BIBLIOTHÈQUE DES MERVEILLES
LE MICROPHONE
PAR
LE COMTE TH. DU MONCEL
OUVRAGE ILLUSTRÉ
DE 118 FIGURES DESSINÉES SUR BOIS
PAR B. BONNAFOUX ET E. CHAUVET
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1882
Le phonographe de M. Edison, qui a tant préoccupé les esprits il y a quatre ans, est un appareil qui, non seulement enregistre les diverses vibrations déterminées par la parole sur une lame vibrante, mais qui reproduit encore la parole d'après les traces enregistrées. La première fonction de cet appareil n'est pas le résultat d'une découverte nouvelle. Depuis bien longtemps, les physiciens avaient cherché à résoudre le problème de l'enregistration de la parole, et, en 1856, M. Léon Scott avait combiné un instrument bien connu des physiciens sous le nom de phonautographe, qui résolvait parfaitement la question ; cet appareil est décrit dans tous les traités de physique un peu complets. Mais la seconde fonction de l'appareil d'Edison n'avait pas été réalisée ni même posée par M. L. Scott, et nous nous étonnons que cet intelligent inventeur ait vu dans l'invention de M. Edison un acte de spoliation commis à son préjudice. Nous regrettons surtout pour lui, à qui, quoi qu'il en dise, tout le monde a rendu justice, qu'il ait à cette occasion publié, en termes amers, une sorte de pamphlet qui ne prouve absolument rien, et qui n'apprend que ce que tous les physiciens savent déjà. Si quelqu'un pouvait élever des prétentions à l'égard de l'invention du phonographe, du moins dans ce qu'il a de plus curieux, c'est-à-dire la reproduction de la parole, ce serait bien certainement M. Ch. Cros ; car dans un pli cacheté déposé à l'Académie des sciences, le 30 avril 1877, il indiquait en principe un instrument au moyen duquel on pouvait obtenir la reproduction de la parole d'après les traces fournies par un enregistreur du genre du phonautographe (1). Le brevet de M. Edison, dans lequel le principe du phonographe est indiqué pour la première fois, ne date en effet que du 31 juillet 1877, et encore ne s'appliquait-il qu'à la répétition des signaux Morse. Dans ce brevet, M. Edison ne fait que décrire un moyen d'enregistrer ces signaux par des dentelures effectuées par un style traceur sur une feuille de papier enveloppant un cylindre, et ce cylindre était creusé sur sa surface d'une rainure en spirale. Les dentelures ou gaufrages ainsi produits devaient être utilisés, d'après le brevet, pour transmettre automatiquement la même dépêche, en repassant sous un style capable de réagir sur un interrupteur de courant. Il n'est donc dans ce brevet nullement question de l'enregistration de la parole ni de sa reproduction ; mais comme le fait observer le Telegraphic Journal du 1er mai 1878, l'invention précédente lui donnait les moyens de résoudre ce double problème aussitôt que l'idée lui en serait venue. S'il faut en croire les journaux Américains, cette idée ne tarda pas à se faire jour, et elle aurait été le résultat d'un accident. Pendant des expériences qu'il faisait un jour avec le téléphone, un style attaché au diaphragme lui piqua le doigt au moment où le diaphragme entrait en vibration sous l'influence de la voix, et cette piqûre avait été assez forte pour que le sang en jaillit ; il pensa alors que, puisque les vibrations de ce diaphragme étaient assez fortes pour percer la peau, elles pourraient bien produire sur une surface flexible des gaufrages assez caractérisés pour représenter toutes les inflexions des ondes sonores provoquées par la parole, et il put croire que ces gaufrages pourraient même reproduire mécaniquement les vibrations qui les avaient provoquées, en réagissant sur une lame capable de vibrer à la manière de celle qu'il avait déjà employée pour la reproduction des signaux Morse. Dès lors le phonographe était découvert, car de cette idée, à sa réalisation, il n'y avait qu'un pas, et, en moins de deux jours, l'appareil était exécuté et expérimenté.
(1) Voici le texte du pli cacheté de M. Cros, ouvert sur sa demande à l'Académie des sciences, le 3 décembre 1877. Voir Comptes rendus, t. LXXXV, p. 1082.) « En général, mon procédé consiste à obtenir le tracé de va-et-vient d'une membrane vibrante et à se servir de ce tracé pour reproduire le même va-et-vient, avec ses relations intrinsèques de durées et d'intensités, sur la même membrane ou sur une autre appropriée à rendre les sons et bruits qui résultent de cette série de mouvements.
« Il s'agit donc de transformer un tracé extrêmement délicat, tel que celui qu'on obtient avec des index légers frôlant des surfaces noircies à la flamme, de transformer, dis-je, ces tracés en relief ou creux résistants capables de conduire un mobile qui transmettra ses mouvements à la membrane sonore.
« Un index léger est solidaire du centre de figure d'une membrane vibrante ; il se termine par une pointe (fil métallique, barbe de plume, etc.), qui repose sur une surface noircie à la flamme. Cette surface fait corps avec un disque animé d'un double mouvement de rotation et de progression rectiligne. Si la membrane est en repos, la pointe tracera une spirale simple ; si la membrane vibre, la spirale tracée sera ondulée, et ses ondulations présenteront exactement tous les va-et-vient de la membrane en leur temps et leur intensité.
« On traduit, au moyen de procédés photographiques actuellement bien connus, cette spirale ondulée et tracée en transparence, par une ligne de semblables dimensions tracée en creux ou en relief dans une matière résistante (acier trempé, par exemple).
« Cela fait, on met cette surface résistante dans un appareil moteur qui la fait tourner et progresser d'une vitesse et d'un mouvement pareils à ceux dont avait été animée la surface d'enregistrement. Une pointe métallique, si le tracé est en creux, ou un doigt à encoche, s'il est en relief, est tenu par un ressort sur ce tracé, et, d'autre part, l'index qui supporte cette pointe est solidaire du centré de figure de la membrane propre à produire des sons. Dans ces conditions, cette membrane sera animée, non plus par l'air vibrant, mais par le tracé commandant l'index à pointe, d'impulsions exactement pareilles en durée et en intensité, à celles que la membrane d'enregistrement avait subies.
« Le tracé spiral représente des temps successifs égaux par des longueurs croissantes ou décroissantes. Cela n'a pas d'inconvénients si l'on n'utilise que la portion périphérique du cercle tournant, les tours de spires étant très rapprochés ; mais alors on perd la surface centrale.
« Dans tous les cas, le tracé de l'hélice sur un cylindre est très préférable, et je m'occupe actuellement d'en trouver la réalisation pratique. »
Cette petite histoire est assez ingénieuse et fait bien dans le tableau, mais nous aimons à croire que cette découverte a été faite un peu plus sérieusement. En effet, un inventeur comme M. Edison, qui avait découvert l'électromotographe, et qui l'avait appliqué au téléphone, se trouvait par cette application même sur la voie du phonographe, et nous estimons trop M. Edison pour ajouter foi au petit roman Américain. D'ailleurs le phonautographe de M. L. Scott était parfaitement connu de M. Edison.
Ce n'est qu'au mois de janvier 1878 que le phonographe de M. Edison a été breveté. Par conséquent, au point de vue du principe de l'invention, M. Ch. Cros paraît avoir une priorité incontestable ; mais son système, tel qu'il est décrit dans son pli cacheté et tel qu'il a été publié dans la Semaine du Clergé du 10 octobre 1877, aurait-il été susceptible de reproduire la parole ?... Nous en doutons fort. Quand il s'agit de vibrations aussi accidentées, aussi complexes que celles qui sont exigées pour la reproduction des mots articulés, il faut que leur clichage soit en quelque sorte moulé par elles-mêmes, et leur reproduction artificielle doit forcément laisser échapper les nuances qui distinguent les fines liaisons du langage ; d'ailleurs, les mouvements déterminés par une pointe engagée dans une rainure suivant une courbe sinusoïde ne peuvent s'effectuer avec toute la liberté nécessaire au développement des sons, et les frottements exercés sur les deux bords opposés de la rainure seraient d'ailleurs souvent de nature à les étouffer. Un membre distingué de la Société de physique disait avec raison quand j'ai présenté le phonographe à cette Société, que toute l'invention de M. Edison résidait dans la feuille métallique mince sur laquelle les vibrations se trouvent inscrites, et effectivement, c'est grâce à cette feuille qui a permis de clicher directement les vibrations d'une lame vibrante, que le problème a pu être résolu ; mais il fallait penser à ce moyen, et c'est M. Edison qui l'a trouvé ; c'est donc lui qui est bien l'inventeur du phonographe.
Après M. Ch. Cros, et encore avant M. Edison, MM. Napoli et Marcel Deprez avaient cherché à construire un phonographe, mais leurs essais avaient été si infructueux qu'ils avaient cru un moment le problème insoluble, et quand on annonça à la Société de physique l'invention de M. Edison, ils la mirent en doute. Depuis, ils ont repris leurs travaux et nous font espérer qu'un jour ils pourront nous présenter un phonographe encore plus perfectionné que celui de M. Edison ; c'est ce que la suite nous dira.
En définitive, c'est M. Edison qui le premier a reproduit mécaniquement la parole, et a réalisé par ce fait une des plus curieuses découvertes de notre époque ; car elle a pu nous montrer que cette reproduction est beaucoup moins compliquée qu'on pouvait le supposer. Cependant il ne faut pas s'exagérer les conséquences théoriques de cette découverte qui n'a pas du tout démontré, suivant moi, que nos théories sur la voix fussent inexactes. Il faut, en effet, établir une grande différence entre la reproduction d'un son émis et la manière de déterminer ce son. La reproduction pourra être effectuée d'une manière très simple, comme le disait M. Bourseul, du moment où l'on aura trouvé un moyen de transmettre les vibrations de l'air, quelque compliquées qu'elles puissent être ; mais pour produire par la voix les vibrations compliquées de la parole, il faudra la mise en action de plusieurs organes particuliers, d'abord des cordes du larynx, en second lieu, de la langue, des lèvres, du nez, des dents mêmes, et c'est pourquoi une machine réellement parlante est forcément très compliquée.
On s'est étonné que la machine parlante qui nous est venue, il y a quelques années d'Amérique, et qui a été exhibée au Grand-Hôtel, fût d'une extrême complication, alors que le phonographe résolvait le problème d'une manière si simple : c'est que l'une de ces machines ne faisait que reproduire la parole, tandis que l'autre l'émettait, et l'inventeur de cette dernière machine avait dû, dans son mécanisme, mettre à contribution tous les organes qui, dans notre organisme, concourent à la production de la parole. Le problème était infiniment plus complexe, et l'on n'a pas accordé à cette invention tout l'intérêt qu'elle méritait. Nous la décrirons du reste plus loin.
Il est temps de décrire le phonographe et les diverses applications qu'on en a faites et qu'on pourra en faire dans l'avenir.
Fig. 88
Description du phonographe. - Manière de s'en servir. - Le premier modèle de cet appareil, celui qui est le plus connu et que nous, représentons figure 88, se compose simplement d'un cylindre enregistreur R, mis en mouvement au moyen d'une manivelle M tournée à la main, et devant lequel est fixée une lame vibrante munie antérieurement d'une embouchure de téléphone E et, sur sa face postérieure, d'une pointe traçante ; cette pointe traçante que l'on voit en s dans la figure 90, qui représente la coupe de l'appareil, n'est pas fixée directement sur la lame; elle est portée par un ressort r, et entre elle et la lame vibrante est adapté un tampon de caoutchouc c, constitué par un bout de tube ; lequel a pour mission de transmettre à la pointe s les vibrations de la lame sans les étouffer. Un autre tampon r, placé entre la lame LL et le support rigide de la pointe, tend à atténuer un peu ces vibrations qui seraient presque toujours trop fortes sans cette précaution.
Le cylindre, dont l'axe AA, figure 88, est muni d'un pas de vis pour lui faire accomplir un mouvement de translation horizontal à mesure que s'effectue son mouvement de rotation sur lui-même, présente à sa surface une petite rainure hélicoïdale dont le pas est exactement celui de la vis qui le fait avancer, et la pointe traçante s'y trouvant une fois engagée, peut la parcourir sur une plus ou moins grande partie de sa longueur, suivant le temps plus ou moins long qu'on tourne le cylindre. Une feuille de papier d'étain ou de cuivre très mince P est appliquée exactement sur cette surface cylindrique, et doit y être un peu déprimée afin d'y marquer légèrement la trace de la rainure et de placer convenablement la pointe de la lame vibrante. Celle-ci, d'ailleurs, appuie sur cette feuille sous une pression qui doit être réglée, et, c'est à cet effet, aussi bien que pour dégager le cylindre quand on doit placer ou retirer la feuille d'étain, qu'a été adopté le système articulé SN qui soutient le support S de la lame vibrante. Ce système, comme on le voit, se compose d'un levier articulé qui porte une rainure dans laquelle s'engage la vis R. Un manche N qui termine ce levier, permet, quand la vis R est desserrée, de faire pivoter le système traçant. Conséquemment, pour régler la pression de la pointe traçante sur la feuille de papier d'étain, il suffit d'engager plus ou moins la vis R dans la rainure, et de la serrer fortement quand le degré convenable de pression est obtenu.
Telle est la planche sur laquelle la parole viendra tout à l'heure se graver en caractères durables, et voici comment fonctionne ce système si peu compliqué.
Fig. 89
On parle dans l'embouchure E de l'appareil, comme on le fait dans un téléphone ou dans un tube acoustique, mais avec une voix forte et accentuée et les lèvres appuyées contre les parois de l'embouchure, comme on le voit figure 89 ; on tourne en même temps le cylindre qui, pour avoir un mouvement régulier, est muni d'un lourd volant V (fig. 88). Sous l'influence de la voix, la lame LL (fig. 90) entre. en vibration et fait manœuvrer la pointe traçante, qui, à chaque vibration, déprime la feuille d'étain et détermine un gaufrage plus ou moins creux, plus ou moins accidenté, suivant l'amplitude de la vibration et ses inflexions. Le cylindre qui marche pendant ce temps, présente successivement à la pointe traçante les différents points de la rainure dont il a été question plus haut, de sorte que, quand on est arrivé au bout de la phrase prononcée, le dessin pointillé, composé de creux et de reliefs successifs que l'on a obtenus, représente l'enregistration de la phrase elle-même. En ce qui concerne l'enregistrement, l'opération est donc terminée, et en détachant la feuille de l'appareil, la parole pourrait être mise en portefeuille. Voyons maintenant comment l'appareil arrive à répéter ce qu'il a si facilement inscrit.
Fig. 90
Pour cela, il s'agit de recommencer tout simplement la même manœuvre, et le même effet se reproduit identiquement en sens inverse. On replace le style traçant à l'extrémité de la rainure qu'il a déjà parcourue, et l'on remet le cylindre en marche ; les traces gaufrées en repassant sous la pointe tendent à la soulever et à lui communiquer un mouvement qui ne peut être que la répétition de celui qui les avait primitivement provoquées, et la lame vibrante, obéissant à ce mouvement, entre en vibration, reproduisant ainsi les mêmes sons, et, par suite, les mêmes paroles ; toutefois, comme il y a nécessairement perte de force dans cette double transformation des effets mécaniques, on est obligé, pour obtenir des sons plus forts, d'adapter à l'embouchure E, (figure 88), le cornet C qui est une sorte de porte-voix. Dans ces conditions, la parole reproduite par l'appareil peut être entendue de tous les points d'une salle, et rien n'est plus saisissant que d'entendre cette voix, un peu grêle, il est vrai, qui semble venir d'outre-tombe pour formuler ses sentences. Si cette invention eût été faite au moyen âge, on en aurait bien certainement fait l'accompagnement des fantômes, et elle aurait donné beau jeu aux faiseurs de miracles.
Comme la hauteur des sons dans l'échelle musicale dépend du nombre des vibrations effectuées par un corps vibrant dans un temps donné, la parole peut être reproduite par le phonographe sur un ton plus ou moins élevé suivant la vitesse de rotation que l'on donne au cylindre qui porte la feuille impressionnée. Si cette vitesse est la même que celle qui a servi à l'enregistration, le ton des paroles reproduites est le même que celui des paroles prononcées. Si elle est plus grande, le ton est plus élevé, et si elle est moins grande, le ton est plus bas : mais on reconnaît toujours l'accent de celui qui a parlé. Cette particularité fait qu'avec les appareils tournés à la main, la reproduction des chants est le plus souvent défectueuse, et l'appareil chante faux. Il n'en est plus de même quand l'appareil se meut sous l'influence d'un mouvement d'horlogerie parfaitement régularisé, et l'on a pu obtenir de cette manière des reproductions satisfaisantes de duos chantés.
La parole enregistrée sur une feuille d'étain peut se reproduire plusieurs fois, mais à chaque fois les sons deviennent plus faibles et moins distincts, parce que les reliefs s'affaissent de plus en plus. Avec une lame de cuivre, ces reproductions sont meilleures, mais, pour les obtenir indéfiniment, il faut faire clicher ces lames et, dans ce cas, la disposition de l'appareil doit être différente.
On a essayé de faire parler le phonographe en prenant les enregistrations à rebours de leur véritable sens ; on a obtenu naturellement des sons ri ayant aucune ressemblance avec les mots émis ; cependant MM. Fleeming Jenkin et Ewing ont remarqué que non seulement les voyelles ne sont pas altérées par cette action inverse, mais encore que les consonnes, les syllabes et des mots tout entiers peuvent être reproduits avec l'accentuation que leur donnerait leur lecture si elle était faite à rebours.
Les sons produits par le phonographe, quoique plus faibles que ceux de la voix qui a déterminé les traces enregistrées, sont néanmoins assez forts pour réagir sur des téléphones à ficelle et même sur des téléphones Bell, et comme dans ce cas les sons sont éteints sur l'appareil et qu'il n'y a que l'auditeur qui est en rapport avec le téléphone qui les perçoit, on peut être assuré qu'aucune supercherie n'a pu être employée pour les produire.
Quand je présentai le 11 mars 1878 le phonographe à l'Académie des sciences de la part de M. Edison, et que M. Puskas, son représentant, eût fait parler ce merveilleux instrument, un murmure d'admiration se fit entendre de tous les points de la salle, et ce murmure se changea bientôt en applaudissements répétés. « Jamais, écrivait à un journal une des personnes présentes à la séance, on n'avait vu la docte Académie, ordinairement si froide, se livrer à un épanchement si enthousiaste. Pourtant quelques membres incrédules par nature, au lieu d'examiner le fait physique, voulurent le déduire de considérations morales et d'analogies, et bientôt on entendit dans la salle une rumeur qui semblait accuser l'Académie de s'être laissée mystifier par un habile ventriloque. Décidément l'esprit gaulois se retrouve toujours chez les Français et même chez les académiciens. Les sons émis par l'instrument sont exactement ceux des ventriloques, disait l'un. Avez-vous remarqué les mouvements des lèvres et de la figure de M. Puskas quand il tourne l'appareil ?... disait l'autre : ne sont-ce pas les grimaces des ventriloques ? Il peut se faire que l'appareil émette des sons, disait encore un autre, mais l'appareil est considérablement aidé par celui qui le manœuvre ! Bref, le bureau de l'Académie demanda à M. du Moncel de faire lui-même l'expérience, et comme il n'avait pas l'habitude de parler dans cet appareil, l'expérience fut négative, à la grande joie des incrédules. Toutefois quelques académiciens, désirant fixer leurs idées sur ce qu'il y avait de vrai dans ces effets, prièrent M. Puskas de répéter devant eux les expériences dans le cabinet du secrétaire perpétuel et dans les conditions qu'ils lui indiqueraient. M. Puskas se prêta à ce désir, et ils revinrent de là parfaitement convaincus. Néanmoins les incrédules ne se tinrent pas pour battus, et il fallut qu'ils fissent eux-mêmes les expériences pour accepter définitivement ce fait que la parole pouvait être reproduite dans des conditions excessivement simples. »
Cette petite anecdote que je viens de raconter ne peut certes pas être interprétée en défaveur de l'Académie des sciences ; car son rôle est avant tout de conserver intacts les vrais principes de la science et de n'accueillir les faits qui peuvent provoquer l'étonnement qu'après un examen scrupuleux. C'est grâce à cette attitude qu'elle a pu donner un crédit absolu à tout ce qui émane d'elle, et nous ne saurions trop l'approuver de se maintenir ainsi sur la réserve et en dehors d'un premier moment d'enthousiasme et d'engouement.
Le peu de réussite de l'expérience que j'avais tentée à l'Académie provenait uniquement de ce que je n'avais pas parlé assez près de la lame vibrante, et que mes lèvres ne touchaient pas les parois de l'embouchure. Quelques jours après, sur l'invitation de plusieurs de mes confrères, je fis des expériences répétées avec l'appareil, et je parvins bientôt à le faire parler aussi bien que celui qu'on accusait de ventriloquie ; mais je reconnus en même temps qu'il fallait une certaine habitude pour être sûr des résultats produits. Il y a aussi des mots qui sont reproduits beaucoup mieux que d'autres. Ceux qui renferment beaucoup de voyelles et beaucoup d'R viennent bien mieux que ceux où les consonnes dominent et surtout que ceux où il y a beaucoup d'S. On ne doit donc pas s'étonner, comme l'on fait plusieurs personnes, que même avec la grande habitude que possède le représentant de M. Edison, certaines phrases prononcées par lui s'entendaient mieux que d'autres.
Un des résultats les plus étonnants que le phonographe a produits, a été la répétition simultanée de plusieurs phrases en langues différentes dont l'enregistration avait été superposée. On a pu obtenir jusqu'à trois de ces phrases ; mais pour pouvoir les distinguer au milieu du bruit confus résultant de leur superposition, il fallait que des personnes différentes, en faisant une attention spéciale à chacune des phrases inscrites, pussent les séparer et en comprendre le sens. On a pu même superposer des airs chantés aux phrases prononcées, et la séparation devenait dans ce cas plus facile.
Fig. 91
Il y a plusieurs modèles de phonographes. Celui que nous avons représenté figure 88 est le modèle qui a servi pour les expériences publiques ; mais il est un modèle plus petit que l'on vend principalement aux amateurs, et dans lequel le cylindre, beaucoup moins long, sert à la fois d'enregistreur et de volant. Cet appareil que nous représentons figure 91, donne de très bons résultats, mais il ne peut enregistrer que des phrases courtes. Dans ce modèle, comme du reste dans l'autre, on peut rendre l'enregistration de la parole beaucoup plus facile en adaptant dans l'embouchure un petit cornet en forme de porte-voix allongé ; les vibrations de l'air sont alors plus concentrées sur la lame vibrante et agissent plus vigoureusement. Il parait aussi que l'appareil gagne à avoir une lame vibrante peu épaisse, et l'on a reconnu qu'on pouvait adapter directement la pointe traçante sur la lame.
Je ne parlerai pas d'une manière spéciale du phonographe à mouvement d'horlogerie. C'est un appareil exactement semblable à celui de la figure 88, seulement il est monté sur une table spéciale un peu haute de pieds, pour donner au poids du mouvement d'horlogerie une course suffisante ; le mécanisme est adapté directement sur l'axe du cylindre au lieu et place de la manivelle, et il est régularisé par un volant à ailettes. Celui qu'on a adopté est un volant d'un système anglais ; mais nous croyons que le régulateur à ailettes de M. Villarceau serait préférable.
Fig. 92
Comme le raccordement des feuilles d'étain sur un cylindre est toujours délicat à effectuer, M. Edison a cherché à obtenir les traces de la feuille d'étain sur une surface plane, et il a obtenu ce résultat de la même manière que M. Cros, au moyen de la disposition que nous représentons figure 92. Dans ce nouveau modèle, la plaque sur laquelle doit être appliquée la feuille d'étain ou de cuivre est creusée d'une rainure hélicoïdale, en limaçon, dont un bout correspond au centre de la plaque et l'autre bout aux côtés extérieurs, et cette plaque est mise en mouvement par un fort mécanisme d'horlogerie dont la vitesse est régularisée proportionnellement à l'allongement des spires de l'hélice. Au-dessus de cette plaque est placée la lame vibrante, qui est d'ailleurs disposée comme dans le premier appareil, et dont la pointe traçante peut, par suite d'un mouvement de translation communiqué au système, suivre la rainure en limaçon depuis le centre de la plaque jusqu'à sa circonférence. Enfin quatre points de repère permettent de placer toujours et sans tâtonnements la feuille d'étain dans la véritable position qu'elle doit avoir. La figure 93 montre comment cette feuille peut être retirée de l'appareil.
Fig. 93
Dans ces derniers temps, plusieurs savants et constructeurs se sont occupés d'établir des phonographes sur ce dernier principe, et ils y sont, à ce qu'il paraît, parvenus. De ce nombre sont MM. Saint-Loup et G. Gamard. Dans le phonographe de M. Saint-Loup, les tracés sont en spirale d'Archimède, allant du centre à la circonférence du plateau, et il a été combiné de telle sorte que pendant le mouvement de rotation uniforme de l'arbre moteur, la vitesse linéaire relative du style inscripteur reste constante. Dans toutes les positions du style, les chemins parcourus par le style sur le plateau dans des temps égaux restent équidistants. Il est construit chez M. Ducretet au prix de 300 francs.
Le phonographe de M. G. Gamard, qui est également à plateau, est à mouvement rectiligne et à feuilles de cuivre. Il se compose d'un plateau horizontal sur lequel peuvent se placer, les unes à la suite des autres, une série de règles mobiles auxquelles on donne le mouvement au moyen d'une crémaillère fixée sur leur face inférieure, et s'adaptant instantanément à une roue dentée munie d'une manivelle. Au centre de chacune de ces règles, se place à volonté une petite tringle en cuivre creusée d'une rainure sur laquelle on fixe d'une manière permanente (si on le désire) la légère feuille de cuivre ou d'argent destinée à recevoir les enregistrations, et c'est au-dessus de ce système, que repose la plaque vibrante munie de son style enregistreur. Les choses étant ainsi disposées, si l'on vient à parler dans le phonographe en mettant la première règle en marche, le son se grave profondément sur la feuille de métal, et il suffit de faire succéder les unes aux autres un nombre de règles suffisant, pour prolonger l'expérience aussi longtemps qu'on le désire, comme dans les pianos mécaniques de Debain.
Pour obtenir à diverses reprises la répétition sonore des sons enregistrés, il suffit, chaque fois qu'on ne veut pas les entendre, de retirer des règles mobiles les tringles volantes sur lesquelles se trouvent fixées les feuilles métalliques, et de les y replacer quand on veut de nouveau faire résonner les feuilles métalliques portant les enregistrations.
La feuille de cuivre ou même d'argent est bien suffisante pour conserver longtemps la trace des gaufrages qui y ont été tracés, et, ce qui est le plus remarquable, les gaufrages, dans ces conditions, donnent aux sons émis une beaucoup plus grande sonorité. On remarquera que la rigidité de ces feuilles n'en permet pas facilement l'emploi dans l'appareil Américain, mais il n'en est plus de même dans le nouvel appareil où elles s'appliquent de la manière la plus facile.
Il ne faudrait pas croire que toutes les feuilles d'étain employées pour les enregistrations phonographiques soient également bonnes, il faut que ces feuilles contiennent une certaine quantité de plomb et présentent une certaine épaisseur. Les feuilles d'étain qui enveloppent le chocolat, et même toutes celles que l’on trouve en France, sont trop riches en étain et trop minces pour donner de bons résultats, et M. Puskas a été obligé d'en faire venir d'Amérique pour continuer à Paris ses expériences. Jusqu'ici les proportions de plomb et d'étain n'ont pas encore été bien définies, et c'est l'expérience qui permet de décider le choix des feuilles ; mais quand le phonographe sera plus répandu, il faudra évidemment que ce travail soit effectué, et cela sera facile en analysant la composition des feuilles qui auront fourni les meilleurs résultats.
La disposition de la pointe traçante est aussi une question très importante pour le bon fonctionnement d'un phonographe. Elle doit être très ténue et très courte (un millimètre de longueur tout au plus), afin qu'elle puisse enregistrer nettement les vibrations les plus minimes de la lame vibrante sans se courber et vibrer dans un autre sens que le sens normal au cylindre, ce qui pourrait arriver si elle était longue, en raison des frottements inégaux exercés sur la feuille d'étain. Il a fallu aussi la construire avec un métal ne pouvant facilement provoquer des déchirures sur la feuille métallique. Le fer a paru réunir le mieux les conditions voulues.
Le phonographe n'est du reste qu'à son début, et il est possible que d'ici à peu de temps, il puisse être dans des conditions convenables pour enregistrer la parole sans qu'on ait besoin de parler dans une embouchure. S'il faut en croire les journaux, M. Edison aurait, déjà trouvé le moyen de recueillir, sans le secours d'un tuyau acoustique, les sons émis à une distance de 5 à 4 pieds de l'appareil et de les imprimer sur une feuille métallique. De là à inscrire sur l'appareil un discours prononcé dans une grande salle, à une distance quelconque du phonographe, il n'y a qu'un pas, et si ce pas était fait, la phonographie pourrait avantageusement remplacer la sténographie. Mais nous ne voyons pas jusqu'ici que ces annonces des journaux se soient confirmées.
Nous publions dans la note ci-dessous les instructions que le constructeur de ces machines, donne aux acquéreurs pour les initier à la manœuvre de l'appareil (2).
(2) Ne jamais établir le contact entre le stylet et le cylindre avant que celui-ci soit recouvert de la feuille d'étain.
Ne commencer à tourner le cylindre qu'après s'être assuré que tout est en place. Avoir toujours soin, en faisant revenir le stylet, au point de départ, de ramener l'embouchure en avant.
Laisser toujours une marge de 5 à 10 millimètres à la gauche et au commencement de la feuille d'étain, car si le stylet décrivait la courbe sur le bord extrême du cylindre, il pourrait déchirer le papier ou sortir de la rainure.
Avoir soin de ne pas détacher le ressort du coussin en caoutchouc.
Pour placer la feuille d'étain sur le cylindre, enduire l'extrémité de la feuille avec du vernis au moyen d'un pinceau, prendre cette extrémité entre le pouce et l'index de la main gauche, le côté gommé vers le cylindre, la relever avec la main droite et la tendre fortement en l'appliquant contre le cylindre de façon à bien lisser le papier ; appliquer alors le bout gommé sur l'autre extrémité et les réunir fortement.
Pour ajuster le stylet et le placer au centre de la rainure, ramener le cylindre vers la droite afin de mettre le stylet en face de l'extrémité gauche de la feuille de métal, faire avancer doucement et peu à peu le cylindre jusqu'à ce que le stylet touche la feuille d'étain avec assez de force pour y laisser une trace.
Observer si cette trace est bien agi centre de la rainure (pour cela avec l'ongle rayer en travers le cylindre), sinon, ajuster le stylet à gauche ou à droite au moyen de la petite vis placée au haut de l'embouchure.
La meilleure profondeur à donner à la trace du stylet est de 1/3 de millimètre, c'est-à-dire juste assez pour que le stylet, quelle que soit l'ampleur des vibrations de la plaque, laisse toujours une légère trace sur la feuille.
Pour reproduire les mots, faire en sorte de tourner la manivelle avec la même vitesse que lors de l'inscription ; la vitesse moyenne doit être de 80 tours par minute.
Pour parler dans l'appareil, appuyer la bouché contre l'embouchure, les sons gutturaux ou la voix de poitrine se gravent mieux que la voix de fausset.
Pour reproduire les sons, desserrer la vis de pression et ramener en avant l'embouchure ; faire revenir le cylindre au point de départ, rétablir le contact entre la pointe du stylet et la feuille, faire tourner de nouveau le cylindre dans le même sens que lorsque la phrase a été prononcée.
Pour augmenter le volume du son restitué, appliquer sur l'embouchure un cornet en carton, en bois ou en corne, de forme conique, dont l'extrémité inférieure sera un peu plus large que l'ouverture placée devant la plaque vibrante.
Le stylet est fait d'une aiguille n° 9 un peu aplatie sur les deux côtés par frottement sur une pierre huilée. Il est facile de construire un stylet ; d'ailleurs la maison en a de rechange à la disposition de ses clients.
Le coussin de caoutchouc qui réunit la plaque au ressort sert à atténuer les vibrations de la plaque.
Dans le cas où ce coussin viendrait à se détacher, chauffer la tête d'un petit clou, l'appuyer sur la cire qui colle le coussin à la plaque ou au ressort jusqu'à ce que cette cire soit amollie, et alors, après avoir retiré le clou, presser légèrement le caoutchouc sur la partie décollée jusqu'à ce que, étant refroidie, la cire fasse adhérer le coussin à la plaque ou au ressort.
Avoir soin de renouveler de temps à autre ces coussins qui, par l'usage, perdent de leur élasticité.
En les remplaçant, faire attention à ne pas abîmer la plaque vibrante, soit par une pression trop forte, soit par une éraflure avec l'instrument qui servira à maintenir le coussin.
Commencer les expériences par des mots isolés ou par des phrases très courtes, et les augmenter au fur et à mesure que l'oreille s'habitue au timbre particulier de l'appareil.
Varier les intonations et faire reproduire les phrases ou les airs sur des tons différents en accélérant ou en ralentissant le mouvement de rotation du cylindre.
Imiter les cris d'animaux (coq, poule, chien, chat, etc.).
Faire jouer dans l'embouchure devant laquelle on aura au préalable placé un cornet en carton, des instruments en cuivre.
Autant que possible jouer des airs sur mesure rapide, leur reproduction parfaite, sans mouvement d'horlogerie, étant plus facile à obtenir que celle des airs lents.
Considérations théoriques. - Bien que les explications que nous avons données précédemment soient suffisantes pour faire comprendre les effets du phonographe, il est une question curieuse qui ne laisse pas que d'étonner beaucoup les physiciens, c'est celle-ci : Comment se fait-il que des gaufrages effectués sur une surface aussi peu résistante que l'étain, puissent, en repassant sous la pointe traçante qui présente une rigidité relativement grande, déterminer de sa part un mouvement vibratoire sans se trouver complètement écrasés ? A cela nous répondrons qu'en raison de l'extrême rapidité du passage de ces traces devant la pointe, il se développe des effets de force vive qui n'agissent que localement, et que, dans ces conditions, les corps mous peuvent exercer des effets mécaniques aussi énergiques que les corps durs. Qui ne se rappelle cette curieuse expérience relatée tant de fois dans les traités de physique, d'une planche percée par une chandelle servant de balle à un fusil ? Qui ne se rappelle les accidents produits à diverses reprises par des bourres de papier projetées par les armes à feu ? Dans ces conditions, le mouvement communiqué aux molécules qui reçoivent le choc n'ayant pas le temps d'être transmis à toute la masse du corps auquel elles appartiennent, ces molécules sont obligées de s'en séparer ou tout au moins de déterminer, quand le corps est susceptible de vibrer, un centre de vibration qui, propageant ensuite des ondes sur toute sa surface, détermine des sons.
Fig. 94
Plusieurs savants, entre autres MM. Preece et Mayer, ont cherché à étudier avec soin la forme des gaufrages laissés par la voix sur la lame d'étain du phonographe, et ont reconnu que ces formes ressemblaient beaucoup à celles des flammes chantantes si bien dessinées avec les appareils de M. Kœnig. Voici ce que dit à cet égard M. Mayer dans le Popular Science Monthly d'avril 1878 :
« Par la méthode suivante, j'ai pu parvenir à reproduire sur du verre enfumé de magnifiques traces montrant le profil des vibrations sonores enregistrées sur la feuille d'étain avec leurs différentes sinuosités. J'adapte pour cela au ressort supportant la pointe traçante du phonographe, une tige longue et légère terminée par une pointe qui appuie de côté sur la lame de verre enfumé, et qui peut, par suite de la position verticale de celle-ci et d'un mouvement qui lui est communiqué, déterminer des traces sinusoïdes. Par cette disposition, on obtient donc simultanément, quand le phonographe est mis en action, deux systèmes de traces dont les unes sont le profil des autres.
« L'instrument a été en ma possession pendant si peu de temps que je n'ai pu faire autant d'expériences que je l'aurais voulu ; mais j'ai néanmoins pu étudier quelques-unes de ces courbes, et il m'a semblé que les contours enregistrés avaient, pour un même son, une grande ressemblance avec ceux des flammes chantantes de Kœnig.
« La figure 94 représente les traces correspondantes au son de la lettre A prononcé bat dans les trois systèmes d'enregistration. Celles qui correspondent à la ligne A sont la reproduction agrandie des traces laissées sur la feuille d'étain ; celles qui correspondent à la ligne B, en représentent les profils sur la feuille de verre noirci. Enfin celles qui correspondent à la ligne C montrent les contours des flammes chantantes de Kœnig, quand le même son est produit très près de la membrane de l'enregistreur. Je dis très près avec intention, car la forme des traces produites par une pointe attachée à une membrane vibrante sous l'influence de sons composés, dépend de la distance séparant la membrane de la source du son, et l'on peut obtenir une infinité de traces de forme différente en variant cette distance. Il arrive, en effet, qu'en augmentant cette distance, les ondes sonores résultant de sons composés réagissent sur la membrane à différentes époques de leur émission. Par exemple, si le son composé est formé de six harmoniques, le déplacement de la source des vibrations de 1/4 de longueur d'onde de la première harmonique, éloignera la seconde, la troisième, la quatrième, la cinquième et la sixième harmonique de 1/2, 3/4, 1, 11/4, 11/2 de longueur d'onde, et par conséquent les contours résultant de la combinaison de ces ondes ne pourront plus être les mêmes qu'avant le déplacement de la source sonore, quoique la sensation des sons reste la même dans les deux cas. Ce principe a été parfaitement démontré au moyen de l'appareil de Kœnig, en allongeant et en raccourcissant un tube extensible interposé entre le résonateur et la membrane vibrante placée près de la flamme, et il explique le désaccord qui s'est produit entre différents physiciens sur la composition des sons vocaux, quand ils les ont analysés au moyen des flammes chantantes.
« Ces faits nous démontrent, d'un autre côté, qu'il n'y a pas lieu d'espérer que l'on puisse lire les impressions et les traces du phonographe, car ces traces varient non seulement avec la nature des voix, mais encore avec les moments différents d'émission des harmoniques de ces voix et avec les différences relatives des intensités de ces harmoniques. »
Fig. 95
Nous reproduisons néanmoins, figure 95, des traces extrêmement curieuses que nous a communiquées M. Blake, et qui représentent les vibrations déterminées par les mots : Brown university ; how do you do. Elles ont été photographiées sous l'influence d'un index adapté à une lame vibrante et illuminé par un pinceau de lumière. Le mot how est surtout remarquable par les formes combinées des inflexions des vibrations.
Depuis l'invention du phonographe les recherches sur l'articulation des sons se sont multipliées, et aujourd’hui les travaux d'Helmholtz sont outrepassés. Nous citerons d'abord un magnifique ouvrage intitulé Evolution of sound, a part of the problem of human life, par M. Wilford de New York, qui ne contient pas moins de 277 pages in-4° sur 2 colonnes et dans lequel sont résumés les travaux de MM. Tyndall, Helmholtz et Mayer ; en second lieu une brochure extrêmement intéressante de M. Graham Bell, sur la théorie des voyelles, publiée dans The American Journal of Otology de juillet 1879 ; enfin des recherches curieuses de M. Boudet de Pâris, sur l'inscription électrique de la parole. Ces sujets sont trop spéciaux pour que nous puissions en parler ici davantage, mais ceux qui liront les ouvrages précédents pourront reconnaître, comme nous, que la question est très complexe et que la science de l'acoustique est encore loin d'être élucidée complètement.
Des expériences récentes semblent montrer que plus la membrane vibrante d'un phonographe se rapproche, comme construction, de celle de l'oreille humaine, et mieux elle répète et enregistre les vibrations sonores ; elle devrait en quelque sorte être tendue à la manière de la membrane tympanique par l'os du marteau, et surtout en avoir la forme, car les vibrations aériennes s'effectueraient alors beaucoup mieux.
Suivant M. Edison, la grandeur du trou de l'embouchure influe beaucoup sur la netteté de l'articulation de la parole. Quand les mots sont prononcés devant toute la surface du diaphragme, le sifflement de certains sons est perdu. Au contraire, il est renforcé quand les sons n'arrivent à ce diaphragme qu'à travers un orifice étroit et dont les bords sont aigus. Si ce trou est pourvu de dentelures sur ses bords aplatis, les consonnes sifflantes sont rendues plus clairement. La meilleure reproduction de la parole est obtenue quand l'embouchure est recouverte avec des enveloppes plus ou moins épaisses disposées de manière à éteindre les sons provenant de la friction de la pointe traçante sur l'étain.
M. Hardy a, du reste, rendu l'enregistration des traces du phonographe plus facile, en adaptant dans le trou de l'embouchure de l'appareil un petit cornet d'ébonite formant comme une embouchure d'instrument à vent.
Une remarque assez importante que j'ai faite sur le fonctionnement du phonographe, c'est que si l'on a enregistré la parole sur cet instrument dans un appartement très chaud et qu'on reporte l'appareil dans un appartement froid, la reproduction de la parole s'effectue d'autant plus mal que la différence de température des deux appartements est plus grande. Cela tient vraisemblablement à ce que le support de caoutchouc interposé entre la pointe traçante et la lame vibrante a ses conditions d'élasticité considérablement modifiées ; peut-être aussi les différences de dilatation de la lame d'étain entrent-elles pour quelque chose.
Aujourd'hui on construit les phonographes à bon marché, et on en trouve à 20 francs chez MM. Loiseau et de Combettes. Ils fonctionnent réellement d'une manière étonnante pour leurs petites dimensions.
Au moment où le phonographe a fait son apparition, on a cru qu'il était susceptible de nombreuses applications, et l'on voyait déjà la sténographie laisser la place libre à la nouvelle invention. Nous avons même publié, dans nos deux premières éditions, les illusions que M. Edison nourrissait à ce sujet et qui avaient été réunies dans un article, peut-être le seul que M. Edison ait écrit lui-même, lequel a été inséré dans le North American Review. Mais de toutes ces espérances, et malgré les perfectionnements apportés à cet instrument, pas une n'a été réalisée ; de sorte que cet instrument, quelque important et curieux qu'il soit au point de vue scientifique et de la curiosité, est resté dans le domaine des appareils de physique, et je dirai même des jouets d'enfants ; car aujourd'hui, comme on l'a vu, on en construit de très bons et à bon marché, qui répètent admirablement la parole et certains airs chantés.
Il est vrai que M. Edison s'est trouvé détourné de cette voie par ses recherches sur la lumière électrique, mais quand on examine froidement la question, il est facile de s'assurer que toutes les applications qu'on avait rêvées ne sont pas réalisables. Ainsi, M. Edison croyait que le phonographe pourrait être utilisé dans les maisons d'affaires à la lecture de lettres et de circulaires qui pourraient, de cette manière, être entendues sans dérangement et comprises par les aveugles et par les personnes ne sachant ni lire ni écrire ; il croyait qu'en justice, les enregistrations faites par cet instrument des dépositions des témoins, des plaidoyers des avocats, des paroles des juges seraient précieuses, et que ces avantages pourraient s'étendre à la reproduction des discours des orateurs dans les séances des assemblées délibérantes. Il pensait même qu'on pourrait créer ainsi des livres phonographiques qui pourraient être lus mécaniquement par l'instrument, et qui, pour les besoins de l'éducation, pourraient être très avantageux, car ils pourraient apprendre à l'enfant, sans le secours de personne, à épeler et à prononcer les mots dans les différentes langues. « Si l'on avait eu des livres de cette espèce du temps des Grecs et des Romains, dit-il, nous saurions aujourd'hui comment se prononçait la langue des Démosthène et des Cicéron. » L'instrument, en reproduisant des airs musicaux chantés par des artistes de talent, pourrait, suivant lui, faire le bonheur des réunions de famille et donner le goût de la bonne musique. D'un autre côté, l'on pourrait conserver dans les familles les dernières paroles d'un de leurs membres à son lit de mort. Avec ce système phonographique, on pourrait encore rendre, suivant lui, l'illusion des figures de cire plus complète, en leur faisant répéter des phrases dites par les personnes qu'elles représentent, et qui auraient été enregistrées par le phonographe. Les horloges, au lieu des coups monotones qu'elles frappent pour désigner l'heure, pourraient vous dire poliment l'heure qu'il est et vous indiquer l'heure du lever comme l'heure du coucher, l'heure d'une affaire comme l'heure du plaisir. Enfin, en adjoignant le phonographe au téléphone, on pourrait faire de ce système un excellent appareil télégraphique qui fournirait, comme les autres, un contrôle écrit, ce qui manque aujourd'hui à la télégraphie téléphonique. D'ailleurs il n'est pas dit suivant lui qu'on ne puisse obtenir d'un téléphone récepteur la mise en action d'un enregistreur qui fonctionnerait dès lors comme un appareil Morse, mais avec un langage susceptible d'être entendu.
Hélas, de tous ces rêves, qu'est-il advenu ! ! !
Phonographe de M. Lambrigot. - Il y a déjà quelque temps M. Lambrigot, fonctionnaire de l'administration des lignes télégraphiques, l'auteur de divers perfectionnements apportés au télégraphe Caselli, m'a montré un système de phonographe combiné par lui et qui a été réduit à sa plus simple expression (3).
(3) Voici la description du procédé de M. Lambrigot telle qu'il me l'a envoyée :
« L'appareil se compose d'un plateau de bois dressé verticalement sur un socle et fixé solidement. Au milieu de ce plateau se trouve une ouverture ronde recouverte d'une feuille de parchemin bien tendue, sur laquelle appuie un couteau d'acier qui doit, comme la pointe du phonographe, tracer les vibrations. Un bâti solide s'élève depuis le socle jusqu'au milieu du plateau, et supporte une glissière qui permet à un chariot de circuler devant ce plateau. Sur ce chariot se trouve une baguette de verre dont l'une des faces est recouverte de stéarine. Eu rapprochant le chariot et en le faisant aller et venir, la stéarine se trouve en contact avec le couteau et prend régulièrement sa forme, qui est hémicylindrique sur toute sa longueur.
« Lorsqu'un bruit se fait entendre, la feuille de parchemin se met en vibration et communique son mouvement au couteau qui pénétré dans la stéarine et trace des stries variées.
« La reproduction ainsi obtenue sur la baguette de verre est soumise aux procédés ordinaires de métallisation. Par la galvanisation, on obtient un dépôt de cuivre qui reproduit les stries en sens inverse. Lorsqu'on veut faire parler la lame métallique, il suffit de passer légèrement sur les signaux une pointe de bois, d'ivoire ou de corne, et en la promenant plus ou moins vite, on peut faire entendre des intonations diverses sans altérer la prononciation.
« En. raison de la dureté du cuivre par rapport au plomb, la lame de cuivre qui contient les traces des vibrations peut donner sur ce dernier métal un nombre illimité de reproductions. Pour obtenir ce résultat, il suffit d'appliquer sur la lame en question un fil de plomb, et d'opérer sur ce fil une pression convenable. Le fil s'aplatit et prend l'empreinte de toutes les traces qui apparaissent alors en relief. En passant, à travers ces traces, la tranche d'une carte à jouer, on provoque les mêmes sons que ceux que l'on obtient avec la lame de cuivre. »
Suivant M. Lambrigot, les lames parlantes peuvent être utilisées dans bien des cas ; pour l'étude des langues étrangères, par exemple, elles permettront d'apprendre facilement la prononciation, car on pourra, en les réunissant en assez grand nombre, en former une sorte de vocabulaire qui donnera l'intonation des mots les plus usités dans telle ou telle langue.
Il a trouvé moyen, par un procédé extrêmement simple, d'imprimer fortement, à l'intérieur d'une petite rigole de cuivre, les vibrations déterminées par la voix, et elles sont assez nettement gravées pour qu’en passant à travers cette rigole la pointe émoussée d'une allumette, on puisse entendre des phrases entières. Il est vrai que cette reproduction de la parole est encore très imparfaite, et qu'on ne distingue les mots que parce qu'on les connaît d'avance, mais il est possible qu'on puisse obtenir de meilleurs résultats en perfectionnant le système ; toujours est-il que cette impression si nette des vibrations de la voix sur un métal dur est une invention réellement intéressante.
Récemment M. Lambrigot a perfectionné son système, non seulement en le rendant susceptible de fonctionner sous l'influence de clichés susceptibles d'être reproduits facilement, mais encore en donnant plus d'amplification aux sons. Il lui a suffi pour cela d'estampiller, sur des demi-cylindres de plomb, les traces produites dans les rigoles métalliques dont nous avons parlé précédemment, et d'adapter à la carte destinée à être frottée sur les clichés un fil de plomb communiquant à une sorte de cornet de carton, disposé comme les téléphones à ficelle. Le centre de cette carte de papier est renforcé par deux cercles de carton qui la rendent plus rigide en cet endroit que sur les bords, et en frottant assez rapidement de la main droite l’un des points du bord circulaire de cette carte contre le cliché de plomb, alors qu'on tient à l'oreille, de la main gauche, le cornet de carton, on entend suffisamment fort les sons produits pour pouvoir distinguer les mots, surtout quand on les connaît d'avance. La figure 96 représente la manière dont on se sert de ce petit instrument.
Fig. 96
LA MACHINE PARLANTE AMÉRICAINE
DE M. FABER
Il y a cinq ans environ, les journaux annonçaient avec un certain retentissement l'arrivée Paris d'une machine parlante, qui laissait loin derrière elle le canard de Vaucanson et qui devait attirer au plus haut point l'attention publique. Malheureusement cette invention, n'ayant pas été placée dès le début sous le patronage d'aucune autorité scientifique, fut bien vite reléguée parmi les curiosités que l'on montre chez les prestidigitateurs, et comme dans notre pays, essentiellement frondeur et gouailleur, il se trouve toujours des esprits soi-disant forts qui se refusent même à l'évidence, on prétendit bientôt que cette machine ne parlait que parce que celui qui la montrait était un habile ventriloque ; c'est toujours le même refrain, et l'on a vu qu'on ne s'était pas fait faute de le répéter au moment de l'apparition du phonographe ; toujours est-il que certains journaux scientifiques s'étant fait l'écho de cette absurdité, cette machine s'est trouvée tellement discréditée qu'elle passe aujourd'hui inaperçue, bien qu'elle soit une conception des plus ingénieuses et des plus intéressantes. Quand donc notre pauvre pays se guérira-t-il de cette manie de tout nier sans examen préalable !…
Pour nous, qui ne jugeons les choses qu'après les avoir sérieusement étudiées, nous croyons devoir rétablir la vérité sur la machine parlante de M. Faber, et pour cela il nous suffira de la décrire exactement.
A la page 226 du chapitre précédent, je disais qu'il fallait établir une grande différence entre la reproduction d'un son et la manière de déterminer ce son, et qu'une machine apte à reproduire les sons comme le phonographe pouvait différer essentiellement d'une machine réellement parlante. En effet, la reproduction de sons même articulés pourra être très simple, du moment où l'on aura entre les mains un moyen de clicher en quelque sorte les vibrations de l'air appelées à transmettre ces sons ; mais pour les produire et surtout pour émettre les vibrations compliquées qui constituent la parole, il faudra la mise en action d'une foule d'organes particuliers se rapprochant plus ou moins de notre mécanisme vocal et remplissant plus ou moins exactement les fonctions du larynx, de la bouche, de la langue, des lèvres, du nez même ; c'est pourquoi une machine réellement parlante est forcément très compliquée, et c'est précisément le cas de la machine dont nous nous occupons en ce moment. Ce n'est pas, du reste, la première fois, qu'on a fait des machines de ce genre, et il y a peu de temps encore, on rappelait à l'Académie une tête parlante qui existait au treizième siècle chez le philosophe Albert le Grand, et qui fut brisée par saint Thomas d'Aquin comme étant une invention diabolique.
La machine parlante de M. Faber que l'on a vue, il y a cinq ans, au Grand-Hôtel, et qui appartient aujourd'hui à l’École de médecine de Paris, se compose de trois parties distinctes : 1° d'un grand soufflet mu par une pédale qui fournit les courants d'air nécessaires à la production des sons, et qui joue en quelque sorte le rôle des poumons ; 2° d'un appareil vocal composé d'un larynx accompagné de diaphragmes plus ou moins découpés pour modifier les sons, d'une bouche avec lèvres et langue en caoutchouc, et d'un conduit de dégagement imitant plus ou moins bien les fosses nasales ; 3° d'un système de leviers articulés et de pédales aboutissant à des touches que l'on manœuvre comme les touches d'un piano.
Fig. 97
(4) L’action de cette pédale s'effectue par l'intermédiaire de deux bascules reliées ensemble de telle manière que l'obturateur du haut est abaissé un peu avant que l'obturateur du bas soit élevé, condition nécessaire pour obtenir de la part de la lamelle le tremblement appelé à fournir le raclement de l'r.
Fig. 98
Au-dessous du conduit du larynx, qui n'a guère plus de 5 centimètres de longueur, s'ouvre un tuyau G également en caoutchouc qui aboutit à une cavité sphérique mise en rapport avec l'air extérieur par un tube en caoutchouc I, légèrement relevé, qui se trouve obstrué par une sorte de soupape J, correspondant, par des renvois de mouvements, à une pédale mise à portée des touches du clavier. Quand cette soupape est ouverte, le son émis à travers le larynx imite un peu les sons du nez (5). Le larynx communique la bouche par un conduit en forme d'entonnoir carré dans lequel sont adaptés six diaphragmes métalliques D, placés verticalement les uns derrière les autres et terminés inférieurement par des pièces découpées, qui peuvent, en rentrant plus ou moins dans ces diaphragmes, diminuer plus ou moins l'orifice du courant d'air et créer sur son passage des obstacles plus ou moins accidentés. Ces diaphragmes, que nous représentons séparément figure 98, sont conduits par des tiges de fer t articulées à des renvois de mouvements qui les mettent en rapport avec les touches du clavier, et pour la plupart des sons articulés qui sont émis, plusieurs de ces diaphragmes sont actionnés en même temps et sur des hauteurs différentes. Nous en reparlerons à l'instant.
(5) La disposition de cette partie de l'appareil présente cette particularité que, pour certaines lettres, l'air en est repoussé avec une plus ou moins grande force par le tuyau I, tandis que pour d'autres, l'air, au contraire, se trouve aspiré par ce même tuyau. N'ayant pu voir l'intérieur de ces cavités, je ne me suis rendu qu'un compte imparfait des mécanismes qui y sont en jeu.
La bouche se compose d'une cavité buccale O en caoutchouc assez analogue à une bouche humaine et fait suite au conduit dont il a été question précédemment. A l'intérieur se trouve la langue C également modelée sur la langue humaine, et qui étant reliée à deux tiges articulées t t, adaptées à ses deux extrémités opposées, peut se relever plus ou moins par la pointe ou s'appliquer contre le palais, suivant le commandement des touches du clavier. La lèvre inférieure A en caoutchouc peut également, mais sous l'influence d'une tige particulière t, être plus ou moins fermée, suivant l'action des touches du clavier. Enfin, au-dessus de la lèvre supérieure, est adaptée une pièce métallique circulaire E prenant la forme de la bouche et qui laisse au milieu une petite ouverture pour la prononciation de la lettre f.
Les touches du clavier sont au nombre de quatorze ; elles sont de différentes longueurs, et produisent par leur abaissement les lettres suivantes : a, o, u, i, e, l, r, v, f, s, ch, b, d, g. La plus longue correspond au g, la plus courte à l'a. Au-dessous de la touche du g et de celles du b et du d, se trouvent deux pédales qui correspondent à l'ouverture du tuyau donnant les sons du nez, et à la tige qui ouvre plus ou moins le larynx, ce qui permet d'obtenir le p, le t et le k avec les touches du b, du d et du g. Voici, du reste, les effets mécaniques produits par l'abaissement successif de ces différentes touches :
1° Celle de l'a fait mouvoir les cinq premiers diaphragmes ;
2° Celle de l'o fait mouvoir ces cinq diaphragmes, mais avec des hauteurs différentes, et ferme un peu la bouche ;
3° Celle de l'u en fait autant, mais la bouche est plus fermée ;
4° Celle de l’i fait mouvoir un seul diaphragme, met le bout de la langue en l'air et ouvre davantage la bouche ;
5° Celle de l’e fait mouvoir les six diaphragmes, soulève la langue plus en arrière et ouvre encore plus la bouche ;
6° Celle de l'l fait mouvoir cinq diaphragmes, place la langue contre le palais et ouvre encore plus la bouche ;
7° Celle de l'r fait mouvoir les six diaphragmes, le tourniquet, place la langue moins haut et ouvre moins la bouche ;
8° Celle du v fait mouvoir cinq diaphragmes, ferme presque les lèvres et maintient la langue en bas ;
9° Celle de l'f effectue l'abaissement de l'appendice circulaire de la lèvre supérieure et ferme presque, entièrement la bouche ;
10° Celle de l's fait mouvoir seulement trois diaphragmes, ferme à moitié la bouche, et soulève à moitié la langue ;
11° Celle du ch fait mouvoir trois diaphragmes, maintient la bouche à moitié fermée et abaisse davantage la langue ;
12° Celle du b soulève cinq diaphragmes, ferme la bouche et place la langue tout à fait en bas ;
13° Celle du d soulève six diaphragmes, ferme aux trois quarts la bouche et soulève un peu la langue ;
14° Celle du g soulève cinq diaphragmes, ferme la bouche aux trois quarts et abaisse complètement la langue ;
L'm s'obtient en abaissant la touche du b et en ouvrant la soupape du conduit qui donne les effets de nez ;
L'n s'obtient en abaissant la touche d et en agissant de même sur la soupape des effets de nez ;
L'h s'obtient avec la touche de l's, mais en abaissant la pédale qui agit sur le larynx et qui en réduit de moitié l'ouverture.
Les autres lettres de l'alphabet étant des sons composés sont rendues par des combinaisons des lettres précédentes.
Les paroles prononcées par cette machine, quoique distinctes, sont dites sur un ton uniforme et traînant qui aurait dû, ce me semble, exclure l'idée d'une supercherie. Plusieurs même sont loin d'être bien distinctes ; mais ces résultats n'en sont pas moins extrêmement remarquables, au point de vue scientifique ; et quand on considère la somme d'études et d'expériences qu'il a fallu entreprendre pour arriver à combiner tous ces dispositifs, on se demande comment les physiciens n'ont pas prêté une plus grande attention à une machine aussi intéressante.
Quant à l'exécution mécanique, on ne saurait trop admirer avec quelle simplicité et quelle ingéniosité tous les mouvements compliqués des différents organes vocaux ont été reliés aux touches du clavier, dont le jeu a été calculé de manière à ne faire agir tel ou tel organe que juste de la quantité nécessaire pour produire l'effet voulu. Pour obtenir ce résultat, les touches du clavier ont des longueurs régulièrement croissantes, afin de fournir pour un même abaissement des effets mécaniques différents sur les tiges commandant le jeu des mécanismes, et comme la plupart de ces touches doivent réagir à la fois sur presque tous ces mécanismes, mais dans des conditions différentes, les tiges de transmission de mouvement sont adaptées à des leviers articulés rangés les uns à côté des autres, et qui croisent à angle droit les touches du clavier. En adaptant à celles-ci des taquets de différentes hauteurs à leurs points de croisement avec les leviers, on peut donc obtenir la mise en action simultanée de plusieurs mécanismes dans les conditions qui conviennent aux effets qui doivent être produits.
ENREGISTREUR ÉLECTRIQUE DE LA PAROLE
DE M. AMADEO GENTILLI, DE LEIPZIG (6)
(6) Voir la Lumière électrique, tome III. p. 359.
La machine dont nous allons maintenant parler est précisément le contraire de celle de M. Faber. Au lieu d'arriver, par un jeu de leviers, à faire mouvoir une bouche artificielle, il se sert des mouvements naturels de la bouche pour produire, par l'intermédiaire de leviers délicats, une série de contacts électriques permettant l'enregistrement de la parole en signes analogues à ceux de l'alphabet Morse.
Son appareil se compose de deux parties : un transmetteur sur lequel agissent directement les organes de la parole et un récepteur destiné à l'enregistrement des sons.
Le transmetteur est basé sur une étude approfondie des mouvements qu'exécutent la langue et les lèvres lorsqu'on parle en tenant un objet entre les dents. Sans reproduire complètement cette étude, nous dirons, par exemple, que le ch doux (7), le g, le k, correspondent à des mouvements de recul plus ou moins accentués de la langue vers l'arrière-bouche ; que le ch dur, l'r, l's, le d, le t, le sch, l’l, se rapportent à des mouvements en avant plus ou moins prononcés du même organe ; que l'a, l'o, l’u, l'f, le w, le b, le p, sont caractérisés par des mouvements des lèvres, tandis que l'e et l'i participent des deux sortes de mouvements de la langue ; que les nasales m et n produisent un souffle spécial du nez, enfin que chaque son est caractérisé par un ou simultanément par plusieurs des mouvements que nous venons d'indiquer.
(7) Il ne faut pas oublier que cette étude a été faite au point de vue de la langue allemande.
Fig. 99
Ceci posé, l'appareil de M. Gentilli, représenté dans la figure 99, se compose d'une plaque d'ébonite A, portant son extrémité une pièce D, destinée à être tenue entre les dents. En arrière de D, en C, sont des leviers sur l'extrémité desquels doivent agir les différentes parties de la langue ; en avant, au-dessous de la plaque MN, d'autres leviers sont actionnés par les lèvres ; enfin, un dernier organe très mobile L se meut sous l'influence du souffle nasal. La plaque MN, qui sert de support au levier L, a pour but, en outre, de le protéger contre les poils de la moustache.
Tous ces leviers, lorsqu'ils sont mis en mouvement, soulèvent des fils métalliques E, les mettent en contact électrique avec les ressorts F, que supporte la pièce R, et, dans certains cas aussi, avec les tiges G. Les fils F sont en relation avec les pièces VV du plateau P. Au-dessous de A, en face de P, est une poignée B représentée à part, en coupe, dans la figure 100. Dans le centre de cette poignée passent des fils qui relient les pièces VV à des bornes IIII. Chacune de ces bornes correspondant aux pièces VV communique, au moyen d'un fil couvert, avec un des électro-aimants de l'appareil enregistreur, puis avec un des pôles de la pile. Les ressorts E sont reliés, d'autre part, par l'intermédiaire d'une des bornes II avec l'autre pôle de la pile, et il en est de même des tiges G.
Fig. 100
L'appareil enregistreur n'est autre qu'un récepteur Morse à 8 électro-aimants dont chacun, lorsqu'il est parcouru par le courant, détermine l'impression d'un trait sur une large bande de papier se déroulant mécaniquement comme dans l'appareil Morse.
Supposons, maintenant, que l'on place le transmetteur dans la bouche, et que l'on parle en tenant la pièce D entre les dents, chaque son émis, par suite du mouvement des lèvres et de la langue ou du souffle nasal, mettra en mouvement un ou plusieurs électro-aimants. Comme les extrémités traçantes des leviers de ces derniers sont sur une même ligne, les points imprimés en même temps seront à la même hauteur sur la bande de papier (fig. 101). Sur cette bande une ligne longitudinale tracée à l'avance correspond à chaque électro-aimant, de sorte qu'avec un peu d'habitude on pourra relire sur la bande les paroles ainsi enregistrées, comme on lit sur la bande d'un télégraphe Morse. Le nombre et la position des points marqués sur la même ligne transversale caractérisent chaque son émis. La figure 101 donne l'alphabet entier de l'appareil : g et k, d et t, b et p, f , v et w, qui sont produits par des mouvements très peu différents, sont représentés par les mêmes signes ; aussi, de ces lettres, l'alphabet ne comporte-t-il que g, t, b et f . De même c, z et x sont représentés par t s et g s.
Fig. 101
Nous n'avons pas voulu entrer trop avant dans le détail de ce système, mais nous croyons en avoir dit assez pour faire comprendre son principe.
Fonctionne-t-il aussi bien que le dit son inventeur ? c'est ce que nous voudrions voir par l'expérience. Peut-être la prochaine Exposition nous en fournira-t-elle l'occasion.
En tout cas, quelque ingénieux et intéressant que soit l'appareil, nous ne voyons pas qu'il puisse recevoir d'application pratique, car nous ne concevons pas un orateur s'abandonnant au feu de l'improvisation, en serrant les dents et avec un semblable mécanisme dans la bouche.