la Cachette

 

 

 

Opéra-comique en trois actes, livret d'Eugène de PLANARD, musique d'Ernest BOULANGER.

 

Création au Théâtre Royal de l'Opéra-Comique (2e salle Favart) le 10 août 1847.

 

 

personnages créateurs
Alice, fille du comte d'Arondel Mlles Sophie GRIMM
Hélène, servante du château d'Arondel Antoinette Jeanne RÉVILLY
Rose, fille d'Hélène Marie LAVOYE
le comte d'Arondel, grande seigneur d'Angleterre MM. HERMANN-LÉON
le comte de Derby, jeune seigneur anglais Pierre Marius AUDRAN
Robin, villageois, cousin d'Hélène SAINTE-FOY
M. Hériot, shérif du comté Charles RICQUIER
Officiers et soldats de Cromwell. Cavaliers. Villageois.  

 

La scène est à la campagne, sur le bord et près de l'embouchure de la Tamise.

 

 

 

 

Cette pièce est une sorte de mélodrame dont la donnée est invraisemblable. La scène se passe au temps de Cromwell. Le protecteur veut se faire livrer la fille d'un de ses ennemis politiques, sir Arundel. La nourrice de cette enfant pousse le dévouement à la famille de son maître jusqu'à substituer sa propre fille à celle que réclame Cromwell. Ce n'est que dix-sept ans après que la naissance et le rang des deux sœurs de lait sont constatés. Le titre de cet ouvrage n'est justifié que par une circonstance accessoire, c'est-à-dire par un trésor que la paysanne Hélène a caché dans une armoire, et qui, tombant entre les mains d'un vertueux paysan, sert, comme dans la Dame Blanche, à racheter le château de sir Arundel. Nous signalerons dans la partition les couplets d'Hélène, Dieu sur toi veillera ; ceux d'Alice, au second acte : Chante, ma fillette, ta chanson d'amour ; l'air de basse, Sous le toit paternel, et, au troisième acte, un bon duo pour soprano et ténor. Cet ouvrage n'a pas eu de succès, malgré le mérite de la musique et l'interprétation satisfaisante qu'en ont faite Audran, Hermann-Léon, Ricquier, Sainte-Foy, Mlles Révilly, Grimm et Lavoye.

(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, 1869)

 

 

 

 

 

LIVRET

 

 

 

(édition de 1847)

(Dans les indications, pour les décorations et les jeux de scène, on doit entendre par droite et gauche, la droite et la gauche du spectateur.) [en rouge, les parties chantées]

 

 

ACTE PREMIER

 

 

Le théâtre représente un petit salon servant de bibliothèque. Les murs sont recouverts en bois de chêne à cannelures et compartiments. Quelques vieux portraits et quelques rayons de livres. — A droite, une table avec tapis, des bougies allumées et ce qu'il faut pour écrire. — A gauche, la porte d'une chambre, et, plus haut, à l'encoignure du fond, autre porte plus grande qui est censée conduire à tous les autres appartements du château. — Au fond, au milieu, grande porte vitrée à deux larges battants, qui laisse voir une terrasse et sa balustrade dominant la mer qui est censée venir baigner le pied des rochers sur lesquels sont bâtis les fondements de la bibliothèque. Dans l'encoignure du fond, à droite, une petite lucarne fermée par un seul châssis. Quand le rideau se lève, le théâtre est éclairé par les bougies qui sont sur la table, mais il fait nuit sur la terrasse dont la porte vitrée est ouverte. Le spectateur, par cette ouverture, voit la mer ou la Tamise sur le bas du rideau du fond ; plus loin, des montagnes et puis le ciel parsemé d'étoiles.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

HÉLÈNE, seule, assise et accoudée avec accablement sur la table. CHŒUR DE SOLDATS au dehors, à gauche. Musique précédée d'un roulement de tambours au dehors.

 

SOLDATS, au dehors.

Pour le bonheur de l'Angleterre,

Dieu de Jacob et de Rachel,

Écoutez-nous comme un bon père,

Et que nos chants montent au ciel !

Dieu de Jacob et de Rachel,

Ah ! protégez le grand Cromwel !

 

HÉLÈNE, se levant, entr'ouvrant la porte de la chambre.

Hélas ? mes deux petites filles !

Ce bruit a dû les réveiller !...

Mais non ; dans leur berceau je les vois sommeiller,

Et le malheur de leurs familles

A leur âge innocent

Ne donne aucun tourment.

Dormez, dormez encor, pauvres petites filles !

 

SOLDATS, au dehors.

Dieu de Jacob et de Rachel,

Ah ! protégez le grand Cromwel !

 

HÉLÈNE.

Mon Dieu, mon Dieu, quel temps cruel ;

Toujours ce nom ! toujours Cromwel !

 

SOLDATS.

Pour le bonheur de l'Angleterre,

Dieu de Jacob et de Rachel,

Écoutez-nous comme un bon père,

Et que nos chants montent au ciel !

Dieu de Jacob et de Rachel,

Ah ! protégez le grand Cromwel !

(On entend un roulement de tambours qui fait cesser les chants.)

 

 

SCÈNE II

HÉLÈNE ; M. HÉRIOT, entrant par la porte principale.


M. HÉRIOT, tristement et inquiet.

Bonsoir, Hélène, bonsoir... n'ayez pas peur, ce n'est que moi ; et tous les gens de guerre qui remplissent le château viennent de sortir pour faire des rondes sur le bord de la mer.

 

HÉLÈNE.

Dieu vous garde, monsieur le shérif.

 

M. HÉRIOT.

Oui, shérif !... et c'est un rude métier par le temps qui court !... toujours les tambours à mes oreilles, des régiments à loger dans les villages ; des soldats qui demandent du vin en disant que Cromwel ne boit que de l'eau ; des Cavaliers que l'on fusille ; des terres confisquées, à commencer par celle-ci !... Et pour sauver ma place, et, peut-être, ma chère et prudente personne, avoir l'air d'approuver toutes ces belles choses ; me laisser entraîner au prêche, à leurs sermons, et, pour n'y pas dormir, chanter avec eux des cantiques à m'égosiller !... Je n'en puis plus, madame Hélène, je n'en puis plus.

 

HÉLÈNE.

Et moi, monsieur Hériot, que n'ai-je donc pas à souffrir ! Mon mari tué par cette milice de Cromwel, monseigneur proscrit ; en son absence, sa femme qui meurt dans mes bras en mettant au monde une fille que j'ai nourrie de moitié avec la mienne ; ce noble château, où je sers depuis mon enfance, envahi par des hommes d'armes qui m'ont fait fuir jusqu'à l'extrémité de la maison, dans ce cabinet bâti sur un rocher que la mer vient baigner, et dont l'humidité fait souffrir mes enfants jusque dans leur berceau !... Et que le ciel, encore, veuille nous conserver cet asile !

 

M. HÉRIOT, à part.

Elle a raison !... Et quand on va la chasser du château, quand on va venir lui demander l'enfant de ses maîtres !...

 

HÉLÈNE.

Que dites-vous tout bas ?

 

M. HÉRIOT.

Rien… je cherche des yeux vos deux chères petites : je voudrais renouveler connaissance avec elles ; car je ne les ai vues que le jour de leur baptême.

 

HÉLÈNE, désignant la chambre.

Là ; dans cette chambre. Il y a une porte qui ouvre sur les jardins, et un rayon de soleil arrive parfois jusqu'à mes enfants. Elles dorment ensemble.

 

M. HÉRIOT, toujours embarrassé.

Elles sont du même âge ?

 

HÉLÈNE.

Oui, à quelques mois près.

 

M. HÉRIOT.

Environ deux ans, je crois ?

 

HÉLÈNE.

Pas tout à fait.

 

M. HÉRIOT.

Deux ans !... Et monseigneur le comte d'Arondel ne connaît point encore sa fille ?

 

HÉLÈNE.

Non. Depuis la naissance de son enfant, mylord, toujours au service de la couronne, n'a pas reparu dans son château.

 

M. HÉRIOT.

Et que Dieu le préserve d'en approcher !.... (Baissant la voix.) Savez-vous qu'il était avec ce reste de Cavaliers qu'on a taillés en pièces il y a deux jours !...

 

HÉLÈNE, vivement.

Si près d'ici, bon Dieu !

 

M. HÉRIOT.

Sa sentence de mort a été proclamée ! Les pays étrangers, voilà son seul refuge. Mais vous, pauvre femme, quand il faudra sortir d'ici, où comptez-vous trouver un abri ?

 

HÉLÈNE.

Au bout du parc, chez mon oncle, dans la petite ferme qu'il doit aux bontés de nos maîtres. Il nous recevra, j'en suis sûre.

 

M. HÉRIOT.

Votre oncle ?... Ah ! c'est juste... j'ai l'esprit tout bouleversé. Ces soldats, tout ce tintamarre... Il a un fils, votre oncle ?

 

HÉLÈNE.

Mais oui.

 

M. HÉRIOT.

C'est ça ! C'est bien ça. J'oubliais un jeune homme arrêté ce soir par les sentinelles, et que j'ai fait relâcher quand il s'est dit votre cousin.

 

HÉLÈNE.

Qui ? Robin ?

 

M. HÉRIOT.

Oui ; il m'a dit ce nom : un garçon timide et blondin.

 

HÉLÈNE.

Eh ! qu'il vienne ! Où est-il ?

 

M. HÉRIOT.

Il se cache, sans doute, tant il a peur de messieurs les têtes rondes ; je lui ai dit : courage !... mais il a prétendu que ma physionomie lui disait le contraire. Eh! tenez, tenez, voilà son visage qui passe à travers les battants de la porte. Entrez, entrez, mon garçon, entrez ! n'ayez pas peur. (A Hélène.) Je vous laisse avec lui.  (Il sort.)

 

 

SCÈNE III
HÉLÈNE, ROBIN, tremblant.
 

PETIT AIR.
ROBIN.

Bonsoir, cousine, et j'ai vraiment
L'âme contente

En vous voyant !

Je me présente

Un peu tremblant !

Bonsoir, cousine, et compliment :
Oh ! quelles figures

Vous avez ici !

De cris et d'injures J'ai le cœur transi !

(Imitant les soldats.)

C'est un espion ! C'est quelque papiste !

Eh ! vite, en prison !

En prison ! en prison !

En prison ! en prison !

(Voix naturelle.)

Et j'avais beau dire :

Je suis Robinson !

En quoi peut vous nuire

Un gentil garçon ?

(Grosse voix.)

En prison, en prison !

En prison l'espion !

C'est en vain qu'il résiste !

En prison le papiste !

(Voix naturelle.)

Ah ! quelle peur dans le chemin !

Mais jusqu'à vous j'arrive enfin !...

Bonsoir, cousine, et j'ai vraiment

L'âme contente

En vous voyant !

Pins d'épouvante

En ce moment :

Bonsoir, cousine, et compliment !

 

HÉLÈNE.

Ne crains plus rien, mon pauvre Robin. Mais comme te voilà grandi ! je t'aurais à peine reconnu.

 

ROBIN.

Je crois bien ; voilà quatre ans que vous n'avez eu le plaisir de me voir. Je garde les troupeaux toute la journée ; et si mon père ne m'avait pas commandé de vous apporter des nouvelles, je n'aurais pas quitté la montagne.

 

HÉLÈNE, vivement.

Des nouvelles, dis-tu ? Et mon oncle t'envoie ?

 

ROBIN.

Chut !... j'ai peur !

 

HÉLÈNE.

Non ; ici l'on ne peut nous entendre.

 

ROBIN, à son oreille.

Eh bien... Monsieur le comte !...

 

HÉLÈNE.

Monseigneur ?...

 

ROBIN.

Mon père l'a vu ce soir.

 

HÉLÈNE.

Est-il possible ?

 

ROBIN.

Oui : dans la cabane du pêcheur Bertrand, où il s'est réfugié avec un autre lord qui partage son malheur ; et Bertrand va leur donner une barque pour les sauver tous deux à la première brise favorable.

 

HÉLÈNE.

Ah ! Tu me conduiras ! je veux aller le voir !

 

ROBIN.

Du tout !... Écoutez-moi ! Ne m'embrouillez pas. J'ai eu assez de peine à bien comprendre la commission de mon père. Ne bougez pas d'ici, et mylord va venir vous y faire une visite.

 

HÉLÈNE.

Ici !... Que Dieu l'en garde ! il serait perdu !

 

ROBIN.

Non ; au bas du rocher sur lequel cette terrasse est bâtie, on trouve un sentier creusé par le torrent qui descend parfois de la montagne ; monseigneur connaît ce chemin depuis son enfance, et il viendra par là sans courir de danger. Tenez, vous allez voir.

(Il prend un flambeau et ouvre la fenêtre à droite.)

 

HÉLÈNE.

Que fais-tu ?

 

ROBIN.

Ce qu'on m'a dit de faire. Cette croisée donne sur la cabane de Bertrand ; j'y fais voir ce signal, et cela veut dire à my­lord : ma cousine Hélène est prévenue, et vous pouvez venir sans crainte. (Otant le flambeau.) Voilà ; cela suffit ; j'ai rempli mon message.

 

HÉLÈNE.

Mon Dieu ! que vient-il faire ?... Sa sentence de mort !...

 

ROBIN.

Enfin, il veut venir, il veut vous parler ; et vous ne pouvez pas l'empêcher de visiter son château, peut-être !

 

MUSIQUE.

HÉLÈNE, remontant à la terrasse.

Oh ! ciel !... Tais-toi !

 

ROBIN.

Pourquoi silence ?

 

HÉLÈNE.

N'entends-tu pas ?

 

ROBIN.

Eh oui, je croi !

 

HÉLÈNE.

Dans les rochers !...

 

ROBIN.

Quelqu'un s'avance !

 

HÉLÈNE.

Écoute bien !...

 

ROBIN.

Eh ! oui, ma foi. (Ils écoutent.)

On n'entend plus.

 

HÉLÈNE.

Le bruit s'arrête.

 

ROBIN.

Il est trop tôt.

 

HÉLÈNE.

Ah ! que j'ai peur !

 

ROBIN.

Vous vous trompiez.

 

HÉLÈNE.

Ma pauvre tête !

 

ROBIN.

Prions le ciel !

 

HÉLÈNE.

Avec ferveur !

 

Ensemble.

[ HÉLÈNE.

[ Mon Dieu, daignez me rendre

[ Un instant votre appui !

[ Et que je puisse entendre

[ Et revoir un ami !

[ Je suis seule et tremblante

[ A marcher sans secours :

[ Et ma voix suppliante

[ A vous seul a recours.

[

[ ROBIN.

[ Mon Dieu, daignez lui rendre

[ Un instant votre appui !

[ Et qu'elle puisse entendre

[ Et revoir un ami !

[ Elle est faible et tremblante

[ A marcher sans secours :

[ Et sa voix suppliante

[ A vous seul a recours.

 

ROBIN.

Attendons, et tous deux donnons-nous du courage...

 

HÉLÈNE.

Ce retard serait-il d'un malheureux présage ?

 

ROBIN, regardant la porte principale.

Si les soldats rentraient et venaient jusqu'à nous !

 

HÉLÈNE.

Ah ! je n'y songeais pas ! Tirons bien les verrous.

 

ROBIN, sur le pas de la terrasse.

Ah ! pour le coup !...

 

HÉLÈNE.

Quelle espérance !

 

ROBIN.

Entendez-vous !...

 

HÉLÈNE.

Parlons plus bas !

 

ROBIN.

Sur le rocher !...

 

HÉLÈNE.

Quelqu'un s'avance !

 

ROBIN.

Écoutons bien.

 

HÉLÈNE.

Ne bougeons pas !

(Ils écoutent.) Crescendo.

Rien n'est plus sûr !...

 

ROBIN.

Le bruit augmente !

 

HÉLÈNE.

Je vois quelqu'un !...

 

ROBIN.

Oui, plus d'erreur !

 

HÉLÈNE.

Ah ! le voilà !...

 

ROBIN.

Soyez contente !

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, LE COMTE.

 

LE COMTE, jetant son manteau.

Hélène, Hélène !...

 

HÉLÈNE ET ROBIN, à genoux.

Ah ! monseigneur !

 

Ensemble très vif.

[ LE COMTE.

[ Que Dieu daigne me rendre

[ Un instant son appui :

[ Mon sort ne peut attendre

[ Un espoir que de lui !

[ Ma force est chancelante

[ A marcher sans secours,

[ Et ma voix suppliante

[ A Dieu seul a recours !

[

[ HÉLÈNE ET ROBIN.

[ Que Dieu daigne lui rendre

[ Un instant son appui :

[ Son sort ne peut attendre

[ Un espoir que de lui !

[ Sa force est chancelante

[ A marcher sans secours,

[ Et sa voix suppliante

[ A Dieu seul a recours !

 

HÉLÈNE, au comte qui regarde aux portes.

Point de crainte, mylord, nous sommes enfermés, et je suis seule avec mon cousin, un cœur fidèle aussi !

 

ROBIN.

Robin, pour vous servir.

 

LE COMTE.

Oui, oui, je sais, le messager de son père. Donne-moi ta main, jeune homme ; et si je puis un jour te récompenser ! ....

 

HÉLÈNE.

Songez à vous, mylord ! Qu'allez-vous devenir ?

 

LE COMTE.

Robin a dû te dire qu'une barque m'attend avec un compagnon d'infortune. Nous allons rejoindre un vaisseau français qui croise dans ces parages. Quand la lune sera derrière le château, le bateau glissera dans l'ombre des rochers pour prendre le courant qui nous est nécessaire.

 

HÉLÈNE.

Prenez garde ! on met souvent des sentinelles sur la rive !

 

ROBIN.

Et qui m'ont arrêté, moi, comme un grand seigneur.

 

LE COMTE.

A la grâce de Dieu ! ce passage est le seul ; le temps nous presse. Ecoute, Hélène. Mon exil peut finir, la fortune a ses caprices ; mais aujourd'hui, vois-tu, je n'espère qu'en toi, j'ai voulu te revoir. Je te laisse ma fille, cet enfant que je vais embrasser pour la première et peut-être la dernière fois !... Deviens sa mère, donne-lui tes soins, et promets-moi devant Dieu de ne la pas quitter un seul jour, de ne t'en séparer jamais !

 

HÉLÈNE.

Qui, moi ! plutôt mourir ! À vous, mon bienfaiteur, à vous, à la famille où depuis mon jeune âge...

 

LE COMTE.

Oui, oui, je te connais !...

 

ROBIN, pleurant.

Nous travaillerons tous pour nourrir l'enfant de nos maîtres ! et, à la ferme de mon père, elle ne manquera de rien.

 

HÉLÈNE.

Vous entendez, mylord ? nous supporterons tout ! les dangers, la misère !

 

LE COMTE, préoccupé.

Ecoute, écoute encore ! (A Robin.) Mais, mon ami, veillez un peu sur la terrasse, tirez sur vous la porte ; un nouveau régiment doit arriver ce soir, et si vous, entendez...

 

ROBIN, passant sur la terrasse et en tirant la porte.

Oui, oui, soyons prudents avec cette race de Satan.

 

LE COMTE, à voix basse.

Et maintenant, Hélène, un flambeau, dépêchons.

 

HÉLÈNE, prenant un flambeau.

Pourquoi , mylord ?

 

LE COMTE, examinant la boiserie à gauche.

Dans toutes les jointures de cette boiserie, les yeux les plus perçants se trouvent en défaut... c'est pourtant par ici... j'en suis sûr.

 

HÉLÈNE, l'éclairant.

Que cherchez-vous ainsi ?

 

LE COMTE, pressant une planche qui glisse et laisse voir une cachette dans le mur.

Tu vas voir... Tiens, regarde.

 

HÉLÈNE.

Quel secret !

 

LE COMTE, tenant un coffret armorié.

Un trésor, les épargnes de mon père ; il avait prévu nos malheurs... De l'or, des diamants pour ma fille et pour toi.

 

HÉLÈNE.

Quoi, mylord, vous voulez ?...

 

LE COMTE.

Oui. Maintenant, voyons, conduis-moi, je t'en prie : où est-il cet enfant que je laisse à ta garde ?

 

HÉLÈNE, désignant la porte de la chambre.

Ah ! venez, monseigneur...

 

ROBIN, rentrant très vite.

Le régiment arrive ! Les soldats du château prennent les armes, on pose des sentinelles partout ! Trois minutes encore et la retraite est impossible à mylord !...

 

LE COMTE, vivement.

Oh ciel ! sans voir ma fille !...

 

HÉLÈNE.

Ah ! partez !

 

ROBIN, lui donnant son manteau.

Vite ! vite !...

 

LE COMTE, disparaissant à droite sur la terrasse.

Adieu ! N'oubliez pas ce que je vous confie !

(Robin le suit un instant.)

MUSIQUE.

Tambours et marche militaire qui accompagne dans le lointain le morceau suivant.

 

 

SCÈNE V

HÉLÈNE, ROBIN un peu plus tard.

 

HÉLÈNE, seule.

Où cacher ce trésor, notre seule espérance ?

Demain, ce soir peut-être, il faut quitter ces lieux !

Ces avides soldats, toujours en défiance,

Me poursuivent partout d'un regard curieux !...

 

ROBIN, revenant.

Tout va bien ! et sur eux il aura de l'avance.

 

HÉLÈNE, vivement, lui donnant le coffret.

Robin !... prends ce trésor qu'il faut aller cacher.

 

ROBIN, prenant le coffret.

Un trésor !...

 

HÉLÈNE.

Cherche bien !... dans le creux d'un rocher...

Dans un buisson touffu, facile à reconnaître !

Et si je meurs, ami, songe bien, souviens-toi,

Que cet or appartient à l'enfant de ton maître !

 

ROBIN, disparaissant sur la terrasse à droite.

Je cours vous obéir, et comptez sur ma foi.

 

HÉLÈNE, seule, vivement.

Oui, j'aurai du courage,

Et j'en fais le serment,

Pour braver cet orage

Et sauver mon enfant !

Espérons, cœur fidèle,

Un plus doux avenir !

C'est ma fille ! et pour elle

Il faut vivre et souffrir !

(Remontant et regardant à gauche sur la terrasse.)

Dans la cour j'aperçois une troupe nouvelle...

Hommes de lois, soldats, toute sorte de gens !...

Le château se remplit, on me cherche, on m'appelle !...

Ah ! que Robin tarde longtemps !

 

ROBIN, revenant.

Vivat !... j'ai trouvé ma cachette !

Et je vous donne ici ma foi

Que pour dénicher la cassette

Il faut être le diable ou moi !

 

Ensemble, très vivement.

HÉLÈNE ET ROBIN.

Ah ! courage, courage !

Il en faut dans le cœur

Pour braver cet orage

Et servir le malheur !

Cet enfant qu'on nous laisse

Est du ciel un présent !

De respect, de tendresse,

On lui doit le serment !

(On entend frapper à la porte principale : Hélène va ouvrir.)
 

 

SCÈNE VI

LES MÊMES, M. HÉRIOT.

 

M. HÉRIOT, vivement.

Eh ! venez donc, Hélène !... Quels cris ! quel enfer !... Des troupes nouvelles, des officiers plus tapageurs que les autres !... Ah ! ils ne chantent pas des cantiques, ceux-là !... Holà ! à boire ! Ils vont tout enfoncer, tout briser ! On vous cherche partout, on appelle : La gouvernante !... et vous me laissez là !... Les clefs, madame Hélène ! les clefs, dépêchez-vous !

 

HÉLÈNE, sortant vite.

J'y vais, j'y vais. Robin , veille sur les enfants.

 

 

SCÈNE VII
M. HÉRIOT, ROBIN.

 

ROBIN.

Il y a donc bien du tapage là-bas ?

 

M. HÉRIOT, en confidence.

Chut !... Tu ne sais pas tout ! Ce n'est rien que le régiment... mais des commissaires du parlement viennent d'arriver aussi pour prendre possession du château !... et pour envoyer à Londres, tout à l'heure, la petite fille de mylord !

 

ROBIN.

Ah ! mon Dieu !...

 

HÉRIOT.

Tais-toi donc !... Je n'ai point eu le cœur de porter moi-même ce coup terrible à la pauvre Hélène ; mais il n'est que trop vrai !... Cromwel, toujours humain, à ce qu'il dit, vient de fonder une vaste pension, pour y recueillir les enfants des familles proscrites et dont les biens sont confisqués. C'est une mesure générale. On veut élever charitablement ces innocentes créatures dans les bons principes et la doctrine douce et commode du révérend père Calvin.

 

ROBIN.

Enlever à Hélène la fille de mylord !... Elle en mourra, monsieur Hériot !

 

M. HÉRIOT.

Silence ! on vient ! c'est elle !

 

 

SCÈNE VIII

LES MÊMES, HÉLÈNE. Elle arrive en chancelant, le visage dans ses deux mains ; puis, quand ses bras retombent, on voit sur sa figure pâle et bouleversée la résignation du désespoir.

 

ROBIN, s'approchant d'elle.

Hélène !... est-ce bien vrai ?

 

HÉLÈNE, sans gestes et à mots coupés.

Oui... Je sais tout... Le dernier des malheurs !... Je n'en crains plus maintenant !... J'ai tout essayé pour attendrir les envoyés de Cromwel... J'ai supplié... J'ai versé des larmes à leurs genoux !... J'ai dit que j'avais juré de ne jamais me séparer de la fille de mylord !... ils ont été sans pitié et veulent à l'instant repartir. Robin, va voir dans leur voiture, fais ce que tu pourras pour qu'on y puisse coucher la pauvre petite. Oh ! ne crains pas de me laisser : j'ai pris mon parti. Dieu est venu m'ordonner de me soumettre, m'inspirer ce que je dois faire, m'en donner la force !... et un jour, sa bonté me récompensera !... (Robin sort.)

 

 

SCÈNE IX

HÉLÈNE, M. HÉRIOT, DEUX COMMISSAIRES DU PARLEMENT.

 

FINAL.

M. HÉRIOT.

Hélène ?

 

HÉLÈNE, se retournant.

Eh ! quoi, déjà !... venez, que j'obéisse !

Venez, terminons mon supplice !

(Elle entre vivement dans la chambre, les commissaires la suivent.)
 

M. HÉRIOT, seul un instant.

Mon Dieu, mon Dieu ! cruel moment !

Ah ! pour son cœur c'est trop de peine...

Elle obéit en gémissant...

Mais sa douleur, hélas ! est vaine...

La pauvre femme ! quel tourment

Souffre son cœur en ce moment !

 

HÉLÈNE, revenant seule et parlant à la porte.

Sortez par le jardin, éloignez-vous, de grâce !

Épargnez à mes yeux ce départ si cruel !

Partez ! et songez bien que le ciel vous menace

Si vous n'avez le cœur plus humain que Cromwel !

 

M. HÉRIOT, entrant dans la chambre.

Par là, messieurs, par là, je m'en vais vous conduire.

 

 

SCÈNE X

 

HÉLÈNE, seule.

Ah ! je me sens mourir... à peine je respire !...

Mourir !... ah ! prévenons l'avenir et le sort !

Achevons mon ouvrage... écrivons à mylord ;

Il est chez ce pêcheur : j'aurai le temps encore.

La barque attend la brise ; un billet promptement !

Robin va le porter : et le ciel que j'implore

Daignera m'accorder le succès que j'attend.

Le vent s'est élevé, le flot bat le rivage.

(L'horloge du village sonne dix coups.)

Dix heures sonnent : les voilà.

Ecrivons ! et Robin à temps arrivera !

Dépêchons, dépêchons, courage !

(Elle écrit. Ritournelle imitant le bruit des vagues qui viennent battre le rocher. Puis on entend des sentinelles, sans les voir, sur la rive.)

 

1er SOLDAT.

Sentinelle !.. holà ! ho !

 

2e SOLDAT.

Qu'est-ce donc ?

 

1er SOLDAT.

Un bateau.

 

2e SOLDAT.

Sur quel point ?

 

1er SOLDAT.

Sois en garde !

 

2e SOLDAT.

Mais où donc !

 

1er SOLDAT.

Tiens, regarde.

Sur ce flot que la lune éclaire en ce moment.

 

2e SOLDAT.

Oui, je vois un bateau poussé par le courant.

 

HÉLÈNE, écoutant.

Ciel !...

 

1er SOLDAT.

Est-ce le bateau que notre capitaine

Attend du camp voisin ?

 

2e SOLDAT.

C'est cela sûrement.

Laisse là ta frayeur.

 

HÉLÈNE, se levant, un papier à la main.

Je me soutiens à peine !

J'ai fini... j'ai tout dit, je croi.

(Lisant ce qu'elle vient d'écrire.)

« Mylord, on vous dira qu'à Cromwel on amène

« Votre enfant, commis à ma foi ;

« Mais comptez sur le cœur d'Hélène.

« La fille de Mylord restera près de moi.

« A Cromwel j'ai donné la mienne ! »

(Vivement.)

Et Robin, maintenant, Robin !...

 

1er SOLDAT, recommençant.

La barque !... Holà !

 

HÉLÈNE, écoutant.

Encor !...

 

LE SOLDAT.

Ho !... le bateau !

 

UN OFFICIER, sur la rive.

Quel signal est-ce là ?

 

LE SOLDAT.

Voyez, mon officier.

 

L'OFFICIER.

D'ici l’on perd sa trace.

Venez, mon colonel, montons sur la terrasse.

 

HÉLÈNE, vivement.

Ils vont monter ici !... mon Dieu ! je cherche en vain

Où cacher ce papier en attendant Robin !...

Là-bas, ces soldats, à la ronde,

Pour découvrir de l'or, ont fouillé tout le monde !

Ah ! la cachette !... Et promptement !

Oui, oui ! là, là, pour un instant.

(Elle court à la boiserie, fait jouer le ressort, et jette le papier dans la cachette qui se referme.)

 

 

SCÈNE XI

HÉLÈNE, OFFICIERS.

 

OFFICIERS, vivement.

C'est quelque trahison !

Il nous en faut raison !

Cet insolent silence

Est pour nous une offense !

Par ici, par ici,

Pour mieux voir l'ennemi.

(Ils passent tous sur la terrasse.)

 

 

SCÈNE XII

LES MÊMES, ROBIN.
 

ROBIN, accourant, bas à Hélène.

Je viens de reconnaître

La barque de Bertrand !

Et l'on y voit paraître

Deux hommes seulement.

 

HÉLÈNE.

Monseigneur !... ah ! je tremble !

Seul avec un ami,

Ils devaient fuir ensemble,

Il nous l'a dit ici !

 

LE COLONEL, sur la terrasse, et criant aux soldats qui sont plus bas sur la rive :

Des flambeaux, des flambeaux !... éclairez le rivage.

 

ROBIN, monté sur une chaise et voyant par-dessus la tête des officiers.

Ils rament tous les deux avec force et courage !

 

HÉLÈNE.

Quel moment !... écoutons !

(On voit dans le ciel la lueur des flambeaux.)
 

LE COLONEL, s'écriant.

Les voilà ! les voilà !

Holà ! gens de la barque !... Oh, eh ! Holà ! holà !

(Silence.)

Quelle est cette insolence !

Et pour nous quelle offense !

Allons, point de pardon !

Soldats ! feu ! trahison !

(On entend une décharge de mousqueterie.)

 

HÉLÈNE, tremblante.

Robin !...

 

ROBIN, courant à elle.

Ah ! quel jour de misère !

Tombés, tombés tous deux

Dans la nacelle !

 

HÉLÈNE , tombant évanouie dans un fauteuil.

Oh ! dieux !

 

LE COLONEL, revenant avec ses officiers.

C'en est fait ! ils sont morts ! et la barque légère

S'enfuit en pleine mer, sans guide, au gré du vent.

 

CHŒUR D'OFFICIERS.

Vivent Cromwel et l'Angleterre !

 

UN SOUS-OFFICIER, avec un grand panier rempli de flacons et de verres.

J'ai trouvé le caveau ! voyez, mon commandant !

 

CHŒUR.

Vivat ! du vin, du vin de France !

 

M. HÉRIOT, accourant à Hélène toujours évanouie.

Pauvre femme ! ah ! mon Dieu !

 

ROBIN, se désolant.

Voyez ! sans connaissance !

 

LE COLONEL, un verre à la main.

A Cromwel, mes amis,

Buvons tous réunis !

 

CHŒUR D'OFFICIERS, le verre en main.

Honneur au patriarche

Le patron du raisin

Qui sortit de son arche

Pour inventer le vin !

Buvons à ce génie,

A ses enfants buvons!

Le plaisir de la vie

Est là dans ces flacons !

 

HÉLÈNE, se levant tout à coup, les yeux fixes, et avec le sourire de la folie.

Ah ! j'entends la fête

Qui se met en train !

Et chacun répète

Un joyeux refrain !

A mon mariage

Voilà monseigneur,

Et tout le village

Qui me rend honneur !..

Les dentelles

Les plus belles,

Fleurs nouvelles,

Doux présent !

En cadence

Pour la danse !

Je commence ;

C'est charmant !

(Elle fait la révérence aux officiers et quelques pas de menuet.)

 

M. HÉRIOT, à Robin.

Ah ! se peut-il ! sa tète !...

 

ROBIN.

Ah ! quel nouveau malheur !

 

HÉLÈNE, au colonel.

Dansez donc à la fête !

Allons donc, monseigneur !

 

CHŒUR, riant et dansant avec elle.

Oh ! sur ma parole

Elle est vraiment folle !

 

M. HÉRIOT ET ROBIN.

Oh ciel ! elle est folle !

Quel sort nous désole !

 

HÉLÈNE, convulsivement, versant du vin à la ronde.

Allons buvez !... le vin est bon !

Et répétez votre chanson !

 

LE COLONEL, à Robin et M. Hériot.

Allons ! buvez ! songeons à rire !

 

M. HÉRIOT ET ROBIN, tremblants.

Hélas ! monsieur !...

 

LE COLONEL.

Hein ? qu'est-ce à dire ?

 

M. HÉRIOT.

Je n'ai pas soif !

 

ROBIN, montrant Hélène.

Son sort cruel !...

 

LE COLONEL.

Allons ! buvez au grand Cromwel !

Car devant moi quand on est triste,

On est pendu comme papiste ?

(Robin et M. Henriot prennent vite des verres.)

 

HÉLÈNE, tout à fait égarée.

Allons ! allons ! vive Cromwel !

 

CHŒUR GÉNÉRAL.

Honneur au patriarche

Le patron du raisin

Qui sortit de son arche

Pour inventer le vin !

Buvons à ce génie !

A ses enfants buvons !

Le plaisir de la vie

Est là dans ces flacons !

(Tableau. Les officiers sont animés à boire. Hélène, épuisée par la fatigue, tombe dans les bras de Robin et de M. Hériot, qui l'entraînent vers la porte de la chambre. — La toile tombe.)

 

 

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME

 

 

Riant paysage. Colline dans le fond avec des arbres touffus. A gauche, une maison de fermier, et sur le devant, un berceau de verdure avec un banc rustique. A droite, le mur et la porte d'une grange ; deux ou trois marches et petit palier à cette porte et balustrade en bois. — Au lever du rideau, Robin, vêtu en gros fermier, est endormi sur un banc près de la grange. De l'autre côté, sous le berceau, Hélène est assise entre Alice et Rose qui sont habillées à peu près de même en villageoises. Hélène file sa quenouille, Alice travaille à l'aiguille, Rose a quitté un ouvrage semblable pour faire un bouquet. Elle doit avoir de la gaieté dans la physionomie et dans les manières. Alice, au contraire, est soucieuse, préoccupée, et regarde parfois avec inquiétude la porte de la grange.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

HÉLÈNE, ALICE, sous le nom de Rose, ROSE, sous le nom d'Alice, ROBIN, endormi.

 

MUSIQUE.

HÉLÈNE, filant, et cherchant un refrain.

Comme une fauvette...

Qui voit un beau jour...

Chante, ma fillette,

Ta chanson d'amour !...

(Elle baisse la tête et reste immobile ; Rose fait signe à Alice qu'il faut la distraire. Alice prend la main d'Hélène pour fixer son attention et chante.)

 

ALICE.
Chansonnette.

1er.

Voyez dans la prairie,

Voyez, jeunes amants,

Cette fleur si jolie

Aux beaux jours du printemps.

De ton bonheur, ma belle,

L'image la voilà !

Songe à la fleur nouvelle,

Son destin te dira !...

Comme une fauvette

Qui voit un beau jour,

Chante, ma fillette,

Ta chanson d'amour !

(Hélène fait signe qu'elle s'amuse et se rappelle.)

 

2e.

A la fleur de son âge,

Seulette et soupirant,

Anna, sous le feuillage,

S'en va rêver souvent.

Craintive. elle désire

Un doux bonheur, hélas !...

Et quand son cœur soupire,

C'est qu'il lui dit tout bas !...

Comme une fauvette

Qui voit un beau jour,

Chante, ma fillette,

Ta chanson d'amour !

 

3e à demi voix.
 

ALICE.

Maman, grande nouvelle !..

 

ROSE.

Voyons, voyons cela.

 

ALICE.

Allan me trouve belle.

 

ROSE.

Je le savais déjà.

 

ALICE.

C'est ma main qu'il espère.

 

ROSE.

Eh ! pourquoi pas, vraiment ?

 

ALICE.

Oh ! quel bonheur, ma mère !

 

ROSE.

Oui, oui, va mon enfant !...

 

(Ensemble.)

ALICE ET ROSE.

Comme une fauvette.....

 

HÉLÈNE, les arrêtant.

Attendez... j'y suis, je croi !

(Cherchant.)

Comme une fauvette !...

Chante ma fillette !...

 

ALICE.

Eh ! non, ma mère, écoutez-moi.

 

(A trois voix.)

ALICE, ROSE ET HÉLÈNE

Comme une fauvette

Qui voit un beau jour,

Chante, ma fillette,

Ta chanson d'amour !

(A la fin de la ritournelle, Rose va doucement passer son bouquet sous le nez de Robin, qui s'éveille en sursaut.)

 

ROBIN, se levant vivement.

Hein ?... Ah ! oui ! j'y suis !... Vive Cromwel ! vive le protecteur !... vive le parlement !

 

ROSE, riant.

Allons ! toujours la même chose !... Vive, vive Cromwel !... Et il y a deux ans qu'il est mort.

 

ROBIN.

C'est égal !... l'habitude.... Je suis politique comme feu mon père, moi !... et je crierai toujours tout ce qu'on voudra : ça n'engage à rien. Mais qu'est-ce donc qui me démange et qui m'a piqué le nez ?

 

ROSE.

C'est moi, pour t'éveiller : tu ne fais que dormir.

 

ROBIN.

C'est que je n'en peux plus ! Vous êtes ici bien tranquilles, vous autres, aucune grande route ne mène à ma ferme, au milieu des bois ; mais, moi, je viens de passer trois jours et trois nuits au château pour y héberger les compagnies du général Monk, qui défilent vers Londres comme une procession.

 

ALICE, s'approchant et avec intérêt.

Et cela finira-t-il, mon cousin ? Ces soldats sont-ils toujours méchants et cherchent-ils encore les Cavaliers pour les tuer ? (Elle regarde la grange.)

 

ROBIN.

Pardi ! c'est leur état. Ils m'ont fait des frayeurs !... Mais, enfin, j'en suis quitte, (A Rose.) et me voilà gaillard et à votre service, mylady, pour vous conduire gaiement à la noce de nos voisins, comme vous en avez le désir.

 

ROSE.

Oui, cela m'amuse de danser, mais avec toi, mon ami Robin ; quand tu n'es pas là, je ne suis pas contente.

 

ROBIN.

C'est bien de l'honneur pour moi ; je vous mènerai dans la carriole. Mais il faut que je donne un peu d'avoine à la petite jument. (A Alice.) Voyons, Rose, la clef de la grange : elle n'est pas sur la porte.

 

ALICE, avec émotion.

Oh ! tranquillisez-vous, Robin, j'ai eu soin de tout en votre absence. (A part.) Mon Dieu, toujours trembler !

 

ROBIN.

Merci, ma cousine. Et maintenant, que j'embrasse ma pauvre Hélène. Comment va sa tète ? A-t-elle été un peu tranquille ?

 

ALICE.

Au contraire : hier, au moment de l'accès qui la tourmente chaque soir, elle fut plus agitée que jamais.

 

ROSE.

Au château ? criait-elle !... Mes enfants ! au château !

 

HÉLÈNE, se levant vivement.

Qui parle du château ?... Non, non !... je n'irai pas !... monseigneur me dirait : Hélène !... mon enfant tu l'as laissé partir ?

 

ROBIN, à Rose.

Allons! voilà sa chanson qui recommence !... Elle pense encore à vous, quand on vint vous enlever dans votre berceau : c'est son idée fixe.

 

HÉLÈNE, appelant.

Alice ? Rose ?

 

ALICE.

Me voici, ma mère.

 

ROSE.

Moi de même.

 

ROBIN.

Avec votre petit Robin. Vous le connaissez bien ? Il est toujours gentil.

 

HÉLÈNE, calmée et souriant.

Il fait beau temps !... C'est ma fête !... Un bouquet ?... Donnez-moi mon bouquet.

 

ROBIN.

Il faut la contenter.

 

ROSE, donnant son bouquet.

Tiens, donne-lui ces fleurs.

 

ROBIN, donnant les fleurs et embrassant Hélène sur les deux joues.

Bonjour, ma cousine Hélène ; je vous la souhaite bonne et heureuse !

 

HÉLÈNE, à Rose.

Et toi, tu ne m'embrasses pas ?

 

ROSE.

Oh ! de toute mon âme !

 

ALICE.

Et moi ?

 

HÉLÈNE, la regardant attentivement.

Oh ! vous !... je n'ose pas ! donnez-moi votre main.

(Elle se penche sur la main d'Alice comme pour y poser ses lèvres.)

 

ALICE, se jetant dans ses bras.

Oh ! ma mère ! ma mère !

 

HÉLÈNE.

Oui, oui , c'est vrai.... Venez !... là, là !... toutes les deux. (Pleurant.) Oh ! je m'en souviens bien !... Oui, j'avais deux enfants.

 

ROBIN, à Alice.

Rentrez, Rose, rentrez, il faut la ramener.

(Alice emmène Hélène.)

 

 

SCÈNE II

ROBIN, ROSE.

 

ROSE, attendrie, regardant sortir Hélène.

ROMANCE.

1er.

Oui, toujours d'une mère

Elle eut pour moi le cœur :

Et Rose aussi, j'espère,

Sera toujours ma sœur.

Je ne veux, pauvre fille,

D'asile que ce lieu :

Vous êtes ma famille,

Et j'en rends grâce à Dieu !

 

2e à Robin.

Et toi, de mon enfance,

Le seul et tendre ami,

Ton cœur saura, je pense,

M'aimer toujours ainsi.

Je ne veux, pauvre fille,

D'asile que ce lieu :

Vous êtes ma famille,

Et j'en rends grâce à Dieu !

 

ROBIN, pleurant comiquement.

Ne dites donc pas de ces choses-là... Quand je pleure, ça me va mal, ça me fait faire la grimace... et puis vous avez beau dire, vous savez bien que nos familles sont fort loin l'une de l'autre, et que je suis le fermier Robin, moi, tandis que vous, vous êtes madame la comtesse d'Arondel...

 

ROSE, avec humeur.

Encore !... Eh ! mais, mon Dieu, laisse-moi tranquille avec ta nouvelle manie de m'appeler mylady et madame la comtesse ! Appelle-moi donc tout bonnement Alice comme autrefois. Est-ce que je suis changée ?

 

ROBIN.

Assurément. Autrefois vous étiez petite, et je vous faisais sauter dans mes bras, ni plus ni moins que ma cousine Rose. Mais à présent , voyez-vous, les familiarités me rendraient tout honteux , tout je ne sais comment. Et quand vous venez encore me faire des niches, me taper gentiment sur les deux joues... ça m'amuse toujours, ça m'agace agréablement, mais d'une autre façon ; ça n'est plus la même chose.

 

ROSE.

Et pourquoi ? Tu vois bien que je ne suis pas fière, que je m'habille comme Rose, et que je ne m'embarrasse guère des belles robes que tu m'as apportées de Londres. Enfin, je suis la même. Et toi, tu me dépites par tes cérémonies et tes révérences. Oh ! si la pauvre Hélène était dans son bon sens, je te ferais gronder.

 

ROBIN.

Oh ! vous n'aurez jamais ce plaisir ! Pauvre femme ! sa raison s'embrouille chaque jour un peu plus.

 

ROSE.

Oh ! tu as beau dire, j'ai quelquefois de l'espoir. Elle prononce des mots qui ont de la suite et qui annoncent une certaine intelligence.

 

ROBIN.

Ah ! oui, quand elle se cache pour espionner. Elle aime les mystères, les cachoteries, voilà son plaisir ; mais le moment d'après, bon soir, ça recommence, tout est confus dans sa tête : nos visages, nos voix, nos véritables noms. Ne voyez-vous pas qu'elle s'obstine à vous appeler Rose au lieu d'Alice, et à nommer sa fille Alice au lieu de Rose ?... Et puis, vous savez bien, j'ai fait pour la guérir une épreuve bien forte. Le jour où nous apprîmes que votre père n'était pas mort, j'accourus en criant : Hélène !... holà !... cousine !... monseigneur est sauvé ! il ne fut que blessé !... un navire français recueillit la barque !... il reviendra peut-être ! nous reverrons mylord !... Elle me répondit : Bonjour, monsieur Cromwel ! oh ! que vous êtes laid !... Vous voyez qu'elle est folle à n'en pas revenir.

 

ROSE.

Hélas ! j'aurais pourtant bien désiré qu'elle me présentât à mon père, si Dieu nous le ramène jamais. Quand je songe à cette entrevue, j'ai toujours peur de déplaire à mylord, et de n'avoir pas les manières des nobles familles.

 

ROBIN.

Nous avons fait le mieux possible. Mon père était rusé, nous avions de l'argent, il se fit des amis parmi les Têtes-rondes, et trouva le moyen de vous tirer de Londres pour se charger de vous. On vous mit avec Rose chez une bonne dame du voisinage qui a soigné votre éducation ; et quant à monseigneur, s'il revient en Angleterre, je mettrai bravement mon habit des dimanches ; je vous prendrai par la main, et je lui dirai : Voyez, mylord, et dites-moi si vous n'avez pas la plus jolie fille des trois royaumes.

 

ROSE.

Et moi je lui dirai : Voilà Robin, mon père, et le meilleur ami que j'aurai de ma vie.

 

ROBIN.

Voilà. Et maintenant allez, préparez-vous pour notre voyage ; je vais voir le troupeau, et puis je suis à vous.

 

ROSE.

Sans adieu, mon petit Robin.

 

ROBIN.

Sans adieu, ma petite Alice.

 

ROSE, contente.

Ah ! enfin, t'y voilà ! et sans façon comme autrefois !

 

ROBIN.

Ah ! pardi ! ça reviendrait bien vite !

 

ROSE.

Ne tarde pas longtemps.

 

ROBIN.

Non, cinq ou six minutes.

 

 

SCENE III
ROBIN, M. HÉRIOT, tout pâle et tout effaré.
 

DUO.

M. HÉRIOT.

Ah ! te voilà !

 

ROBIN, le regardant.

Quelle figure !

 

M. HÉRIOT.

Je te cherchais...

 

ROBIN.

Il me fait peur !

 

M. HÉRIOT.

Ah ! mon ami !

 

ROBIN.

Quelle aventure ?

 

M. HÉRIOT.

Je suis perdu !

 

ROBIN .

Par quel malheur ?

 

M. HÉRIOT, à son oreille.

Sais-tu le rôle téméraire

Dont on me fait le triste honneur ?

De moi, de moi, l'on vient de faire

Un scélérat conspirateur !

 

ROBIN.

Conspirateur !

 

M. HÉRIOT.

Conspirateur !

(Se promenant tout agité.)

Maudite politique !

C'est en vain que, par goût,

Sagement on s'applique

A n'être rien du tout

Il faut, et sans réplique,

Faisant tous les métiers,

Chanter la république

Ou bien les Cavaliers !

 

ROBIN, l'arrêtant.

Que parlez-vous de politique ?

 

M. HÉRIOT.

Et l'on t'y fourre ainsi que moi.

 

ROBIN.

Qui, moi, si doux, si pacifique !

 

M. HÉRIOT.

Ça ne fait rien : prends garde à toi...

 

Ensemble.

ROBIN ET M. HÉRIOT.

Maudite politique !

C'est en vain que, par goût,

Sagement on s'applique

A n'être rien du tout !

Il faut, et sans réplique,

Faisant tous les métiers,

Chanter la république

Ou bien les Cavaliers !

 

ROBIN.

Mais qu'est-ce donc ?

 

M. HÉRIOT.

Un émissaire !...

 

ROBIN.

Des Cavaliers ?

 

M. HÉRIOT.

Oui, cher ami.

 

ROBIN.

Hé bien, après ?

 

M. HÉRIOT.

Avec mystère !...

 

ROBIN.

Achevez donc !...

 

M. HÉRIOT.

Se cache ici !

 

ROBIN.

Chez moi, grands dieux ! un émissaire !

Je ne veux pas d'un tel honneur !

De moi, de moi l'on ne peut faire

Qu'un très mauvais conspirateur !

 

M. HÉRIOT.

Oh ! t'y voilà !

 

ROBIN.

Vous voulez rire ?

 

M. HÉRIOT.

Non pas, vraiment.

 

ROBIN.

Un espion !

 

M. HÉRIOT.

Depuis dix jours.

 

ROBIN.

Et qui conspire ?

 

M. HÉRIOT.

Dans ta maison.

 

ROBIN.

Dans ma maison !

 

M. HÉRIOT.

Tous deux nous sommes dans l'affaire !

 

ROBIN.

Mais je n'ai vu personne ici.

 

M. HÉRIOT.

Tu vas, tu vas être éclairci...

 

ROBIN.

Faisons à Dieu notre prière !

 

M. HÉRIOT.

Embrassons-nous, mon cher ami !

 

ROBIN.

Embrassons-nous, mon cher ami !

 

Ensemble.

ROBIN ET M. HÉRIOT.

Maudite politique !

C'est en vain que, par goût,

Sagement on s'applique

A n'être rien du tout !

Il faut, et sans réplique,

Faisant tous les métiers,

Chanter la république

Ou bien les Cavaliers !

 

M. HÉRIOT, désolé.

Oui, mon pauvre Robin, nous sommes compromis autant qu'on puisse l'être !... On nous annonce pour ce soir le retour de monseigneur !

 

ROBIN.

Mylord !... notre ancien maître ? le comte d'Arondel !

 

M. HÉRIOT.

Le comte d'Arondel !... Sans se montrer encore, il est, dans le pays, le principal agent de la conspiration. Ses hommes sont disséminés et cachés autour de nous : et il m'a fait l'honneur de leur indiquer ma maison pour le rendez-vous général. A chaque instant il arrive chez moi des visages terribles, des personnages mystérieux qui se parlent à voix basse du général Monk comme d'un ami. On attend un signal, le canon de la Tour de Londres, et puis le son des cloches de village en village !... Des folies, Robin ! des extravagances !... Le parlement découvrira tout, les Cavaliers seront écharpés comme à l'ordinaire. Et ces écervelés qui vont se faire pendre, veulent que nous ayons ce plaisir avec eux !

 

ROBIN.

Du tout ! je n'en suis pas ! ça vous regarde seul.

 

M. HÉRIOT.

Tous deux, mon camarade !... tu vas voir, tu vas voir.

 

ROBIN.

Mais, encore un coup !...

 

M. HÉRIOT.

Ne me fais pas causer !... on pille là-bas toute ma maison ! Mes poules, mes pigeons, mon vin, mes confitures..., tout y passe, mon ami, tout y passe !... Ils ont aussi accaparé ma petite gouvernante... Oui, ils l'embrassent. Elle rit avec eux et leur livre tout... pour l'amour du roi Charles... Cette fille est beaucoup trop royaliste... et, dans mon intérêt, il faut que je retourne chez moi sur-le-champ. Allons, dépêchons-nous. Appelle Rose, vite.

 

ROBIN.

Et pourquoi ?

 

M. HÉRIOT.

Qu'elle vienne, te dis-je.

 

ROBIN.

Mais, la voilà.

 

M. HÉRIOT.

C'est bon, je vais l'interroger... Ecoute seulement... Tiens, tiens, vois-tu son air inquiet, préoccupé ?...

 

ROBIN.

Elle conspire aussi ?

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, ALICE.

 

M. HÉRIOT, conduisant gravement Alice au bord de la scène.

Regardez-moi bien là, petite imprudente !... et répondez à monsieur le shérif !... (A voix basse.) Où est-il ?

 

ALICE, tremblante.

Ciel!...

 

M. HÉRIOT.

Comment ?

 

ALICE.

Plaît-il ?...

 

M. HÉRIOT.

Ne m'entendez-vous pas !... je vous ai dit : où est-il ?...

 

ALICE.

Qui ? monsieur Hériot ?

 

M. HÉRIOT.

Qui ?... un jeune soldat rebelle... c'est-à-dire, rebelle, oui et non !... ça dépend des goûts... mais enfin un soldat, poursuivi, blessé même, je crois, par les Têtes-rondes, qui fut secouru par vous dans le bois, et que vous avez caché depuis dix jours à la ferme... est-ce clair ?

 

ROBIN.

Est-ce vrai ?

 

ALICE.

Ah ! mon Dieu !

 

M. HÉRIOT.

Vite, qu'il se montre à mes yeux !...

 

ALICE.

Et pourquoi ?

 

M. HÉRIOT.

Silence ! allons, je suis pressé !

 

ALICE.

Ah ! monsieur Hériot, ne le trahissez pas, je vous en supplie ; vous avez le cœur bon, et, quoique vous soyez, dit-on, fidèle au souvenir de Cromwel...

 

M. HÉRIOT.

Cromwel !... moi !... qui peut dire cela ?... et quels sont les bavards ?...

 

ALICE.

Oh ! alors, vous êtes donc, en secret, un fidèle serviteur du roi ?...

 

M. HÉRIOT.

Du roi !... taisez-vous... je ne suis rien du tout... un homme en place, pas davantage... ami de tout le monde... Ainsi, rassurez-vous. Que votre protégé paraisse, et ne vous mêlez pas de mes opinions... c'est insupportable !

 

ROBIN.

Toujours persécutés pour être quelque chose ! (Ici Hélène arrive et écoute.)

 

ALICE, à M. Hériot.

Oh ! monsieur, son malheur vous intéressera tout de suite... le son de sa voix, son regard, son langage, annoncent la douceur, les meilleurs sentiments, et son sourire va droit au cœur !...

 

M. HÉRIOT, impatienté.

Il n'est pas ici question de douce voix, de sourire et de sensiblerie... tout cela m'est fort égal... Qu'il paraisse... voilà ce que je veux !

 

ROBIN.

Mais où se cache-t-il, ce soldat de malheur ?...

 

M. HÉRIOT.

Oui ! où se cache-t-il ?

 

HÉLÈNE, à son oreille.

Silence !...

 

M. HÉRIOT, surpris et ayant peur.

Bon !... la folle à présent !

 

HÉLÈNE, montrant la grange.

Il est là.

 

ALICE.

Ciel !...

 

HÉLÈNE, souriant avec malice.

Au point du jour, je l'ai vu qui rentrait… un gentil montagnard !... allez donc le chercher, et qu'il vienne là-bas, me dire son secret ; ça me divertira.

(Elle va s'asseoir sous le berceau.)

 

ALICE, à M. Hériot.

Sa raison égarée...

 

M. HÉRIOT, vivement.

Taisez-vous ! s'il est là, nous le verrons bientôt... j'ai le mot d'ordre, moi ! (Il s'approche de la grange, et articule d'une voix creuse.) France !... Londres !... Hollande !

 

 

SCÈNE V
LES MÊMES, DERBY, en soldat montagnard.

 

DERBY, sortant vivement de la grange.

Silence !

 

ALICE.

Il est perdu !

 

M. HÉRIOT, à Robin.

Tu vois : ça va tout seul.

 

ROBIN.

Ça ne va que trop bien !

 

M. HÉRIOT, bas à Derby.

On vous attend chez moi : Jean-Patrice Hériot.

 

DERBY.

J'y vais ; partez vous-même.

 

M. HÉRIOT, très bas.

A vos ordres, mylord !... car ce déguisement...

 

DERBY, vivement, désignant Alice.

Taisez-vous devant elle.

 

M. HÉRIOT.

Fort bien ; et je m'en vais.

 

DERBY, désignant Robin.

Emmenez ce garçon, nous en aurons besoin.

 

ROBIN.

Moi ?..

 

M. HÉRIOT, le prenant sous le bras.

Hein?... que t'avais-je dit ? y es-tu, maintenant ?

 

ROBIN, serrant son cou.

Et jusque-là peut-être !

 

M. HÉRIOT, l'entraînant.

A la grâce de Dieu !

(Ils sortent.) Musique.

 

 

SCÈNE VI
DERBY, ALICE.


DUO.
ALICE, désignant à Derby M. Hériot qui sort.

Quoi ! vous semblez d'accord ! quelle est votre espérance !

Reviendrez-vous bientôt pour calmer ma frayeur ?

 

DERBY.

Qui peut savoir combien doit durer mon absence !

Adieu, vous, d'un ami l'ange consolateur !

En soldat fidèle

Il faut obéir ;

Le devoir m'appelle,

Et je vais partir !

De toute ma vie

Adieu le bonheur !

Et près d'une amie

Va rester mon cœur !

 

ALICE, à part.

C'était donc un mensonge

Qu'un espoir si charmant !

 

DERBY, à part.

D'écouter un vain songe

Que je fus imprudent !

 

ALICE.

C'était un songe !

 

DERBY.

Un doux mensonge !

 

ALICE.

Il va s'enfuir !

 

DERBY.

Il faut partir !

 

ALICE.

Vous reviendrez ?

 

DERBY, à part.

Ah ! que lui dire ?

Dois-je finir sa douce erreur ?

 

ALICE.

Vous reviendrez ?

 

DERBY.

Je le désire !

(A part.)

Je n'ose pas briser son cœur !

 

ALICE.

C'était un songe !

 

DERBY.

Un doux mensonge !

 

ALICE.

Il va s'enfuir !

 

DERBY.

Il faut partir !

Adieu, tu vois mes larmes !

Hélas ! dans l'avenir,

Mon sort n'aura de charmes

Que par le souvenir !

 

ALICE.

Il va s'enfuir !

Il va partir !

 

Ensemble.

ALICE ET DERBY.

Adieu, tu vois mes larmes !

Hélas ! dans l'avenir,

Mon sort n'aura de charmes

Que par le souvenir !

(A la fin du duo Hélène est entrée, et, au moment où Derby se sépare d'Alice, elle les prend tous les deux par la main, dépose un baiser sur le front d'Alice, et fait signe à Derby de l'imiter ; il embrasse Alice tremblante, qui rentre précipitamment à la ferme, tandis que Derby sort d'un autre côté.)

 

 

SCÈNE VII

HÉLÈNE, sur le devant de la scène ; LE COMTE, couvert d'un manteau, sortant avec précaution de derrière les arbres du fond.

 

LE COMTE, sans voir Hélène.

Oh ! que de souvenirs ! Oui , je reconnais tout !... la ferme de Robin, le verger, la prairie !... Et puis de ce côté, là-bas, au-dessus des arbres, la tourelle du château !... Mon Dieu, je vous rends grâces !... Et ma fille est ici !... ma fille !... je vais donc enfin la connaître.

 

HÉLÈNE.

C'est bon ; je suis contente ! ils sont charmants nos petits amoureux.

 

LE COMTE, se retournant.

Ah ! quelqu'un près de moi.

 

HÉLÈNE, sans le voir.

Oh ! la jolie noce que nous allons faire... je veux être bien belle… ma robe de soie bleue mes gants blancs, mon bonnet de dentelles !... j'entre au salon ! (Elle fait des révérences.)

 

LE COMTE, à part.

C'est Hélène !... c'est elle !... Hélas ! m'a-t-on dit vrai ? et l'égarement de sa raison ?...

 

HÉLÈNE, débitant.

Mes jeunes fiancés, le cœur tout réjoui, je viens vous complimenter, et voici tout le village...

 

LE COMTE, l'abordant.

Hélène !...

 

HÉLÈNE, sans se retourner.

Eh ! oui, c'est moi... Hélène, une pauvre fille recueillie dans le château, et qui depuis son enfance a mangé le pain de ses maîtres... Et puis là, tout à coup, un orage... des soldats du parlement... des méchants qui sont venus pour m'enlever Alice... la fille de mylord !... Oh ! s'il vivait encore ! si je pouvais lui dire !... calmez-vous, monseigneur : vite, lisez, lisez mon billet... Robin a dû vous le porter !... (Pleurant.) Mais il est mort monseigneur, je veux mourir aussi, moi... je veux aller là haut pour retrouver mon maître et le servir encore.

 

LE COMTE, très ému.

Ne pleure plus, Hélène !... je t'apporte l'espérance ; demain, ce soir peut-être, notre sort va changer.

 

HÉLÈNE, l'examinant.

Je ne vous connais pas.

 

LE COMTE.

COUPLETS.

1er.

Regarde-moi, je t'en supplie,

Et ta raison va revenir !

Toujours de toi , fidèle amie ,

Moi j'ai chéri le souvenir !

A ton oubli je ne puis croire ;

De ton esprit si le malheur,

Hélas ! égare la mémoire,

Tu dois garder celle du cœur !

 

2e.

Ressouviens-toi de ton jeune âge

Et d'un château, noble séjour,

Où le bonheur fut ton partage

Et que tu dois revoir un jour

A ton oubli je ne puis croire !

De ton esprit si le malheur,

Hélas ! égare la mémoire,

Tu dois garder celle du cœur !

 

HÉLÈNE.

Le château ?... ah ! oui, j'y étais quand ils ont tué mylord qui passait dans une barque..

 

LE COMTE.

Non ; on a dû t'apprendre que les jours de ton maître avaient été sauvés, et qu'on attendait son retour.

 

HÉLÈNE.

Qui a pu dire cela ? des menteurs.

 

LE COMTE.

Un jeune homme, un ami, que vous avez caché pendant quelques jours à la ferme.

 

HÉLÈNE, riant.

Ah ! oui, là, dans la grange ; il est parti.

 

LE COMTE.

Je sais ; nos amis l'ont mandé ; nous sommes tous d'accord, et des avis secrets qu'il m’a fait parvenir...

 

HÉLÈNE.

Oh ! oui ; des secrets !... Alice le sait bien.

 

LE COMTE, curieux.

Alice ?...

 

HÉLÈNE.

Oui, Alice, la fille que mylord m'a dit de lui garder. C'est elle qui sauva dans le bois ce jeune soldat poursuivi par les Têtes-rondes.

 

LE COMTE, à lui-même.

Ma fille l'a sauvé !... Ainsi donc le hasard seconde mes projets.

 

HÉLÈNE, riant.

Robin a eu bien peur de notre prisonnier !... il est poltron, Robin ! mais il est riche, riche !... le château est à lui.

 

LE COMTE.

On me l'a dit. Mais sa richesse d'où vient-elle ?... Ne te souviens-tu pas d'un trésor que ton maître ?...

 

HÉLÈNE.

Chut !... oui, oui... la cachette !... un trésor... un coffret... de l'or, des diamants... Robin m'a pris tout cela.

 

LE COMTE, à lui-même.

Serait-il bien possible !... ce temps de trahison !... aurait-on profité de la démence d'Hélène ?

 

HÉLÈNE, s'impatientant.

Hein ?... qui m'appelle encore ?... c'est à n'en pas finir ! Hélène par-ci, Hélène par-là ! Valets, servantes, majordome !... Et sans compter la mariée qui m'attend pour sa toilette. (Au comte.) Pardon, monsieur, pardon. Vous êtes invité ?... passez dans le salon, on va bientôt descendre. (Alice et Rose paraissent au fond.) Tenez, tenez, voici Alice et Rose... car j'ai deux filles, moi ! Voyez qu'elles sont jolies ! voyez si je suis heureuse !... (Sortant vivement.) On y va, monseigneur, on y va ; me voici.

 

 

SCÈNE VIII

LE COMTE, ALICE ET ROSE, dans le fond, étonnées de voir un étranger.

 

TRIO qui commence le final.

LE COMTE, à part avec émotion.

Les voilà deux ensemble ;

Mais un père aisément

Doit toujours, il me semble,

Deviner son enfant :

Que mon cœur me décide ;

Essayons, taisons-nous ;

La nature est un guide

Si fidèle et si doux !

 

ROSE, à Alice.

En ces lieux que vient faire

Ce seigneur inconnu ?

 

ALICE.

Il parlait à ma mère ;

Je ne l'ai jamais vu.

 

ROSE.

Approchons.

 

LE COMTE, à part.

Mon cœur tremble !

 

ROSE.

Approchons.

 

ALICE.

Non, j'ai peur.

 

ROSE.

Nous voilà deux ensemble :

Pourquoi donc ta frayeur ?

 

En trio, ensemble à voix basse.

[ LE COMTE, à part.

[ Les voilà deux ensemble :

[ Mais un père aisément

[ Doit toujours, il me semble,

[ Deviner son enfant !

[ Que mon cœur me décide :

[ Essayons, taisons-nous ;

[ La nature est un guide

[ Si fidèle et si doux !

[

[ ALICE ET ROSE, à part.

[ Qu'ont-ils pu dire ensemble ?

[ Ils causaient vivement,

[ Du pays, ce me semble,

[ Il n'est pas habitant.

[ Notre abord l'intimide,

[ Mais son air semble doux ;

[ Qu'est-ce donc qui le guide

[ Aujourd'hui près de nous ?

 

LE COMTE.

Approchez, mes jeunes filles,

Avec moi ne craignez rien.

L'amitié, pour nos familles,

Fut jadis un doux lien.

(Il les regarde tour à tour avec une curiosité qui étonne les jeunes filles.)

 

ROSE.

Dans vos yeux on voit la crainte ;

Avez-vous quelque tourment ?

 

ALICE.

Etes-vous, parlez sans crainte,

L'ennemi du parlement ?

 

LE COMTE.

Oui , j'ai fui l'Angleterre,

Les complots des méchants ;

Sur la rive étrangère

J'ai souffert bien longtemps !

 

ALICE ET ROSE, vivement.

Ah ! venez ! et tranquille,

Près de nous, en secret,

Vous aurez un asile

Et paisible et discret.

(Elles remontent la scène pour voir si personne ne peut les surprendre.)

 

LE COMTE, à part.

Que leur voix est touchante !

Quel moment ! doux plaisir !

L'une et l'autre est charmante

Et j'hésite à choisir !

Et pourtant, je crois lire

Dans mon cœur, et j'ai là

Une voix pour me dire :

Ton enfant, la voilà !

 

ALICE ET ROSE.

Un secret le tourmente ;

Je le plains de souffrir !

Que le sort lui présente

Un plus doux avenir !

Dans nos yeux il veut lire

Qui de nous l'aimera

Et savoir s'il peut dire :

Sauvez-moi, me voilà.

(Elles l'entourent et veulent l'emmener dans la maison.)

 

LE COMTE.

Non, je ne puis ici m'arrêter davantage.

J'y cherchais un ami dont le noble courage

A servi notre cause au péril de ses jours,

Et de l'une de vous a béni le secours.

 

ALICE, vivement.

Ciel !... un soldat blessé ?...

 

LE COMTE, vivement.

Justement !

 

ROSE, étonnée.

Qu'est-ce à dire ?

 

ALICE.

Poursuivi ?

 

LE COMTE.

Poursuivi.

 

ALICE.

Sans soutien !

 

LE COMTE.

Sans soutien.

 

ALICE.

Votre ami ?

 

LE COMTE.

Le plus cher.

 

ALICE.

Son secret...

 

LE COMTE.

Est le mien.

 

ALICE.

Ah ! monsieur !..

 

LE COMTE.

Poursuivez ! dans vos yeux je crois lire !...

 

ALICE.

C'est moi !...

 

LE COMTE.

C'est vous !...

 

ALICE.

C'est moi ! mon secours le sauva !

 

LE COMTE, vivement.

Ah ! mon cœur disait vrai !.. c'est elle ! la voilà!

 

Ensemble, reprise animée.

[ LE COMTE.

[ O moment qui m'enchante

[ Et prévient mon désir !

[ O rencontre touchante !

[ Quel bonheur, quel plaisir !

[ Dans mon cœur j'ai su lire !

[ Doucement j'avais là

[ Une voix pour me dire :

[ Ton enfant, la voilà !

[

[ ALICE.

[ Ah ! j'étais si tremblante

[ Quand, tout près de périr,

[ De sa voix défaillante

[ Il me dit d'accourir !

[ Mais aussi quel délire

[ Quand le ciel accorda

[ A mes vœux un sourire

[ Et par moi le sauva !

[

[ ROSE, étonnée.

[ Aventure étonnante !

[ Quoi, tout près de périr,

[ Un soldat se présente

[ Qu'il fallait secourir ?

[ Près de nous il respire,

[ Et chacun l'ignora ?

[ Et ma sœur, sans rien dire,

[ A conduit tout cela !

(Le comte prend les mains d'Alice, et va se faire connaître, lorsqu'un coup de canon retentit au loin. Puis le son des cloches qui se répondent et dont le bruit se rapproche toujours.)

 

LE COMTE, vivement.

Oh ciel ! entendez-vous?

 

ALICE ET ROSE.

Quel bruit!

 

LE COMTE.

Il vient de Londre !

Et les cloches qui vont jusqu'à nous se répondre !...

Entendez-vous !... Mon Dieu ! voici donc le grand jour ?

 

ROSE ET ALICE.

Quelle est donc la nouvelle

Que ce bruit nous révèle ?

 

 

SCÈNE IX

LES MÊMES, ROBIN.

 

ROBIN, accourant.

Alice !... Alice!... milady !...

 

ROSE.

Eh bien ! Alice, me voici.

 

LE COMTE, très surpris.

Ciel !...

 

ROBIN, à Rose.

Vous voilà comtesse autant qu'on le peut être !

Ah ! quel bonheur pour vous ! votre père est ici !

 

ROSE.

Mon père ?

 

ALICE.

Monseigneur ?

 

ROBIN, voyant le comte.

Ah ! mon maître, mon maître !

(Poussant Rose dans les bras du comte.)

Alice !...

 

LE COMTE.

Se peut-il ?

 

ROSE.

Ah ! mon père !

 

ALICE, aux genoux du comte.

Mylord !

 

LE COMTE, embrassant Rose.

Ma fille !... ah! j'aurais dû, d'abord,

T'embrasser et te reconnaître !

(A part.)

La démence d'Hélène a trompé mon amour !

 

ROBIN, sortant en courant.

Holà ! tous les amis !... Monseigneur de retour !

(Canon et cloches.)

 

 

SCÈNE X
LES MÊMES, excepté ROBIN ; HÉLÈNE.
 

HÉLÈNE, en désordre.

Écoutez , écoutez ces soldats en furie...

Le bateau de mylord !... c'en est fait de sa vie !

 

ALICE, lui montrant le comte.

Ah ! ma mère, voyez !...

 

LE COMTE.

Hélène, ouvre les yeux.

 

HÉLÈNE, entraînant Alice sous le berceau.

Viens, viens, ils sont méchants ! cache-toi, je le veux !

 

 

SCÈNE XI

LES MÊMES ; ROBIN, entouré de villageois et portant le coffret qu'on a vu au premier acte.

 

CHŒUR, très fort.

Vivat ! vivat ! victoire !

A mylord tous nos vœux !

Que Dieu lui donne gloire

Et de longs jours heureux !

 

ROBIN, s'inclinant devant le comte.

Chant simple et doux.

Monseigneur, cette cassette

Sous vos yeux vient de nouveau.

Le trésor paya l'emplette

De la terre et du château.

Nous avions un cœur fidèle

Pour mylord, noble exilé ;

De la maison paternelle

Monseigneur, voici la clé.

(Il fait voir une clef qui est dans la cassette.)
 

LE COMTE, l'embrassant.

Oh ! cœur vraiment fidèle !

 

ROSE, vivement.

Oh ! je savais son zèle !

 

CHŒUR.

Vive Robin et monseigneur !

A tous les deux honneur, honneur !

 

 

SCÈNE XII

LES MÊMES ; DERBY, en habits de son rang, et entrant vivement suivi d'un parti de Cavaliers.

 

DERBY.

Partons, mylord, partons ! à Londre on nous appelle.

 

ALICE, le voyant.

Oh ! ciel, quel changement !

 

DERBY, la voyant et à part.

Mon Dieu ! veillez sur elle.

 

CHŒUR DE CAVALIERS.

Partons, mylord , partons, à Londre on nous appelle !

 

LE COMTE, tenant la main de Rose.

Viens à Londre avec nous. Approchez lord Derby.

A vous deux, désormais, partagez ma tendresse,

Et qu'en ce doux instant ma fille ici connaisse

L'époux que, dès longtemps, pour elle j'ai choisi.

(Il unit leurs mains. Alice tombe dans les bras d'Hélène qui reste impassible.)

 

CHŒUR.

Ah ! quel beau mariage !

Honneur, honneur, hommage !

(Le canon et les cloches. Mouvement d'orchestre très animé.)

 

LE COMTE, DERBY ET CAVALIERS.

Allons , on nous appelle !

Marchons toujours unis !

Que notre cœur fidèle

Réponde à nos amis.

 

ROSE, courant embrasser Hélène et Alice.

Adieu, ma mère, adieu ma sœur,

Adieu, Robin.

 

ROBIN, lui apportant son manteau et son chapeau.

Et bon voyage !

 

ROSE, lui tendant la main.

Je reviendrai.

 

ROBIN.

Chacun partage,

En ce beau jour, votre bonheur.

 

ALICE, pleurant à l'écart.

Un noble lord !

 

DERBY, à part la regardant.

Quelle douleur !
 

CHŒUR GÉNÉRAL et très vif avec canon et cloches.

[ LE COMTE ET LES CAVALIERS.

[ Allons, on nous appelle !

[ Marchons toujours unis !

[ Que notre cœur fidèle

[ Réponde à nos amis !

[

[ VILLAGEOIS.

[ Allons, on vous appelle !

[ Marchez toujours unis :

[ Que votre cœur fidèle

[ Réponde à vos amis !

[

[ DERBY, à part.

[ De son amour fidèle,

[ Hélas ! quel est le prix !

[ Moi qui n'adore qu'elle,

[ Malheureux que je suis !

[

[ ALICE, à part.

[ Oh ! peine trop cruelle !

[ O mon Dieu ! qu'ai-je appris ?

[ De mon amour fidèle

[ Voilà quel est le prix !

[

[ ROSE, à Robin.

[ On m'enlève, on m'appelle ;

[ Soumise, j'obéis :

[ Mais je serai fidèle

[ A mes premiers amis.

[

[ ROBIN, à Rose.

[ A Londre on vous appelle,

[ C'est un fort beau pays :

[ Mais vous serez fidèle

[ A vos premiers amis.

[

[ HÉLÈNE, filant.

[ Au bal on nous appelle.

[ Sur les gazons fleuris,

[ Chacun avec sa belle,

[ Dansez ! mes bons amis.

(Le comte, Derby et les Cavaliers avec Rose sortent par le fond à droite. Robin, et les villageois se rangent et les suivent de l'œil et du geste. Alice retombe sur le banc à côté d'Hélène, qui, la voyant pleurer, lui passe un bras autour du cou et essuie ses larmes en souriant, comme on a coutume de consoler un enfant. Tableau. — La toile tombe.)

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

 

Le théâtre représente les jardins du château. Des arbres dans le fond sous lesquels on arrive de loin. A droite, aux premières coulisses, le mur et la porte vitrée de cette chambre des enfants dont il a été parlé au premier acte et qui sépare le jardin de la bibliothèque. A droite encore, dans l'angle du fond, une chapelle seigneuriale. — A gauche, à la troisième coulisse, une estrade avec porte annonçant les salons du château. Du même côté , plus bas, un siège de jardin ombragé.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE


LE COMTE seul, en costume de lord, regardant autour de lui.
AIR.

Ah ! je n'eus de ma vie

Un instant plus heureux :

Et mon âme est ravie

A l'aspect de ces lieux.

Chaque pas me révèle

Un bonheur, un plaisir,

Chaque pas me rappelle

Un charmant souvenir.

(Regardant.)

Là pour ma mère

Fleur printanière

Venait s'ouvrir,

S'épanouir !

Marchant à peine,

Là, près d'Hélène

Enfants tous deux,

Nos premiers jeux !...

Ah ! que l'air de ces lieux

Est pur, délicieux !

Dans la chapelle où pria ma famille,

Où je dois voir un gage de bonheur,

Je vais, enfin, ce soir unir ma fille

Au jeune ami dont j'ai formé le cœur.

Je puis demain terminer ma carrière

En bénissant la loi de l'éternel ;

Je puis mourir, mon Dieu, car ma paupière

Se fermera sous le toit paternel !

Mais cependant, de mon jeune âge

Je sens la force et le courage !

Oui, de mon cœur le doux plaisir,

Vient m'agiter me rajeunir !

Ah ! je n'eus de ma vie

Un instant plus heureux !

Et mon âme est ravie

A l'aspect de ces lieux !

Chaque pas me révèle

Un bonheur, un plaisir :

Chaque pas me rappelle

Un charmant souvenir.

 

 

SCÈNE II
LE COMTE, ROBIN, accourant essoufflé.

 

ROBIN.

Ah !... me voici, mylord, j'ai fait toutes mes courses, je n'ai rien oublié. Tout le village va venir pour la cérémonie : j'amène le notaire, il vous attend dans le salon. Mais M. Hériot ne viendra pas à la noce, il a la courbature. Cette nuit, en rêve, il a vu Cromwel, et il prétend qu'un torticolis s'en est suivi tout aussitôt.

 

LE COMTE, avec intérêt.

Et Rose, ta cousine, je t'avais recommandé de me l'amener.

 

ROBIN.

Oui, mylord, vous l'allez voir, elle m'a suivi ; mais il a fallu me fâcher et lui faire sentir que son devoir l'appelait au mariage de miss Alice. Je ne sais ce qu'elle a : toujours triste, rêveuse et des pleurs dans les yeux.

 

LE COMTE.

Des pleurs ? Et pourquoi donc ?

 

ROBIN.

C'est à n'y rien comprendre.

 

LE COMTE.

Je la vois, ce me semble.

 

ROBIN.

Oui, là-bas, sous ces arbres. (Appelant.) Hé ! Rose ?... par ici monseigneur te demande.

 

LE COMTE.

Bien. Va dire au notaire de m'attendre un instant.

 

 

SCÈNE III
LE COMTE, ALICE.


ALICE.

COUPLETS.

Premier.

Ah ! mylord, j'arrive

Pour vous obéir,

Mais, triste et craintive,

Je veux repartir !

Ma mère m'appelle,

Presse mon retour ;

Je ne puis loin d'elle

Passer un seul jour !...

Dans notre campagne,

D'être sa compagne

Dieu m'a fait la loi.

Hélas ! sur la terre

Je n'ai que ma mère,

Elle n'a que moi !

 

Deuxième.

Le bonheur d'Alice

Nous est cher à tous !

Que le ciel bénisse

Elle et son époux !

Ce bonheur s'apprête,

Et, loin de ces lieux,

Aux vœux de la fête

J'unirai mes vœux !...

Ma mère m'appelle,

Et d'être auprès d'elle

Dieu m'a fait la loi.

Hélas ! sur la terre

Je n'ai que ma mère,

Elle n'a que moi !

 

LE COMTE, attendri et à part.

Que de charme dans sa voix et dans tous ses traits !

 

ALICE, inquiète.

N'est-ce pas, monseigneur, vous me permettrez de retourner à la ferme ? Je n'ai pas voulu vous désobéir. Robin est venu me chercher ; mais il est effrayé comme moi de savoir ma mère seule et sans avoir qui la surveille.

 

LE COMTE.

Mais Robin m'a parlé d'une servante dévouée et qui ne la quittera pas.

 

ALICE.

Ah ! oui, la pauvre vieille Marguerite ; mais elle peut à peine marcher. Ma mère ne l'écoute guère, et elle lui échappera quand sera venu le moment terrible où il faut toujours que je sois là pour l'empêcher de sortir.

 

LE COMTE.

Comment ?

 

ALICE.

Ne vous l'a-t-on pas dit, mylord ? Hélas, oui, chaque soir, dès qu'elle entend sonner dix heures à l'horloge du village, ma mère pousse un cri !... Robin ! Robin !... dit-elle, le secret !... monseigneur !... au château ! au château !... viens, viens ! .... j'y veux aller !  Et c'est moi seule, alors, qu'elle veuille écouter. Je lui prends la main, je l'embrasse. Elle me regarde attentivement, incline sa tête devant moi... et la voilà soumise, obéissante et docile.

 

LE COMTE.

En effet, dix heures sonnaient quand ma barque passa sous les murs du château, et que les soldats de Cromwel tirèrent sur nous.

 

ALICE.

C'est cela. Cette idée lui revient tous les soirs, et Robin m'a souvent raconté vos dangers et le désespoir de ma mère !... Ah ! mylord, quel bon cœur que celui de Robin ! et que nous lui devons tous de reconnaissance !

 

LE COMTE, lui prenant la main.

Robin ?... Ah ! mon enfant , il n'est personne que j'estime davantage. Je lui dois tout, vous le savez... et je compte sur vous pour m'aider à payer ma dette.

 

ALICE.

Moi, mylord ? Et comment ?

 

LE COMTE, avec beaucoup d'intérêt.

Robin vous le dira. Le ciel vous a privée des conseils d'une mère ; sa raison ne peut plus guider votre jeune âge, s'occuper de votre avenir... C'est à moi d'y songer, et je veux que vous retrouviez dans mon cœur tous les sentiments d'un père.

 

ALICE.

Que de bonté, mylord !... mais souffrez que je m'en retourne. Si vous saviez mes craintes !...

 

LE COMTE.

Eh quoi ! pendant la nuit, vous en retourner seule !... On vous reconduira, je vous le promets, après la cérémonie. Nous n'attendons que le futur époux qui va bientôt arriver. En marchant à l'autel, Alice vous veut auprès d'elle ; allez la voir, allez admirer ses habits de noce, les présents qu'elle a reçus : toutes ces belles choses plaisent aux yeux des jeunes filles.

 

ALICE.

Et où est Alice, monseigneur ?

 

LE COMTE, désignant la porte à droite.

Ici. Elle a voulu occuper le dernier appartement d'Hélène, la bibliothèque qui donne sur la mer, au bout de cette chambre qu'on appelle toujours la chambre des enfants, et où vos deux berceaux sont restés encore. Entrez, Rose, on m'attend, allez embrasser ma fille ; aimez-la toujours comme une sœur, et n'oubliez jamais de lui donner ce nom. (Il sort.)

 

 

SCÈNE IV
ALICE, DERBY.

 

ALICE, seule un instant, et avec effort.

Allons !... obéissons !... Et, puisqu'il est absent, j'aurai, je crois, la force...

 

DERBY, arrivant vivement par le fond.

C'est elle !...

 

ALICE.

Ciel !...

 

DERBY, très vivement.

De grâce, écoutez-moi ! je suis au désespoir !

 

ALICE, tremblante.

Ah ! mylord !... par pitié !...

 

DERBY, très vivement.

De la pitié ?... C'est moi qui vous demande grâce !... J'aurais dû vous dire mon nom véritable et vous avouer mon déguisement ! Mais, les premiers jours, cette confidence était inutile, et, plus tard , elle me devint impossible ! Déjà je vous aimais trop, et vous m'auriez soudain retiré votre amour ! Il eût fallu vous dire que j'étais enchaîné, que mon père était le compagnon d'armes du comte, et qu'à son lit de mort, en France, il me fit jurer d'épouser Alice quand Dieu me rendrait ma patrie et les richesses de ma famille !... Ce jour est arrivé : le comte fut mon second père ; il a mis la main de sa fille dans la mienne ; on m'attend pour marcher avec elle à l'autel !... Mais il est temps encore d'empêcher mon malheur, le vôtre et celui d'Alice elle-même !... Rose ! dites un mot !... Votre consentement !... et c'est à vous, à vous que je donne ma foi !

 

ALICE, avec effroi.

Oh ! ciel !... que dites-vous !...

 

DERBY.

Ce que vous sauriez déjà si vous aviez voulu m'entendre, si vous ne m'aviez pas renvoyé toutes mes lettres sans les ouvrir, enfin, si j'avais pu vous rencontrer à la ferme d'où je viens en ce moment.

 

ALICE, tremblante.

Eh bien ?

 

DERBY.

Je veux, à tous, déclarer mon amour !...

 

ALICE, suppliante.

Mylord !...

 

DERBY.

Non ! je ne puis me séparer de vous ! Que m'importent la cour, le monde, les honneurs !...

 

ALICE, regardant autour d'elle.

Oh ! silence !...

 

DERBY.

A vous seule et mon cœur et ma main !...

 

ALICE, au désespoir et très vivement.

Jamais ! jamais !... Mon Dieu !... Moi pauvre infortunée, moi, la fille de la malheureuse Hélène, moi, je serais, mylord, la rivale d'Alice !... Il me faudrait rougir aux yeux de tout le monde, et vous voir bientôt rougir vous-même de m'avoir élevée jusqu'à vous !... Sauvez-moi, sauvez-moi de tant d'humiliation ! et laissez-moi mourir de vous avoir aimé ! .... Grâce, grâce, mylord !... Faut-il la demander en tombant à genoux...

 

DERBY, la recevant dans ses bras.

Oh ciel !...

 

Duo très animé.

DERBY.

Vous le voulez !...

 

ALICE.

Je vous implore !

 

DERBY.

Vous le voulez !...

 

ALICE, regardant.

Je meurs d'effroi !

 

DERBY.

Quoi, tant d'amour !...

 

ALICE.

Hélas ! encore !...

 

DERBY.

Malheur pour tous !

 

ALICE.

Ah ! laissez-moi !

 

Ensemble très vif.

[ DERBY.

[ Adieu donc pour la vie,

[ Et malheur sans retour !

[ Car jamais on n'oublie

[ En son cœur tant d'amour !

[ Ah ! pour moi, pour vous-même

[ Plus d'espoir, d'avenir !

[ Quand on perd ce qu'on aime,

[ On n'a plus qu'à mourir !

[

[ ALICE.

[ Recevez pour la vie

[ Mes adieux en ce jour !

[ Oubliez d'une amie

[ Les regrets et l'amour !

[ Par pitié pour vous-même

[ N'allez pas vous trahir !

[ C'est à moi qui vous aime,

[ C'est à moi de mourir !

 

DERBY.

Quel moment !

 

ALICE.

Oh ! ma mère !

Je vivrai ! mais pour toi.

En fermant la paupière,

Ah ! ne pars qu'avec moi !

 

DERBY.

Quel tourment !

 

ALICE.

Du courage!

Monseigneur vous attend.

Un serment vous engage.

Quittons-nous à l'instant !

 

DERBY.

Ah ! quel moment !

 

ALICE.

On vous attend !

 

DERBY.

Ah ! quel tourment !

 

ALICE.

On vous attend !

 

Reprise.

DERBY.

Vous le voulez !...

 

ALICE.

Je vous implore !

 

DERBY.

Vous le voulez !...

 

ALICE.

Je meurs d'effroi !

 

DERBY.

Quoi, tant d'amour !..

 

ALICE.

Hélas, encore !

 

DERBY.

Malheur pour tous !

 

ALICE.

Ah ! laissez-moi !

 

Ensemble très vif.

[ DERBY.

[ Adieu donc pour la vie,

[ Et malheur sans retour !

[ Car jamais on n'oublie

[ En son cœur tant d'amour !

[ Ah ! pour moi, pour vous-même,

[ Plus d'espoir, d'avenir !

[ Quand on perd ce qu'on aime

[ On n'a plus qu'à mourir !

[

[ ALICE.

[ Recevez pour la vie

[ Mes adieux en ce jour !

[ Oubliez d'une amie

[ Les regrets et l'amour.

[ Par pitié pour vous-même

[ N'allez pas vous trahir !

[ C'est à moi qui vous aime,

[ C'est à moi de mourir !

 (Derby, désespéré entre vivement dans les salons.)
 

 

SCÈNE V

ALICE, ROSE, en toilette de noce.

 

ROSE, sans voir Alice.

Ah ! mon Dieu, quel travail que la toilette de madame la mariée !... La robe, les rubans, les gants que l'on déchire !... (Voyant Alice.) Oh ! ciel ! Ah ! quel bonheur ! Enfin te voilà donc ! embrasse-moi bien fort.

 

ALICE, très émue.

Alice !...

 

ROSE.

Et ce méchant Robin qui me disait toujours : Elle ne viendra pas !... Il ne me manque ici que ma mère !... car elle est toujours ma mère, vois-tu !... Oh ! je veux conserver mes affections et mes habitudes, moi. Et si tu savais quelle fatigue pour en prendre de nouvelles !... Toutes les nobles dames des châteaux voisins qui me donnent des leçons et m'étourdissent les oreilles ! Et faites ceci, gardez-vous de cela, répondez, taisez-vous... Et vous marchez trop vite, et vous allez au soleil pour vous gâter le teint, et vous riez trop fort, et vous allez courir comme une folle avec Robin !... Enfin, ma chère amie, c'est un supplice tel, que j'ai dit à mon père : Mylord, je ne veux pas qu'on invite à mon mariage un seul chapeau à plumes, une seule robe de velours ; sans cela, point de noce ; je n'entre pas à la chapelle, et l'on peut aller chercher une fiancée plus accommodante, de meilleure humeur, et qui sache sourire et bâiller tout ensemble.

 

ALICE.

Eh bien ?...

 

ROSE.

Eh bien, lord Derby, monseigneur et maître futur, a dit que j'avais raison ; et la cérémonie n'aura pour témoins que mon père , M. Hériot , toi, mon ami Robin, et monsieur le notaire en perruque et rabat.

 

 

SCÈNE VI
LES MÊMES, ROBIN.

 

ROBIN, entendant les derniers mots.

Hein ? plaît-il ? Vous parlez de moi et du notaire ? Est-ce que la chose doit aller si vite ? Est-ce que monseigneur veut s'emparer de ma personne sans me donner le temps de commander mon habit de noce ?

 

ROSE.

Comment, ton habit de noce ?

 

ROBIN.

Eh ! oui.

 

ROSE.

Que veux-tu dire?

 

ROBIN.

Vous ne savez donc pas ? je me marie aussi.

 

ROSE.

Toi ?

 

ROBIN.

Comme un grand garçon.

 

ROSE.

Et depuis quand ?

 

ROBIN.

Depuis tout à l'heure. C'est monseigneur qui m'en a fait confidence.

 

ROSE.

Tu es fou ?

 

ROBIN.

Non ; mais tout étourdi. Ce mariage est venu si vite ! c'est comme une tuile qui me tombe sur la tête.

 

ROSE.

Pas possible !

 

ROBIN.

Si fait. Ça vous étonne aussi ?

 

ROSE, naïvement.

Oui. Et cette surprise me rend toute je ne sais comment.

 

ROBIN.

Pourquoi ?

 

ROSE.

Je ne sais pas !... Ça fait battre le cœur.

 

ROBIN.

Oui !... et cependant rien n'est surprenant dans tout cela ; car enfin, quand je m'examine, je suis bâti comme un autre, moi, je me porte assez bien, j'ai l'âge qu'on demande. Enfin, qu'est-ce qui me manque ?

 

ROSE.

Et qui épouses-tu ?

 

ROBIN.

Eh ! vraiment, ma cousine.

 

ALICE.

Qu'entends-je ?

 

ROSE.

Rose ?

 

ROBIN .

Eh ! oui. Elle a dit à mylord que j'avais un bon cœur, qu'elle m'aimait beaucoup... Enfin, de jolies choses... Et mylord a compris ; il va nous marier. Bons amis tous les deux, cousine et cousin, rien de plus naturel ; mais je suis si bête ! je n'y avais jamais pensé.

 

ROSE, naïvement.

Ni moi.

 

ALICE, avec douceur.

Ni moi, Robin.

 

ROBIN.

Vraiment ?... alors, c'est monseigneur qui a eu de l'esprit pour tout le monde.

 

ALICE.

Monseigneur s'est trompé ; j'ai pour vous l'amitié de la plus tendre sœur, vous m'aimez comme un frère ; cette union suffit, et je n'en veux pas d'autre (Une musique religieuse se fait entendre dans la chapelle.)

 

ROSE.

On nous attend. Venez, restez avec moi, je vous prie ; il me semble que votre amitié me devient plus chère en ce jour. (Ils entrent au salon.)

(Ici on voit arriver Hélène à travers les arbres et comme quelqu'un qui craint d'être poursuivie. Il fait nuit.)

 

 

SCÈNE VII

 

HÉLÈNE avançant.

FINAL. — RÉCITATIF.

Où suis-je donc ?...

(Elle entend l'orgue.)

Une chapelle ?

(Elle s'agenouille un instant.)
(S'avançant encore.)

Je suis seule ! Et pourquoi ?... C'est en vain que j'appelle.

(A voix basse.)

Rose !.. Alice !.. Robin ? Venez je suis ici.

(Regardant autour d'elle.)

Quel est donc ce jardin si frais et si joli ?

(Vivement.)

Ah! quel trouble j'ai là ?... Quel coup frappe ma tête ?

Qu'est-ce donc que ce mal ?.. Mon sang soudain s'arrête ?

Tout me semble incertain et confus en ces lieux !

Pourquoi des larmes dans mes yeux ?

(Parcourant le théâtre.)

Ces arbres et ces fleurs, ces murs, la moindre chose

Me donne un doux plaisir dont j'ignore la cause !

(Se trouvant près de la chambre dont la porte est restée ouverte, et où l'on voit de la lumière.)

Que vois-je là ?.. Je crois que ces appartements...

(S'écriant et disparaissant dans la chambre.)

Ah !.. le berceau de mes enfants !

 

 

SCÈNE VIII
 

ALICE, seule, accablée et sortant du salon.

CHANT DOUX ET PIANO.

Je comptais sur mon courage,

J'espérais savoir souffrir ;

Mais, hélas, sur mon visage

Mon tourment doit se trahir !

Oh ! mon Dieu, que l'on me laisse

Seule avec tout mon malheur !

Je succombe à ma faiblesse,

Et la mort est dans mon cœur !

(Elle tombe sur le banc qui est à l'écart à gauche.)

 

SCÈNE IX
ALICE, à l'écart, VILLAGEOIS, LE COMTE, ROSE, DERBY.
(Tout le monde s'achemine vers la chapelle ; l'horloge sonne dix heures. On entend un cri d'Hélène qui paraît un papier à la main.)
 

 

SCÈNE X
TOUS LES PERSONNAGES.

 

HÉLÈNE.

Ah !...

 

TOUS LES AUTRES.

Ciel ! Hélène !

 

HÉLÈNE, reconnaissant le comte et dans ses bras.

Mylord !...

 

TOUS, frappés d'étonnement.

Se peut-il !...

 

HÉLÈNE, au Comte.

Lisez !... lisez !...

 

ALICE ET ROSE.

Ma mère !...

 

DERBY, au Comte.

Quel secret !...

 

LE COMTE, les yeux sur le papier.

Ciel !... Alice !...

 

HÉLÈNE.

Oui. Voilà votre enfant !...

 

TOUS.

Sa fille !...

 

CHŒUR GÉNÉRAL.

O Dieu tout puissant !

Quel événement !

 

HÉLÈNE, tenant Alice embrassée presque évanouie.

Reviens, reviens à toi !

 

ALICE.

Juste ciel ! Oh ! ma mère !

 

ROSE, regardant Hélène et à Alice.

Ma sœur ! oh ! se peut-il ? Dieu finit sa misère !

 

HÉLÈNE.

Le bonheur de ce jour m'a rendu la raison !

 

ALICE.

Ah ! la mienne se perd !

 

LE COMTE, à Hélène.

Pour moi, pour ma maison,

Quel entier dévouement, quel cruel sacrifice !

 

DERBY.

Mon amour devina la véritable Alice !

 

ROSE, prenant le bras de Robin.

Eh! bien, mon bon ami Robin ?

 

ROBIN.

Eh ! bien, me voilà ton cousin :

Et si mylord toujours s'obstine...

A me donner à ma cousine...

 

ROSE.

Tais-toi, nous causerons demain.

 

CHŒUR FINAL.

O Dieu tout puissant,

Quel événement!

Pour la pauvre enfant,

Quel moment charmant !

 

 

 

 

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