le Voile du bonheur
maquette pour le Voile du bonheur (Tou-Fou) - autres maquettes
Comédie lyrique en deux actes, livret de Paul FERRIER, d'après le Voile du bonheur, pièce en un acte (Théâtre de la Renaissance, 04 novembre 1901) de Georges Benjamin CLEMENCEAU (Mouilleron-en-Pareds, Vendée, 28 septembre 1841* – Paris 16e, 24 novembre 1929*), musique de Charles PONS.
Georges Clemenceau en 1918
Création à l'Opéra-Comique (3e salle Favart) le 26 avril 1911 (avec la Jota de Raoul Laparra) ; mise en scène d'Albert Carré ; décors d’Alexandre Bailly ; costumes de Félix Régamey et Marcel Multzer.
48 représentations à l’Opéra-Comique au 31 décembre 1950.
personnages |
Opéra-Comique 26 avril 1911 (création) |
Opéra-Comique 22 janvier 1914 (21e) |
Opéra-Comique 08 mai 1923 (24e) |
Si-Tchun, femme de Tchang-I | Mmes Jeanne HATTO | Mmes Nelly MARTYL | Mmes Germaine BAYE |
Wen-Siéou, fils de Tchang-I (12 ans) | Jeanne de POUMAYRAC | Germaine CARRIÈRE | Niny ROUSSEL |
Tchang-I, mandarin (45 ans) | MM. Jean PÉRIER | MM. Jean PÉRIER | MM. Julien LAFONT |
Tou-Fou, mandarin (40 ans) | Fernand FRANCELL | Eugène DE CREUS | Miguel VILLABELLA |
Li-Kiang, mandarin (60 ans) | Louis AZÉMA | Louis AZÉMA | Louis AZÉMA |
Tchao, condamné | Maurice CAZENEUVE | Maurice CAZENEUVE | Victor PUJOL |
Li-Lao, messager de l'Empereur | Jean LAURE | Louis VAURS | Maurice SAUVAGEOT |
le Précepteur | Hippolyte BELHOMME | Hippolyte BELHOMME | Willy TUBIANA |
Chef d'orchestre | Louis HASSELMANS | Eugène PICHERAN | Maurice FRIGARA |
Jean Périer (Tchang-I) lors de la création : à g., avec le voile des illusions ; à dr., après avoir vu [photo Nadar]
décor du Voile du bonheur lors de la création à l'Opéra-Comique
D'autres plumes plus autorisées que la mienne ont loué comme elle le mérite la comédie philosophique qu'écrivit jadis M. Georges Clemenceau pour se délasser sans doute des graves soucis de la politique. En quelques lignes, contons-en la donnée très simple. Le poète Tchang-I, aveugle, vit dans un bonheur parfait, entouré de l'affection de sa femme, du dévouement de ses amis, du respect de son fils. Quelques gouttes d'un collyre à lui donné par un barbare (entendez un médecin européen) suffisent à lui rendre la vue et voici que toute sa félicité s'écroule ; tous ceux qui vivent à ses côtés le trompent ; il surprend sa femme aux bras du jeune Tou-Fou, Li-Kiang a fait passer pour siens les vers qu'il lui dicta ; Wen-Siéou, son fils, le tourne en ridicule et le bafoue. Désespéré d'avoir perdu ses illusions, il a hâte de se replonger dans la nuit, de retrouver son ancienne quiétude ; le restant du collyre suffit à le rendre irrémédiablement aveugle, il a retrouvé le Voile du Bonheur. Telle qu'elle est, cette prière se suffit parfaitement à elle-même et l'on ne voit guère ce qu'elle pouvait gagner à être adornée de musique ; mais, par contre, on voit fort bien ce qu'elle y a perdu, elle est devenue terriblement languissante et monotone, le premier acte surtout distille un ennui profond qui incite à une douce somnolence ; quelques stridences orchestrales parviennent à peine à nous en tirer. C'est bien le musicien qui est d'ailleurs ici le coupable. Sous le prétexte de respecter la pensée du dramaturge, de souligner le dialogue aussi discrètement que possible, il s'est effacé à tel point que sa pensée devient insaisissable. Un léger murmure orchestral dont aucun rythme, aucun dessin ne se dégage, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels, sert d'accompagnement à une sorte de mélopée vague, sans expression et sans accent, sans couleur aussi. De musicalité vraie, il n'y a pas trace et quand, par le plus grand des hasards, l'auteur daigne esquisser un dessin mélodique, on se prend à le regretter, tellement l'invention en est pauvre, plate, banale. Pour parler net, je doute fort que M. Pons ait jamais pu faire voir à sa pièce le feu de la rampe, s'il n'avait eu un collaborateur aussi célèbre et un interprète aussi remarquable que l'est M. Jean Périer, Cet admirable artiste qui a déjà tant de belles créations à son actif s'est une fois de plus surpassé ; il a pu, à force d'art, nous faire illusion sur la valeur de son rôle. A ses côtés, Mmes Hatto et de Poumayrac, MM. Francell, Azéma, Cazeneuve, ont été parfaits dans les leurs. Le décor unique où se déroule l'action est d'un pittoresque achevé. (Albert Bertelin, Comœdia illustré, 15 mai 1911)
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Un poète chinois, Tchang-I, aveugle, vit entouré de soins par Si-Tchun son épouse, Wen-Siéou son fils, Li-Kiang et Tou-Fou ses amis. Son bonheur s'accroît lorsqu'il apprend qu'un mandarin, messager du Fils du Ciel, va lui apporter une haute récompense pour son poème épique. Cette distinction le surprend quelque peu, car l'envoyé accorde plus d'honneurs à l'ami de Tchang-I qu'à lui-même. Il croit à une erreur. Néanmoins, le poète remercie les dieux des ancêtres, il brûle des parfums et fait verser du vin pour la réjouissance générale ; puis il s'endort, gagné par l'ivresse de la joie assouvie.
A son réveil, il se souvient d'un collyre qui lui fut confié, un jour, par un barbare européen : trois gouttes versées dans les yeux suffisent pour rendre la lumière et dix pour aveugler à jamais. Il hésite, craignant que ce remède ne fasse surgir des monstres devant lui ; mais, désireux d'assister à toute la plénitude de son bonheur, il utilise le collyre et recouvre aussitôt l'usage de la vue. A peine a-t-il ouvert ses paupières qu'il lit sur son poème couronné la signature de son ami à côté de la sienne. C'est la première désillusion : celle de l'amitié meurtrie. Peu de temps après, il surprend Tchao, un condamné à qui il avait fait l'aumône et dont il avait demandé la grâce, qui, le croyant encore aveugle, vient le narguer et le voler cyniquement. Cette nouvelle désillusion est bientôt suivie d'une autre : son fils, qu'il tenait pour obéissant et respectueux envers ses parents, se moque de lui, en empruntant son sceptre et ses habits de cérémonie, qu'il ridiculise sur le trône paternel. Cette attitude indigne accroît la douleur de Tchang-I, qui pense oublier ses chagrins et ses déceptions dans le cœur de son épouse fidèle. Hélas ! celle-ci le trompe effrontément avec son meilleur ami. Ainsi, tout bonheur a fui devant lui, dès qu'il a voulu le regarder de près. Le même collyre, qui lui avait rendu la vue, va la lui faire reperdre définitivement et, désormais, le monde comblera, comme jadis, de prévenances et d'attentions hypocrites l'infortuné poète. Il demande encore son luth pour chanter, ainsi que naguère, son hymne de joie, qu'il redit avec des sanglots dans la voix...
La musique qui commente cette allégorie est d'une douceur trop fade et manque quelque peu de vie et de rythme. La façon dont le compositeur s'exprime et son vocabulaire musical ne rehaussent guère l'exotisme des êtres et de l'action, de sorte que cette partition pourrait s'adapter tout aussi bien à n'importe quel sujet et se passer en Europe ou ailleurs, sans que rien en soit modifié. Le premier acte, surtout, est d'une lenteur fâcheuse, et la petite sérénade : « Le ciel est bon » (page 68, partition piano et chant), d'un contour mélodique trop lâche, rappelle bien des compositions analogues, écloses sur le golfe de Naples. Le second acte témoigne d'une plus grande vivacité musicale, grâce à la scène dans laquelle Tchang-I retrouve la lumière : certaines modulations brusques traduisent assez bien cette situation violente (pages 79 et 80), mais la voix ne fait que vociférer suivant le procédé réaliste. La scène II (page 85) est traitée, tout au long, d'une manière badine ; on pressent quelque intention de souligner l'action. Musicalement parlant, il y a plutôt des effets pittoresques et extérieurs qu'un développement réel et un sérieux commentaire.
(Stan Golestan, Larousse Mensuel Illustré, mars 1912)
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Le Tigre, metteur en scène.
On sait que l'Opéra-Comique a repris le Voile du Bonheur, œuvre musicale tirée de la pièce de M. Clemenceau, par M. Charles Pons. Notre vieux Tigre assistait, ces jours-ci, à la réalisation scénique de son unique production théâtrale. Et un confrère, qui était présent, a noté ces quelques bons mots du toujours si jeune octogénaire.
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Alors que le baryton Lafont chantait, l'ex-Premier eut cette réflexion : — Gémier a joué ça il y a dix ans. Il était épatant là-dedans. Puis, tourné vers Charles Pons, et avec une rancune feinte : — Il est vrai qu'il n'était pas gêné par la musique. L'orchestre prélude, souple, expressif, nuancé, sous la baguette magique de M. Frigara. Un violoncelle pleure tandis qu'une flûte ironise : — Tout de même, rectifie le Tigre, ça n'est pas désagréable à entendre, ça veux même dire quelque chose.
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Comblé de gloire et de présents, Lafont chante : Mais des dieux je me sens l'égal. Un geste de M. Clemenceau arrête net acteur et orchestre. Et la voix claire qui a parlé souvent au nom de la France s'élève : — Lafont ! — Monsieur le Président ? — Savez-vous ce que c'est qu'un Dieu ? — … ? — Non ? Vous n'y êtes jamais allé aux Champs-Elysées ? Eh bien ! un Dieu c'est quelque chose d'énorme !... Quand ça parle, ça hurle... Quand ça gronde, c'est le tonnerre !... Si vous vous sentez l'égal d'un Dieu, faut que ça s'entende ! On reprend. Et cette fois, Lafont atteint à une puissance olympienne.
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Alors même que M. Clemenceau, plus alerte que jamais, assistait ainsi aux répétitions de travail, le bruit courut, l'autre nuit, dans les salles de rédaction, qu'il était mort. Ce fut l'affolement dans les milieux journalistiques. Les reporters coururent aux nouvelles pendant des heures, de tous côtés... Et heureusement, on apprit enfin qu'il ne s'agissait que d'un macabre « canard ». M. Clemenceau, encore qu'on eût voulu lui cacher cette alerte, finit par l'apprendre. Et il eut, avec un rire sarcastique, cette boutade : — Qu'on se rassure... ou qu'on se désole, mais moi, je mourrai quand il me plaira.
(Paris qui chante, 01 juin 1923)
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