Myrdhin
Merlin and Nimue par Edward Burne-Jones (1861)
Opéra-légende en quatre actes (dont un prologue) et six tableaux, livret (vers et prose rythmée) de Simone ARNAUD, musique de Louis BOURGAULT-DUCOUDRAY (composé de 1895 à 1905).
Création au Théâtre Graslin à Nantes le 28 mars 1912.
personnages | emplois | créateurs |
Viviane, enchanteresse | Mmes ARIÈS | |
Carmélis, mère de Myrdhin | mezzo-soprano | CHARNEY |
Gwennivar, femme d'Artur, maîtresse de Mordred | ||
Myrdhin, barde | baryton | MM. JENNOTTE |
le roi Artur | BOUXMANNS | |
Mordred, traître | ténor | Georges FÉODOROFF |
Taliésinn, druide |
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Chef d'orchestre | ERNALDY |
La scène se passe en Angleterre et en Bretagne, aux temps fabuleux de la Table ronde.
Le Grand-Théâtre de Nantes a donné ces jours derniers la première représentation d'un opéra-légende en quatre actes, Myrdhin, dont le poème est dû à Mme Simone Arnaud, et dont la musique est l'œuvre posthume de l'excellent artiste que fut Bourgault-Ducoudray. Myrdhin, c'est la forme bretonne du nom de Merlin l'enchanteur, et le sujet nous reporte aux preux chevaliers de la Table-Ronde, avec le souvenir du roi Arthus, de la fée Viviane et de leurs compagnons. Ce sujet devait convenir au tempérament poétique de Bourgault-Ducoudray, qui ne put jamais aborder le théâtre qu'avec sa belle partition de Thamara, à laquelle on n'a pas rendu la justice qu'elle méritait. La ville de Nantes a bien fait de rendre cet hommage dernier à l'un de ses enfants les plus vraiment distingués. Myrdhin, qui avait pour interprètes Mmes Ariès, Charney, et MM. Jennotte, Féodoroff et Bouxmann, a reçu le meilleur accueil.
(le Ménestrel, 06 avril 1912)
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Nantes. Grand Théâtre. Myrdhin, opéra-légende de Bourgault-Ducoudray, première représentation le 28 mars 1912. Cette année, un mouvement très marqué de décentralisation s'est fait sentir sur nombre de nos troupes provinciales. On ne peut que s'en féliciter. L'œuvre inédite que M. Rachet, directeur des théâtres municipaux de Nantes vient de révéler au public peut se placer au premier rang de celles qui ont été jouées dans ces conditions. La ville de Nantes qui vit naître Bourgault-Ducoudray et qui lui joua alors qu'il n'avait que dix-neuf ans sa première partition, un modeste opéra-comique en un acte, était toute désignée pour le glorifier en montant son dernier ouvrage. Quand Bourgault mourut, il laissait une partition entièrement terminée. Pendant une dizaine d'années il n'avait cessé d'y travailler. Il m'en parla, je m'en souviens, au mois de mai 1895, dans le jardin de sa propriété de Vernouillet. Il était très emballé sur le poème, dont l'acte de la forêt le séduisait tout particulièrement. Il écrivit cet acte, le plus beau de tout l'ouvrage, avec une grande rapidité. Comme l'inspiration ne lui venait pas à Vernouillet, il partit, un beau jour, brusquement, pour le Huelgoat. Là, sous les grands arbres séculaires, il composa, en quinze jours, cette scène capitale. La grande figure de Myrdhin ou Merlin, si populaire en Bretagne, devait attirer particulièrement Bourgault-Ducoudray, resté toujours passionnément attaché à sa vieille province. Le livret sur lequel le musicien a écrit sa partition est de Mme Simone Arnaud. Il est tantôt en vers, tantôt en prose et a été inspiré, en partie, par les vieilles légendes du cycle de la Table Ronde. Il est regrettable que Mme Arnaud, modifiant l'ancienne légende, ait complètement transformé le personnage si délicieusement poétique de la fée Viviane. C'est une étrange idée d'avoir fait de celle-ci une enchanteresse suscitée par Saton, père de Myrdhin, pour perdre ce dernier. En donnant à la jeune femme ce caractère infernal, l'auteur lui a fait perdre en partie son symbole de la Nature bienfaisante et douce qui endort toutes les douleurs. La partition de Myrdhin est excessivement importante. L'œuvre, telle qu'elle fut écrite, est longue et touffue, souvent difficile à réaliser vocalement et scéniquement. Les exigences de la mise au point ont nécessité de nombreuses coupures. La plupart ont allégé l'œuvre sans porter atteinte à son économie générale, sans toucher à aucune page capitale. Myrdhin est, avant tout, une partition de haute sincérité. Elle n'est ni rétrograde, ni révolutionnaire. La mélodie y règne presque constamment en maîtresse, mais cette mélodie est vigoureuse, expressive, d'une contexture très moderne, à part trois courts passages qui détonnent dans l'ensemble. L'harmonie est solide et saine ; l'instrumentation, très soignée, renferme nombre d'effets heureux, de sonorités charmantes ou curieuses ; enfin les rythmes ont une grande variété. Il m'est impossible d'entrer dans l'analyse détaillée du livret. Je me contenterai de citer les points culminants de la partition. Au premier acte, il faut remarquer la scène entre Myrdhin et sa mère Carmélès, le passage symphonique de l'orage, l'apparition de Viviane et l'hymne prophétique, entonné par le barde. Au second acte, deux grandes scènes chorales attirent l'attention. Signalons aussi le récit de la Table Ronde, le chant d'Arthur et la rêverie de Myrdhin. Le 2e tableau du troisième acte est admirable en son entier. Il se passe dans la forêt de Brocéliande et nous fait assister à la grande scène d'amour entre Myrdhin et Viviane. Toute la Nature s’associe à l'hymen des deux amants, les branches ont de longs mouvements d'ondulations provocatrices, puis elles s'inclinent vers Myrdhin et Viviane comme pour participer à l'acte suprême de « l’éternel amour et de l'éternelle volupté ». Les points culminants de cette scène sont la phrase de Myrdhin : Je te croyais rivale... ; celles d'une grâce enjôleuse de Viviane : Ami, je suis l'âme des choses, l'Allegro moderato. Tu me fuyais partout, j'étais partout présente, enfin l'Andante de Myrdhin écrit dans la mesure, — dont jusqu'ici je ne connaissais pas d'exemple, — de 18/8 : Ton souffle parfumé m'apporte les haleines des feuillages mélodieux. Au 2e tableau, notons la lamentation de Myrdhin et la marche funèbre d'Arthur. Le quatrième acte est divisé, lui aussi, eu deux tableaux. Le premier contient un nouveau duo d'amour entre Myrdhin et Viviane, non moins beau que le précédent, et une exquise berceuse de Carmélès devant son fils devenu fou ; le second une vigoureuse scène d'orgie, des chœurs très originaux et une éloquente prière de Carmélès. Myrdhin, dont la première a été donnée en présence du ministre de l'Instruction publique, du sous-secrétaire aux Beaux-Arts, du compositeur Alfred Bruneau, inspecteur général de la Musique et de plusieurs critiques parisiens, a remporté un vif succès. L'interprétation est fort bonne. Le baryton Jennotte a chanté avec une réelle vaillance le rôle écrasant de Myrdhin. Mmes Charney et Ariès ne méritent, elles aussi, que des éloges ainsi que M. Bachmann, un superbe roi Arthur. M. Féodoroff fut moins heureux dans le personnage du traître Mordred. Avec M. Jennotte, le grand triomphateur de la soirée fut l'orchestre que M. Ernaldy dirigea de merveilleuse façon. Myrdhin a été encadré dans de beaux décors et la mise est très soignée. M. Rachet a apporté tous ses soins a la belle œuvre de Bourgault-Ducoudray. Il a droit à toutes les félicitations. En terminant, je souhaite que les portes de l'Académie de Musique s'ouvrent devant la dernière partition de l'auteur de Thamara. Ce ne sera que justice.
(Etienne Destranges, le Monde artiste, 06 avril 1912)
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A la Mémoire de Bourgault-Ducoudray. Les admirateurs de ce cher et grand musicien ont eu une pensée touchante, que nous sommes heureux de communiquer à tous ceux qui, avec nous, gardent au maître, à l'ami un reconnaissant souvenir... Parmi les œuvres inédites qu'il a laissées se trouve un opéra de haute valeur, Myrdhin, qui fut représenté à Nantes, pour la première fois en 1912, avec un succès éclatant. Mais Bourgault-Ducoudray mourut avant d'avoir eu le temps de faire éditer cet ouvrage, qui compte justement comme son meilleur chef-d'œuvre. Pour répondre au désir pieux exprimé par nombre de ses amis, un Comité s'est formé dans le but de faire graver la partition, et d'en réserver une édition absolument spéciale aux souscripteurs de la première heure. Cette édition sera illustrée de portraits, d'autographes, et la liste des souscripteurs sera publiée en tête de l'ouvrage. Toutes les « petites Annales » qui voudront s'associer à cet hommage devront en prévenir M. Paul Cazabonne, secrétaire du Comité, 15, rue du Louvre. Elles auront, par la suite, à payer une somme de 20 francs, et seulement au reçu de la partition. (les Annales, 10 novembre 1912)
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La légende de l'enchanteur Merlin — Merlin est, paraît-il, la corruption de Myrdhin — a déjà fourni la matière de pièces sans nombre. Celle que nous analysons ici est de conception très poétique, mais si fantastique que la réalisation scénique, pour entretenir l'illusion, en est fort difficile. Au premier tableau, nous assistons, dans un paysage sauvage de la Grande-Bretagne, crique rocheuse au bord de la mer, à l'initiation de Myrdhin. Selon qu'il sortira vainqueur ou vaincu de l'épreuve, il sera ou ne sera pas élevé à la dignité de barde. Sa mère Carmélis, femme chrétienne — selon l'esprit de la légende, nous nous trouvons en face d'un curieux mélange de christianisme et de paganisme — apprend au jeune homme qu'il est fils de l'Archange, ce qui redouble sa détermination de triompher de l'épreuve. Celle-ci se déroule sous forme d'apparitions fantastiques au milieu d'un orage, et aboutit à la tentation suprême : Viviane apparaît au novice et lui offre toutes les ivresses de la volupté. Le sentiment de sa mission l'emporte toutefois et il résiste à la séduction ; mais non sans emporter brûlant dans son âme le souvenir de la dangereuse vision. La nuit se dissipe ; Myrdhin est vainqueur, il prophétise et prédit en termes enflammés la victoire du Breton sur le Saxon maudit. A sa main se trouve la harpe et sur son front l'étoile. Il est acclamé par le collège des bardes en qualité de prophète inspiré. Ainsi se termine ce premier acte, qui est plutôt, à vrai dire, un prologue. Le second acte se passe autour de la Table ronde. Artur guerroie contre les Saxons et la victoire lui est fidèle depuis que Myrdhin marche à ses côtés. La reine Gwennivar, épouse adultère, complote la perte d'Artur avec son complice Mordred, mais cette perte ne sera possible que si l'on réussit à se débarrasser de Myrdhin. Artur arrive, le bras amicalement passé au cou de son barde. Le vieux roi breton est une fois de plus victorieux. Les preux de la Table ronde l'accompagnent. Il offre à Mordred, dont il ne soupçonne pas l'infamie, de prendre place à la fameuse table. Mais il faut pour cela que le félon prononce le serment d'allégeance. Pour éviter de s'engager ainsi, Mordred trouve un biais ; il se déclare encore indigne d'un tel honneur, mais, après la bataille décisive qui se prépare, il espère bien prendre sa place à la table. Il ne dit pas qu'il entend s'y asseoir en maître, après avoir trahi la cause bretonne et assuré le triomphe des Saxons. Les Bretons chantent un hymne plein d'une farouche ardeur guerrière. A ce chant, Mordred, qui compte sur Viviane pour assurer la perte de Myrdhin, répond par un éloge de l'amour et de la volupté. Au nom de l'enchanteresse, le barde tressaille, et pendant que les deux chœurs — celui des guerriers et des pages — se font opposition, Mordred instille goutte à goutte le poison au cœur du prophète inspiré. Celui-ci, ébranlé, demande à Artur l'autorisation de s'absenter : il sera de retour pour la prochaine bataille. Il veut enfin connaître les mystères que seule peut lui révéler Viviane ; il ira la chercher dans sa retraite : la forêt de Brocéliande, en Bretagne. Nous entrons, au troisième acte, en pleine féerie. Le décor représente la forêt druidique, avec au fond un lac mystérieux. Cette forêt est vivante, pleine de formes et pleine de voix. Les voix chantent, les formes se dégagent des troncs et des branches, s'affirment dryades et willis. Et Myrdhin avance en tremblant. Le souvenir de sa mère le hante, mais l'impérieux désir l'entraîne. Finalement, s'abandonnant aux influences qui le dominent et le subjuguent, il évoque avec force Viviane et Viviane paraît. Elle émerge miraculeusement du lac tranquille où elle dormait du sommeil magique depuis le jour où, triomphant de l'épreuve, Myrdhin avait bravé ses enchantements. Et la scène à deux commence, enveloppante et voluptueuse. Arrive le moment fatal du baiser. A cet instant passe un vol sinistre de corbeaux, une convulsion secoue la forêt, des fanfares éclatent, on entend des cris désespérés : « Artur ! Artur ! » suivis de longs gémissements. Myrdhin comprend : on a sans lui livré bataille et son roi a succombé. Il fuit livide à travers la forêt livide. La scène change et nous sommes sur le champ de bataille. Scène de carnage, morts et mourants, appels de trompettes. Artur et Mordred entrent en combattant ; d'autres Bretons luttent corps à corps avec des Saxons. Un après l'autre, ils tombent massacrés par leurs ennemis, plus nombreux. Artur succombe à son tour sous les coups du félon Mordred, passé aux Saxons au plus fort de la bataille. Quand Myrdhin, égaré, échevelé, arrive à son tour, il est trop tard, la bataille est perdue. Les morts et les mourants lui reprochent leur défaite. Il voit défiler les ombres des preux de la Table ronde venus chercher le cadavre d'Artur. Il va pour les suivre, mais son père l'Archange l'arrête de la pointe de son épée flamboyante. Ce dernier coup l'achève : repoussé par le ciel, il retournera à l'enfer, vers Viviane, qui l'attend. A l'acte suivant, la féerie reprend. Myrdhin et Viviane vivent au sein de la volupté, sous les ombrages de l'immense foret. La raison l'a abandonné ; il est sans force et sans résistance, hébété, subissant comme un enfant la puissance de l'enchanteresse. Pourtant, il se souvient parfois et le remords l'étreint. Pour effacer l'image horrible, il se plonge alors plus profondément dans l'ivresse amoureuse. Mais sa mère ne l'a pas abandonné. Le crucifix à la main, elle vient pour l'arracher au maléfice. Devant l'image du crucifié, Viviane tremble et recule. Carmélis est victorieuse, mais de quelle victoire ! Le fils qu'elle a reconquis est privé de sa raison. Il ne la reconnaît même pas. Des soldats saxons qui surviennent raillent la pauvre femme et emmènent comme bouffon, pour être à tous un objet de risée, celui qui, jadis, les faisait trembler au seul son de sa voix. La scène change et transporte le spectateur en pleine orgie saxonne. Les chefs sont ivres et continuent à boire. Des prisonniers bretons enchaînés assistent à ce triomphe. Myrdhin, complètement hébété, joue comme un enfant sur le devant de la scène. En vain, Carmélis essaie de le rappeler à la raison. Il répète avec un sourire stupide les chants des vainqueurs. Ceux-ci, excités par Mordred, devenu leur grand chef, célèbrent la prochaine soumission de la Gaule. L'heure serait propice pourtant pour un retour de fortune. Un à un les Saxons succombent, en proie à la lourde ivresse. Il suffirait que, pour un instant, Myrdhin retrouve son inspiration de jadis, qu'il tranche les liens des captifs, et les Saxons seraient à leur merci. Carmélis lance alors au ciel une ardente prière. Et Dieu l'exauce : le regard de Myrdhin s'éclaire peu à peu ; l'inspiration s’empare de lui, il se dresse et lance le chant libérateur. La langue épaisse, plongés dans les vapeurs du vin, les Saxons n'y prennent garde et se contentent d'en rire. Mais Myrdhin a délivré les prisonniers. Ceux-ci, enflammés par ses ardentes paroles, reprennent courage et tandis qu'ils s'apprêtent à fondre sur leurs vainqueurs, dans une vision Artur paraît sur son cheval de bataille pour les conduire une fois encore à la victoire. Carnage : Mordred est égorgé, Gwennivar tombe mortellement frappée. Mais Myrdhin ne survivra pas à son triomphe : Artur l'appelle et il tombe inanimé, les yeux fixés sur l'apparition. Et tandis que Carmélis se précipite sur le corps de son fils en criant : « Myrdhin ! mon fils est mort ! » des voix célestes lui répondent : « Myrdhin est immortel ! »
(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
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