Fortunio (Messager)
Version anthologique
Liliane Berton : Jacqueline
Michel Sénéchal : Fortunio
Michel Dens : Clavaroche
Jean-Christophe Benoît : Maître André
Guy Godin : d'Azincourt
Pierre Germain : de Verbois
Orchestre de l'Association des Concerts Colonne dir Pierre Dervaux
Pathé DTX 30.197, enr. du 11 au 14 septembre 1961
Acte I.
01. Scène 4 "Or ça, nous sommes entre gens de guerre" (Clavaroche, de Verbois, d'Azincourt)
02. Scène 6 "Monsieur, je suis toute confuse" (Jacqueline, Clavaroche)
Acte II.
03. Scène 1 "Holà ! Jacqueline" (Jacqueline, Maître André)
04. Scène 2 "Ah ! quelle affaire !" (Jacqueline, Clavaroche)
05. Scène 5 "Monsieur, vous voyez une femme" (Jacqueline, Fortunio) [contient la romance "la Maison grise"]
Acte III.
06. Scènes 2 et 3 "Par la Saint-Sambreguoi" (Jacqueline, Clavaroche)
07. Scène 4 "Capitaine, je vous salue" (Jacqueline, Fortunio, Clavaroche, Maître André)
08. Scène 4 "Si vous croyez que je vais dire" (Fortunio)
09. Scène 7 "Elle m'aime" (Jacqueline, Fortunio, Clavaroche)
Acte IV.
10. Scène 1 "Lorsque je n'étais qu'une enfant" (Jacqueline)
En 1835, Alfred de Musset rompt définitivement avec George Sand. Rupture douloureuse mais nécessaire autant pour l'un que pour l'autre des deux amants. Quelques mois passeront et ce sera la naissance de deux chefs-d’œuvre : la Nuit de mai (Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur... Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.) et la Nuit de décembre. C'est une année lyrique, pathétique. Or, voici que, cette même année, paraît à la Revue des Deux Mondes une œuvre légère et charmante, une comédie en trois actes : le Chandelier. Sans doute, parce que rien ne naît dans l'âme d'un poète qui n'appartienne à son passé, même cette comédie lui a été inspirée par une aventure de son adolescence si proche encore. Aventure qui lui a laissé le plus cuisant des souvenirs, tant son amour-propre en a souffert.
Alors qu'il avait dix-sept ou dix-huit ans, le jeune poète s'est épris d'une ravissante personne qui présente toutes les qualités requises pour inspirer de grandes amours romantiques : elle est mariée, se refuse sans repousser complètement et, pour couronner le tout, elle est poitrinaire. Vaillamment, Musset se rend à ses rendez-vous galants et... platoniques, jusqu'au jour où il découvre qu'il n'est pas le seul hôte de la dame, que lui-même n'est que le chandelier. Un chandelier ? Qu'est cela ? Clavaroche, en 1835, nous expliquera « que c'est lui qui porte la... » En 1848, le Théâtre-Historique crée la pièce. Hélas, la jeune comédienne qui incarne Jacqueline meurt bientôt. Quant aux autres acteurs, mieux vaut pour eux que la Renommée n'ait pas retenu leurs noms : telle est, en tout cas, ce qu'affirme la rumeur publique. C'est donc au 29 juin 1850 qu'il faut dater la vraie première du Chandelier. Le Théâtre-Français a choisi les meilleurs de ses comédiens. Le grand Samson joue Maître André, Samson qui s'était si fort offusqué d'un « Rebonsoir, chère ! » venu tout droit du Caprice, mais qui est bien heureux maintenant de participer au succès. Fortunio, c'est le jeune Delaunay, future gloire, éternel jeune premier de notre première scène. Quant à Jacqueline, elle a pris tout naturellement les traits de celle à qui Musset doit tant : Mme Allan. Car c'est elle, Louise Allan-Despréaux, qui, jouant à Saint-Pétersbourg, a découvert le théâtre du grand poète, qui s'en est entichée, l'a joué et fait triompher.
Or, il se trouve que Fortunio doit chanter une romance : « Si vous croyez que je vais dire qui j'ose aimer... » Qui en fera la musique ? Eh bien, le chef d'orchestre de la Comédie-Française n'est-il pas là pour ça ? Et puis ne se pique-t-il pas de composer pour la scène ? Son nom : Jacques Offenbach. Parfait ! La chanson est composée. Hélas, Delaunay a bien du talent, comme comédien, mais pour ce qui est de chanter, c'est une autre affaire. Du coup, voilà la chanson supprimée. Mais Offenbach a de la suite dans les idées. Quelques années plus tard, il aura quitté la rue de Richelieu, il montre sa chanson à son ami Halévy. Pourquoi ne pas « habiller » ce petit chef-d'œuvre ? Crémieux la trouve lui aussi des mieux tournées. Ainsi naîtra la Chanson de Fortunio. Sans doute, Musset n'est-il évoqué que d'assez loin, du moins a-t-on sauvé la romance. Mais voyez comme le monde est fait. Dieu sait si Delaunay chantait mal. Ce n'était rien auprès de la chanteuse qui joue le rôle en travesti. Non pas qu'elle manque de voix, mais son accent fleure si bon le Midi qu'elle serait plus à son affaire en Mirejo qu'en Fortunio. Une deuxième fois, la malchanceuse romance sera abandonnée.
Cinquante années passeront. Le 5 juin 1907 l'Opéra-Comique affiche un nouveau Fortunio. Cette fois-ci, la pièce a été respectée. Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet ont habilement bâti leur livret sur la trame imaginée par Musset. Seule entorse : une première scène de « mise dans l'ambiance ». Le public, la presse leur en seront reconnaissants. Quant au compositeur, on imagine mal qui, mieux que Messager, offrirait des dons plus proches de l'esprit, du style de l'œuvre.
La dernière grande création d'André Messager avait été, en 1898, l'immortelle Véronique. Puis il s'était tu. Non pas qu'il n'ait plus rien a dire. Mais le musicien avait tenu à ménager toutes ses facultés, à les réserver à la création du chef-d’œuvre dont il sera le maître d'œuvre, qui sera sienne autant qu'à ses auteurs, Maeterlinck et Debussy, Pelléas et Mélisande, et qui vit le jour, salle Favart, en 1902.
Fernand Francell, alors débutant, obtint dans le rôle de l'amoureux de la belle notairesse Jacqueline son premier triomphe. Dès le soir de la répétition générale, la salle enthousiaste lui réclama « la vieille maison grise ». Par la suite, hélas, le public fut plus réticent. Messager souffrit particulièrement de cette indifférence, venant surtout de ceux-là mêmes qui ne lui ménageaient pas leurs ovations quand il montait au pupitre. Il affirmait, en effet, que quelle que soit la ferveur qu'il mettait à diriger les œuvres des autres, sa seule passion était la composition. En 1904, déjà, le succès de Madame Butterfly l'avait meurtri dans la mesure où sa chère Madame Chrysanthème en avait pâti. Pour Fortunio, du moins, eut-il l'admiration et les louanges de connaisseurs comme Debussy, Pierné, Reynaldo Hahn et Gabriel Fauré qui écrivit : « Avoir osé n'être que tendre, exquis spirituel, avoir osé sourire, alors que chacun s'applique à pleurer, c'est là une audace bien curieuse pour ce temps. »
Voici d'abord le mail d'une petite ville de province. Il est dix heures, un dimanche matin. Quelques officiers s'attablent au cabaret. Parmi eux, le capitaine Clavaroche qui s'enquiert des conquêtes possibles dans le pays. Quand paraîtra Jacqueline suivie de son mari Maître André, le sémillant officier devinera qu'elle sera sa proie. Les deux jeunes gens sympathisent effectivement, si bien même qu'ils obtiennent que le notaire invite à dîner le capitaine. Fortunio surviendra mais passera totalement inaperçu de celle qui va devenir sa patronne dès le lendemain. Par contre il sera instantanément pris sous le charme de la jeune femme.
Au deuxième acte, nous pénétrons dans la chambre de Jacqueline. Maître André réveille sa femme à qui il reproche de recevoir un homme quand la nuit est venue. Elle s'en défend mais, sitôt son mari sorti, rasséréné, elle s'empresse d'ouvrir la porte du placard où se dissimulait Clavaroche. Les amants décident de prendre un chandelier. Ce sera le nouveau clerc : Fortunio. Justement, le voici qui vient présenter ses hommages à sa patronne. Sa gentillesse, sa simplicité (il n'aime que sa « vieille maison grise ») plaisent d'emblée à Jacqueline qui obtient sans difficulté qu'il joue le rôle qu'elle lui demande.
Au troisième acte, nous verrons d'abord Clavaroche s'enquérir auprès de Jacqueline du sort de leur chandelier. Puis, ce sera la scène du goûter au cours de laquelle Fortunio sera prié de chanter une romance. Ce sera la fameuse chanson : « Si vous croyez que je vais dire... » Mais bientôt, nous comprendrons que Jacqueline s'est éprise du jeune clerc. On devine la joie du jeune homme. La nuit venue, Clavaroche informe Jacqueline qu'il a su que Maître André a tendu une embuscade pour surprendre l'amant de sa femme. Il faut que Fortunio soit surpris à sa place. Affolement de la jeune femme qui a déjà convoqué Fortunio pour cette nuit.
Le dernier acte nous ramène dans la chambre de Jacqueline. Fortunio paraît et déclare à la jeune femme qu'il a tout entendu qu'il sait ce qui l'attend et qu'il est résolu à mourir pour elle. Entendant du bruit, Jacqueline cache le garçon dans l'alcôve. Clavaroche et Maître André pénètrent dans la pièce. Ayant constaté que le placard est bien vide, le mari se retire suivi de l'amant.. La porte fermée, le verrou tiré, Fortunio sort de l'alcôve et reçoit dans ses bras sa belle patronne.
(Jacques Slyper ; pochette du disque)