dijon. Mais les regrets s'évaporent vite chez les sujets dont l'organisme est bien fourni de sel gaulois. Le chalumeau qui brûle en eux les garde de la neurasthénie.

Willette se consola de son nouvel internement en illustrant un petit journal de potaches : l'Echo des Bahutins, aux grands dam, ridicule et confusion des pions, professeurs, infirmiers et autres.

En 1873, élargissement. Adieux à la geôle abhorrée et aux joyeux coteaux de Chambertin, si souvent salués en promenade. L'enfant nomade rallie le giron de sa vraie patrie : Paris, et s'affilie à l'École des beaux-arts. Il y a pour maître Cabanel, le seul professeur dont il ait gardé un bon souvenir, et qu'il quitte au bout de deux ans pour s'affranchir des contraintes académiques. A propos de Cabanel, il y a lieu de convenir que le Destin est un grand fantaisiste. De par son irrévocable caprice, et avant l'éclosion de toute gloire, Willette est entré au Panthéon, pareil à ces rares élus qui, de leur vivant, se voient statufiés. Ayant posé pour son maître, il figure en effet sous l'habit du duc d'Anjou dans la fresque de Saint Louis en Egypte. C'est peut-être à cette admission prématurée dans le temple de la Reconnaissance nationale, qu'il dut d'attendre si longtemps de celle-ci le ruban de la Légion d'honneur.

Le besoin qu'il avait de défendre, d'attaquer, de louer, de honnir, d'obéir sans délai aux injonctions de son esprit malicieux, firent de Willette un dessinateur plutôt qu'un peintre. Une exposition rétrospective nous a montré de lui une collection de menus : témoignage innombrable de son imagination et de sa grâce toute française. Pas une de ces petites pièces qui n'offre un symbole ingénieux, ou n'exalte quelque principe cher à son cœur. Chroniqueur par le crayon, il avait toujours quelque chose à exprimer.

Toutefois, ses peintures sont nombreuses, et les mêmes dons qu'il tenait d'Ariel y pullulent. Il faut citer d'abord le Parce Domine, qu'il fit pour l'ancien cabaret du « Chat-Noir ». C'est une fresque, en même temps qu'un poème : une sorte d'aérienne descente de la Courtille, où, dominé par la silhouette cahotante d'un omnibus, un tourbillon de pierrots et de pierrettes, d'anges et de pierreuses s'envole au-dessus de Paris. Dans la brume du fond, un chœur de danseuses évolue non loin d'un cercueil porté par des pénitentes. Avec vent debout, semble-t-il, le cortège funèbre s'achemine péniblement vers les nuages, tandis qu'en sens contraire la ruée joyeuse se laisse glisser, attirée par les lumières de la Ville. Cierge en main, les petites communiantes vouées au plaisir suivent la bande folle, et, au-delà des cheminées de la Butte, le Moulin de la Galette sème, de ses ailes transformées en portées, les notes graves du vieux chant grégorien. Tout de noir vêtu, embrassé par une Colombine aux ailes sombres, Pierrot-Willette mène cette vertigineuse farandole. Le pistolet du suicide fume à son poing ; blême et les yeux terrifiés, il tremble de n'avoir pas droit à la pitié divine. Le Parce Domine est l'œuvre maîtresse de Willette, la floraison magnifique et spontanée de son imagination juvénile.

 

 

 

Parce Domine, peinture d'Adolphe Willette pour le cabaret du Chat-Noir (appartient à M. Théophile Belin)

 

 

Environ le même temps, il produisit, pour les salons, d'autres tableaux ; mais tous n'y furent pas admis : la Fédérée, la Tentation de saint Antoine, le Mauvais Larron, Une paire d'amis. Plus tard, il conçut pour l' « Auberge du Clou », sise avenue Trudaine, jouxte la « Grand'Pinte », ancêtre de tous les cabarets artistiques, quatre panneaux. Le lyrisme et l'espièglerie de son pinceau s'y combinent avec un étonnant prestige : l'Enterrement de Pierrot, les Cerises, la Gifle et le Bon Aubergiste, où l'on voit le maître du Clou recevoir sur son seuil l'aimable visite de la Fortune. Il a exécuté quantité de décorations, notamment pour l'hôtel de Fernand Xau, le fondateur du Journal, pour le château de Forsac, la Taverne de Paris et le libraire Th. Belin. Sur la requête de celui-ci, il composa en outre une enseigne qui fut traduite en vitrail. Déjà Salis lui avait demandé celle du « Chat-Noir », et l'on vit longtemps à l'un des angles de la rue Bonaparte, un Bonaparte qu'il avait peint pour rallier en ce lieu les gens altérés.

A l'exemple de Watteau, dont on a souvent dit qu'il était le petit-neveu, il ne dédaigna donc pas l'art de la rue. Et même il s'y adonna plus que lui, les noirs veloutés du crayon lithographique l'ayant conquis dès sa première tentative. Ainsi, les collectionneurs ont pu lester leurs cartons de quelques belles affiches, d'essence purement parisienne, comme celles de Chéret.

Cette qualité de Parisien, par lui si jalousement revendiquée, lui fut un jour officiellement confirmée par l'équipage unanime de l'antique nef lutécienne. Une salle de l'Hôtel de Ville lui était offerte...

D'autres peintres l'avaient précédé en ce lieu ; les gardiens du Municipe les avaient observés, servis par des aides nombreux ; aussi ne surent-ils assez s'étonner de voir le nouveau venu « tout faire par lui-même ». A la bonne heure ; c'était un artisan, celui-là ! Et, quand, midi venu, il les emmenait sans façon chez quelque poudreux conservateur de « saumur » ou de « beaujolais », hors de tout protocole, leur sympathie devenait vraiment fraternelle. C'est que Willette, comme tout aristocrate un peu subtil, adorait le peuple. Il se plaisait à le coudoyer, à susciter les preuves de sa bonhomie native. Du terrassier aux braies flottantes jusqu'au légendaire petit pâtissier, du cocher d'omnibus à la midinette et au garde municipal, il évoque tout le peuple de Paris, en ses fresques de l'Hôtel de Ville.

On entend sourdre de ses toiles le cri chantant des marchandes ; l'atmosphère désinvolte des carrefours, l'odeur même des marronniers en fleur et des frites, semblent prises au piège de la pâte, et fixées par le pinceau. C'est un hymne, une « geste » peinte. Elle rejoint cette autre geste : la Louise de Gustave Charpentier, proclamant une fois de plus que :

 

          les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

 

De même qu'il avait enluminé le premier cabaret du « Chat-Noir » (boulevard de Rochechouart), il pavoisa le second (rue Victor-Massé) au moyen d'un vitrail magistral, le Veau d'or : vaste paravent translucide qui se repliait à volonté, dispensant l'air des soirs d'été à ceux dont il avait provoqué la rêverie durant l'hiver.

 

 

 

la Veuve de Pierrot, peinture de Willette

 

 

Encore qu'il soit à ranger parmi les plus charmants décorateurs de ce temps, si Willette est universellement connu et admiré c'est surtout par ses innombrables dessins, dont les reproductions ont été répandues de toutes parts. Les périodiques sont nombreux, auxquels il collabora depuis sa sortie de l'École ; nombreux aussi, les livres qu'il dota d'un frontispice, parsema d'illustrations. Il serait difficile de le suivre pas à pas de rédaction en éditeur, et il convient de diviser en trois tranches principales sa production en faveur des journaux : le Chat-Noir (1882-1885), le Courrier français (1885-1900), et le Pierrot, qu'il fonda et édita lui-même en 1888. On considère généralement ses dessins du Chat-Noir comme la fleur de ses travaux graphiques.

La vérité, c'est qu'il s'est constamment renouvelé, et qu'il demeura d'esprit jeune jusqu'en présence de la mort.

Au début, évidemment, comme un jeune chevreau soudainement lâché, il gambade, ivre de soleil, pour l'unique plaisir de gambader. Et par miracle, chacune de ses cabrioles est harmonieuse et plaisante. Il se plut ensuite à franchir des obstacles, à mesurer ses bonds, les dédiant à telle idée, à telle cause, et les accompagnant parfois d'une ruade satirique. Ce qu'on ne lui reprochera pas, en tout cas, c'est d'avoir jamais sauté pour le roi de Prusse.

Parmi ses dessins célèbres, citons le Roman de la Rose, les Oiseaux meurent les pattes en l'air, V'là le choléra !, la Guillotine, et la réplique qu'il fit au crayon du beau portrait de son père, alors gouverneur des Invalides.

Il est le créateur de l'histoire ou du dessin sans légende que Caran d'Ache cultiva si heureusement, à l'imitation, croyait-on, du génial Bavarois Wilhelm Busch. Or, comme il le fait remarquer dans Feu Pierrot, le premier et si savoureux volume de ses Mémoires, tous les dessins qui composent les hilarantes « histoires » de Busch sont soulignés de quatrains ou de distiques ; tandis que, pour la première fois, avec le Roman de la Rose, l'œil des amateurs s'est régalé d'une pantomime dessinée. Mais il était trop espiègle, et trop jaloux de ses manières de voir, pour mépriser la légende quand il avait quelque chose de piquant à dire : libres, jaillis, ses croquis, en ce cas, sont la traduction immédiate de sa bouffonnerie, et ce naturel leur prête un ragoût incomparable. Hélas, que ne mit-il plus d'entêtement à vivre sa seconde vie imprimée, ce Père Duchêne bon enfant qu'il panacha de ses impayables petites images ! Jamais travail ne fut accompli avec plus de joie que celui qu'il consacra à cette feuille éphémère. On y constate, de surplus, la persistante alacrité d'une âme qui ne cessera pas d'être enfantine, car les légendes jetées à même ces croquetons dignes d'illustrer Rabelais sont d'une écriture toute semblable à celle qui commentait, trente ans plus tôt, la campagne du Mexique.

On ne trace pas le portrait, même sommaire, d'un tel fantaisiste, comme on ferait celui d'un jurisconsulte. Il y faut apporter des détails puérils en apparence, mais en réalité fort importants. Si l'on veut rappeler l'homme tel qu'il fut, on doit faire état des fils que le Destin employa à mouvoir, parmi d'autres pantins plus graves, une marionnette vraiment géniale. Et, pour que cette étiquette de génie ne soit pas contestée, il faut oser mentionner les faiblesses qui, justement, sont le contrepoids du génie, le balancier par le secours duquel il pourra franchir la corde raide au-dessus des foules requises de l'admirer.

A la façon de son maître Banville qu'il vénérait entre tous, Willette fut réellement un funambule et un jongleur. Bien qu'aucun démon de cabotinage ne le possédât, il aimait à se produire publiquement sous des aspects inattendus. Animé d'une passion « frégolique », on l'a vu, au cours de sa carrière si bellement fleurie, changer plus de vingt fois de physionomie. C'était, en même temps qu'un amusement, une manière d'afficher ses sentiments successifs. Aux cheveux « coupés à l'écuelle », comme ceux des vieux Flamands, succédait brusquement le crâne dénudé du pénitent. On l'a connu torero, carabinier, glabre comme un sacristain, plus moustachu qu'un policier, et, finalement, patriarcalement chevelu : tels l'évêque Miriel et Béranger le chansonnier. Il était tour à tour Javert, Fracasse ou Erasme, se coiffait tantôt d'un bonnet de police, tantôt d'un sombrero ou d'un béret. En wagon, lorsque son facies rasé s'y prêtait, il sortait subrepticement de sa poche une barrette sacerdotale, noire ou violette, et se la campait sur l'oreille pour lire, à la stupeur de ses compagnons de voyage, un journal anarchiste, ou simplement grivois.

Il fut longtemps l'un des animateurs de ces modernes panathénées connues sous le nom de « vachalcades », lesquelles, en dépit d'une appellation vulgaire, furent des manifestations d'art remarquables. Il n'y prenait point part personnellement, mais la place qu'il se réservait en marge des cortèges lui était prétexte à revêtir la pèlerine du sergent de ville, la robe du doge, ou quelque souquenille médiévale. Cela lui permettait d'exercer un esprit frondeur qu'il écoutait trop complaisamment parfois, de férir plus librement les têtes de Turc qu'il avait élues, et pour l'aplatissement desquelles il émietta prodigalement ses dons précieux.

Non par orgueil, mais dans le but de confondre ceux qu'il tenait pour des « pompiers », il sollicita — toujours en vain — le dignus intrare de l'Institut. D'autres honneurs, en revanche, lui étaient réservés, moins fallacieux qu'on ne l'imagine. Il fut jusqu'à sa mort président de la « République de Montmartre », et, à ce titre, chargé de présenter à la présidente de la vraie République, en son palais de l'Élysée, la petite déesse qui incarnait l'esprit de la Butte sacrée. D'autres fois, il conduisit la même divinité en des principautés, duchés ou républiques voisines, et ce, toujours avec l'assentiment des municipalités, et dans le déploiement des pompes officielles. On le voyait aussi, car les railleurs sont charitables, distribuer aux enfants pauvres les joujoux de l'arbre de Noël dressé chaque hiver par son camarade Poulbot et vaillamment étayé par l'infatigable Maurice Neumont. Il tirait de ces petites fêtes une jubilation sans seconde. Or, puisque le roi d'Yvetot, Saint-Marin et Andorre font désormais partie de l'Histoire, puisque le Salon des Humoristes jouit de la même estime que les Salons tout court, pourquoi considérerait-on ces amusements innocents d'un œil plus ironique que telles autres solennités émaillées d'écharpes, et retentissantes de « marseillaises » ? Pour la joie posthume de Willette et pour le bon renom de notre jugement, prenons donc au sérieux ce qu'il envisageait lui-même de cette manière.

Par le second tome de ses Mémoires, qu'on publiera un jour prochain, il saura nous récompenser de cet agrément, en nous prouvant qu'on peut, avec la « clef du Caveau » ouvrir le temple de Pallas Athènê, et forcer son coffre-fort d'un simple bout de crayon.

 

 

 

Valmy, affiche de Willette pour l'emprunt de la Victoire

 

 

De bref, on ne saurait mieux qualifier ce grand artiste qu'en le nommant un perpétuel collégien. De son séjour à Dijon, il avait gardé une amertume persistante. Morts ou vivants, les professeurs et les pions qui avaient cauchemardé son enfance, — comme celle de son frère le Dr Willette, non moins populaire à Montmartre, — les professeurs et les pions qu'il avait caricaturés, lui firent escorte jusqu'à son heure ultime. Soigneux de sa comptabilité rancunière, il leur adjoignit d'autres pions moins universitaires qu'il se créa, et qu'il ne cessa jamais de brocarder ; d'autres professeurs dont il constella la chaire de ses mordants graffiti. Leur silhouette grotesquement découpée, il n'a jamais renoncé à la coller, d'une boule de papier mâché, aux voûtes d'une « sorbonne » imaginaire, — car les vacances, pour lui, n'abolissaient pas les cuisants souvenirs.

A travers cent avatars divers qui lui valurent par le papier timbré, la négligence ou l'oubli, la perte de choses plus précieuses, il avait conservé pieusement sa tunique d'écolier dijonnais, — vêtement disgracieux, heureusement abandonné de nos jours, — et c'est avec cette tunique qu'il voulut être enseveli. En cet artiste prestigieux, c'est donc aussi le dernier collégien d'autrefois qu'il faut regretter.

  

(George Auriol, Larousse Mensuel Illustré, juin 1926)

 

 

 

 

 

Pierrot. - Mon rosier se meurt...

Le Peuple. - Viens chez nous, Pierrot. Chez nous, il y a encore du cœur et du plomb.

 

dessin de Willette pour le Courrier français (1896)

 

 

 

 

 

 

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