LE MAGASIN

PITTORESQUE

 

 

DIRECTEURS

ÉMILE ET LOUIS FOUQUET

 

1907

 

53, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE, 53

PARIS

 

 

 

LE PHONOGRAPHE RÉVEILLE-MATIN

 

Certains journaux ont raconté, tout dernièrement, que M. Andrew Carnegie, le fameux roi de l'acier du nouveau monde, se faisait réveiller, chaque matin, par les sons mélodieux d'un harmonium automatique.

Nous ne saurions dire si cette information est exacte. Grand amateur de musique, M. Carnegie peut très bien avoir imaginé cet agréable moyen de quitter sans douleur les bras de Morphée, et nul ne sera tenté de contester les avantages de son système sur l'horrible et térébrante sonnerie du réveille-matin ordinaire à 4 fr. 95.

Malheureusement, rares sont ceux d'entre nous qui ont les moyens de s'offrir, à leur petit lever, un concert ou une valse exécutés par un harmonium électrique.

Nous devrons nous contenter, quant à présent, de l'appareil inventé par M. le docteur J. E. Hett, de Berlin, dans l'Ontario. C'est un phonographe réveille-matin, fort ingénieusement combiné, et de prix, sinon accessible à toutes les bourses, du moins à peu près abordable pour la plupart des travailleurs d'outre-Atlantique, dont les salaires sont, ainsi qu'on sait, assez supérieurs aux nôtres.

Le mécanisme en est des plus simples. Il consiste essentiellement en un ressort actionnant un levier qui est lui-même commandé par la roue des aiguilles d'un réveille-matin bien réglé. L'autre extrémité du levier se trouve reliée au commutateur de mise en marche du phonographe.

Le support, creux, en bois de hêtre, renferme une batterie d'accumulateurs, sous forme de trois piles sèches, et quand les aiguilles marquent l'heure indiquée, l'appareil se déclenche automatiquement et le cylindre se mettant aussitôt en mouvement, déroule ses ondes sonores dans le pavillon convenablement orienté vers le lit du dormeur.

M. J. E. Hett a même ajouté un dispositif qui rend l'appareil plus précieux encore. Au moment où le phonographe commence à chanter matines, une lampe électrique en miniature, de quatre volts, s'allume devant la pendule dont elle éclaire le cadran. C'est, tout à la fois, le chant du coq et le premier rayon de l'aurore, artificiellement obtenus à volonté...

L'appareil est, du reste, combiné de telle sorte qu'il est loisible d'en faire fonctionner indépendamment chacune des parties. Si l'on a besoin de savoir l'heure, dans le courant de la nuit, rien de plus facile que de pousser un bouton pour allumer la lampe. Ou bien, veut-on s'endormir aux sons d'une berceuse, voire d'un nocturne langoureux ? Il suffit de munir l'instrument du rouleau voulu et de le mettre en marche, au moment de s'endormir, en pressant légèrement une poire en caoutchouc raccordée par un tube flexible au ressort du commutateur.

Maintenant, on se demandera peut-être comment un médecin, comme le docteur Hett, a été amené à réaliser un appareil phono-chronométrique dont la conception ne semble pas, au premier abord, rentrer dans le domaine propre d'un disciple d’Esculape.

Expliquons donc que l'inventeur poursuivait depuis longtemps une série d'expériences sur le sommeil, sur les rêves et principalement sur l'influence des premières impressions sensorielles à l'instant précis du réveil. Après maints essais, sur lui-même et diverses personnes de tempéraments et d'âges différents, il est arrivé à cette double conclusion :

1° Que, d'une façon générale, ces impressions avaient une influence certaine, plus ou moins profonde suivant le degré d'émotivité du sujet ;

2° Que cette influence variait dans sa durée comme dans ses effets, suivant la qualité même, agréable, douce, violente ou pénible, de l'impression ressentie.

Si donc vous voulez commencer la journée sous d'heureux auspices et rester de bonne humeur le plus longtemps possible, réveillez-vous tous les matins aux sons de la marche de Sambre-et-Meuse, si vous êtes, Monsieur, de complexion sanguine ; ou de la Valse bleue, si vous êtes, Madame, d'humeur rêveuse.

 

 

ÉDOUARD BONNAFFÉ.

 

 

 

 

 

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