Phryné
scène de l'apparition à l'Acte II de Phryné, illustration de F. Marcotte (1893)
Opéra-comique en deux actes, en vers libres, livret de Lucien AUGÉ DE LASSUS, musique de Camille SAINT-SAËNS (composée en 1892-1893).
Création à l'Opéra-Comique (salle du Châtelet) le 24 mai 1893 ; mise en scène de Léon Carvalho ; décors d’Auguste Rubé et Philippe Chaperon ; costumes de Théophile Thomas ; statue de Phryné-Aphrodite par M. Campagne.
120 représentations à l’Opéra-Comique au 31 décembre 1950, dont 32 après le 1er janvier 1900.
Première à la Monnaie de Bruxelles le 02 décembre 1896 avec Mmes Jeanne HARDING (Phryné), MILCAMPS, MM. ISOUARD (Nicias), GILIBERT, BLANCARD, CAISSO, DANLÉE.
Première au Théâtre de la Gaîté le 06 juin 1914.
Représentation au Théâtre du Trianon-Lyrique en août 1909 avec Mmes Jane MORLET (Phryné), Georgette HILBERT (Lampito), de BUSSON (une Jeune Grecque), Lina CALVIÉRI (une Jeune Grecque), MM. José THÉRY (Dicéphile), René LAPELLETRIE (Nicias), sous la direction de M. CHERUBINI.
Représentation au Théâtre du Trianon-Lyrique le 11 décembre 1922.
personnages |
emplois |
Opéra-Comique 24 mai 1893 création |
Opéra-Comique 11 juin 1901 89e |
Opéra-Comique 13 janvier 1910 100e |
Opéra-Comique 12 avril 1916 110e |
Opéra-Comique 10 octobre 1935 117e |
Phryné | soprano | Mmes Sibyl SANDERSON | Mmes Sibyl SANDERSON | Mmes Marianne NICOT-VAUCHELET | Mmes Mary DORSKA | Mmes Lillie GRANDVAL |
Lampito, esclave de Phryné (rôle travesti) | soprano | Marie BUHL | Mathilde de CRAPONNE | Marguerite HERLEROY | Yvonne BROTHIER | Christiane GAUDEL |
Dicéphile, archonte | basse chantante | MM. Lucien FUGÈRE | MM. Lucien FUGÈRE | MM. André ALLARD | MM. André ALLARD | MM. Louis MUSY |
Nicias, neveu de Dicéphile | ténor | Edmond CLÉMENT | Edmond CLÉMENT | Fernand FRANCELL | Albert PAILLARD | Louis ARNOULT |
Cynalopex, démarque | 2e ténor | Paul BARNOLT | Georges MESMAECKER | Georges MESMAECKER | Georges MESMAECKER | Paul DUREL |
Agoragine, démarque | basse | Jean PÉRIER | André ALLARD | Louis VAURS | Louis VAURS | Gabriel JULLIA |
un Héraut | Gaston LONATI | Etienne TROY | ELOI | ELOI | POUJOLS | |
Peuple, Esclaves, Chanteurs, Danseurs, Joueurs de flûte et de tambourin, Soldats scythes | ||||||
Chef d'orchestre | Jules DANBÉ | Alexandre LUIGINI | Eugène PICHERAN | Camille SAINT-SAËNS | Albert WOLFF |
La scène se passe à Athènes au IIIe siècle av. J.-C.
C'est une fantaisie charmante, où l'on retrouve, avec une inspiration pleine de fraîcheur, les qualités de forme et de style qui sont le fond du talent de Saint-Saëns. A citer, notamment : le joli chœur d'introduction, les couplets bouffes de Dicéphile, dont l'accompagnement est si plein de délicatesse, ceux de Nicias, un air de danse exquis, l'air de Phryné, la scène de mystification, etc. (Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)
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La muse ordinairement plus sérieuse de M. Saint-Saëns ne nous avait pas habitués à des œuvres de ce genre. Ceci est un badinage, mais un badinage exquis, une fantaisie charmante et telle qu'elle ne pouvait sortir que des mains d'un grand artiste. D'aucuns s'en sont presque scandalisés, prétendant volontiers qu'un tel artiste se déshonorait, s'encanaillait tout au moins à traiter de semblables sujets avec la légèreté qu'ils comportent. Ainsi donc, la grâce, l'élégance, la coquetterie seraient interdites à un compositeur par cela seul qu'il s'est fait connaître par des œuvres plus sérieuses ! A ce compte, Grétry aurait eu le plus grand tort d'écrire le Tableau parlant, Gluck la Rencontre imprévue, Ambroise Thomas le Caïd et Gounod le Médecin malgré lui. Laissons dire les gens austères et remercions les artistes qui, comme M. Saint-Saëns, veulent bien prendre la peine de varier nos jouissances et consentent à quitter parfois l'Olympe pour descendre sur la terre. La vérité est que M. Saint-Saëns a écrit, sur un livret qui met en scène la belle Phryné placée entre un jeune soupirant qui lui plaît et un vieil amoureux sénile qu'elle berne et mystifie aux yeux de tous, une partition tout aimable, où la gaieté s'avoisine à la grâce, et cela sans renoncer un instant à ses belles qualités musicales, je veux dire à la pureté du style, à la saveur piquante des harmonies, à l'élégance enfin et à la vivacité d'un orchestre toujours alerte, toujours varié, plein de couleur et traité de main de maître. Le chœur d'introduction, les couplets bouffes de Dicéphile, si curieusement accompagnés, ceux de Nicias, un motif de danse délicieux, l'air de Phryné, la scène de la mystification, tout serait à citer dans cette mignonne partition, dont l'enfantement n'a été évidemment qu'un jeu pour son auteur, et qui n'en donne pas moins la meilleure et la plus éclatante preuve de l'étonnante souplesse de son talent. Le public, moins austère que certains censeurs moroses, a fait à ce joli badinage musical tout l'accueil qu'il méritait. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903)
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l'Acte I de Phryné au Trianon-Lyrique en août 1909 [photo Bert]
Phryné au Trianon-Lyrique
L’illustre compositeur à qui nous devons Samson et Dalila, la symphonie en ut mineur, et tant d'œuvres instrumentales ou lyriques qui sont l'honneur de l'École française, a toujours eu un goût décidé pour la fantaisie malicieuse et humoristique. C'est même un trait de son caractère, sinon de sa musique, à proprement parler. En général, il n'a pas voulu débrider cette verve spontanée quand il faisait œuvre d'art ; il n'en a même pas cherché l'occasion au théâtre, et dans les scènes où telle situation pouvait y prêter : l’harmonie générale eût pu s'en ressentir. Un jour pourtant, tenté par un livret plein d'une grâce légère et piquante, il s'est donné carrière, et Phryné est venue au monde. Et c'est un petit chef-d'œuvre en son genre, ce genre si français qui est proprement le vieil opéra-comique et qui côtoie la moderne opérette sans y tomber jamais. C'est comme l'aimable pochade d'un grand peintre qui s'est diverti entre deux toiles magistrales, c'est une délicieuse fantaisie, ironique sans vulgarité, d'une verve gaie, dont le texte alerte s'enveloppe d'une musique libre et spirituelle, des plus amusantes à étudier. Son apparition sur la scène de l'Opéra-Comique remonte au 24 mai 1893 ; l'œuvre y trouva un succès qui ne s'est pas démenti depuis : elle n'a pas, en somme, quitté le répertoire, malgré cette tare (aux yeux de certaines personnes) de comporter du parlé. C'est là que M. Félix Lagrange, toujours avisé, a été la chercher pour son Trianon-Lyrique. Fortuné théâtre, théâtre privilégié entre tous ! S'il occupait un local sur le côté impair du boulevard Rochechouart, côté ville, il n'aurait aucun droit sur les répertoires de l'Opéra ou de l'Opéra-Comique ; sur le côté pair, côté faubourg, il les a tous ! Reconnaissons qu'il en profite avec une activité et une fureur de travail qui méritent tous les éloges. Déjà, plus d'une fois, j'ai attiré l'attention de nos lecteurs sur ces affiches constamment renouvelées. Avec Phryné, M. Lagrange était d'autant plus sûr du succès que cette partition n'était plus entendue depuis cinq ou six ans au moins. Il a tout fait pour nous rendre les impressions inoubliables et vraiment artistiques que nous ont laissées les créateurs de l'œuvre : cette ravissante Sibyl Sanderson, tout épanouie de beauté et de virtuosité vocale ; Lucien Fugère, un Daumier superbe de largeur et de finesse, et Edmond Clément, qui a dépassé depuis, avec tant d'élan, les promesses qu'il donnait alors. Rappelons brièvement le sujet de cette amusante comédie : le titre seul en évoque les traits essentiels. On sait l'histoire de Phryné, courtisane et musicienne, riche excessivement, belle à servir de modèle à Praxitèle pour une idéale Vénus, enfin défendue devant l'Aréopage par Hypéride... et sa beauté sans voiles. Il n'y a pas d'Aréopage ici, mais seulement un vieil archonte morose, tuteur avare et un peu voleur d'un neveu que l'amour de Phryné sait défendre des poursuites de ses créanciers comme de la colère de son oncle outragé. Comment le défend-elle, ce charmant Nicias ? En éblouissant de ses charmes l'austère Dicéphile et en le faisant surprendre à ses pieds par les démarques ironiques et scandalisés... Et vraiment, Phryné est bonne fille, et Dicéphile pourra, sans trop de rancœur, rendre à Nicias d'exacts comptes : car, de cette défaillance, l'Aréopage ni le peuple ne sauront rien, et Dicéphile restera aux yeux de tous le sage aimé dont on couronnait le buste, au début de cette histoire, parmi les chants et les danses. Mais, à vrai dire, c'est surtout le détail musical qui donne du prix à tout ceci. Non que pour sourire à ce conte railleur M. C. Saint-Saëns ait donné carrière à toute la verve pittoresque qui d'habitude apporte tant de prix à son orchestre. Il a voulu être simple et peindre à l'aquarelle ; mais comme ses idées naissent spontanément avec les péripéties de l'action, comme les instruments eux-mêmes savent, au moment opportun, prêter leur saveur aux spirituelles imaginations du musicien ! Il y a notamment un certain basson facétieux, dont les ébats suivent comme à la piste le vieux Dicéphile en ses déportements, et, s'il se prend trop au sérieux, se moque de lui à sa barbe ....., qui est bien la plus divertissante chose du monde. Le rythme même des chœurs qui couronnent le buste de Dicéphile, comme celui des phrases lapidaires qu'il laisse tomber de ses lèvres en se rengorgeant devant son image, ou des sages conseils, viande creuse, dont il repaît son neveu, évoque le personnage et son caractère de la plus vivante façon. L'humeur insouciante et l'élégance de Nicias ne sont pas moins saisies et rendues à ravir par la facilité mélodique de ses soupirs amoureux ou de sa verve gamine lorsqu'il rallie autour de lui ses amis de fête pour bafouer son oncle d'une chanson vengeresse et couronner d'une outre de vin rouge la blancheur immaculée du fameux buste. Et quel effet irrésistible que le retour de Dicéphile, la nuit tombante, une lanterne à la main, pour contempler encore, dans le calme et la solitude, le marbre qui doit le rendre immortel ! Quel amusant conflit entre les échos lointains de la bande joyeuse qui le raille, et son indignation stupéfaite et horrifiée à la vue du désastre ! Phryné, elle, n'est pas traitée d'ironique façon. Le musicien l'a enveloppée de toute la grâce légère et charmeuse de son inspiration. Au premier acte, où elle se borne à sauver Nicias des griffes des démarques lancés par Dicéphile, elle égrène simplement son sourire en vocalises amusées. Mais au second, qu'elle parfume tout entier de son harmonieuse beauté, la phrase s'élargit, la mélodie s'élève, dès le prélude on se sent séduit par le charme discret de l'inspiration, dont l'épanouissement, toujours enveloppé par la finesse en demi-teinte de l'orchestre, est l'invocation à Vénus, si poétique, si noble de lignes, qui confond en une commune extase les confidences des deux amants. Cependant Phryné a promis son aide toute puissante à Nicias, et c'est maintenant sa plus fine et sa plus élégante coquetterie qu'elle va mettre en jeu contre Dicéphile. Celui-ci, qui est venu, bourru, colère, impitoyable, pour menacer et sévir, est déjà quelque peu interloqué par la grâce de la petite esclave Lampito, chargée de l'amuser un instant. Son ariette : « C'est ici qu'habite Phryné », est délicieuse. Les couplets de Dicéphile, resté seul : « L'homme n'est pas sans défaut », sont d'un tour des plus comiques. Mais c'est la grande scène de séduction qui file de la plus charmante façon ! Il faut voir la soumise Phryné s'incliner devant Dicéphile comme « devant l'Aréopage », et plaider sa cause tout en achevant sa toilette ; il faut suivre l'infortuné vieillard, vite troublé, bien qu'il se dise à lui-même : « N'oublions pas que je suis en courroux », jusqu'au moment où Phryné, disparue dans une obscurité subite, semble reparaître à ses yeux éblouis dans la statue d'Aphrodite sans voiles... « Ah ! que dira l'histoire ?... » s'écrie Dicéphile en tombant à genoux, plein d'extase... Et toutes ces pages sont encore du goût le plus sûr et le plus fin, en même temps que les plus divertissantes du monde. Les artistes de M. Lagrange ont bien rendu ces divers effets, dans une mise en scène adroite et parmi de jolis décors. Il n'y a que des éloges à adresser à la grâce enveloppante de Mademoiselle Jane Morlet dans Phryné, et à sa jolie voix ; à la rondeur pleine de dignité et sans charge de M. José Théry dans Dicéphile ; à la vivacité piquante de Mademoiselle Georgette Hilbert dans la petite Lampito ; à l'élégance enfin et à l'adresse vocale de M. Lapelletrie dans Nicias. C'est M. Cherubini dont le geste sûr dirigeait l'orchestre.
(Henri de Curzon, le Théatre n° 256, août 1909)
l'Acte I de Phryné au Trianon-Lyrique en août 1909 [photo Bert]
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Principaux personnages : Dicéphile, archonte ; Nicias, son neveu ; Phryné, courtisane ; etc. La scène se passe à Athènes, au IIIe siècle avant J.-C. Cet ouvrage est de caractère gai et léger ; M. Augé de Lassus y a prodigué l'esprit et les jolis vers, et M. Saint-Saëns l'a paré d'une musique parfaitement adéquate au sujet. L'archonte Dicéphile est célibataire, vieux et laid. Il déteste les femmes, qui le lui rendent avec usure, mais a su, par des moyens à lui, s'assurer une certaine popularité auprès des citoyens. Il a un neveu, Nicias, dont il administre la fortune, c'est-à-dire si l'on en croit le neveu et l'opinion publique, qu'il se l'approprie, ne lâchant au malheureux Nicias que juste assez pour lui permettre de faire des dettes. Aussi n'est-il pas pressé de rendre ses comptes, bien que le temps en soit venu. Au premier acte, on inaugure un buste de Dicéphile. Phryné, qui sort de sa maison, persifle poliment le hargneux magistrat. Celui-ci est donc de méchante humeur, et ordonne à ses acolytes Cynalopex et Agoragine de se saisir de son neveu, contre lequel il a obtenu une saisie par corps. Et justement Nicias approche. Il s'efforce d'obtenir quelque argent du vieux grigou, mais n'en reçoit que de bons conseils. Il l'accuse alors carrément de vol, et Dicéphile s'éloigne sans oser pousser trop avant la conversation sur ce sujet. Resté seul, Nicias se désole : il aime Phryné, ne se croit pas aimé d'elle, et ne possède pas un sou vaillant. Une bande de joyeux fêtards qui passent essaient en vain de l'égayer : il demande qu'on le laisse avec ses pensées. Arrivent alors Cynalopex et Agoragine, qui voudraient bien s'assurer de lui, mais redoutent l’éclat de sa colère. Et non sans raison, car lorsqu'ils essaient de l'arrêter, il les bat sans merci. Tumulte, interrompu par l'arrivée de Phryné. Quand la courtisane apprend que l'on veut mener Nicias en prison, elle fait rosser la police par ses esclaves et recueille leur victime dans sa maison. L'acte se termine gaîment aux cris de : « Dicéphale est un fripon ! » Le second acte se passe chez Phryné. Celle-ci a recueilli Nicias, lui rendant ainsi un éminent service dans une circonstance critique. Elle lui avoue maintenant qu'elle l'aime. Et quand on vient annoncer que Dicéphile, furieux, cherche partout son neveu pour en tirer vengeance, qu'il vient le relancer jusque chez la courtisane qui lui offrit asile, Phryné prie Nicias de s'éloigner : elle en fait son affaire. Dicéphile entre et se montre au début fort peu poli. Mais Phryné est une fine mouche, qui sait s'y prendre avec les hommes. Elle affole petit à petit le vieillard, qui se sent soudain des ardeurs jusque-là ignorées. Quand il est à point, elle lui fait tirer un rideau, derrière lequel se trouve une merveilleuse statue d'elle-même, toute nue. Cette vision achève le malheureux archonte, qui tombe aux genoux de l'hétaïre. A ce moment paraissent Nicias et un esclave, avec Agoragine et Cynalopex. Surpris dans cette attitude compromettante, l'archonte cède à un léger chantage et tout finit par une réconciliation. (Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
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Catalogue des morceaux
ACTE I | |||
Introduction |
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01 | Choeur et Ensemble | Honneur et Gloire ! | Phryné, Lampito, Dicéphile, Cynalopex, Agoragine, Choeurs |
02 | Duo | Enfant, je te donne l'exemple | Nicias, Dicéphile |
03 | Cantabile et Choeur | O ma Phryné | Nicias |
Que la fête se prépare ! | Choeurs | ||
04 | Finale | A l'aide Citoyens ! | Phryné, Lampito, Nicias, Dicéphile, Cynalopex, Agoragine, Choeurs |
Si le front couronné de lierre | Phryné | ||
On raconte qu'un Archonte... | Nicias | ||
ACTE II | |||
05 | Introduction et Duo | Excusez ma présence... | Nicias |
Quoi ! vous partez sitôt | Phryné | ||
06 | Air et Trio | Un soir j'errais sur le rivage | Phryné |
O reine de Cythère ! | Phryné, Lampito, Nicias | ||
07 | Ariette | C'est ici qu'habite Phryné | Lampito |
08 | Couplets | L'homme n'est pas sans défaut | Dicéphile |
09 | Duo et Scène de l'Apparition | Je suis devant l'aréopage | Phryné |
C'est Phryné... | Choeur invisible | ||
Quelle merveille ! | Dicéphile | ||
10 | Finale | Salut et Gloire ! | Phryné, Lampito, Nicias, Choeur |
LIVRET
esquisse de décor de l'Acte I pour la création par Philippe Chaperon [ALF]
(édition de mars 1935)
ACTE PREMIER
Un carrefour à Athènes ; au fond, exhaussé de quelques degrés et porté sur une gaine de marbre, le buste voilé de Dicéphile. A gauche, la maison de Phryné. Un perron accède à la porte d'entrée. A droite, un banc de marbre. Au lever du rideau une foule considérable remplit le carrefour et s'empresse autour de Dicéphile. Agoragine et Cynalopex sont groupés un peu à l'écart sur la droite. Un héraut public, escorté de gardes, se tient debout au milieu de la scène.
SCÈNE PREMIÈRE DICÉPHILE, AGORAGINE, CYNALOPEX, UN HÉRAUT PUBLIC, PEUPLE, SOLDATS
LE HÉRAUT.
Le peuple athénien, sur le Pnyx assemblé,
CYNALOPEX, bas à Agoragine.
Ce n'est pas à toi que l'on s'adresse,
AGORAGINE, bas à Cynalopex.
Ami ! ta place est-elle ici ?
LE HÉRAUT.
Ce décret intéresse (Il désigne Dicéphile.) Dicéphile, l'archonte. — A lui salut ! (Le héraut salue Dicéphile, puis déploie un rouleau de papyrus et se prépare à lire le décret au peuple.)
DICÉPHILE. Merci !
LE HÉRAUT, lisant.
Considérant les importants services
Considérant qu'il réforme les vices Considérant qu'une cité s'honore En immortalisant un homme aussi pieux ;
Le peuple veut que son buste décore (La foule s'écarte ; le héraut dévoile le buste de Dicéphile, puis il prend une palme que lui présente un des hommes de son escorte et la dépose sur les degrés où s'élève le monument.) De par le peuple j'inaugure Ce marbre que la gloire élève à la vertu !
AGORAGINE, à part. Le marbre n'a jamais pris si laide figure.
DICÉPHILE. C'est trop d'honneur et j'en suis confondu.
CYNALOPEX, bas à Agoragine. Il faut que j'aie aussi mon buste. Qu'en dis-tu ?
AGORAGINE, bas à Cynalopex.
Ce serait trop monter en grade ;
LE HÉRAUT. Citoyens d'Athènes, fêtez
L'austère magistrat que Sparte nous envie ! (Le héraut, suivi de ses soldats d'escorte, quitte la scène. La foule s'empresse autour de Dicéphile).
CHŒUR D'HOMMES DU PEUPLE.
Honneur et gloire à Dicéphile,
DICÉPHILE.
Amis, en vérité, c'est trop. Cessez, de grâce ! Ma modestie !
CYNALOPEX, à part. Aussi menteur que vieux !
CHŒUR D'HOMMES DU PEUPLE.
La vertu règne en cette ville, (Entre un groupe de jeunes esclaves portant des couronnes et des guirlandes de fleurs).
DICÉPHILE. Qui vient là ? Quel est ce cortège ?
AGORAGINE, à Dicéphile. Des esclaves, je crois, messagers amoureux.
DICÉPHILE. Les confondent les dieux !
CYNALOPEX, à part.
Que le ciel les protège ! C'est un scandale ! Ils sont nombreux !
AGORAGINE.
Je le crois bien ! chacun apporte
CYNALOPEX.
Et les offrandes, à sa porte,
DICÉPHILE. En vérité, c'est odieux. (Phryné paraît sur le seuil de sa maison. Les esclaves porteurs de présents s'empressent autour d'elle. Elle s'avance lentement et la main appuyée sur l'épaule de son jeune esclave Lampito.)
SCÈNE II LES MÊMES, PHRYNÉ, LAMPITO.
DICÉPHILE. Qui vient encor ?
CYNALOPEX.
C'est elle !
DICÉPHILE. Phryné ! Toujours Phryné ! (La foule s'empresse sur les pas de Phryné.)
Mais on dirait que ce peuple infidèle
AGORAGINE, à part. Il en est étonné.
CHŒUR D'HOMMES, CHŒUR DES JEUNES ESCLAVES, CYNALOPEX, AGORAGINE. (Ensemble.)
C'est Phryné ! Quand elle passe, Qui s'avance et nous sourit ?
DICÉPHILE.
Ne sont-ils pas fous, de grâce ?
Chacun la suit et s'empresse,
PHRYNÉ, elle s'avance parlant à Lampito.
Lampito, réponds-moi ! Pourquoi cette assistance
LAMPITO, à Phryné.
Ce n'est pas sans raison. Du fameux Dicéphile.
PHRYNÉ. Ah ! je sais ! (Elle s'approche de Dicéphile, s'adressant à lui.)
Votre nom, seigneur, en cette ville
Votre mérite est grand et la Grèce le vante. Je suis, il est vrai, peu savante, Et cependant, votre servante Sait le respect qui vous est dû !
AGORAGINE, à part. Le respect est de trop.
PHRYNÉ, à Dicéphile.
Ce peuple vous acclame ; Vous présente, à son tour, son humble compliment. (A Lampito). Viens, Lampito, j'en rirais trop vraiment. (Phryné s'éloigne, toujours nonchalamment, la main appuyée sur l'épaule de son esclave Lampito. Quelques autres esclaves l'escortent. Au moment où elle passe devant le buste de Dicéphile, Lampito le lui montre en riant. Puis elle disparaît avec ceux qui l'accompagnent.)
CHŒUR DES HOMMES DU PEUPLE, AGORAGINE, CYNALOPEX. [ensemble]
C'est Phryné, quand elle passe, Qui s'avance et nous sourit ?
DICÉPHILE.
Ne sont-ils pas fous de grâce ?
Chacun la suit et s'empresse. (La foule se dissipe. Il ne reste en scène que Dicéphile, Agoragine et Cynalopex.)
SCÈNE III DICÉPHILE, AGORAGINE, CYNALOPEX.
DICÉPHILE.
Trouverai-je toujours ces femmes sur ma route ?
AGORAGINE, à part.
Il en doute !
Seigneur, Phryné n'oserait pas,
AGORAGINE. Il faut avouer qu'elle est belle.
Elle est belle ! Voilà Ce que le sot vulgaire appelle
Des raisons ! Tout est dit quand ils ont dit
cela.
A ce point ? Un regard plus ou moins caressant,
CYNALOPEX, à part.
Tandis que la laideur va toujours grandissant.
On dit que Praxitèle,
Vint chez Phryné s'inspirer d'elle ;
DICÉPHILE.
Praxitèle fait des statues
Ce n'était pas l'usage ancien.
CYNALOPEX, à part montrant Dicéphile. Oui, le sien !
AGORAGINE. Mais cette Aphrodite nouvelle,
Si j'en crois ce qu'on dit, est, selon votre vœu, De son modèle.
DICÉPHILE. C'en est assez ! Parlons de mon neveu !
CYNALOPEX.
Comme vous l'ordonnez, nous avons fait emplette
Du jeune Nicias, vous êtes créancier. Et voici la liste complète De ce qu'il doit. (Cynalopex déroule une longue bande de papyrus et la montre à Dicéphile.)
DICÉPHILE. C'est long !
AGORAGINE. Nous avons obtenu Un jugement qui le condamne Par corps.
DICÉPHILE. Bien ; c'était convenu.
CYNALOPEX. Si par la ville encore il se pavane, Il sera, sans manquer, demain sous les verrous.
DICÉPHILE. C'est parfait !
AGORAGINE.
Cependant redoutez son courroux ! Il réclame à grands cris ses comptes de tutelle.
DICÉPHILE.
N'ayez pas de souci ; c'est affaire entre nous.
CYNALOPEX, à part. Oh ! oui.
DICÉPHILE.
C'est prévoyance.
Voici l'été qui vient ; le frais d'une prison C'est pour son bien, ce que je veux en faire.
AGORAGINE, à part. Pour son bien, c'est le mot.
DICÉPHILE. Terminez au plus tôt Cette importante affaire ! Par la grâce de mon crédit,
Vous êtes tous les deux démarques ;
CYNALOPEX.
Nous l'espérons. C'est dit !
Vous avez le droit enviable Et jusqu'au débiteur à ses devoirs manquant.
AGORAGINE. Comptez sur nous ! Je suis d'humeur impitoyable.
DICÉPHILE. Faites-vous délivrer le jugement ! (Apercevant Nicias qui parait au fond.) Voici
Mon neveu Nicias qui s'approche d'ici :
CYNALOPEX. Nous remplirons, seigneur, fidèlement vos ordres. (Sortent Agoragine et Cynalopex.)
SCÈNE IV
DICÉPHILE, NICIAS. Bonjour, mon cher oncle !
DICÉPHILE. Bonjour !
NICIAS. Il faut que je vous félicite : Le peuple a dignement payé votre mérite, Et vous voilà grand homme enfin !... Chacun son tour !
DICÉPHILE.
Merci du compliment, j'y suis toujours sensible.
Il va me demander, j'en suis sûr, de l'argent.
NICIAS.
DICÉPHILE, à part.
Il y vient. Vous serait-il possible De me prêter, j'en ai besoin urgent, Deux talents ?
DICÉPHILE.
Deux talents ! Cela fait cent vingt mines,
NICIAS. Bah ! Vous êtes magistrat. Cela rapporte.
DICÉPHILE.
Moins que tu t'imagines.
NICIAS. Voyons ! Rien qu'un petit talent ! (D'un ton suppliant et caressant.)
Pour une fois soyez brave homme ! Un talent ! Un talent ! Et je vante partout votre cœur excellent.
DICÉPHILE. Je ne puis, Nicias.
NICIAS, haussant le ton.
Mais ce n'est qu'une avance Vous me devez beaucoup.
Vous étiez mon tuteur, et tout bas on raconte
DICÉPHILE. Quel mensonge impudent !
NICIAS. Je le crois cependant. Vous me faisiez jeûner et coucher sur la dure.
Que de fois, sans manteau, j'ai soufflé dans mes
doigts !
DICÉPHILE. Je fais ce que je dois.
NICIAS.
Mon oncle, un peu moins de paroles
DICÉPHILE.
Ne fais pas de dépenses folles
NICIAS, menaçant.
DICÉPHILE, railleur.
Tu n'iras plus aux courses
NICIAS.
Je ne fais plus courir
DICÉPHILE. Oui, te voilà sans ressources.
NICIAS.
J'ai vendu mes chevaux que je voyais maigrir,
DICÉPHILE.
Je soupçonne une femme
NICIAS.
Eh bien !
La femme est un rongeur qui croque notre bien,
Prends-y garde !
NICIAS. Chansons !...
DICÉPHILE. Quelque femme de rien, Quelque Phryné sans doute.
NICIAS, à part.
DICÉPHILE.
Écoute !
NICIAS.
Oh ! mon oncle !... Un avis précieux. Si tu le suis, tu t'en trouveras mieux.
NICIAS. Cela s'appelle un oncle, justes dieux !
DUO
DICÉPHILE. Enfant, je te donne l'exemple. Je marche de respects partout environné ;
Je vois, comme un dieu dans son temple,
Célibataire
Toujours austère,
Tu vois sans cesse Froide raison. Sexe frivole
Qui passe et vole
En vain s'approche ;
NICIAS.
Maintenant il se peut ; cela vous plaît à dire,
DICÉPHILE.
Du sage Dicéphile, on ne saurait médire.
NICIAS. Quel goût !
DICÉPHILE. Merci !
[ NICIAS.
[ Rien sur la terre [ Qui n'a tendresse,
[ A la tristesse
[ Le temps s'envole. [
[ DICÉPHILE. [ Sexe frivole
[ Qui passe et vole
[ En vain s'approche,
DICÉPHILE.
Au revoir et qu'il te souvienne (Dicéphile s’éloigne, lui-même respectueusement, salue en passant son buste.)
SCÈNE V NICIAS, puis CHANTEURS, DANSEURS, FLUTEURS, etc.
NICIAS, d'un air accablé. Quelle destinée est la mienne !
Si je me plains, ce n'est pas sans raison. Un oncle qui me pille.
Pour des amis, je n'en ai pas ; J'aime aussi, j'aime et rien ne récompense
Mes vœux inassouvis, mes rêves superflus ; Mon oncle m'est encor, je crois, plus secourable. Quelquefois, cependant, un regard favorable Me retient auprès d'elle et me fait espérer ;
Mais ses yeux sont menteurs, plus que je ne puis
dire ; Autant qu'à l'adorer.
O ma Phryné ! c'est trop peu que je t'aime,
L'amour te suit, et c'est l'instant de même,
Quel roi si grand qui n'ait de par le monde
A tes beaux yeux, à ta couronne blonde,
L'amour te suit, et c'est l'instant de même
O ma Phryné ! c'est trop peu que je t'aime, (Nicias va s'asseoir à droite sur le banc de marbre et reste plongé dans un profond accablement. Entre un cortège de danseurs, danseuses, flûteurs, joueurs de cithares et de tambourins. C'est une troupe ambulante et qui se loue pour quelque fête, à tout venant.)
LE CHŒUR.
Que la fête se prépare ! Qui console Et qui chasse le chagrin. Lesbos est notre patrie Si chérie.
Nous chantons et nous dansons. Quand la lyre Emporte au loin nos chansons ! Nicias ! Nicias ! Viens-tu, cher camarade ?
NICIAS.
Non, non, je n'ai besoin
LE CHŒUR.
Tel aujourd'hui gémit et pleure,
NICIAS.
Non, non, ce n'est le jour ni l'heure ;
LE CHŒUR.
Lesbos est notre patrie
Nous chantons et nous dansons ! Quand la lyre, Emporte au loin nos chansons. (Chanteurs et danseurs traversent la scène, au son des flûtes et des tambourins qui rythment une danse joyeuse et disparaissent.)
SCÈNE VI NICIAS, AGORAGINE, CYNALOPEX, puis PHRYNÉ, LAMPITO, suite d'esclaves.
NICIAS, seul. Je suis las de la vie. Tout n'est que chagrin ici-bas.
Mais avant de hâter l'heure de mon trépas. (Agoragine et Cynalopex entrent. Ils se tiennent d'abord un peu à l'écart et se montrent Nicias resté sur le banc de marbre.)
AGORAGINE, montrant Nicias. C'est lui !
CYNALOPEX, bas à Agoragine.
Soyons prudents, crois-moi ! Pour la majesté de la loi.
AGORAGINE, bas à Cynalopex, d'un ton méprisant. Maudit poltron !
CYNALOPEX, bas à Agoragine. Je crains la solitude. Ce n'est pas de la peur, c'est de l'inquiétude.
AGORAGINE, bas à Cynalopex.
Allons ! marchons ! c'est trop tarder !
CYNALOPEX.
O dieux cléments ! faites que je n'attrape
AGORAGINE, bas à Cynalopex. Faut-il y regarder ? (Agoragine et Cynalopex se rapprochent de Nicias.) Debout ! seigneur ! Veuillez nous suivre !
NICIAS, repoussant Agoragine. Arrière donc ! Vous êtes ivre.
CYNALOPEX. Oh ! pas moi.
AGORAGINE. Suivez-nous !
NICIAS. Mais où donc ?
AGORAGINE. En prison !
NICIAS, se levant. En prison ?
CYNALOPEX. Oui, vraiment !
AGORAGINE. C'est l'austère maison. Où désormais il faudra vivre. En route !
(Il veut entraîner Nicias qui le repousse
brusquement.) Par les dieux des enfers, non ! non ! non !
CYNALOPEX, à part. Cela va mal !
AGORAGINE. Je suis démarque, Et comme tel représente la loi. Obéissez au peuple-roi ! Vous n'êtes pas, que je sache, un monarque.
CYNALOPEX, à Agoragine. Je suis démarque comme toi. (A Nicias.)
Un démarque, seigneur, honnête, respectable,
NICIAS. Inviolables, vous ! — Il faut voir !... Un bâton !... (Il aperçoit et ramasse aussitôt un bâton tombé derrière le banc où il était assis.) C'est à merveille !
CYNALOPEX, bas à Agoragine.
Ami, changeons de ton !
AGORAGINE, d'un ton indigné. Frapper des magistrats !
NICIAS, toujours le bâton à la main.
Pourquoi pas, méchants drôles ?
AGORAGINE. Dicéphile !
NICIAS. Mon oncle ?
AGORAGINE. Oui, votre oncle lui-même !
NICIAS. Ah ! bandit ! ah ! le traître !
AGORAGINE, railleur.
Un oncle qui vous aime.
CYNALOPEX, il cherche dans sa poche le texte du jugement. Voici le jugement !
NICIAS, envoie un coup de bâton. Et voici la réponse !
CYNALOPEX, criant.
Grands dieux ! mon dos ! quel métier ! j'y
renonce. Ensemble.
AGORAGINE. A l'aide, citoyens !
CYNALOPEX. Au secours ! au secours !
AGORAGINE ET CYNALOPEX. Au secours ! au secours !
NICIAS.
Criez, tout à votre aise ! appelez au secours ! (Nicias menace encore de son bâton Agoragine et Cynalopex.)
CYNALOPEX.
De grâce, cher seigneur, ne tranchez pas le cours
AGORAGINE. A l'aide, citoyens !
CYNALOPEX. Au secours ! au secours !
NICIAS. Criez tout à votre aise ! appelez au secours ! (Entrent Phryné, Lampito, suite d'esclaves.)
AGORAGINE. On vient ! à nous !
CYNALOPEX, criant. A moi !
PHRYNÉ, paraissant. Qu'entends-je ?
LAMPITO. Quel tumulte !
NICIAS, apercevant Phryné. Phryné !
PHRYNÉ. Vous, Nicias !
CYNALOPEX. On me bat !
AGORAGINE. On m’insulte !
PHRYNÉ. Qu’arrive-t-il, enfin ?
NICIAS.
Moins que rien. Nous causons Que l'air de leurs prisons M'est déplaisant en toutes les saisons.
AGORAGINE. Il outrage le peuple et la force publique.
PHRYNÉ. Vous, en prison, Nicias !
CYNALOPEX, AGORAGINE. C'est la loi !
NICIAS. Ils disent vrai !
PHRYNÉ, à ses esclaves.
Mes esclaves, à moi !
NICIAS. Ah ! merci !
AGORAGINE, à part. Que dit-elle ?
LAMPITO. Oui, oui ! Bataille !
PHRYNÉ, aux esclaves. A moi, ma phalange fidèle !
CYNALOPEX.
Si les femmes vont s'en mêler, (Les esclaves empressés et menaçants entourent Agoragine et Cynalopex.)
CHŒUR DES ESCLAVES. Nous voici ! Nous voici !
CYNALOPEX, à Agoragine. Fuyons ! c'est notre perte.
La place n'est pas bonne ici ! Rossez-les d'importance !
PHRYNÉ. Que le bâton rythme leur danse !
LAMPITO.
Hors d'ici ! Hors d'ici ! Hors d'ici ! Hors d'ici ! (Nicias, Lampito et les esclaves repoussent et frappent Agoragine et Cynalopex.)
AGORAGINE. A moi, des coups ! Quelle impudence !
CYNALOPEX. Encor des coups ! Fuyons d'ici !
LE CHŒUR.
LE CHŒUR. (Agoragine et Cynalopex, roués de coups et poursuivis, s'échappent à grand'peine.)
SCÈNE VII NICIAS, PHRYNÉ, LAMPITO, ESCLAVES, puis la Troupe de Chanteurs et Danseurs ambulants
NICIAS, à Phryné.
Phryné, je vous rends grâces ;
PHRYNÉ.
Je compatis à vos disgrâces ;
NICIAS. Hélas !
Je n'en sais rien. Je reste sans asile. Mais je ne pourrais vivre où vous ne seriez pas !
PHRYNÉ.
Le remède est facile.
Nous font un saint devoir de l'hospitalité ! Entrez, ami ! Je ne suis pas bonne à demi.
NICIAS.
Et si l'amour demande asile ?
Je puis ouvrir et cependant
NICIAS. C'est le bonheur en attendant.
PHRYNÉ
Aussi je dis, c'est le plus sage, Mais...
NICIAS. Mais !
PHRYNÉ. Contentez-vous, ami, de la maison !
NICIAS.
PHRYNÉ. Hâtons-nous !
NICIAS.
Un instant. (Il se rapproche du buste de Dicéphile et le regarde en face.)
Et le voilà pourtant (Interpellant le buste et le menaçant du poing.)
Infâme, tu me railles ! Ta grotesque immortalité ! (La troupe des chanteurs et des danseurs reparaît, traversant la scène.)
LE CHŒUR.
Lesbos est notre patrie Nous chantons et nous dansons !
Il n'est que joie et délire,
NICIAS. Arrêtez, cette fois, mes joyeux camarades ! (Les chanteurs et les danseurs s'arrêtent.)
L'instant est mieux choisi ; (Nicias jette de l'argent aux musiciens.) C'est le dernier argent qui me restait !
LE CHŒUR. Merci !
NICIAS.
Avant de passer outre, (Nicias désigne à Lampito une outre que porte l'un des chanteurs. Lampito la prend aussitôt.) Coiffes-en mon oncle ! (Lampito coiffe le buste de Dicéphile d'une outre, et, grotesquement, la pose de travers.)
LAMPITO. C'est fait !
NICIAS. Son buste, maintenant, est d'un meilleur effet.
PHRYNÉ. Riez ! l'éclat joyeux des rires
Que vous lancez,
Chantez ! Dansez ! Aux prés fleuris ! Le rire est la fleur de nos lèvres. Riez ! Je ris ! (Les flûtes, les lyres, les tambourins font rage. Une ronde se forme, brutalement rythmée. Danseurs et danseuses tourbillonnent devant le buste de Dicéphile.)
On raconte
Était un fourbe maudit, Hypocrite
Un beau jour se démentit.
Les dieux lui firent le don, Dicéphile est un fripon !
LE CHŒUR, PHRYNÉ, NICIAS. (Reprise dans un ensemble général.) On raconte
Qu'un archonte Hypocrite Un beau jour se démentit.
Si d'un masque, Les dieux lui firent le don,
Que le monde Dicéphile est un fripon ! (Phryné et Nicias accompagnés de Lampito et des autres esclaves s'éloignent et rentrent dans la maison de Phryné. Les danseurs et les chanteurs les suivent, toujours chantant et dansant. Peu à peu le bruit faiblit et s'éteint. Le jour baisse.)
SCÈNE VIII DICÉPHILE, LE CHŒUR, hors de scène. (La nuit est venue. Dicéphile entre, marchant avec précaution. Il tient une lanterne.)
DICÉPHILE.
Que la police est bien faite en la ville,
LE CHŒUR. (Les voix sortent de la maison de Phryné, d'abord confuses, incertaines, puis peu à peu, jusqu'à la fin de la scène, plus bruyantes et plus hardies.) Dicéphile ! Dicéphile !
DICÉPHILE.
LE CHŒUR. Dicéphile ! Dicéphile !
DICÉPHILE.
LE CHŒUR. Dicéphile est un fripon !
DICÉPHILE.
LE CHŒUR. DICÉPHILE. Que dit-on ? Que dit-on ? J'entends le mot de fripon.
Je me trompe, sans doute, on célèbre ma gloire.
(Dicéphile s'approche de son buste, la lanterne à la main et le voyant coiffé d'une outre et barbouillé de lie, il recule stupéfait, haletant de rage.)
Grands dieux ! grands dieux ! quel sacrilège
infâme ! (Désignant d'un geste de menace la maison de Phryné.) Ah ! je me vengerai !
LE CHŒUR. Dicéphile ! Dicéphile !
Qu'on le dise par la ville !
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esquisse de décor de l'Acte II pour la création par Philippe Chaperon [ALF]
ACTE II
Chez Phryné. Un intérieur grec élégant et riche. Au fond, large ouverture donnant sur un sanctuaire on se trouve placée une statue d'Aphrodite. Le piédestal est tout enguirlandé de feuillage et de fleurs. — Au lever du rideau, une tenture close cache la statue. Porte à gauche, premier plan, donnant sur les appartements de Phryné, porte à droite. Sièges, un lit de repos sur la gauche, une table vers la droite ; des objets de toilette, des bijoux, un miroir y sont jetés en désordre.
SCÈNE PREMIÈRE PHRYNÉ, NICIAS. (Phryné est assise près de la table et consulte son miroir. Entre Nicias qui s'approche lentement d'elle.)
PHRYNÉ, apercevant Nicias dans le miroir. Nicias !
NICIAS. Excusez ma présence indiscrète ! Hier la prison était prête
Où mon cher oncle avait dessein de m'envoyer.
Que j'ai regret à ne pouvoir payer. Ma Phryné, je vous quitte, Et je vous dis merci pour la dernière fois.
PHRYNÉ.
Quoi ! Vous partez si tôt, Nicias ? Qui vous
presse ?
NICIAS. Mon sort vous intéresse ?
Je dois vous fuir pourtant. Tout moment de retard
PHRYNÉ.
NICIAS.
Pourquoi n'aimez-vous pas, cruelle ?
PHRYNÉ.
Qui vous dit que je n'aime pas ?
NICIAS. Tout m'accable.
Pas un seul usurier qui ne soit implacable. J'ai tout perdu, c'est vrai, Phryné.
PHRYNÉ.
NICIAS. Comment tant mieux ?
PHRYNÉ. Sans doute
Tu n'as pas tout perdu, cher Nicias, écoute ! Je t'aime, Nicias, dès longtemps je t'aimais.
NICIAS. Tu m'aimes ?
PHRYNÉ.
Oui, je t'aime, et jamais sur ma lèvre Ne laissa, Nicias, tant de joie en passant.
NICIAS. Je t'aime ! Ah ! quelle douce fièvre A confondu nos cœurs et fait brûler mon sang !
PHRYNÉ. Ta parole m'enivre.
NICIAS. Je te vois et me sens charmer.
Il vaudrait mieux cesser de vivre, (Entre précipitamment, par la droite, Lampito.)
SCÈNE II NICIAS, PHRYNÉ, LAMPITO
NICIAS, apercevant Lampito, d'un ton impatient. Qui vient là ?
LAMPITO.
PHRYNÉ. Lampito, qui t'appelle ?
LAMPITO. J'ai regret de vous déranger ;
Mais je dois vous apprendre une grave nouvelle :
PHRYNÉ. Qu'est-ce donc ?
LAMPITO. Dicéphile…
NICIAS. Eh bien ?
LAMPITO. N'est pas content !
C'est qu'il est difficile ;
LAMPITO. Il court par la Cité comme un fou furieux.
PHRYNÉ. Qui t'a dit cela ?
LAMPITO. Son esclave,
Que je quitte, un ami. Et n'entend pas se venger à demi.
NICIAS.
Qu'il vienne donc ! et je le traite
LAMPITO.
Cher seigneur, Nous n'aurons pas toujours même bonheur. On vous recherche, et je redoute Pour la fête d'hier un fâcheux lendemain.
NICIAS.
Que je ne trouve pas mon oncle sur ma route,
LAMPITO.
Prenez-y garde !
PHRYNÉ, s'adressant à Nicias. Laisse-moi faire, ami, tout ceci me regarde.
NICIAS.
Tu connais nos périls et tu veux les braver ?
PHRYNÉ.
Je ne sais ; mais je veux te sauver. Cette déesse si charmante, Et l'orgueil, et la joie et la splendeur des cieux ?
Un soir j'errais sur le rivage, Rêvant de vivre en ton cher esclavage,
Près d'un temple où tu fais séjour, Si pur était le ciel aux feux mourants du jour !
Bientôt, tranquille et dédaigneuse,
Mes longs cheveux flottaient des zéphirs
caressés,
Tout à coup s'envolait ton grand nom, Aphrodite.
Excuse leur démence !
Ils m'avaient aperçue, et c'est toi qu'ils
voyaient,
PHRYNÉ, NICIAS, LAMPITO.
O reine de Paphos, de Cnide et de Cythère, Fille de l'onde,
Tout fléchit devant toi, (Lampito s'éloigne et se dispose à sortir, mais revient précipitamment.)
LAMPITO. Déjà ?
PHRYNÉ, s'adressant à Nicias. Va-t'en, Nicias !
NICIAS. Mais...
PHRYNÉ, interrompant Nicias. Il le faut.
NICIAS, s'adressant à Phryné.
Soit ! je suis ton esclave docile, J'en prendrai l'habitude. (A part.) Je reste près d'ici ; j'ai quelque inquiétude Au sujet des moyens qu'elle compte employer. (Haut à Phryné.) Au revoir !
PHRYNÉ. A bientôt ! (Nicias sort par la petite porte de droite. — A Lampito.) Introduis Dicéphile, Lampito, qu'il attende ! (Lampito sort par la droite.)
Un nautonier habile, (Phryné sort par la porte de gauche qui donne accès dans ses appartements.)
SCÈNE III LAMPITO, DICÉPHILE
(Lampito entre immédiatement suivi de
Dicéphile.) Vous demandez, seigneur !
DICÉPHILE, l'interrompant.
Je veux voir ta maîtresse, Ne peut souffrir de longs retards. (D'un ton imposant et irrité.) L'archonte Dicéphile a droit à des égards.
LAMPITO.
DICÉPHILE, brusquement. Et n'est pas accoutumé d'attendre.
LAMPITO, (A part.)
L'archonte n'est pas tendra.
DICÉPHILE.
Eh bien, c'est donc ici
LAMPITO. C'est ici qu'habite Phryné.
Belle en tous lieux, elle est plus belle Qui la respire et la rappelle. (Dicéphile, assis sur la droite, négligemment a pris le miroir de Phryné.)
Gentil miroir où ses grands yeux Tu vas sourire à ta maîtresse. (Montrant le lit de repos.)
Lit si propice aux doux larcins, (Montrant les bijoux.)
Bijoux choisis par elle, Belle en tous lieux, elle est plus belle
Au séjour fortuné (Lampito sort.)
SCÈNE IV
DICÉPHILE (Seul, examinant toutes choses.)
Voyons ! Mon petit inventaire ! Et souvent partagé. (Reprenant le miroir que Lampito a laissé sur la table.)
Ah ! le fameux miroir ! — C'est bien ici sa
place. (Se mirant.)
Moi, je ne trouve rien d'agréable à me voir, Sont de grands fous ;
Et dix ans devant Troie, et d'estoc et de taille
Pour certaine coquine ! Hélas, trois fois hélas ! Athènes en est pleine, Et les filles d'Hélène Ne manqueront jamais aux fils de Ménélas.
L'homme n'est pas sans défaut,
Tant s'en faut ; Ne nous verse Pour deux ou trois bons moments, Que tourments.
On est sage, mais quand même,
C'est payer bien cher après, Moi, jamais l'âme échauffée
Comme Orphée,
Dans les pleurs ; A Cerbère :
Ma chère Eurydice est là ; (Phryné entre et avance lentement.)
SCÈNE V
DICÉPHILE, à part, apercevant Phryné.
PHRYNÉ, à part.
Je dois acheter le silence
DICÉPHILE, à part, observant Phryné. Elle n'ose avancer ; je n'en suis pas surpris.
PHRYNÉ, à part.
A tout prix ? C'est bien cher. Il faut que je le
paie
DICÉPHILE, à part. C'est mon tour de railler ; elle a l'air consterné.
PHRYNÉ, à part. Je saurai vaincre, ou bien, je ne suis pas Phryné. (Elle s'avance vers Dicéphile et s'adresse à lui.) Seigneur, est-ce bien moi que vous cherchez ?
DICÉPHILE, d'un ton brusque. Vous-même !
PHRYNÉ. Ma joie en est extrême.
DICÉPHILE.
Pas de vain compliment !
PHRYNÉ, simulant l'étonnement. Non pas vraiment !
DICÉPHILE. Quel aplomb !
PHRYNÉ. Quel tapage !
DICÉPHILE, d'un ton solennel. En ce moment l'Aréopage Se réunit de par exprès commandement. Votre crime est de ceux que jamais rien n'efface.
PHRYNÉ. Regardez-moi, s'il vous plaît, bien en face !
(Elle se rapproche de Dicéphile et se place
droite et fière devant lui.) Mais...
PHRYNÉ, d'un ton câlin.
Et répondez-moi, Dicéphile, entre nous, Condamnera Phryné ? Dites ! Le croyez-vous ?
DICÉPHILE. J'en suis sûr. — Et pourtant, c'est peut-être dommage !
PHRYNÉ. N'est-ce pas, mon ami ?
DICÉPHILE. On s'est moqué de moi.
PHRYNÉ. Rien qu'à demi.
DICÉPHILE, furieux, à haute voix. On m'a coiffé d'une outre et barbouillé de lie !...
PHRYNÉ.
DICÉPHILE. Non ! mon buste !
PHRYNÉ. Une aimable folie.
DICÉPHILE. Oh !
PHRYNÉ. Il faisait si noir... Écoutez mes raisons !
DICÉPHILE.
PHRYNÉ, insistant.
Faites-moi la grâce de m'entendre.
DICÉPHILE, inquiet, à part. La sirène est bien belle, et je crains ses chansons.
PHRYNÉ, lui fait signe de se rapprocher d'elle, Dicéphile s'en étant écarté ; elle va prendre place sur le lit de repos où lentement, hésitant, Dicéphile la rejoint.
Venez donc près de moi !... Là !... plus près, et
causons ! Je suis devant l'Aréopage, N'est-ce pas, Dicéphile, en étant devant vous ?
DICÉPHILE.
C'est tout comme, en effet. Et le procès s'engage.
Que Thémis prononce entre nous ! Interrogez l'accusé, c'est l'usage.
DICÉPHILE, à part. N'oublions pas que je suis en courroux !
PHRYNÉ, se levant et d'un air triomphant.
C'est Phryné qu'on m'appelle ;
On fait courir sur moi des propos médisants ; Et les remords sont déplaisants ! (Vivement et s'adressant à Dicéphile directement.)
Poursuivez l'interrogatoire ! Parlez ! Parlez ! Je vous réponds !
(Phryné s'avance vers Dicéphile qui recule et
se trouble.)
Son crime est affreux et notoire ;
PHRYNÉ, plus simplement. Vous vous taisez ? (D'un ton dégagé.)
Souffrez que je complète, (Hypocrite et railleuse.) Votre présence auprès de moi
Me cause tant d'émoi
Je voudrais bien avoir, (Dicéphile, un moment hésitant, se met à chercher le miroir, mais comme au hasard.) Là !... sur la table ! (Phryné désigne à Dicéphile la table où sont déposés les objets de toilette. Dicéphile prend le miroir et le présente à Phryné, qui le reçoit d'un air insouciant. — Prenant le miroir.) Bien ! (Elle se regarde, puis, sans même tourner la tête vers Dicéphile.) Et mon collier, de grâce ! (Dicéphile va chercher le collier et le présente à Phryné, elle le prend, puis d'un geste aussitôt renvoie Dicéphile chercher quelque autre objet.) Mes bagues ! Un ruban ! (Phryné commande d'un ton toujours plus brusque et plus rapide Dicéphile, bientôt tout haletant, court de Phryné à la table et de la table à Phryné.)
DICÉPHILE, un moment hors de lui et regardant Phryné, à part. Il faut que je l'embrasse !
PHRYNÉ, il se rapproche brusquement, comme pour embrasser Phryné ; elle se retourne et l'arrête d'un geste.
C'est abuser peut-être ! Attachez au bras droit
(Elle présente à Dicéphile un anneau d'or et tend son bras nu. Dicéphile comme inconscient de ce qu'il fait, prend l'anneau et reste immobile devant Phryné.) Qu'avez-vous ?
DICÉPHILE, ébloui et comme fou. Je regarde !... (Il se dispose à attacher l'anneau au bras de Phryné, mais l'anneau lui échappe et tombe à terre.)
PHRYNÉ.
Bon ! le voilà par terre ! Eh ! seigneur, prenez
garde ! (Phryné ramasse l'anneau et se l'attache elle-même au bras.)
DICÉPHILE, à part, balbutiant.
Qu'ai-je donc ? J'y vois double !
PHRYNÉ, à part, observant Dicéphile et déjà à demi-triomphante.
Il se tait, il se trouble,
DICÉPHILE, à part.
Ah ! que dira l'histoire, (Reprenant quelque sang-froid et d'un ton qu'il veut rendre assuré.)
Phryné, cessez ce badinage !
PHRYNÉ, surprise. Vous vous en plaignez donc ? (Phryné est allé s'étendre à demi sur le lit de repos.)
Rien qu'un service encor ; ce ne sera pas long.
DICÉPHILE.
Non pas, vraiment ! Que j'ose Vous demander...
DICÉPHILE.
PHRYNÉ. Quelques fleurs, une rose.
DICÉPHILE, jetant un regard rapide autour de lui.
Il n'en est pas ici. Derrière ce rideau ! (Phryné désigne à Dicéphile le rideau qui voile la statue d'Aphrodite ; il s'approche du rideau après un moment d'hésitation. Tout à coup, la scène est plongée dans l'obscurité.)
DICÉPHILE, étonné.
Le ciel s'est obscurci.
PHRYNÉ. Sans doute quelque orage (Pressante.) Ma rose, s'il vous plaît. Allez donc ! Du courage ! (Phryné s'est levée et se tient sur la gauche, tout à fait à l'écart, invisible à Dicéphile.) Au moment où Dicéphile s'approche, le rideau s'écarte et s'ouvre de lui-même. La statue d'Aphrodite nue apparaît. Le piédestal est enguirlandé de myrtes et de roses. La statue est de marbre et reproduit les traits de Phryné, seule elle est éclairée comme par une lumière mystérieuse, tandis que tout le reste de la scène est plongé dans l'obscurité. Des voix s'élèvent et semblent saluer la déesse. C'est un murmure très doux. Les chanteurs restent invisibles.
CHŒUR.
C'est Phryné ! Quand elle passe, Qui s'avance et nous sourit ?
DICÉPHILE, s'arrête ébloui et stupéfait.
Grands dieux ! grands dieux ! quelle merveille !
Il semble qu'une autre âme en mon âme s'éveille.
Toute grâce et jeunesse ! Qui t'amène au milieu de nous ? Je t'adore, ô déesse, et tombe à tes genoux ! (Dicéphile hors de lui s'élance comme pour pénétrer dans le sanctuaire et saisir la statue dans ses bras. Le rideau tombe devant lui, la statue disparaît. Dicéphile étonné se retourne. Phryné est négligemment étendue sur le lit de repos, la scène s'éclaire et tout se retrouve dans le même ordre et à la même place. La musique cesse.) Plus rien ! Etait-ce un rêve ? Ah ! ma raison s'égare ! (Dicéphile affolé regarde de tous côtés, puis s'adresse brusquement à Phryné.)
Qu'ai-je vu là, Phryné ? Tout à l'heure ? C'est
vous !
PHRYNÉ, très calme et d'un ton attristé.
Mon procès se prépare,
DICÉPHILE, vivement.
Non ! non ! Moi seul je suis un coupable, un
impie. (Il se jette aux pieds de Phryné.)
PHRYNÉ, à part, se levant.
Allons donc ! Ayez quelque bonté Que mon rêve devienne une réalité !
PHRYNÉ.
Je suis, l'oubliez-vous ? devant l'Aréopage.
Il vous acquittera, j'en suis sûr, et pour gage,
(Il veut saisir la main de Phryné, mais elle la retire aussitôt.)
PHRYNÉ. Cessez !
DICÉPHILE. Mon cœur va se briser, O ma Phryné si belle, Vous n'êtes pas toujours d'humeur aussi cruelle.
PHRYNÉ. Impertinent !
DICÉPHILE. Vous aimez quelquefois Que cette main mignonne
Un instant s'abandonne : Dicéphile toujours à genoux, s'efforce vainement de saisir la main de Phryné qui toujours la retire, elle est debout sur la droite cachant Dicéphile. De droite, de gauche apparaissent Nicias et Lampito, celui-ci conduisant Agoragine et Cynalopex.
SCÈNE VI LES MÊMES, NICIAS, LAMPITO, AGORAGINE, CYNALOPEX, puis ESCLAVES, NOMBREUSE ASSISTANCE.
NICIAS, frappant Dicéphile sur l'épaule. Mon oncle, c'est à vous de nous payer l'amende.
DICÉPHILE. Pourquoi ? Seul, je règne et commande.
NICIAS.
Craignez l'aréopage ! Il peut vous révoquer ;
DICÉPHILE. Ma place ! Dieux vengeurs ! Plutôt perdre la vie !
NICIAS.
Ce cri du cœur me fait envie.
De tous vos biens ce soir j'exige le partage
DICÉPHILE. Eh ! oui ! c'est dit !...
NICIAS. Touchez-là !... Désormais Nous chanterons mieux que jamais, Vos vertus et les nôtres
DICÉPHILE, inquiet. Le peuple croira-t-il ?...
CYNALOPEX. Il en a cru bien d'autres.
(Entre un groupe nombreux d'esclaves et
d'Athéniens.)
Nous déclarons la guerre à tous vos ennemis, (S'adressant au chœur.) N'est-ce pas, mes amis ?
PHRYNÉ, à Dicéphile. Votre fête d'hier vous est ici rendue.
DICÉPHILE. Et tout cela pour voir une statue !
Ensemble final.
CHŒUR.
Honneur et gloire à Dicéphile ! (L'assistance et les deux démarques s'empressent autour de Dicéphile qui, résigné, accepte une coupe que Lampito lui présente. Phryné et Nicias se tiennent étroitement enlacés.)
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