Eugène CARON
Eugène Caron dans les Huguenots (comte de Nevers) en 1873 [photo Gougenheim et Forest]
Eugène Charles CARON dit Eugène CARON
baryton français
(26 rue du Figuier, Rouen, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 04 novembre 1834* – Courbevoie, Seine [auj. Hauts-de-Seine], 18 décembre 1903*)
Fils de Barra Liberté CARON (Arras, Pas-de-Calais, 24 novembre 1794 – Rouen, 12 juillet 1850*), ouvrier cordonnier [fils de Louis Ambroise Joseph CARON, cordonnier], et de Catherine Désirée Eulalie HEBERT (Rouen, 24 février 1800 – ap. 1876), trameuse, mariés à Rouen le 12 octobre 1829*.
Epouse 1. à Rouen le 02 octobre 1858* Emélie Eugénie TRUELLE (Rouen, 07 mars 1838 – Paris 9e, 19 juin 1874*), repasseuse.
Epouse 2. à Paris 9e le 22 avril 1876* Fanny Marie Thérèse BESNARD dite Fanny KELLER-CARON (Dol-de-Bretagne, Ille-et-Vilaine, 07 mars 1846* – 51 rue Eugène-Caron, Courbevoie, 25 avril 1912*), chanteuse de café-concert, fille de Joseph Marie BESNARD (Dol-de-Bretagne, 22 septembre 1800 – Dol-de-Bretagne, 27 juin 1872), jardinier, et de Jeanne Marie Perrine AUGEARD (Dol-de-Bretagne, 28 février 1813 – Rennes, Ille-et-Vilaine, 13 novembre 1864).
D’abord employé de préfecture, il fit ses études au Conservatoire de Paris, où il obtint en 1861 le premier prix de chant (élève d’Henri Laget), et en 1862 le premier prix d’opéra (élève de Nicolas Prosper Levasseur) et un 1er accessit d’opéra-comique (élève d’Ernest Mocker). Il débuta à l’Opéra de Paris en 1862. Il chanta également aux Concerts du Conservatoire (sociétaire du 29 décembre 1865 au 18 mars 1873). Il prit sa retraite en 1886, pensionnaire de l’Association des Artistes dramatiques. Il fut nommé officier d’Académie en 1888 et officier de l’Instruction publique le 1er janvier 1900.
En 1876, il habitait 31 rue La Bruyère à Paris 9e ; en 1893, 33 rue de l’Ouest à Courbevoie. Il est décédé en 1903 à soixante-neuf ans en son domicile, 51 rue de l’Ouest [auj. 51 rue Eugène-Caron] à Courbevoie.
Sa carrière à l'Opéra de Paris
Il débuta salle Le Peletier le 22 septembre 1862 dans le Trouvère (Comte de Luna).
Il créa salle Le Peletier le 15 août 1866 la cantate Paix, charité, grandeur de Jean-Baptiste Weckerlin.
Il chanta salle Le Peletier Lucie de Lammermoor (Asthon, 1862) ; Charles VI (le Roi) ; la Favorite (Alphonse XI, 1864) ; les Vêpres siciliennes (Guy de Montfort) ; Don Juan (Mazetto ; 100e le 12 mai 1866) ; Guillaume Tell (Guillaume Tell) ; l’Africaine (Nélusko, 1865) ; le Comte Ory (Raimbaud, 1866) ; les Huguenots (Thoré, 1868 ; comte de Nevers, 500e le 24 avril 1872) ; Faust (Valentin ; 100e le 06 septembre 1869) ; la Muette de Portici (Pietro, 1870) ; le Prophète (Oberthal, 1871) ; le Freischütz (Kilian ; 100e le 30 juin 1873).
Il créa au Palais Garnier le 05 avril 1876 Jeanne d’Arc (Maître Jean) d’Auguste Mermet ; le 27 décembre 1878 la Reine Berthe (Enguerrand) de Victorin Joncières ; le 22 mai 1880 la Vierge (l’Hôte, Simon, Thomas) de Jules Massenet.
Il chanta au Palais Garnier le Trouvère (comte de Luna, 03 juillet 1875) ; la Reine de Chypre (Mocenigo, 1re le 06 août 1877) ; l’Africaine (Nélusko) ; le Freischütz (Kilian, 1re le 03 juillet 1876) ; les Huguenots (comte de Nevers) ; Don Juan (Mazetto, 1re le 29 novembre 1875) ; la Favorite (Alphonse XI) ; Sapho de Gounod (Alcée, 03 mai 1884) ; Françoise de Rimini (Virgile, 29 avril 1882) ; le Tribut de Zamora (Hadjar, 12 mai 1882 ; 50e le 25 mars 1885) ; Faust (Valentin) ; Sigurd (le Grand Prêtre d'Odin, 1885) ; le Comte Ory (Raimbaud) ; la Juive (Ruggiero) ; Guillaume Tell (Leuthold) ; la Muette de Portici (Pietro). |
A l'Académie nationale de musique, comme à la Comédie-Française, à côté des chefs d'emploi, certains artistes dont les moyens naturels ne répondent pas au savoir et à l'intelligence, peuvent encore se créer un nom. En effet, dans les chefs-d’œuvre qui forment le répertoire de ces théâtres privilégiés, tous les rôles ont leur importance, et un personnage épisodique supérieurement joué suffit à faire la réputation d'un comédien ou d'un chanteur. On se souvient à l'Opéra, de Marié et de Massol, autant et bien plus que de bon nombre de forts ténors et de barytons dont la prétention était certainement de primer ces remarquables artistes qui n'ont jamais tenu les premiers emplois que, au pied levé, seulement, et pour sauver la caisse de l'administration, compromise par de subites indispositions. Marié, par exemple, pouvait aborder tous les premiers rôles. Ténor ou baryton il ne laissait jamais tomber la pièce. Sa science musicale et son intelligence tenaient le public en respect ; on ne regrettait pas de n'avoir point entendu le chanteur de force, tant on avait plaisir à voir l'excellent artiste dominer la situation. Massol, dans le personnage secondaire de Mocenigo, de la Reine de Chypre, savait se faire remarquer entre Duprez et Barroilhet. Caron, je crois, peut prétendre à faire partie de cette famille d'artistes, très utiles à l'art, parce qu'elle en révèle un des côtés intéressants. Il débuta à l'Opéra, le 22 septembre 1862, dans le rôle du comte de Luna, du Trouvère, le même jour où la charmante Mlle Vernon, prenait la succession de Mme Marie Petipa, dans Gloriette du Marché des Innocents. Son succès fut réel, car sa belle voix de baryton élevé ressortait à son aise dans ce rôle que redoutent certains grands chanteurs, parce qu'il faut mettre toute voix de tête de côté et attaquer franchement, en pleine poitrine, cette énergique musique de Verdi. Depuis lots, chaque année, Caron a chanté ce rôle successivement avec Maurel et Devoyod. Il le tient bien également comme comédien ; toutefois, je lui reprocherai un peu d'exagération dans le geste. Les deux autres rôles les plus importants dans lesquels Caron s'est fait remarquer, sont Nevers des Huguenots, et Mazetto, de Don Juan. C'est, je crois, en 1869, lors des débuts de Mlle Nilsson qu'il joua Nevers pour la première fois, et s’il m'en souvient bien, il dut, le premier soir, se faire remplacer pour les deux derniers actes par Castelmary, non point par insuffisance mais par raison de sauté. Il reprit, d'ailleurs, possession du rôle peu à près et eut du succès. Il alterna depuis lors avec Castelmary, chaque fois que Faure leur laissait la place libre. Dans Mazetto, qu'il créa à l'Opéra, lors de la grande reprise de Don Juan, il y a cinq ans, il fut tort à fait hors ligue. Pour ma part, je n'ai jamais vu ce rôle aussi complètement interprété, soit aux Italiens, soit au Théâtre-Lyrique. Cette création seule suffirait pour classer Caron parmi les artistes les plus précieux de l'Académie nationale de musique. C'est d'ailleurs, comme je le disais plus haut, dans les rôles épisodiques que Caron tient une place exceptionnelle à l'Opéra. Avant de créer Nevers dans les Huguenots, il chantait supérieurement, comme simple coryphée, au troisième acte de cet admirable chef-d'œuvre. A la reprise du Freischütz, en 1870, il donnait une importance réelle à un personnage secondaire, par la façon délicieuse avec laquelle il chantait les couplets ravissants du premier acte. Et, qu'on ne s'y trompe pas, tous les grands maîtres affectionnent particulièrement ces chanteurs de mérite qui font ressortir les beautés, trop généralement sacrifiées de leurs magistrales compositions. Pour Weber, les couplets de l'arbalétrier ont leur signification, tout aussi bien que l'air de Gaspard et celui d'Annette. C'est une des mille nuances dans la coloration merveilleuse de cette divine musique. Quand Alexis Dupont chantait la romance du batelier : Accours dans ma nacelle, au premier acte de Guillaume Tell, cela ne valait-il pas l'entrée magnifique de Guillaume et son inimitable duo avec Arnold ? Au milieu de cette harmonie infinie des masses chorales et de l’orchestre, ce chant exquis se détachait plein de largeur et de sérénité, éveillant une sensation nouvelle de tendresse dans l’âme du spectateur tout imprégnée déjà des senteurs voluptueuses produites par ces mélodies d'une inaltérable pureté. Caron, avec son excellente voix de baryton, d'un timbre très éclatant, extraordinairement élevé, avec sa méthode correcte et sûre, nous a plusieurs fois déjà, et avec une réelle autorité, traduit la pensée intime des maîtres dans ces parties d'opéras regardées à tort comme secondaires. C'est pourquoi nous le tenons pour un artiste de valeur et trop intelligent pour ne pas préférer conserver à l'Académie nationale de musique une position de second ordre plutôt que de chercher sur les premières scènes de province et dans les grands emplois, des succès qui ne sauraient pourtant lui manquer. A Paris, il se fait une position à part ; il se rend indispensable, il ne s'use pas ; et quand l'occasion se présente, il sait prouver que, comme bien d'autres, son nom pourrait s'étaler en grosses majuscules en tête de l'affiche. Un exemple à l’appui de cette assertion. En juin 1870, il chanta à l'improviste le rôle d'Alphonse dans la Favorite. Il y fut excellent, surtout au point de vue musical. Sans doute il ne pouvait prétendre à tenir complètement la place de Faure qui, particulièrement dans ce rôle n'a jamais eu de rival (pas même à mon sens, Barroilhet qui le créa), mais il se montra de taille à se mesurer avec tout autre chanteur. Je serais compositeur dramatique, Caron est du nombre des exécutants en qui j'aurais confiance et dont je réclamerais le concours. S'il n'a pas toute la prestance désirable, il a le jeu intelligent. Son éducation musicale a été soignée. Son organe a de la sonorité, de la souplesse au besoin, ainsi que le prouve la façon si complète avec laquelle il a su traduire les intentions si opposées, rendre les effets vocaux si différents chez Mozart et Verdi, en interprétant avec supériorité Mazetto, de Don Juan, et le comte de Luna, du Trouvère. (Félix Jahyer, Paris-Théâtre, 09 octobre 1873)
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M. Caron est né à Rouen, le 4 novembre 1834. Il a donc quarante ans aujourd'hui. Avant d'être connu comme chanteur, il était appointé comme employé dans les bureaux de la Préfecture de la Seine-Inférieure, où il exerçait les hautes fonctions de commis expéditionnaire. Le jeune Caron resta treize ans dans l'administration. Entré à la Préfecture le 15 septembre 1848, il en sortit le 30 avril 1861. Il est vrai qu'il avait fait son chemin pendant ce temps-là, et qu'il était chef de bureau après avoir successivement passé par tous les grades. Le lendemain même de son départ pour Rouen, nous le retrouvons à Paris, au Conservatoire de musique, en qualité d'élève externe. L'ex-chef de bureau s'était tout à coup décidé à courir la chance d'une nouvelle carrière. En moins de trois mois, du reste, il passait de brillants examens, obtenait le premier prix de chant, et était définitivement admis au Conservatoire à titre de pensionnaire. Au concours suivant (juillet 1862), M. Caron obtenait le premier prix d'opéra. Il était l'élève de M. Laget pour le chant, et de M. Levasseur pour la déclamation lyrique. Le lauréat fut immédiatement engagé à l'Opéra, où il débuta brillamment le 22 septembre de la même année, dans le Trouvère. A partir de ce moment, M. Caron marcha de succès en succès. Il suffit de rappeler quelques-uns de ses principaux rôles : Asthon, de Lucie de Lammermoor ; Guy de Montfort, des Vêpres siciliennes ; Raimbauld, du Comte Ory ; Mazetto, de Don Juan ; Nelusko, de l'Africaine ; Kéleau, de Freischütz ; Alphonse, de la Favorite ; Nevers, des Huguenots, etc. Il y a aujourd'hui douze ans que M. Caron est à l'Opéra, et son succès, loin de diminuer, grandit, pour ainsi dire, tous les jours. (T. Faucon, le Nouvel Opéra, 1875)
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Il montra dès son enfance un goût très prononcé pour la musique et, dès l'âge de dix-sept ans, quitta son emploi à la préfecture de la Seine-Inférieure pour venir à Paris compléter ses études lyriques. Admis au Conservatoire à la suite d'un brillant concours, il obtint, en 1862, le 1er prix d'opéra et le 1er accessit d'opéra-comique. Ses professeurs furent Levasseur et Mocker. Il débuta la même année à l'Opéra dans le rôle du comte de Luna du Trouvère, continua ses débuts par les rôles d'Asthon, dans Lucie, et du roi, dans Charles VI ; puis joua successivement ceux d'Alphonse, dans la Favorite ; Gui de Montfort, dans les Vêpres siciliennes ; Nélusko, dans l'Africaine ; Mazetto, dans Don Juan ; Guillaume Tell, dans l'opéra de ce nom ; Raimbaud, dans le Comte Ory ; Pietro, dans la Muette ; Nevers, dans les Huguenots ; Valentin, dans Faust ; etc. M. Caron est un chanteur d'un très grand talent et d'une modestie plus grande encore. Laborieux et consciencieux, il a les sympathies du public de l'Opéra, qui aime sa voix chaude et vibrante, sa méthode large et sûre. Il compte à bon droit parmi les meilleurs artistes de l'école française. (Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)
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Nous enregistrons avec regret la mort d'un excellent artiste, Eugène Caron, qui fournit à l'Opéra une carrière longue et particulièrement honorable. Doué d'une excellente voix de baryton dont il savait se servir non seulement avec goût, mais avec style, comédien souple et habile en même temps que chanteur solide et exercé, Caron avait malheureusement contre lui un physique ingrat et pauvre qui lui interdisait certains rôles exigeant surtout de la représentation. Il joua cependant la Favorite non sans succès, mais il était excellent surtout dans le Masetto de Don Juan. En réalité, il rendit de grands services à l'Opéra pendant son long séjour à ce théâtre, parce que, connaissant à fond son répertoire, il était prêt à tout et apte à tout. Ce fut non seulement un artiste de talent, mais un serviteur modèle. Il s'était retiré il y a une dizaine d'années, et vivait tranquillement à Courbevoie. Il était âgé de 68 ans. (le Ménestrel, 27 décembre 1903)
Nous apprenons la mort de M. Eugène Caron, qui a succombé dans sa soixante-neuvième année, aux suites d'une courte maladie. M. Eugène Caron avait fait une belle carrière à l'Opéra. Ses qualités de comédien et le charme de sa voix de baryton lui avaient fait une place enviée. Pendant près de vingt années, aux côtés de Faure, il avait chanté le répertoire, et il avait laissé à l'Opéra le souvenir d'un excellent artiste sûr, consciencieux — et d'un camarade exquis. Depuis quelques années, M. Eugène Caron vivait retiré à Courbevoie. Il ne sortait guère de sa retraite que pour prêter son concours à toutes les œuvres de charité, et son concours était toujours désintéressé et toujours efficace. Sa présence aidait à la recette ; elle élevait singulièrement le niveau artistique des concerts et des matinées de bienfaisance pour lesquels on la sollicitait sans cesse. (le Monde artiste, 27 décembre 1903)
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