COMPTES RENDUS

DES SÉANCES

DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES.

 

 

SÉANCE DU LUNDI 11 MARS 1878.

PRÉSIDENCE DE M. FIZEAU.

 

 

 

ACOUSTIQUE. - Sur le phonographe de M. Edison. Note de M. DU MONCEL.

 

« Le phonographe de M. Edison, que j'ai l'honneur de présenter à l’Académie, a pour but, non seulement d'enregistrer les vibrations déterminées par la voix dans un téléphone, mais encore d'utiliser les traces produites à la reproduction phonétique des sons ou des paroles qui les ont provoquées.

« Pour obtenir ce résultat, M. Edison adapte devant un cylindre enregistreur, mis en mouvement d'une manière quelconque, une lame vibrante de téléphone, qui porte, par l'intermédiaire d'un support en caoutchouc, une pointe traçante soutenue d'autre part par une lame de ressort qui lui donne la raideur et l'élasticité convenables pour se prêter à la fois à la transmission et à la réception (1). Le cylindre, dont l'axe est muni d'un pas de vis pour lui faire accomplir un mouvement de translation suivant son axe, en même temps que s'effectue son mouvement de rotation présente à sa surface une petite rainure hélicoïdale, dont le pas est exactement celui de la vis qui fait avancer le cylindre et la pointe téléphonique s'y trouvant une fois engagée peut la parcourir dans tonte sa longueur. Une feuille de papier d'étain ou de cuivre très mince est appliquée exactement sur cette surface cylindrique et doit y être un peu déprimée, afin d'y marquer légèrement la trace de la rainure et de placer convenablement la pointe de la lame du téléphone. Celle-ci, d'ailleurs, appuie sur cette feuille sous une pression susceptible d'être réglée.

« Quand l'appareil est ainsi disposé, il suffit de parler fortement devant la lame téléphonique et de tourner rapidement le cylindre, pour qu'aussitôt les vibrations de la lame se trouvent enregistrées sur la feuille d'étain par une multitude de petits gaufrages imperceptibles et plus ou moins profonds, qui sont distribués tout le long de la rainure. Or ces gaufrages ont un relief suffisant pour que, repassant sous la pointe traçante de la lame téléphonique, ils puissent à leur tour faire vibrer celle-ci et lui faire reproduire les paroles ou les sons qui l'avaient d'abord impressionnée. Ces sons, étant amplifiés au moyen d'une sorte de porte-voix, peuvent être entendus à distance de l'instrument et plus distinctement que dans un téléphone ordinaire.

« Par ce système, on peut donc mettre la parole en portefeuille et l'on peut la reproduire dans tel ton qu'il convient suivant la vitesse de rotation que l'on donne au cylindre qui porte la dépêche. Si cette vitesse est la même que celle du cylindre qui l'a enregistrée, le ton des paroles reproduites est le même que celui des paroles qui ont été prononcées. Si elle est plus grande, le ton est plus élevé, et si elle est moins grande, le ton est plus bas ; mais on reconnaît toujours l'accent de celui qui a parlé. On peut aussi, en plaçant devant la lame vibrante un téléphone à ficelle, transmettre à distance la parole ainsi produite, et cette transmission peut même être effectuée à grande distance par l'intermédiaire d'un téléphone électrique, si l'on adapte à la lame téléphonique qui traduit la parole enregistrée un système de transmission électrique, ou simplement un téléphone ordinaire, pour lequel cette lame téléphonique jouerait le rôle de la voix.

« Comme le raccordement des feuilles d'étain sur un cylindre est toujours assez délicat à effectuer, M. Edison a cherché à obtenir les traces en question sur une surface plane, et il a obtenu ce résultat de la manière la plus heureuse, dans ce nouveau modèle, la plaque sur laquelle doit être appliquée la feuille d'étain ou de cuivre est creusée d'une rainure hélicoïdale en limaçon dont un bout correspond au centre de la plaque et l'autre bout aux côtés extérieurs, et cette plaque est mise en mouvement par un fort mécanisme d'horlogerie dont la vitesse est régularisée. Au-dessus de cette plaque est placée la lame du téléphone, qui est d'ailleurs disposée comme dans le premier appareil et peut accomplir un mouvement de translation du centre à la circonférence de la plaque. Enfin, quatre points de repère permettent de placer toujours et sans tâtonnement la feuille d'étain dans la véritable position qu'elle doit avoir.

« L'appareil que M. Edison présente à l'Académie a été disposé d'après le premier système, mais les expériences dont l'Académie a été témoin sont suffisantes pour montrer que le problème peut être aussi bien résolu avec le second système, car ce sont les mêmes effets qui sont en jeu. »

 

(1) Ce support en caoutchouc est nécessaire pour modérer les effets produits sur la pointe traçante par les trop grandes amplitudes des vibrations de la lame téléphonique. Déjà on est obligé d'atténuer un peu celles-ci au moyen de coussins de caoutchouc que l'on place entre la lame et les bords de l'embouchure de l'appareil téléphonique.

 

 

 

[Théodose-Achille-Louis, comte DU MONCEL, savant français (Paris, 1821-Paris, 1884). Il commença par faire des études archéologiques, puis s’occupa d’électricité. Il a découvert en 1857 la variation de résistance subie par le charbon au contact d’un métal, et qui est à l’origine du microphone ; il a inventé un thermostat, un galvanomètre enregistreur, un appareil d’enregistrement électrique des sons, etc. On lui doit le Téléphone, le Microphone et le Phonographe (Hachette, 1878), revu et corrigé sous le titre le Microphone, le Radiophone et le Phonographe (Hachette, 1882).]

 

 

 

 

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