P. HÉMARDINQUER
LE PHONOGRAPHE ET SES MERVEILLEUX PROGRÈS
CHAPITRE III
LA FABRICATION ET LES CARACTÉRISTIQUES DES DISQUES DE PHONOGRAPHE
L'édition phonographique moderne
Cylindres d'autrefois et disques d'aujourd'hui
Les étapes successives de la fabrication des disques
Les principes de l'enregistrement actuel
Les difficultés de l'enregistrement électrique
L'auditorium phonographique
Les appareils d'enregistrement
L'enregistrement des disques de cire
Les opérations électrolytiques et la fabrication de la matrice
La composition des disques-épreuves et leur fabrication à la presse
Contrôle de la fabrication des disques
Le disque de l'avenir et ses concurrents
L'édition phonographique moderne.
Nous avons montré qu'Edison pouvait être considéré indiscutablement comme l'inventeur du phonographe ; mais il semble bien que l'on doive la découverte du rouleau de cire amovible et reproduit par galvanoplastie en un nombre illimité d'exemplaires à Charles Sumner Tainter.
Dès cette innovation, qui date de 1889, les cylindres phonographiques furent édités en série par une succession de procédés de plus en plus perfectionnés. Il faut pourtant arriver, nous l'avons noté, jusqu'à 1923 ou 1925 pour trouver des disques phonographiques, concurrents heureux des cylindres primitifs, qui constituent vraiment des documents de « musique enregistrée ».
Grâce aux merveilleux procédés modernes d'enregistrement et de reproduction, sur lesquels nous venons de donner déjà quelques indications, la fabrication de ces disques a pris depuis quelques années un développement vraiment extraordinaire, et c'est aujourd'hui par millions que l'on peut chiffrer leur vente journalière : une seule usine, appartenant, il est vrai, à une des plus grande sociétés d'édition phonographique, peut en produire au moins trente mille par jour lorsque toutes ses machines sont en fonctionnement.
Il est, d'ailleurs, extrêmement curieux de constater les analogies qui existent maintenant entre l'édition des disques et l'édition des œuvres d'art ou même des livres.
Un éditeur de disques n'est pas toujours un fabricant, il peut fort bien faire exécuter les disques composés par ses artistes dans une usine spécialisée quelconque et s'occuper uniquement de leur diffusion.
Un artiste, chanteur, musicien, ou acteur, qui enregistre un disque, n'est généralement pas rémunéré immédiatement de ce travail : il touche des « droits d'auteur » proportionnellement au nombre des disques vendus, et à leur prix, de même qu'un écrivain a droit généralement à un certain pourcentage sur le prix de vente de chaque exemplaire vendu.
De même qu'il existe de nombreux critiques littéraires, il existe maintenant des critiques « discographes », si l'on peut s'exprimer ainsi, et l'étude détaillée de tous les disques nouveaux est publiée régulièrement, non seulement dans des revues musicales, mais encore dans presque toutes les revues de vulgarisation, et même dans les journaux quotidiens d'information.
Nous allons constater plus loin, d'ailleurs, que, comme les livres, les disques sont fabriqués à la presse d'après une « composition » métallique exécutée une fois pour toutes. Nombre d'amateurs éclairés possèdent maintenant dans leurs bureaux une discothèque à côté de leur bibliothèque, et, si nous n'avons pas encore vu se réaliser des livres parlés et enregistrés sur disques, du moins il existe déjà des disques d'enseignement, des conférences composées spécialement, et des œuvres musicales inédites destinées à l'enregistrement.
On dit même qu'un éditeur très moderne aurait eu l'idée d'envoyer aux critiques littéraires, non pas les notices habituelles « Prière d'insérer » accompagnant les livres nouveaux, mais des disques enregistrés par l'auteur du livre lui-même, et dans lesquels ce dernier indique ses idées personnelles sur le sujet traité, et le but poursuivi en publiant son ouvrage !
Ainsi l'édition phonographique deviendrait l'alliée de l'édition littéraire, comme elle est déjà l'alliée de l'édition musicale.
Cylindres d'autrefois et disques d'aujourd'hui.
Les premiers cylindres phonographiques amovibles de Tainter étaient en carton revêtu d'une couche de cire, mais la cire fut bientôt remplacée par une pâte homogène qui était une mixture de stéarine, de savon, d'oxydes de zinc et de plomb.
Nous étudierons plus loin la composition mécanique et chimique des disques qui ont aujourd'hui complètement remplacé les cylindres, sauf pour des usages particuliers spéciaux, très différents de l'édition phonographique normale, et nos lecteurs pourront alors se rendre compte que les disques du commerce sont formés d'une matière à base de gomme‑laque sans aucun mélange de cire, malgré l'opinion commune. (L'emploi de la gomme-laque dans les disques semble dater de 1908.)
Nous ne jugeons pas utile, évidemment, de décrire la fabrication des cylindres, ce qui n'aurait plus qu'un intérêt rétrospectif, et nous consacrerons uniquement ce chapitre à l'étude de la fabrication des disques.
Les sillons correspondant aux vibrations acoustiques sont, on le sait, gravés sur les disques en forme de spirales à pas constant, de profondeur et de tracé variables, et l'on peut classer les disques suivant la disposition de ces sillons en deux catégories bien distinctes, les disques « à aiguille » et les disques « à saphir », dénominations dues aux systèmes de reproduction utilisés dans l'un ou l'autre cas. (Les cylindres étaient uniquement du type à saphir.)
Dans les disques à saphir, les sillons sont gravés en profondeur, perpendiculairement à la surface, et la modulation semble dessiner sur le plan agrandi une série de « renflements » reliés par de petits canaux (fig. 36, 37 et 38).
FIG. 36. — Aspect schématique du sillon d'un disque à saphir vu en coupe.
FIG. 37. — Aspect superficiel d'un fragment de disque à saphir.
FIG. 38. — Agrandissement microphotographique des sillons d'un disque à saphir.
Dans les disques à aiguille, au contraire, le sillon est superficiel et les inflexions de la gravure sont transversales (fig. 39 et 40). Les sinuosités allongées et de grande amplitude qui correspondent aux notes basses, ou de faible amplitude et resserrées des notes aiguës constituent sur le disque un oscillogramme réel des sons enregistrés (fig. 41).
FIG. 39. — Un fragment de disque à aiguille.
FIG. 40. — Agrandissement microphotographique des sillons d'un disque à aiguille.
FIG. 41. — Aspect schématique des sillons agrandis d'un disque à aiguille.
Pour des raisons que nous indiquerons plus loin à propos de la question de l'enregistrement, le disque à saphir est peu à peu abandonné, et l'on fabrique presque exclusivement aujourd'hui des disques à aiguille.
La reproduction de ces disques s'effectue, on le sait, à l'aide d'un diaphragme mécanique ou d'un traducteur électro-magnétique portant une aiguille en acier qui doit être changée après chaque reproduction, car sa pointe est très rapidement émoussée.
Il est difficile d'employer des aiguilles plus dures, donc plus durables, sans abréger la durée du disque, et il faut donc les changer constamment.
Tel est encore, actuellement, le défaut essentiel des disques à aiguille, mais ils permettent d'obtenir des résultats acoustiques d'une qualité bien supérieure à celle que peuvent procurer les disques à saphir, d'un usage peut-être un peu plus commode parce que nécessitant seulement un remplacement peu fréquent du saphir reproducteur ; il faut donc exécuter avec patience cette petite manœuvre facile, mais fastidieuse, du remplacement d'aiguille, en attendant un nouveau et peut-être prochain progrès qui la rendra inutile (1).
(1) Notons, à ce propos, qu'il existe déjà des aiguilles semi-permanentes du type Tungstyle Gramophone, qui seront décrites plus loin.
Notons, enfin, que tous les disques actuels comportent une spire centrale non enregistrée amenant la pointe vibrante à la fin de la reproduction sur un sillon circulaire vierge, de façon à empêcher une détérioration du disque si sa rotation n'est pas arrêtée dès la fin de la reproduction (fig. 42).
FIG. 42. — Dans les disques actuels, au point A, où finit la dernière spire enregistrée, commence un sillon non enregistré, qui amène l'aiguille dans un sillon circulaire O. Dans les disques Gramophone, ce sillon est excentré pour actionner le frein arrêtant le plateau tournant.
Les étapes successives de la fabrication des disques.
La fabrication des disques est une opération extrêmement complexe et délicate qui ne peut être exécutée que par des spécialistes très avertis et possédant un outillage très perfectionné ; le nombre des usines phonographiques est, d'ailleurs, encore assez restreint ; il est vrai que la capacité de production de chacune d'elles est très grande, comme nous l'avons fait remarquer au début de ce chapitre.
Les opérations multiples de la fabrication des disques peuvent se décomposer sommairement de la façon suivante :
1° Enregistrement d'un disque de cire original ;
2° Réalisation par différentes opérations mécaniques et galvanoplastiques de matrices métalliques exécutées d'après l'original ;
3° Fabrication à la presse au moyen d'une matrice d'un nombre illimité de disques en matière malléable à chaud, de compositions variables suivant les marques.
Nous allons donc étudier successivement ces trois catégories d'opérations délicates.
Les principes de l'enregistrement actuel.
Les principes et les avantages de l'enregistrement électrique des disques, qui a maintenant remplacé à peu près complètement les premiers dispositifs mécaniques, ont déjà été notés dans le chapitre précédent.
Nous rappellerons simplement que, dans ce procédé, les artistes sont placés devant un microphone et non devant le pavillon enregistreur primitif.
Les ondes sonores viennent frapper ce microphone M, produisant des variations du courant électrique qui sont amplifiées par un appareil amplificateur à lampes de T. S. F. Cet amplificateur actionne à son tour un enregistreur électro-magnétique E, dont le soc grave dans le disque horizontal de cire vierge D des sillons spiraloïdes correspondant aux ondes sonores enregistrées (fig. 43).
FIG. 43. — Disposition schématique des appareils d'enregistrement électrique.
L'artiste est placé dans le studio phonographique, devant un microphone M. Ce dernier est relié par fils téléphoniques à l’amplificateur A, monté dans la salle d'enregistrement, souvent assez éloignée de l'auditorium. Les courants amplifiés actionnent enfin le graveur électromécanique E, enregistrant le disque vierge D, et font résonner le haut-parleur témoin H.
L'enregistreur est, d'ailleurs, comme nous le verrons, placé dans une chambre étanche au son qui peut être assez éloignée de l'auditorium phonographique où est placé le microphone.
L'opérateur est seulement guidé alors par un haut-parleur témoin H relié à l'amplificateur, et répétant l'enregistrement.
Ce dispositif permet d'obtenir, grâce à l'amplification par lampes de T. S. F., une sensibilité extraordinaire, d'où une plus grande facilité pour placer les musiciens, chanteurs, ou acteurs dans le studio, et un enregistrement plus complet, plus « nuancé », permettant une reproduction plus approchée de la réalité ; de plus, la diminution des pièces en mouvement atténue beaucoup les effets de distorsion dus aux défauts mécaniques des systèmes enregistreurs.
On peut ainsi exécuter des enregistrements hors du « studio », dans des théâtres, des salles de conférences, des églises, etc., ce qui était impossible avec le procédé mécanique primitif (fig. 44).
FIG. 44. — Les procédés modernes d'édition phonographique permettent d'obtenir des résultats extraordinaires. Ainsi, en 1926, on put enregistrer au Cristal-Palace, à Londres, un chœur, exécuté par 3.500 chanteurs et musiciens dirigés par Sir Henry Wood. Le disque de cire enregistré sur place fut posé sur un lit de coton et envoyé avec précaution au laboratoire. (Photo Columbia.)
Des enregistrements par T. S. F. ont même été réalisés en reliant à un radio-récepteur les appareils graveurs installés à l'usine.
L'enregistrement électrique, qui donne des résultats si merveilleux, est cependant une opération délicate, complexe et difficile.
Les difficultés de l'enregistrement électrique.
Il faut bien reconnaître, et cela semble paradoxal, qu'au point de vue seulement mécanique, sinon acoustique, le phonographe moderne à disques est un instrument beaucoup plus imparfait que l'appareil primitif à rouleaux cylindriques.
En effet, au voisinage du centre du disque, le rayon des spires est assez faible, et la portion de sillon au voisinage de l'aiguille reproductrice ne peut plus être considérée comme rectiligne, d'où il résulte un fonctionnement dissymétrique de cette pointe, qui subit une pression dirigée des bords vers le centre du disque.
De plus, pour la reproduction, le diaphragme ou le traducteur électro-magnétique n'est plus entraîné par un chariot, mais il est simplement fixé à l'extrémité d'un bras pivotant, et guidé par le seul frottement de l'aiguille dans le sillon. L'aiguille vibrante est donc à la fois « porteuse et tractrice », ce qui est une mauvaise disposition mécanique.
Enfin, en raison de ce que le bras du diaphragme se déplace par rotation et non par translation, l'orientation du plan vertical de ce diaphragme, par rapport aux sillons, varie continuellement, et ce plan devient seulement tangent au sillon pour une position médiane. L'action des vibrations acoustiques des sillons sur la membrane ne s'effectue donc pas d'une façon symétrique.
Ces défauts mécaniques, inhérents à l'emploi des disques, sont surtout nuisibles pour la reproduction, ou du moins le seraient si les techniciens ne s'efforçaient justement d'en tenir compte au moment de l'enregistrement, pour en supprimer, ou du moins en atténuer les effets nuisibles, par des procédés compensateurs spéciaux, des « tours de main » très délicats qui sont, d'ailleurs, variables suivant les marques, et plus ou moins secrets pour les profanes.
Mais il existe, par contre, des défauts relativement plus graves, d'ordre acoustique cette fois, dus à l'emploi des disques.
Les disques courants ont un diamètre de 20 à 30 centimètres au maximum, et doivent cependant permettre une audition assez longue (quelque quatre minutes au maximum). Il est donc nécessaire que les sillons soient très resserrés (une minute d'audition correspond à 60 à 80 mètres de sillon au maximum).
En fait, le sillon d'un disque à aiguille, de forme triangulaire, très légèrement arrondi au fond, a une largeur de 12/100 de millimètre et une profondeur de 15/100 de millimètre environ, le pas de spire à spire est de 25/100 de millimètre (fig. 45).
FIG. 45. — Coupe transversale d'un disque à aiguille. (Les cotes sont en centièmes de millimètre.) L 'intervalle entre spires n'est que d'un dixième de millimètre environ.
Le profil du sillon d'un disque à saphir est arrondi, de quelque 16/100 de millimètre de diamètre, et le pas le plus large est de 33/100 de millimètre environ (fig. 46).
FIG. 46. — Coupe transversale d 'un disque à saphir. Les cotes indiquées sont en centièmes de millimètre.
Or, la modulation se traduit dans le disque à aiguille par des inflexions de la gravure du sillon ; on voit sur la coupe de la figure 45 que ces inflexions, qui constituent les courbes de l'oscillogramme correspondant aux vibrations sonores, ne peuvent dépasser l'axe des bandes étroites qui séparent deux spires voisines, et qui n'ont que 1/10 de millimètre environ de chaque côté.
Les sons intenses de fréquences très graves, qui se manifestent par des courbes de grande amplitude et peu resserrées, ne peuvent donc être encore enregistrés, théoriquement, à l'heure actuelle ; en pratique, les notes basses au-dessous de la fréquence 150 sont encore à peu près éliminées des enregistrements phonographiques, mais si l’on veut bien se rappeler encore qu'en 1920 les notes basses au-dessous de la fréquence 500 environ n'étaient pas enregistrées, on pourra se rendre compte des progrès réalisés sur ce point particulier.
D'un autre côté, les notes trop aiguës, de faible amplitude et de haute fréquence, sont représentées à l'enregistrement par des aspérités resserrées et de faible épaisseur qui recouvrent les côtés du sillon.
Si l'épaisseur de ces aspérités n'est pas assez grande, l'aiguille ne peut être mise en vibration, par suite de l'inertie de la membrane et de l'armature vibrante du diaphragme ou du traducteur électro-magnétique ; de plus, ces aspérités très fragiles sont rapidement détruites, d'où usure prématurée du disque.
On doit donc imposer une limite supérieure à la fréquence des sons enregistrés, mais ce défaut est beaucoup moins grave que le précédent, parce que la gamme de tonalités d'une audition agréable demeure généralement inférieure à la fréquence 5000, ainsi que nous l'avons expliqué dans le précédent chapitre.
Le disque à saphir présente les mêmes défauts avec plus d'évidence encore. Les notes basses ne peuvent être enregistrées parce que leur trop grande amplitude ferait quitter la surface du disque à l'outil graveur ; quant aux aspérités du fond du sillon, si elles sont trop resserrées et de faible hauteur, donc correspondant à des notes trop aiguës, le saphir d'enregistrement ne peut les suivre (fig. 47).
FIG. 47. — Coupe schématique d'un disque à saphir montrant la difficulté d'enregistrement des notes trop graves ou trop aiguës. (D'après M. Leroy.)
Cette limite dans l'aigu et dans le grave est très rapidement atteinte dans les disques à saphir, et c'est pourquoi on n'effectue guère les enregistrements électriques que sur disques à aiguille.
On peut représenter schématiquement la caractéristique d'un disque à aiguille par la courbe de la figure 48, et l'on peut se rendre compte que seule l'extension de la gamme enregistrée sur les notes basses est surtout désirable. Ces défauts, inhérents à la nature même de l'enregistrement, peuvent, nous l'avons noté d'ailleurs, être corrigés par des défauts en quelque sorte compensateurs établis plus ou moins volontairement dans les appareils reproducteurs.
FIG. 48. — Courbe caractéristique schématique d'un disque à aiguille.
L'auditorium phonographique.
L'adoption des procédés modernes d'enregistrement électrique permettant l'emploi de microphones devant lesquels on place les exécutants, comme s'il s'agissait d'une émission radiophonique, permet d'éviter la nécessité gênante de rassembler les artistes très près des appareils enregistreurs, alors que la faible sensibilité des enregistreurs mécaniques imposait auparavant leur groupement autour du cornet acoustique.
En théorie, on peut donc enregistrer électriquement des disques en plaçant les microphones reliés aux appareils d'enregistrement dans une église, une salle de concert, un théâtre quelconque, etc., et nous avons indiqué des exemples d'enregistrements de ce genre.
Les très beaux disques enregistrés au théâtre wagnérien de Bayreuth constituent, à ce propos, une preuve indéniable que l'on peut réaliser des œuvres vraiment artistiques en plaçant judicieusement les microphones d'enregistrement dans une salle de spectacle ordinaire.
Cependant, pour obtenir régulièrement et le plus facilement possible des enregistrements musicaux vraiment artistiques, on utilise, en général, une salle spécialement aménagée, l'auditorium ou studio phonographique, dans laquelle on détermine soigneusement la position du microphone ou ensemble de microphones, et la position des artistes par rapport à ces microphones.
Le problème de la construction et de l'aménagement d'un auditorium diffère essentiellement des problèmes d'acoustique de même ordre qui se posent pour les salles de théâtre et de concert.
Dans ces dernières, il faut que tous les spectateurs placés dans tous les points de la salle jouissent d'une bonne audition ; dans un auditorium phonographique, au contraire, la qualité de l'audition n'importe que pour le ou les points où se trouvent placés les microphones. Mais il ne faudrait pas en déduire que le problème soit plus facile à résoudre ; il est extrêmement complexe et exigera encore de longs efforts de la part des spécialistes avertis qui l'étudient, avant d'être vraiment résolu d'une manière parfaite.
Le microphone est, en effet, un instrument beaucoup moins « intelligent » que l'oreille, et c'est pourquoi un auditorium ne peut être constitué comme une salle de concert.
Lorsqu'on fait résonner un instrument de musique dans une salle, il se produit une onde sonore plus ou moins amortie qui va frapper les murs de la salle ; ces derniers la réfléchissent plus ou moins fortement suivant leurs périodes propres, et les périodes propres de la masse d'air contenue dans la pièce.
Il faut donc considérer l'onde directe, les échos et les résonances acoustiques ; de plus, les ondes successives diverses produisent des séries d'ondes stationnaires et d'interférences.
L'oreille, instrument intelligent, nous permet de faire une sorte de sélection parmi les diverses ondes acoustiques, et, au contraire, c'est la sensation du passage des diverses ondes réfléchies qui évoque dans notre esprit la conception des dimensions et des caractéristiques de la salle par un effet de perspective sonore.
Mais le microphone, appareil mécanique, placé au même endroit de cette salle ne permettrait, dans les mêmes conditions, que d'obtenir un enregistrement confus, par suite de la superposition des diverses impulsions successives ; il paraît donc nécessaire, tout d'abord, d'amortir les échos et résonances de l'auditorium.
C'est pourquoi on tapisse les parois et planchers de feutre et de tentures qui absorbent en partie les ondes sonores de choc. Cette absorption ne peut cependant être parfaite, et les tentures se comportent plutôt comme des miroirs acoustiques imparfaits, estompant et déformant les impulsions directes.
Si l'auditorium est complètement revêtu de tentures, l'audition devient assourdie et voilée, les attaques et extinctions des notes disparaissent, la clarté naturelle des timbres n'existe plus.
L'emploi de tentures amortissantes dans le studio est donc un mal encore nécessaire, mais qu'il convient de réduire au minimum.
C'est pourquoi l'on peut généralement faire varier à volonté la surface des murs et du plafond l'auditorium recouverte de tentures, et l'on ménage, autant que possible, l'existence d'un écho sonore qui donnera à l'enregistrement la clarté et le relief indispensables.
Cette sorte de réglage acoustique est, d'ailleurs, effectuée avant chaque enregistrement, et la position des tentures, les surfaces à recouvrir et même les dimensions acoustiques de la salle sont modifiées suivant les caractères de l'enregistrement à effectuer et après des essais successifs.
La position des microphones et des artistes dans l'auditorium doit être déterminée non moins soigneusement, et l'adoption de microphones modernes à grande profondeur de champ, c'est-à-dire relativement peu sensibles aux variations de distance de la source sonore, facilite cette opération.
On peut ainsi ne pas trop rapprocher les solistes du microphone, et conserver au groupement des instruments de musique un ordre à peu près analogue à celui qui est adopté dans les concerts (fig. 49 et 50).
FIG. 49. — Enregistrement d'un disque.
La distance du soliste au microphone varie suivant la profondeur du champ du microphone. On voit ici le compositeur Darius Milhaud au piano, et la cantatrice Mme Bathory au microphone, enregistrant un disque Columbia.
FIG. 50. — Disposition des instruments d'orchestre dans un auditorium phonographique.
Le microphone, généralement entouré de tentures, est placé à quelques mètres du mur de fond et les musiciens sont groupés autour de lui en demi-cercles concentriques ; les instruments à cordes sont les plus rapprochés, puis les cuivres, enfin le piano et la batterie sont les plus éloignés.
En raison de la difficulté relative d'enregistrement des notes basses, les parties de violoncelle et de contrebasse sont généralement doublées par un contrebasson et un saxophone en cuivre, et certains compositeurs ou chefs d'orchestre même renforcent spécialement les basses en modifiant et en augmentant l'intensité des parties correspondantes des morceaux à enregistrer.
Ainsi Gustave Charpentier, le compositeur bien connu, aurait modifié, en vue de l'enregistrement phonographique, comme l'indique notre confrère M. Honoré, les basses de Napoli, morceau tiré de ses célèbres Impressions d'Italie, en ajoutant une partie de clarinette doublant à l'octave supérieure les parties de violoncelle et de contrebasse.
Toutes les questions d'acoustique que soulèvent la construction et l'aménagement des auditoriums sont fort intéressantes, et l'étude des studios d'émission radiophonique et d'enregistrement sonore des films parlants pose des problèmes analogues, bien qu'un peu différents par les détails d'application. Nous ne pouvons, dans ce livre, nous étendre plus longuement sur ce seul sujet, mais nous nous réservons de le traiter dans d'autres ouvrages consacrés à des problèmes d'acoustique moderne.
Notons seulement encore que des précautions spéciales doivent être prises, non seulement pour atténuer les réflexions et résonances sonores, mais encore pour éviter la naissance de tout bruit parasite.
Un silence absolu est imposé aux spectateurs non exécutants pendant toute la durée de l'enregistrement, les planchers sont recouverts de caoutchouc ou de feutre, les chaises, pupitres et supports sont en fer pour éviter les craquements du bois, et, de plus, munis de tampons de caoutchouc, etc.
Les appareils d'enregistrement.
Comme nous l'avons déjà expliqué, les appareils d'enregistrement comportent trois parties principales : le microphone placé dans l'auditorium et soumis à l'action des ondes sonores, un amplificateur à lampes de T. S. F. qui amplifie les courants électriques ou variations de courant transmis par le microphone, enfin une machine à enregistrer comportant un outil graveur électro-magnétique commandé par l'amplificateur, et agissant sur un disque en cire vierge animé d'un mouvement de rotation et de translation régulières (fig. 51).
Les microphones employés sont analogues à ceux adoptés pour l'émission radiophonique, et peuvent être du type à grenaille compensé, à charbon et à membrane souple, électrostatiques, et même électro-dynamiques.
On doit utiliser un appareil sensible, mais sans résonance propre et surtout sans bruit de « souffle » parasite.
Il faut donc choisir une membrane vibrante dont la fréquence propre soit très supérieure ou très inférieure aux fréquences musicales envisagées, et, de plus, convenablement amortie.
On utilisera donc une lame tendue très rigide, ou, au contraire, une feuille très souple, en soie ou en caoutchouc. L'amortissement est produit par un freinage mécanique ou électrique, par un freinage à l'huile ou un matelas d'air adossé à la membrane.
Nous ne pouvons donner ici encore des détails très complets sur ces microphones, et ces détails seraient, d'ailleurs, surtout intéressants pour des techniciens. Le défaut principal du microphone électrostatique semble être son manque relatif de sensibilité ; certains spécialistes reprochent au microphone électro‑dynamique de provoquer des distorsions, et lui préfèrent les types à charbon.
En tout cas, il existe maintenant une assez grande variété de types donnant de bons résultats, et les difficultés de l'enregistrement ne proviennent pas, en général, de cet organe.
On pourrait croire qu'il est suffisant d'utiliser un amplificateur basse fréquence à lampes de T. S. F. pouvant amplifier la gamme musicale 50-4000 périodes environ. Mais, en réalité, on peut malaisément, dans l'état actuel de la physique et de la physiologie, et malgré les résultats notés dans le chapitre précédent, déterminer la gamme absolument précise des fréquences audibles, et cette gamme varie, d'ailleurs, suivant les individus considérés.
En fait, un bon amplificateur pour enregistrements phonographiques doit pouvoir amplifier fidèlement la gamme 50-20000, étant donné les propriétés actuelles des microphones et appareils enregistreurs et les conditions de l'enregistrement sur disques (2).
(2) Il convient, en outre, de ne pas oublier que l'amplificateur d'enregistrement agit, non pas sur un haut-parleur, instrument encore relativement imparfait et produisant directement des ondes sonores, mais sur un appareil enregistreur beaucoup plus perfectionné et dont l'action est uniquement mécanique.
Les amplificateurs employés comportent généralement trois éléments constitués eux-mêmes chacun par des étages d'amplification en nombre variable (fig. 51).
FIG. 51. — Disposition schématique des organes d'un appareil d'enregistrement électrique avec amplificateur à trois éléments.
H T = haute tension (plaque).
B T = basse tension (chauffage).
Un premier élément d'entrée, placé à proximité ou dans le socle même du microphone, permet d'obtenir une amplification fixe. Cet élément a pour but d'amener l'intensité du courant microphonique à une valeur suffisante pour permettre sa transmission dans une ligne téléphonique jusqu'aux autres éléments d'amplification placés à côté des machines d'enregistrement.
Un deuxième élément moyen permet une amplification réglable de sensibilité.
Enfin, un élément de sortie, généralement indépendant, et placé à une certaine distance des autres, permet d'obtenir une amplification de puissance constamment réglable.
L'ingénieur spécialiste qui dirige l'opération d'enregistrement peut ainsi à chaque instant régler l'amplification, surtout pour la réduire au moment des « forte » qui se traduiraient par des oscillations trop grandes du stylet enregistreur.
Il est évident que la qualité des organes de montage de l'amplificateur est soigneusement étudiée ; chaque étage est muni d'une lampe de puissance suffisante pour éviter les effets de saturation, les pièces magnétiques sont en acier ou en fer de grande perméabilité pour éviter les effets d'hystérésis et de saturation.
Les courants de fréquence musicale provenant de l'amplificateur sont transmis à un outil graveur qui porte un burin traçant les sillons phonographiques dans le disque de cire.
Ce burin de saphir est à coupe triangulaire pour disque à aiguilles, et à coupe circulaire pour disque à saphir (fig. 52).
FIG. 52. — Formes des burins graveurs. a, pour disques à aiguille ; b, pour disques à saphir.
FIG. 52 bis. — Détails d'un enregistreur électro-magnétique dont l'armure est amortie par des joints en caoutchouc (type Western Electric).
Un outil graveur est, en somme, analogue à un « pick-up » ou reproducteur électro-magnétique à grande puissance, dont l'armature porte le burin au lieu de porter l'aiguille reproductrice ; en principe, il se compose donc simplement d'un électro-aimant dont les enroulements sont parcourus par les courants provenant de l'amplificateur, et dont les pôles entourent une palette en fer doux portant le burin enregistreur.
La construction d'un bon outil graveur, permettant la transformation des oscillations électriques en vibrations mécaniques correspondantes, constitue une des plus grandes, sinon la plus grande des difficultés de l'enregistrement électrique.
Il faut utiliser une palette aussi rigide que possible, suffisamment robuste pour supporter l’effort nécessité par la coupe, et dont la fréquence de résonance ne soit pas une cause de déformation.
On amortit donc les mouvements de la palette, et on essaye, par un mode de construction, spécial, de transmettre le moins possible au burin les vibrations propres de l'armature.
Très souvent, d'ailleurs, la transmission des vibrations mécaniques n'est pas effectuée directement de l'armature au burin, mais elle est réalisée par l'intermédiaire d'une pièce spéciale, dont les mouvements sont très amortis.
Certains techniciens ont même préconisé un enregistrement indirect avec intermédiaire lumineux.
On commençait par enregistrer les sons sur un film à l'aide d'un dispositif analogue à celui employé pour la cinématographie sonore (3), puis on utilisait le film enregistré pour actionner à son tour un graveur électro-magnétique sur disque, mais à vitesse très réduite, ce qui permettait d'utiliser un graveur à palette de grande inertie.
(3) On trouvera dans le chapitre de ce livre consacré au cinématographe sonore quelques indications sur ce procédé.
Il semble qu'actuellement les dispositifs d'enregistrement direct soient assez perfectionnés pour que les procédés d'enregistrement indirect, malgré leurs qualités indéniables, aient perdu beaucoup de leur intérêt.
La machine d'enregistrement, maintenant, comporte essentiellement un moteur à vitesse de rotation rigoureusement uniforme, actionné par un contrepoids, et un tour vertical supportant le disque de cire (fig. 53).
FIG. 53. — Disposition schématique d 'une machine à enregistrer les disques électriquement. (D'après M. Leroy.)
Dans les machines simples, un chariot mû par une vis sans fin entraîne l'outil graveur, et, dans d'autres machines plus perfectionnées, cet outil reste fixe, et, au contraire, c'est le disque qui se déplace latéralement.
Dans tous les cas, la régularité des mouvements est assurée au moyen d'un régulateur à boules, et les engrenages sont établis pour éviter la naissance de toute vibration ; on emploie des pignons à taille hélicoïdale, en général, et les pignons qui tournent à grande vitesse sont en fibre ou même en cuir vert.
Des dispositifs accessoires permettent d'obtenir l'embrayage et le débrayage du chariot, de régler la rapidité de sa translation, le traçage des spires finales, etc.
Le principe de l'appareil est fort simple, mais sa réalisation mécanique doit être d'une précision parfaite.
La gravure des sillons sur les disques de cire.
Le disque de cire prototype ou plus simplement « la cire » a quelque 310 millimètres de diamètre et 30 millimètres d'épaisseur. Il n'est évidemment pas composé de cire pure, mais d'une composition qui varie avec chaque marque, et dont la couleur varie aussi du jaune clair au brun foncé.
Avant l'enregistrement, « la cire » est soigneusement rabotée et polie sur un tour à axe horizontal (fig. 54).
FIG. 54. — Polissage du disque vierge avant son enregistrement (Usine Columbia).
Cette opération doit être effectuée avec les plus grandes précautions, car le bruit de « grattement » d'aiguille constaté sur le disque définitif peut provenir en partie d'un défaut de polissage de la cire initiale.
La cire ainsi préparée est portée dans une étuve maintenue à une température d'environ 500, à l'aide d'un courant d'air chaud passant généralement sur des résistances chauffantes, et elles sont maintenues dans cette étuve, qui les amollit au degré optimum, jusqu'à leur placement sur le plateau de la machine à enregistrer.
A proximité de cette machine se trouve un ensemble reproducteur, avec diaphragme mécanique et pavillon, destiné à jouer les cires qui viennent d'être enregistrées, afin de se rendre compte de la qualité de l'enregistrement et, à côté de l'outil graveur, débouche la tubulure d'un aspirateur électrique, qui absorbe les légers copeaux de cire produits par la coupe du burin.
Il ne faudrait pas croire qu'un enregistrement soit une opération rapide et qui puisse s'effectuer sans de nombreux essais préalables.
La qualité des milliers de disques qui seront exécutés d'après la cire primitive dépend évidemment de la qualité de cet enregistrement, et, pour obtenir cet enregistrement lui-même, il faut souvent utiliser les services de très nombreux exécutants, d'artistes célèbres, d'où il résulte des frais considérables. On conçoit donc fort bien que l'enregistrement d'un seul morceau d'orchestre dure parfois une journée entière avant que les résultats définitifs soient atteints.
Les premiers disques d'essais enregistrés, écoutés sur l'appareil mécanique reproducteur, ou en haut-parleur à l’aide d'un pick-up électro-magnétique par les techniciens et les musiciens, permettent de se rendre compte des défauts primitifs musicaux ou techniques de l'enregistrement.
L'examen à la loupe des sillons du disque par un spécialiste permet aussi de déceler des défauts plus minimes qui auraient pu passer inaperçus à l'examen acoustique.
On modifie alors en conséquence les caractéristiques acoustiques du studio, la position des artistes, le jeu des musiciens ou des chanteurs, et enfin l'intensité de l’amplification.
Une « cire » qui a servi à la reproduction est évidemment inutilisable, et c'est seulement lorsqu'un essai a satisfait complètement à la fois les techniciens et les musiciens que l'on procède à l'enregistrement définitif.
On voit qu'une séance d'enregistrement phonographique exige de la part des artistes une patience vraiment éprouvée, mais cela explique aussi pourquoi un morceau exécuté pour l'enregistrement peut être plus parfaitement joué quelquefois qu'au concert ou au théâtre.
L'importance du rôle joué par « l'ingénieur enregistreur » est peut-être non moins grande que celle de l'exécutant.
Après avoir réglé la pression du burin sur le disque et vérifié l'état optimum de la surface de ce dernier, il embraye le plateau tournant, pendant qu'un interrupteur permet d'allumer les nombreuses ampoules rouges de l'auditorium, les unes donnant aux artistes le signal du commencement de l'exécution, et les autres indiquant à tous la nécessité d'observer le plus rigoureux silence. Puis, en suivant la partition musicale, et en écoutant au casque téléphonique ou à l'aide du haut-parleur pilote les sons qui. sont produits par l'amplificateur, l'ingénieur, la main posée sur la manette de réglage de la puissance, modère à chaque instant l'intensité d'enregistrement, qui est, d'autre part, traduite et chiffrée par une aiguille indicatrice sur un cadran gradué.
Il n'y a encore que fort peu de techniciens spécialistes capables d'exécuter ainsi un bon enregistrement, et la renommée des grandes marques d'édition phonographique est due, en partie, à l'habileté de ces ingénieurs.
Les opérations électrolytiques et la fabrication de la matrice.
La « cire » définitivement enregistrée est placée avec soin dans une boîte garnie de coton et transportée à l'usine de fabrication, quelquefois distincte de l'auditorium et de la salle d'enregistrement.
Dans cette usine, une série d'opérations électrolytiques produira finalement la matrice, moulage métallique négatif, susceptible d'imprimer à son tour des disques de matière plastique positifs en nombre illimité. Cette matrice doit être exactement correspondante à la « cire » primitive et d'une solidité suffisante pour résister à la pression énorme de la presse hydraulique, au moyen de laquelle on imprime les disques en matière plastique.
Ces diverses opérations d'électrolyse sont schématisées sur la figure 55. On tire, d'abord, de la cire par électrolyse un disque de cuivre négatif, « original » ou père.
FIG. 55. — La suite des opérations électrolytiques aboutissant à la formation de la matrice d'un disque.
Cet « original » donne, de même, une réplique métallique positive, la mère, qui est identique à la « cire » et peut être jouée sur un phonographe.
Enfin, la « mère » servira à établir les matrices négatives, qui modèleront la matière plastique pour l'établissement des disques ordinaires.
Ces matrices s'usent évidemment, mais on peut les reproduire à l'aide de la mère, et, en cas de détérioration de la mère, on peut la remplacer grâce à l'original.
Ces originaux et ces mères sont soigneusement conservés dans des « discothèques », et même dans des usines distinctes, afin d'écarter autant que possible tout danger de destruction de ces précieux documents.
Examinons maintenant le détail de ces opérations qui sont, d'ailleurs, extrêmement délicates. La « cire » arrivant du studio est découverte dans une salle très propre ou une cage de verre, et portée sur un plateau tournant. Sa surface est soigneusement nettoyée avec un pinceau très fin et saupoudrée de graphite tamisé à la soie (fig. 56).
FIG. 56. — Le disque enregistré est enduit de graphite avant son passage au bain électrolytique (Photo Columbia).
Cette opération doit être conduite lentement et avec beaucoup d'habileté ; elle a pour but de rendre conductrice de l'électricité la surface enregistrée.
La cire ainsi préparée est portée à l'atelier de galvanoplastie. On entoure son bord externe d'un ruban de cuivre qui permettra de la suspendre dans le bain électrolytique et de la connecter aux conducteurs d'amenée du courant.
Les cuves d'électrolyse, contenues dans une vaste salle, renferment une solution acide de sulfate de cuivre ; les cires sont connectées à une ligne d'amenée du courant négative, et, dans le même bain, plonge en face d'elles une anode de cuivre électrolytique qui se dissout lentement pendant que le métal se dépose sur la surface du disque en couches d'épaisseur proportionnelle à la durée et à l’intensité du courant.
Cette première opération électrolytique est assez longue, elle est surtout extrêmement délicate, car il faut observer une quantité de facteurs divers : composition de l'électrolyte, température, intensité du courant, etc. ; le liquide est, de plus, agité continuellement, mécaniquement, et, dans certaines usines, le disque maintenu verticalement est également animé d'un mouvement de rotation continu.
Dès que la couche de cuivre ainsi déposée sur le disque a atteint une épaisseur suffisante, on la détache, et l'on obtient ainsi une épreuve négative que nous avons nommée plus haut « l'original » ou « père » et qui porte en relief la gravure.
FIG. 57. — Le hall de galvanoplastie de l’usine Columbia. Les cires enregistrées restent trempées dans le bain électrolytique pendant trente-six heures et leur double de cuivre se forme lentement.
Cette feuille de cuivre est ensuite argentée en vue de la deuxième opération électrolytique qui fournira l'épreuve positive ou mère, car si l'on appliquait une nouvelle couche de cuivre sur la première feuille de cuivre sans argenture préalable, il serait impossible de détacher la « mère » de l' « original ».
La « mère », après nickelage et polissage, peut être retouchée, après écoute au moyen d'aiguilles spéciales et localisation des défauts au microscope. Les retouches s'effectuent à l'aide d'un burin épousant la forme du sillon.
Enfin, une dernière électrolyse dans un bain de sulfate double de nickel produit une pellicule de nickel ou shell qui constitue l'épreuve définitive en relief de la cire primitive.
Cette feuille de nickel de 0 mm. 5 d'épaisseur, fixée par soudure ou sertissage à un plateau de cuivre de 150 millimètres d'épaisseur, constitue une matrice de pressage permettant de fabriquer les disques-épreuves du type courant (fig. 58).
FIG. 58. — Sertissage des matrices aux usines Odéon.
La composition des disques-épreuves et leur fabrication à la presse.
Ainsi que nous l'avons déjà indiqué, les disques actuels ne contiennent jamais de cire, ils peuvent être formés d'une composition plastique homogène formée de gommes convenablement choisies, de craie, de sable fin ou sciure de bois, de bourre de coton, et d'un colorant, généralement du noir de fumée.
Pour éviter les bruits de grattement d'aiguille, il est nécessaire que la surface soit polie, très homogène et d'un grain extrêmement fin, mais le prix de revient de la matière est alors assez élevé.
Un autre procédé breveté par la marque Columbia et employé par ses licenciés consiste à utiliser un « corps » de disque en matière moulée très ordinaire ; ce corps est recouvert des deux côtés de feuilles de papier portant des couches de gomme laque de première qualité, qui seules recevront l'impression phonographique (fig. 59).
FIG. 59. — Constitution schématique d’un disque Columbia.
Ce procédé est de plus en plus employé. Les cercles de papier qui entrent alors dans la fabrication des disques, et de même dimension que ceux-ci, sont portés par une bande de toile qui court sur un bâti de fonte long d'une quinzaine de mètres ; ils sont saupoudrés d'une poussière de gomme laque qui se transformera à la chaleur du moule en une couche homogène impressionnée (fig. 60).
FIG. 60. — Fabrication et laminage des rondelles de papier saupoudrées de gomme laque qui constitueront la surface du disque (Usines Odéon).
Ces rondelles sont ensuite transportées à la salle de moulage, hall immense qui contient généralement plusieurs dizaines de moules, dont chacun peut produire plus de sept cents disques en dix heures.
A gauche de chaque machine à mouler est placée une table chauffante qui supporte des tablettes de matière plastique, dosées exactement pour chaque moulage, et à droite, sur une console, sont disposés les disques de papier recouverts de gomme laque.
La figure 61 montre la forme d'un moule qui ressemble, en quelque sorte, à un énorme « moule à gaufres » d'un modèle bien connu des ménagères du nord de la France.
FIG. 61. — Les disques sont formés à la presse de 20 tonnes. L 'étiquette est fixée en même temps. En dix heures, 700 disques peuvent être faits par un seul ouvrier spécialisé (Columbia).
Deux matrices sont montées sur les plateaux de la machine, sur lesquels on peut appliquer une pression de vingt tonnes au moyen d'une presse hydraulique (fig. 62).
FIG. 62. — C'est cette machine qui fournit l'énorme pression nécessaire pour la fabrication des disques (Usine Odéon).
Des tubulures métalliques flexibles permettent de faire circuler tour à tour, dans les plateaux, de la vapeur d'eau à 160° et de l'eau glacée.
L'ouvrier mouleur dépose sur le plateau horizontal de la machine, après avoir échauffé par la vapeur l'étiquette, du disque, le papier laqué (laque en dessous), la tablette de matière plastique, le second papier laqué (laque en dessus) et la seconde étiquette ; puis il ferme le moule et engage ses plateaux dans les mâchoires de la presse qui les comprime. La circulation de vapeur a été remplacée automatiquement par la circulation d'eau froide dès fermeture du moule.
L'opération de pressage dure trente secondes, après lesquelles le moule, dégagé, est ouvert pour en extraire le disque terminé.
Il ne reste plus qu'à polir ses bords et à l'empaqueter (fig. 63), opérations qui sont effectuées rapidement par des ouvrières habiles.
FIG. 63. — Finition et polissage des disques par des ouvrières habiles (Columbia).
Contrôle de la fabrication des disques.
Etant donné les difficultés de cette délicate fabrication, un contrôle constant est exercé sur la qualité des matières employées, tant au point de vue physique et mécanique que chimique, et chaque usine comporte un laboratoire disposé à cet effet (fig. 64).
FIG. 64. — Les disques formés par la matrice sont d'abord essayés par le laboratoire chimique, au point de vue musical ensuite, et enfin par l'artiste lui-même avant d'être acceptés définitivement (Photo Columbia).
De plus, les disques définitifs ne sont pas « imprimés » avant essai d'un disque témoin obtenu à l'aide d'une « pelure », exécutée par galvanoplastie du « père » ou « original », et utilisée comme matrice de pressage.
Ce disque témoin est examiné par un ingénieur à l'aide d'un microscope et écouté par l'artiste exécutant, qui doit donner son approbation, correspondant en quelque sorte au « bon à tirer » d'un livre (fig. 65 et 66).
FIG. 65. — Essais des qualités mécaniques du disque, résistance à la pression et à la chaleur (Columbia).
FIG. 66. — Chimiste examinant au microscope les disques pour déceler les causes de « grattement » (Columbia).
Il faut bien noter, d'ailleurs, que le bruit de « grattement », si désagréable, de l'aiguille peut-être produit, non seulement par les imperfections de la surface du disque, mais encore par les plus petites aspérités de la matrice, qui sont reproduites évidemment sur les disques-épreuves ; d'où la nécessité d'une retouche minutieuse de la matrice pour éviter cet inconvénient.
Le disque de l'avenir et ses concurrents.
Le disque actuel a déjà atteint un degré de perfectionnement acoustique vraiment admirable ; il présente encore l'inconvénient d'être fragile, relativement lourd et coûteux.
On a diminué son prix de revient au moyen du procédé Columbia déjà indiqué, et l'on réalise actuellement aussi des disques minces de plus petits diamètres (20 centimètres ou même 15 centimètres) qui présentent une durée d'audition aussi grande que les disques classiques de 25 centimètres de diamètre et sont beaucoup moins chers.
Il est possible que l'on puisse bientôt employer pour constituer le disque, ou même pour imprégner un carton support, une substance remplaçant la gomme-laque, moins chère et moins fragile, par exemple de l'acétate de cellulose ou des résines synthétiques.
Il n'est pas probable, par contre, que l’enregistrement et la reproduction sonores par disques soient remplacés avant longtemps par d 'autres procédés.
Un inventeur étranger, mais qui demeure depuis longtemps en France, avait proposé d'enregistrer à l'aide d'un stylet vibrant une bande de celluloïd dont la surface était ramollie sous l'action d'une mèche imbibée d'acétate d'amyle. Il ne semble pas que ce procédé ait donné de bons résultats pratiques, en raison de la faiblesse de l'enregistrement et de la difficulté de maintenir plane la surface de la bande, mais on pourrait songer à un enregistrement électrique ou même chimique d'une bande analogue.
D'autres essais tentés récemment en France par un professeur des Arts et Métiers pour enregistrer des bandes en celluloïd suivant un nouveau procédé électro-mécanique auraient cependant, paraît-il, donné des premiers résultats pratiques satisfaisants.
Le système phonographique à fil d'acier aimanté de Poulsen Stille, que nous étudierons à la fin de ce livre, ne semble pas encore avoir donné des résultats pratiques suffisants.
Par contre, les films sonores à enregistrement optique des sons employés dans les appareils de cinématographie sonore semblent constituer, dès maintenant, le concurrent futur du disque.
Un appareil reproducteur pour films sonores est, certes, plus complexe qu'un phonographe à reproduction électrique, mais sa construction n'a, en somme, rien de particulièrement difficile. Ce qui restreindra pendant longtemps l'emploi du film sonore, c'est surtout son prix cinquante fois plus élevé que celui du disque, à égalité de durée d'audition. Il est cependant possible qu'une fabrication en série et une diminution des dimensions du film permettent un abaissement sensible de ce prix actuel prohibitif.
Mais, en attendant une nouvelle évolution inévitable dans toute application moderne de la science, sachons pourtant admirer le degré de perfection artistique du disque phonographique actuel, et la rapidité de tels progrès accomplis en trois ou quatre ans au plus.