Carmen (Bizet)
Version anthologique
Denise Scharley (Carmen)
Renée Doria (Micaëla)
Gustave Botiaux (Don José)
Adrien Legros (Escamillo)
Chœurs et Orchestre dir. Erasmo Ghiglia
enr. en 1961
01. Prélude
02. Acte I. Habanera
03. Séguedille
04. Acte II. Chanson bohême
05. Couplets du Toréador
06. Air de la Fleur
07. Acte III. Trio des Cartes
08. Air de Micaëla
09. Duo José-Escamillo
10. Acte IV. Duo et Chœur final
Une légende solidement établie veut que Georges Bizet soit mort de chagrin à la suite de l'échec de Carmen. Rien ne parait moins vraisemblable lorsque l'on sait, d'une part, avec quelle sérénité Bizet fit toujours face à l'adversité et, d'autre part, que le jour même de sa mort, exactement trois mois après la création de son chef-d’œuvre, se donnait à l'Opéra-Comique la 33e représentation de ce dernier. Une moyenne de onze représentations par mois, ce n'est pas ce qu'on appelle un échec.
Si la première, le 3 mars 1875, ne fut point sifflée comme on l'a dit à tort, il n'en est pas moins vrai que l'accueil fut glacial. Le public, bourgeoisement habitué aux sucreries de rigueur salle Favart, fut quelque peu dérouté par le réalisme de l'ouvrage, réalisme souligné par le jeu de Galli-Marié, Carmen tour à tour voluptueuse, lascive, effrontée et cynique, et du ténor Lhérie, Don José puissamment dramatique dans « l'air de la fleur » et dans le duo final. Seuls, Mademoiselle Chapuy, charmante dans le rôle conventionnel de Micaëla, et Bouhy, blond et séduisant Escamillo, rassurèrent un peu les spectateurs. Après 50 représentations en un peu moins d'un an, Carmen quitta l'affiche de la Salle Favart, le nouveau directeur n'aimant pas l'ouvrage, mais ce fut pour s'imposer un peu partout de par le monde, surtout d'ailleurs dans sa version italienne.
A Vienne, le 23 octobre 1875, l'on en donnait une version mitigée, les récitatifs de Guiraud se substituant partiellement aux dialogues et la danse bohémienne de la Jolie fille de Perth étant intercalée au deuxième acte. A Bruxelles, le 8 février 1876, avec Mademoiselle Dérivis, décevante Carmen, qui fut vite remplacée par Galli-Marié. A Londres, au Her Majesty' s Theatre, le 22 juin 1878, avec Minnie Hauck, Alwina Valleria et Del Puente. Toujours en 1878, à Dublin, à New York, à Naples, à Florence, à Gand, à Berlin et même le 10 mars au Théâtre Italien de Saint-Pétersbourg. A Londres encore, mais cette fois-ci au Covent Garden, le 27 mai 1882, avec Pauline Lucca, Alwina Valleria et le Français Lestellier et le Belge Bouhy.
Devant cette véritable traînée de poudre, Paris ne pouvait indéfiniment bouder. Carvalho remit donc Carmen en scène à l'Opéra-Comique le 21 avril 1883, mais il crut bon, pour ne point choquer son public, d'édulcorer l'ouvrage et d'en confier le rôle-titre à Adèle Isaac, actrice de tout repos et soprano à la voix distinguée. On cria au chef-d'œuvre et Carvalho, ravi, s'empressa de remonter l'ouvrage selon sa vérité et de lui restituer avec Galli-Marié sa couleur primitive. Cette nouvelle reprise du 27 octobre 1883 fut un triomphe absolu, que près de 80 ans de représentations n'ont pas entamé.
Citons quelques jalons de cette route glorieuse à l'Opéra-Comique : la 500e, le 21 octobre 1891, avec Mesdames Nardi et Mollé-Truffier, Messieurs Lubert et Belhomme ; l'inauguration de la nouvelle Salle Favart, le 8 décembre 1898, avec Georgette Leblanc, Julia Guiraudon, Léon Beyle et Bouvet ; la 1 000e, le 23 décembre 1904, avec Emma Calvé, Marie Thiéry, Edmond Clément et Dufranne ; la 2 000e, le 29 juin 1930, avec Lucy Perelli, Germaine Corney, Micheletti et Roger Bourdin (chef, Albert Wolff) ; le centenaire de Bizet, le 25 octobre 1938, avec Renée Gilly, Solange Delmas, Mario Altéry et Martial Singher (chef, Eugène Bigot). Après avoir, durant 2.946 soirées, fait salle comble à l'Opéra-Comique, Carmen est entrée le 10 novembre 1959 au répertoire de l'Opéra où l'ouvrage avait déjà été affiché deux fois, le 11 novembre 1900 avec Marie Delna, Jeanne Tiphaine, Maréchal et Dufranne (chef, Luigini) et le 29 décembre 1907 avec Marguerite Mérentié, Marie Thiéry, Salignac et Noté (chef, Paul Vidal).
De tous les grands rôles lyriques, Carmen est sans doute celui qui a tenté le plus grand nombre de cantatrices. Toutes ont voulu le chanter, qu'elles soient sopranos lyriques, dramatiques, mezzos ou contraltos ; contentons-nous de citer les plus célèbres : Galli-Marié, Emma Calvé, Deschamps-Jehin, de Nuovina, de Lussan, Bressler-Gionoli, Delna, Bréval, Vix, Chenal, Garden, Raveau, Supervia, Tourel... Salle Favart et, à l'étranger : Maria Gay, Besanzoni, Farrar, Jeritza, Ponselle...
Considéré d'abord comme une « panne » par les ténors épris de belcanto, le rôle profondément humain et pathétique de Don José a connu bientôt d'illustres interprètes tels que de Reszké, Caruso, Alvarez, Saléza, Zenatello, Pertile, Martinelli, Muratore, Friant, Thill, Vezzani, Luccioni...