le Palais de Cristal
Madeleine Lafon dans le Palais de Cristal (Musica, mai 1956)
Ballet en un tableau réalisé sur la Symphonie en ut de Georges BIZET.
Création au Théâtre de l'Opéra (Palais Garnier) le 28 juillet 1947. Décor et costumes d'après les maquettes de Léonore Fini. Chorégraphie de George Balanchine.
Mlles DARSONVAL, TOUMANOVA, BARDIN, LAFON.
MM. RITZ, RENAULT, KALIOUJNY, BOZZONI.
Chef d'orchestre : Roger DESORMIERE.
33e représentation le 23 juillet 1951 :
Mlles VAUSSARD, BARDIN, LAFON, BOURGEOIS.
MM. RITZ, RENAULT, BOZZONI
Chef d'orchestre : Louis FOURESTIER.
41e représentation le 18 mars 1953 :
Mlles Christiane VAUSSARD, Micheline BARDIN, Madeleine LAFON, Claude BESSY.
MM. Michel RENAULT, Alexandre KALIOUJNY, Max BOZZONI, J.-P. ANDREANI, Raoul BARI.
Mlles COLLEMENT, GRIMOIN, BERTHEAS, MAXIMY, NAUD, PERROT, VAUCHELLE, AUDOYNAUD, LEBERTRE, MANAL, BERTAGNOL, MONTBAZON, CLERAMBAULT, BIZET, GARRY, DELAUBIER, DELINI, DAVRY, SOUARD, FORET, CASTANIER.
MM. DUFLOT, FRANCHETTI, JODEL, TOUROUDE, BLANC, DUTHOIT, LEFEVRE, AUBURTIN.
Chef d'orchestre : Robert BLOT.
121 représentations à l’Opéra au 31.12.1961.
Revue par John Taras, l'œuvre est reprise à l'Opéra le 18 mars 1970 sous le titre de Symphonie en ut.
Les quatre mouvements (I. Allegro vivo ; II. Adagio ; III. Allegro vivace ; IV. Allegro vivace) de cette œuvre de jeunesse de Bizet ont inspiré au chorégraphe une composition d'une sensibilité musicale exquise dans son jeu élégant de symétrie d'entrées et de pas. A chaque mouvement de la partition correspond l'entrée de deux solistes, accompagnés par le corps de ballet. Au quatrième mouvement (allegro vivace), les quatre couples, entourés des autres danseurs et danseuses, entrelacent le grand final.
Ce ballet a été réglé lors de l'engagement de George Balanchine à l'Opéra en 1947 ; il est sans argument et fait partie du répertoire du Palais Garnier comme un des plus beaux exemples du style balanchinien. La Symphonie en ut avait déjà servi à la chorégraphe anglaise Andrée Howard du Sadler's Wells en avril 1946 pour son ballet Assembly Ball.
Bien qu’universellement admirée de nos jours la Symphonie de Bizet jouit d’une popularité récente en comparaison. On l’a ignorée pendant quatre-vingts ans, mis la partition de côté et on l’a oubliée. Bizet commença à l’écrire alors qu’il était étudiant le 29 octobre 1855, quatre jours après son dix-septième anniversaire, et il la termina en un mois. On n’en entendit plus parler jusqu’à ce qu’elle se trouvât dans un groupe de manuscrits de Bizet présentés au Conservatoire de Paris par le compositeur Reynaldo Hahn.
Après avoir examiné les partitions, D. C. Parker, le biographe anglais de Bizet, aima tellement ce qu’il vit dans les notes délavées du manuscrit qu’il montra la Symphonie à Felix Weingartner qui dirigea finalement ce qu’il paraît être la première représentation, à Bâle le 26 février 1935. On la présenta à Londres plus tard la même année, et elle prit rapidement sa place parmi les morceaux favoris.
Bien que l’ombre de Gounod planât étroitement sur l’épaule de Bizet quand il la composa, la Symphonie montre bien qu’il était doué de « talent musical de naissance » que bien de ses critiques lui ont refusé.
Ses quatre mouvements sont modelés dans un moule directement classique, écrit pour un orchestre symphonique normal sans harpes ni trombones. Après l’allegro vivo de l’ouverture en forme régulière de sonate se trouve un Adagio remarquable pour sa première apparition, dans le ton du hautbois principal, d’un style de mélodie quelque peu orientale qui est une des marques caractéristiques de Bizet et réapparaît à travers toute sa musique ultérieure. Il provoque une surprise en introduisant une fugue au milieu de ce mouvement mais le geste académique est traité avec efficacité, avec un retour merveilleusement net au thème du hautbois à la fin. Dans le troisième mouvement en scherzo, le compositeur tisse en contrepoint le premier air joyeux pour le thème suivant. Les allègres mélodies du Final ne sont pas autant développées que répétées dans une variété de clés, mais en souvenir elles anticipent certains aspects de la musique de Carmen.
« Divertissement purement chorégraphique, réglé sur la Symphonie en ut de Georges Bizet et dont le seul fil conducteur est le lien établi par le maître de ballet entre les danses dont son art et sa fantaisie ont imaginé d'illustrer la musique du maître. »
(Programme de l’Opéra du 18 mars 1953)
Cette ravissante partition a été écrite en 1855 : Bizet avait alors dix-sept ans. Elle demeura enfouie dans les archives du Conservatoire de Paris et ignorée des musicologues jusqu'en 1932, époque à laquelle un savant de Glasgow, Mr Parker, la retrouva. Il en prit copie et la communiqua à Felix Weingartner qui en donna la première audition à Bâle, le 26 février 1935, et la première audition à Paris, le 29 mai 1936 : elle connaît depuis un succès grandissant. Elle est d'une architecture classique et d'une analyse facile en raison de la physionomie caractéristique des thèmes et de la clarté des développements aux périodes nettement séparées par des « ponts » (transitions) sobres et évidents. Le 1er mouvement, Allegro vivace, par son premier thème rapide, fermement accentué à la manière des traits mozartiens, et son deuxième thème poétique, semble l'élégante paraphrase d'une des Ouvertures gaies à deux idées du maître de Salzbourg. Le 2e mouvement, Adagio, s'ouvre par une curieuse introduction modulante en accords dont le rythme annonce celui du premier thème qui est une longue cantilène d'un ton élégiaque. Exposée par le hautbois solo, elle se répétera plusieurs fois intégralement ou à peine décorée ; c'est par elle, mais dans une version abrégée, que se conclura cette partie dont la deuxième idée, qui s'appuie sur les modulations de l'introduction, préfigure par ses inflexions certains moments lyriques des Pêcheurs de Perles. Au centre de ce mouvement, on admirera tout particulièrement une fugue à quatre voix dont le sujet et ses épisodes, écrits avec une bien grande souplesse pour un enfant de dix-sept ans, sont tirés de la cellule rythmique de la première idée. Par son rythme fermement cadencé confié aux cordes graves, le 3e mouvement, Allegro vivace, fait remonter du fond de notre souvenir certains passages de l'Arlésienne charpentés par la fameuse « Marche des Rois », impression qu'accusera alors la scansion de danses du développement. Celui-ci est précédé par une mélodie brève, gracieuse et très décorative qui donnera naissance, après une réapparition du premier thème, exposé dans un style populaire, à un arioso délicat. La conclusion est bâtie sur un élément rythmique de la phrase initiale. Avec l'Allegro final, nous pénétrons dans une atmosphère que le début du premier acte de Carmen, tout résonnant des chœurs des Gamins et des Cigarières, nous a rendu familière. Le premier thème, avec ses rythmes martiaux et dansants, son harmonie presque chorale enrichie des modulations très personnelles que pratiquera toujours Bizet, concourt à maintenir ce parfum près de nous. La chanson populaire d'allure rapide qui constitue la partie centrale de ce mouvement prépare très heureusement l'oreille à réentendre, en conclusion, le premier thème dans sa version littérale. (l'Initiation à la musique, 1940)
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La Symphonie en ut de Bizet
Dans la deuxième édition de son ouvrage sur « Bizet », Paul Landormy (1) dit que Jean Chantavoine découvrit à la bibliothèque du Conservatoire, en 1933, le manuscrit d'une « Symphonie en ut » due au compositeur de « Carmen », et qu'il a rendu compte de sa découverte dans un article du « Ménestrel », article paru le 4 août de la même année. Si nous nous reportons à cet article, nous voyons qu'il n'y a pas à proprement parler de découverte. Jean Chantavoine ne prétend, d'ailleurs, rien de tel. En fait, Jean Chantavoine, dans une série d'articles successifs ayant pour titre : « Quelques inédits de Bizet », a signalé et analysé divers manuscrits du compositeur, qui, grâce à la générosité de donateurs, étaient venus enrichir les collections de la bibliothèque du Conservatoire. Au sujet de ces dons, Jean Chantavoine fournit des renseignements fort intéressants dont nous extrayons les lignes suivantes :
« Mme Emile Straus, veuve, en premières noces, de Georges Bizet, est morte il y a quelques années en laissant à la bibliothèque du Conservatoire les manuscrits de « Carmen » et de « l'Arlésienne ». Divers dons sont venus s'ajouter ces trésors, pour constituer un fonds qui apporte à la biographie de Bizet des documents dont l'existence avait échappé à tous les biographes.
La bibliothèque du Conservatoire doit ainsi à la munificence de M. Reynaldo Hahn la partition manuscrite de « la Jolie Fille de Perth » ; à celle de M. Sibilat, exécuteur testamentaire de M. Emile Straus (décédé peu après sa femme), une copie manuscrite de « l'Arlésienne » portant en marge, à l'encre rouge, de la main de Bizet, les principaux thèmes de la partition, souvent avec une basse chiffrée, et dont le chiffrage ne correspond pas toujours à celui de l’œuvre une fois achevée. M. Reynaldo Hahn a bien voulu donner en outre, au Conservatoire, un cartonnage rouge où Bizet avait recueilli nombre de pages inédites, appartenant à sa première jeunesse. »
(1) Paul Landormy : « Bizet », préface d'Alain, N.R.F., sans date.
C'est dans ce cartonnage, parmi des pièces pour piano, des mélodies et une « Première Ouverture » pour orchestre, que se trouvait la « Symphonie en ut ».
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Si l'on comprend aisément comment la veuve de Bizet, puis le second mari de celle-ci, et M. Sibilat ont été en possession de manuscrits, on ignore comment et à quel moment certains sont entrés en possession de Reynaldo Hahn. Ce que l'on sait, c'est que Reynaldo Hahn avait une grande admiration pour Bizet, et qu'il a été en relation avec celle qui était alors Mme Emile Straus (2).
(2) Reynaldo Hahn. « Propos sur Bizet », dans « Thèmes variés ». J.-B. Janin, éd. 1946.
Une autre question se pose. Pourquoi Reynaldo Hahn, chef d'orchestre autant que compositeur, n'a-t-il jamais dirigé une exécution de la « Symphonie en ut » puisque, possédant la partition, il la connaissait et la prisait beaucoup (3) ? Il aurait pu lui-même révéler l'œuvre au public des grands concerts. On peut admettre qu'ayant pressenti Mme Straus à ce sujet, celle-ci lui a répondu par un refus. Bizet n'attachait pas une grande importance à sa symphonie. Ce n'était, pour lui, qu'une œuvre de jeunesse. Il avait déclaré à son éditeur Choudens qu'elle ne méritait pas d'être éditée, et c'est pour se conformer aux volontés de son premier mari que Mme Straus n'avait point accepté les offres renouvelées de l'éditeur (4). Il se peut donc que Bizet se soit aussi opposé à l'exécution de son œuvre, et que, pour l'exécution comme pour l'édition, sa veuve ait respecté ses volontés. Quoi qu'il en soit, la « Symphonie en ut » semblait être condamnée à rester dans le cartonnage rouge et à ne jamais être révélée aux mélomanes.
(3) Dans ses « Propos sur Bizet », il emploie l'expression brillante Symphonie en ut. (4) Communication de M. Leroy, gendre et successeur de Choudens.
Il fallut des circonstances assez particulières — circonstances qui, sur le plan juridique, allaient opposer deux maisons d'édition — pour que la « Symphonie en ut » fût imprimée et jouée. Sans entrer dans les détails de ce procès, et sans avoir à prendre position, nous constatons que, trois ou quatre ans après la publication des articles de Jean Chantavoine, la maison Universal de Vienne édita l’œuvre et en favorisa l'exécution, d'abord en Allemagne, puis dans d'autres pays. La symphonie fut ensuite éditée chez Choudens. En quelques années, mise aux programmes des grands orchestres, elle fit le tour du monde. Sous la direction d'éminents chefs, elle connut cette sorte de consécration qu'est l'enregistrement. Il n'est pas jusqu'à l'Opéra de Paris, qui, le 28 juillet 1947, représentait pour la première fois le ballet : « le Palais de Cristal », adaptation chorégraphique due à Balanchine, sur la « Symphonie en ut » jouée intégralement. Depuis cette date, l'œuvre, toujours chaleureusement accueillie par le public, a dépassé 50 représentations.
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page autographe de la Symphonie en ut
Il y a eu cent ans, à la fin de l'année 1955, que l'œuvre a été composée. Le manuscrit porte cette inscription de la main de Bizet : « Première symphonie (en ut). Commencée le 29 octobre 1855, finie le novembre 1855. » (5). Le quantième du mois de novembre n'étant pas indiqué, la partition, d'une durée de quarante minutes, a pu être achevée en moins d'un mois ; en un mois au maximum. Bizet avait eu dix-sept ans quatre jours avant de la commencer. Il est né le 25 octobre 1838.
(5) 78 pages d'une écriture fine et très lisible, Des corrections ont été faites après le grattage de certaines notes. Quelques modifications plus importantes ont été écrites sur du papier à musique collé à même le feuillet initial.
Elève au Conservatoire, il avait obtenu quelques mois auparavant un premier prix d'orgue dans la classe de Benoist, et un premier prix de contrepoint-fugue dans la classe de composition d'Halévy, l'auteur de « la Juive » — et dont il devait, plus tard, épouser la fille cadette.
Enfant prodige (6), élève particulièrement doué, il était entré au Conservatoire à dix ans dans la classe de solfège d'Alkan, et dans la classe de piano de Marmontel, l'un des professeurs les plus réputés de son temps. Un premier prix de solfège devait couronner son travail en 1849, et un premier prix de piano en 1852. Il n'avait pas encore dix-neuf ans quand il remporta le grand Prix de Rome, en 1857.
(6) Le cartonnage rouge contenait, écrites sur un cahier de papier à l'italienne, « Deux mélodies sans paroles ». En marge, et ultérieurement, Bizet nota : « J'avais 11 ans et 4 mois. »
Composée alors que son auteur venait d'avoir dix-sept ans, la « Symphonie en ut » est une œuvre de jeunesse au sens courant du mot. Cependant, Bizet la jugeait trop modestement quand il ne la considérait que sous cet angle. Il faut qu'elle possède des qualités autres que celles de simples promesses d'un débutant pour avoir conquis la large audience qu'elle a aujourd'hui.
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L'œuvre relève de l'esthétique classique. Elle se compose de quatre mouvements : Allegro, Andante, Scherzo, et Finale.
L'orchestration comprend : le quintette à cordes, 2 timbales, 2 trompettes, 4 cors, 2 bassons, 2 clarinettes, 2 hautbois et 2 flûtes.
L'Allegro, en k, s'étend sur 585 mesures. C'est un allegro vivo édifié sur deux thèmes. L'exposition, la réexposition, la répétition et le développement mélodique ou rythmique des deux thèmes forment presque entièrement le morceau. Il n'y a donc pas accumulation de thèmes, de motifs comme disait Bizet, mais utilisation au maximum des deux thèmes. Le danger de ce procédé, c'est de tomber dans la redite lassante pour l'auditeur. Ici, il n'en est rien, parce que les thèmes ont une allure franche, plaisante, et que tout l'allegro est emporté, de la première à la dernière mesure, dans un mouvement enjoué.
Dans cet Allegro, comme dans les autres parties, d'ailleurs, l'harmonisation est traitée largement. Certains accords se prolongent sur plusieurs mesures, jusqu'à huit ou dix, et même vingt mesures pour tel passage. C'est ce qui donne une sensation de clarté. L'oreille a le temps de percevoir les enchaînements harmoniques.
Du début jusqu'au mi grave, le premier thème est construit sur l'accord do-mi-sol. Si Bizet l'avait terminé au do grave, la chute serait banale. La banalité est évitée par cette sorte de rejet, inattendu, que forment les trois notes si la sol.
Le deuxième thème — le terme : motif, convient mieux — est une suite d'accords brisés s'échelonnant sur 60 mesures. Sur ces accords, Bizet a superposé un chant qui se déroule en une longue phrase coupée seulement par des respirations. Ce chant peut être considéré, si l'on veut, comme un troisième thème. Mais il n'est jamais employé seul ; il se présente plutôt comme le complément mélodique du deuxième motif.
Si le premier thème fait penser à Mozart, le second relève d'une volonté plus personnelle. Avec le chant superposé, Bizet affirme déjà son goût pour les phrases expressives et longues, goût qui s'épanouira, plus tard, dans « l'Arlésienne ».
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La deuxième partie, en 9/8, de 114 mesures, est intitulée Andante ; mais le mouvement indiqué par Bizet est adagio. Après une introduction de 8 mesures, le premier thème est exposé par les hautbois jouant l'un après l'autre. Il est repris, en tierces, par les clarinettes doublées par les bassons ; puis revient aux hautbois.
A ce thème, d'une certaine intensité dramatique, nullement champêtre, s'enchaîne un motif joué aux violons. Ce motif de 22 mesures, d'un lyrisme vibrant, surprend de la part d'un adolescent de dix-sept ans. C'est déjà du Bizet de la maturité : le Bizet de « Carmen ».
Ce motif aboutit à un fugato d'une écriture habile, d'une harmonisation plus serrée, et dont la musicalité n'en fait point un simple devoir d'école. Le morceau se termine par le retour du premier thème aux hautbois.
Plus tard, quand il composera « les Pêcheurs de Perles », Bizet reprendra le début de ce thème, en le modifiant, pour servir d'introduction à la Chanson de Nadir (2e acte). Joué encore par le hautbois, il prendra cette forme :
L'Andante, en la mineur (ton relatif du premier morceau), débute par quatre accords assez audacieux dans leur sobriété : fa-la-do, ré-fa-la, do-mi-sol, la-do-mi. On se croirait en ut majeur. C'est à la cinquième mesure qu'apparaît l'accord mi-sol dièse-si ; les mesures suivantes ne laissent plus de doute sur le ton.
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Le Scherzo, en sol majeur (ton de la dominante du premier morceau), est un allegro vivace à 3/4. s'étend sur 300 mesures dont 112 pour le trio. Le début est marqué par un décalage de la carrure et un repos sur une note qui n'appartient ni à l'accord de dominante, ni à l'accord de tonique. La phrase a beaucoup de caractère malgré, ou plutôt à cause du décalage et du repos inattendus.
A ces 7 mesures s'en ajoutent 9 autres, et la carrure est retrouvée. Après une montée très rythmée des violons et des altos, on aboutit à un deuxième motif. Celui-ci, joué par les altos, rappelle le motif en accords brisés de l'Allegro. En superposition, sur le rythme toujours maintenu, les violons chantent...
Le trio n'est pas traité en « repoussoir ». Il n'apporte aucun élément nouveau s'opposant au premier motif. Il est une sorte de développement de ce qui a été exposé précédemment, mais toujours mené sur le même rythme incisif. Le tempo, qui ne faiblit jamais, fait accepter les redites.
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La symphonie se termine par un Finale (Bizet a écrit Final), dans le ton de la première partie — conformément à la règle — c'est-à-dire en ut majeur. C'est un allegro vivace à 2/4, de 446 mesures. Il est construit sur trois motifs ayant chacun un caractère distinct. Le premier motif « n'est pas sans rappeler, à son début, le finale de la quatrième symphonie de Beethoven » (7). Entendons par là que les deux motifs sont faits de doubles croches en petit détaché ; mais les lignes mélodiques diffèrent sensiblement. La suite de doubles croches se maintient plus longuement dans l'œuvre du jeune compositeur, soit 33 mesures,
pour s'enchaîner au deuxième motif qui a une allure de marche ; mais le tempo est toujours vivace.
(7) Jean Chantavoine, article cité.
Lors de son séjour à la Villa Médicis, Bizet inséra ce motif, transcrit en si bémol, dans le premier acte de « Don Procopio », l'opéra bouffe qui constitua son premier envoi de Rome (1859).
Le troisième motif du Finale est un chant d'une belle envolée. Sur 44 mesures, il monte progressivement, s'exalte dans l'aigu et se termine en une chute rapide de 3 mesures.
Ce chant allant, qui ne ralentit donc pas l'action, est parent dans sa conception de l'allegro chantant, cher à Jean-Chrétien Bach ; l'allegro chantant, c'est-à-dire la mélodie employée dans les mouvements rapides.
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La « Symphonie en ut » de Bizet ne marque pas une date dans l'histoire de la symphonie ; elle n'est ni l'aboutissement, ni le point de départ d'une certaine conception esthétique. Mais, par ses qualités propres, elle occupe une place bien à elle dans cette forme musicale, à côté des œuvres des maîtres. Tous ceux qui, du même avis que E. Vuillermoz (8), n'ont pas le préjugé de la musique ennuyeuse, et sont convaincus qu'elle n'a aucune supériorité sur les autres, ceux-là sont sensibles à la musique de l'adolescent Bizet : musique franche, directe, bien équilibrée, passionnée, pétillante d'esprit, vibrante de joie et de santé. Ils savent apprécier cette « brillante » symphonie, comme disait le délicat Reynaldo Hahn, cette « petite merveille » comme dit le savant Norbert Dufourcq.
(8) Voir « Musica » de mars 1955.
Discographie sommaire. Decca. — Orchestre de la Suisse romande sous la direction d'Ernest Ansermet — LX 3128. Columbia. — Orchestre de la Radiodiffusion Française sous la direction d'André Cluytens — FCX 273. la Voix de son Maître. — Léopold Stokovsky et son orchestre — FBLP 1037. Concerteum. — Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire sous la direction de J. Allain — CR 238.
(Henri Classens, Musica, mai 1956)
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Un jour de 1933, Jean Chantavoine découvrit, dans un groupe d'oeuvres inédites léguées au Conservatoire par la veuve de Bizet, un manuscrit dont nul n'avait secoué la poussière durant trois quarts de siècle : un simple « exercice d'élève », cette symphonie datée de 1855 – d'un élève à peine âgé de dix-sept ans. Et sans doute l'intérêt historique d'une telle trouvaille était grand. Mais quelle joie pour le découvreur, lorsqu'il se rendit compte aussitôt qu'il n'avait pas exhumé un simple document, mais bien une œuvre ; il se persuada vite que la Symphonie en Ut devait vivre, et qu'en dehors de toute curiosité musicologique, elle s'imposerait par la richesse de sa substance musicale. Les éditeurs français n'ayant pas montré la même clairvoyance, c'est à l'étranger que fut publié d'abord le trésor retrouvé... D'où vient, que Bizet, à aucun moment, n'a songé à faire connaître une œuvre qu'il n'aurait pu renier sans injustice ? Il s'agit chez lui d'un étrange scrupule : ayant utilisé par la suite un fragment de la partition dans son opéra bouffe Don Procopio, composé à la Villa Médicis, l'auteur ne voulait pas « se répéter ». Mais nous avons un peu oublié Procopio, tandis que la Symphonie nous est devenue familière, et chère. Quelle musique entendait-on à Paris en 1855 ? Période sombre... Auber, unanimement, était reconnu grand chef de l'école française – bien que Berlioz eût déjà donné presque toutes ses œuvres principales ! Le Paris musical, où Rossini et les Italiens gardaient la vogue, était fasciné surtout par Meyerbeer et son impressionnante cuisine. Deux autres dramaturges fourbissaient leurs armes : Verdi et... Offenbach. Halévy, glorieux auteur de la Juive, est au Conservatoire le professeur de Bizet. Son enseignement n'a guère pour objet, en dehors de la préparation du prix de Rome, que de former pour l'Opéra-Comique de nouveaux fournisseurs. La musique symphonique est tenue pour inférieure : une symphonie, c'est une œuvre de circonstance, impersonnelle, ou c'est un exercice de haute école, fort respectable, de la « musique scientifique », à la Cherubini. Et Berlioz, avec sa Fantastique, n'est que l'exception (monstrueuse) qui confirme la règle. Pourtant la Société des Concerts joue Beethoven, parfois Haydn et Mozart. Quelques formations éphémères – dont l'une fondée par Berlioz – ont tenté vainement d'attirer le public vers la production symphonique européenne. Un jeune chef s'efforce à son tour, et s'obstine : c'est Pasdeloup, dirigeant les « Jeunes artistes du Conservatoire ». En février 1855, cet ensemble a créé la Première Symphonie de Gounod, très goûtée du petit Bizet qui la « réduisit » pour piano à quatre mains. A la Société Sainte-Cécile, deux ans plus tôt, on a joué quelques ouvertures de Weber, Schumann et Wagner, et la Première Symphonie, mendelssohnienne et scolastique, de Saint-Saëns, âgé de dix-huit ans. Ainsi apparaissent les prémices de notre « renouveau musical, préparé discrètement, en ordre dispersé – à la française... » (Roland-Manuel). Lalo se fait encore attendre, Chabrier et Fauré sont des enfants... Bizet n'est pas le dernier au rendez-vous. Jeune, la Symphonie en Ut l'est doublement : par sa révélation si récente (c'est en 1935, à Bâle, que le grand Weingartner en donna la première exécution) – et par l'âge de son compositeur. Mais jeunesse, ici, ne signifie pas gaucherie : le petit Bizet est déjà d'une surprenante habileté, qui pourtant n'entrave pas la spontanéité d'une inspiration vive et tendre, rêveuse et riante comme l'adolescence elle-même. Le style, à vrai dire, est celui du théâtre, qui sera toujours pour Bizet la grande affaire. Ce qui frappe d'abord, c'est la limpidité, la persuasion mélodique des thèmes, c'est l'aisance de la pulsation rythmique, et c'est une orchestration merveilleusement légère et transparente : toute la lumière « méditerranéenne » qu'aimera tant Nietzsche dans Carmen, et cette naïveté (au meilleur sens du terme) que Bizet gardera toujours. Mais surtout, comme toute musique de Bizet, celle-ci est essentiellement vivante – on serait tenté de dire essentiellement vraie. L'Allegro initial oppose au premier thème, brillant – du Beethoven première manière – un second thème chantant, détendu, confié d'abord au hautbois solo. Au cours du développement, Bizet se plaît à faire attendre longuement les « rentrées » des motifs principaux, avec une sorte de taquinerie juvénile. Le cor rêve seul par moment, fait de l'humour ailleurs... C'est l'élément vif, bien sûr, qui conclut avec optimisme. Le second mouvement, malgré son évident italianisme, est peut-être celui où se livre le mieux la physionomie personnelle de notre musicien. Une introduction de quelques mesures rappelle, il est vrai, celle du Rondo final de la Sonate op. 53 de Beethoven. Mais dès la tendre cantilène du hautbois, reprise en tierces caressantes par les clarinettes, on trouve déjà toute la poésie des meilleures pages des Pêcheurs de perles. Le second motif, aux violons, d'un contour plus simple, est plus chaleureux, avec quelque naïveté. Le fugato qui suit est une surprise, d'ailleurs savoureuse. Une exquise coda, où le hautbois s'éteint doucement sur une descente chromatique. Après cet Andante en la mineur, nous n'attendions guère le ton de sol majeur qui est celui du Scherzo. Inconséquence, ou volonté consciente d'ajouter au contraste des tempos le heurt des tonalités ? Quoi qu'il en soit, ce Scherzo est le plus gai, le plus spirituel qu'on puisse souhaiter. Un thème rapide, accusé, quasi beethovénien au départ, est commenté staccato avec une ironie discrète, et sous une mélodie secondaire plus lyrique on retrouve le contour du premier motif, devenu glissant et gambadeur. Ce thème principal fait aussi les frais du Trio de caractère pastoral ; c'est lui qui nasille aux bois, s'étire le long des tenues de cordes en musette. L'orchestre, en alternant crescendo et diminuendo, imite à merveille le « soufflet » du vieil instrument populaire... Le dernier Allegro, d'une vivacité inlassable, débute en mouvement perpétuel, et se souvint — une fois encore — de Beethoven : par exemple du finale de la Quatrième Symphonie. Mais la petite marche confiée aux vents (c'est elle qui trouva place dans Don Procopio), si personnelle et si colorée, est digne de Carmen. Le thème chantant qui vient ensuite est d'une souplesse un peu complaisante, et le compositeur s'enchante de faire dialoguer — un peu longuement peut-être — des éléments si séduisants... La péroraison est d'une verve, d'une gaieté éclatantes auxquelles on ne peut résister. (Jean-Jacques Normand, 1960)
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Symphonie n°1 en ut majeur (Bizet) : 1. Allegro vivo - 2. Adagio - 3. Allegro vivace - 4. Allegro vivace Orchestre national de la R.T.F. dir André Cluytens enr. au Théâtre des Champs-Elysées en 1960
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