Francis de CROISSET
Edgard Franz WIENER devenu le 09 février 1911 WIENER DE CROISSET dit Francis de CROISSET
écrivain belge naturalisé français le 11 décembre 1909
(Saint-Josse-ten-Noode, près de Bruxelles, Belgique, 22 janvier 1876* – Paris 8e, 08 novembre 1937*)
Fils d'Alexandre Édouard WIENER (Bruxelles, Belgique, 19 juillet 1848 – Paris 14e, 03 janvier 1920*), négociant [fils de Jacques WIENER] (Hoerstgen, Allemagne, 27 février 1815 – Bruxelles, 03 novembre 1899), graveur], et d'Eugénie Bertha STRAUS (Francfort-sur-le-Main, Allemagne, 14 avril 1852 – Bruxelles, v. 1906).
Epouse à Arles, Bouches-du-Rhône, le 04 mai 1910 Marie Thérèse Anne Josèphe Germaine de CHEVIGNÉ (Saint-Etienne-de-Montluc, Loire-Atlantique, 13 octobre 1880 – Grasse, Alpes-Maritimes, 25 octobre 1963) [épouse 1. en 1902 Maurice BISCHOFFSHEIM (Paris, 14 novembre 1875 – Paris, 22 août 1904)], fille du comte Adhéaume de CHEVIGNÉ (Saint-Etienne-de-Montluc, 23 décembre 1847 – Paris 8e, 01 avril 1911) et de Laure Marie Charlotte de SADE (Paris ancien 16e, 31 mai 1859 – Paris 16e, 15 octobre 1936).
Parents de Philippe François Adéhaume Marie WIENER DE CROISSET (Versailles, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 21 juillet 1911* – Grasse, 23 mars 1965), et de Germaine WIENER DE CROISSET (Paris, 26 octobre 1913 – Brookline, Massachusetts, États-Unis, 31 juillet 1975) [épouse à Paris le 30 novembre 1933 Roger LANNES DE MONTEBELLO (Biarritz, Pyrénées-Atlantiques, 06 juillet 1908 – New York, 02 décembre 1986), peintre].
Ayant débuté par des poésies et des chroniques, il se consacre presque aussitôt entièrement au théâtre, où il fait représenter des comédies légères, assez audacieuses, très bien accueillies par le public : Qui trop embrasse (1899), Chérubin (1901), le Paon (1904), le Bonheur, mesdames ! (Théâtre des Variétés, 13 octobre 1905 ; Albert Willemetz y ajoutera des couplets en 1934 pour en faire une comédie musicale), le Cœur dispose (1912). Il devient ensuite le collaborateur de Robert de Flers, avec qui il donne, notamment : les Vignes du Seigneur (1923), les Nouveaux Messieurs (1925), le Docteur Miracle (1926). Durant la dernière partie de sa vie, il voyage beaucoup et rapporte d'Asie des livres d'impressions qui sont probablement le meilleur de son œuvre : la Féerie cinghalaise (1926), Nous avons fait un beau voyage (1930), la Côte de Jade (1938). Il a publié également un roman : la Dame de Malacca (1935).
Chérubin, qui n'eut qu'une répétition générale à la Comédie-Française (1901), et fut une des causes de la suppression du comité de lecture, fut reprise par le théâtre du Parc de Bruxelles, en même temps qu'elle était transformée en comédie chantée avec musique de Massenet pour le théâtre de Monte-Carlo.
En 1912, il habitait 11 place des États-Unis à Paris 16e ; à partir de 1934, il a habité 44 avenue Gabriel à Paris 8e, où il est décédé en 1937 à soixante-et-un ans.
Francis de Croisset, photo H. Manuel, vers 1924
livrets
les Deux courtisanes, comédie en 1 acte, musique de scène de Reynaldo Hahn (Théâtre des Mathurins, 10 octobre 1902) Chérubin, comédie chantée en 3 actes, avec Henri Cain, musique de Jules Massenet (Monte-Carlo, 14 février 1905 ; Opéra-Comique, 23 mai 1905) => fiche technique Ciboulette, opérette en 3 actes, avec Robert de Flers, musique de Reynaldo Hahn (Variétés, 07 avril 1923 ; Opéra-Comique, 13 mars 1953) le Diable à Paris, opérette en 3 actes, avec Robert de Flers et Albert Willemetz, musique de Marcel Lattès (Théâtre Marigny, 21 octobre 1927) le Bonheur, mesdames !, comédie musicale en 2 actes, avec Albert Willemetz, musique d'Henri Christiné (Bouffes-Parisiens, 06 janvier 1934) |
Mme de Croisset au bras du poète provençal, Frédéric Mistral, témoin du mariage de Francis de Croisset, 1910 [photo Rol]
Il appartenait à une vieille famille belge de sculpteurs ou de graveurs et lui-même était fils du peintre A. E. Wiener. Il fit ses études dans ces excellentes institutions de sa ville natale : l'Université, le séminaire d'histoire et de littérature française. Il était, dès seize ans, secrétaire de la Jeune Belgique, où collaboraient Rodenbach, Maeterlinck, Ivan Gilkin. Venu à Paris, tout jeune homme, il débutait en 1898 par un volume de vers : les Nuits de quinze ans et commençait sa collaboration journalistique. On devait le voir au Figaro, au Gaulois, à la Nouvelle-Revue, à la Revue Hebdomadaire, à la Revue des Deux Mondes, aux Débats, à Conferencia, aux Annales, à Gringoire. Il avait pris le pseudonyme de Francis de Croisset, qui devait devenir son nom légal. Acquis définitivement au théâtre, il y donnait des pièces aussitôt imposées par leur légèreté, leur charme, et un piquant assez vif pour soulever une sorte de scandale qui nous étonne aujourd'hui. C'est ainsi qu'après Qui trop embrasse et Par politesse, en 1899, il voyait l'année suivante une nouvelle pièce, l'Homme à l'oreille coupée, interdite. Comme c'était surtout le titre, d'une allégorie trop claire, qui avait choqué, il l'appelait Une mauvaise plaisanterie et elle passait. Il faisait jouer en 1901 le Je ne sais quoi, écrit en collaboration avec de Waleffe et, la même année, soumettait Chérubin à la Comédie-Française. Ceci prenait la proportion d'un événement, car Chérubin ne connaissait là que la répétition générale et devenait cause occasionnelle de la suppression du comité de lecture. Cette comédie en vers, dont le titre indique l'inspiration et la manière, n'avait sa première, au théâtre Fémina, que le 15 mai 1908. On avait joué en 1902 les Deux Courtisanes, la Passerelle, cette dernière pièce écrite en collaboration avec Mme Fred Gressac, Par vertu et consentement mutuel, en 1904, le Paon, en 1905, la Bonne Intention et le Bonheur, mesdames, par où l'auteur passait de la notoriété à la célébrité. Il faisait jouer le Tour de main en 1906, Paris-New-York en 1907, en collaboration avec Emmanuel Arène, Arsène Lupin en 1908, en collaboration avec Maurice Leblanc. Il écrivait seul le Feu du voisin en 1910, et, en 1912, le Cœur dispose, où il faut voir peut-être son chef-d'œuvre. Il semble vouloir à ce point toucher à une matière plus ample ou affermir sa manière sans l'appesantir et on sent ce souci dans l'Epervier, joué l'année de la guerre, en 1914. L'année précédente, il avait été choisi comme délégué général des Théâtres impériaux de Saint-Pétersbourg. Bien que réformé, il s'engageait dès août 1914 et devenait officier de liaison auprès des troupes anglaises. Il recevait deux blessures, était cité à l'ordre de l'armée, puis versé comme lieutenant au 6e dragons. Robert de Flers avait perdu son collaborateur Arman de Caillavet. Il demandait à son ami de Croisset de le remplacer et on sait les fruits de cette collaboration : le Retour, les Vignes du Seigneur, Romance, Ciboulette, les Nouveaux Messieurs, le Docteur Miracle. Une dernière pièce était sur le chantier au moment où Robert de Flers mourait. Francis de Croisset ne voulut point l'achever.
Lassitude, peut-être, ou plus
vraisemblablement désir de se renouveler et diversion des voyages, il
restait près de cinq ans sans rien apporter au théâtre. Il y revenait
avec Pierre ou Jack, Il était une fois, l'Essor nuptial.
Cette dernière pièce qui était représentée le 1er avril 1933 au théâtre
de la Michodière avec l'incomparable Victor Boucher s'appelait d'abord
le Vol Il existe, depuis Louis XVIII et Charles X, une tradition de la vie boulevardière, développée sous des aspects divers et qui semble bien avoir pris fin avec la figure même du Boulevard rendue méconnaissable par la percée du carrefour Drouot. Longtemps, cette part exiguë du monde qui s'appelle le monde et y fait le plus de bruit, s'est tenue dans le court espace que marque le boulevard des Italiens, n'allant point à l'est jusqu'à la porte Saint-Denis, à l'ouest dépassant à peine l'Opéra. Elégants, viveurs à tilburys et à cabriolets, à victorias, à calèches puis à coupés, rentiers, industriels et hommes d'affaires avaient là leurs cafés, leurs restaurants, leurs théâtres. Ils avaient aussi leurs peintres, leurs amuseurs qui les amusaient avec eux-mêmes et souvent ne les épargnaient point. C'étaient, pour la scène et pour nous tenir aux plus récents, les Donnay, les Lavedan, les Capus, les Wolf, les Weber, les Duvernois et cette brillante équipe où entraient Robert de Flers, Arman de Caillavet, Francis de Croisset, et qui recueillait les derniers exemplaires d'une société en train de disparaître. Société qui a connu des oisifs, des gens se rencontrant pour faire la conversation, nouer des intrigues, ou simplement paraître ensemble en des endroits convenus et où, çà et là, s'introduisent, d'abord sous la politesse des manières, puis sans politesse, des personnages équivoques, venus là pour d'autres fins que le bridge ou le flirt et qui de fait seront les fossoyeurs de ces hôtes brillants qui les reçoivent, ambitieux de tout ordre, simples escrocs parfois, coureurs de dots ou d'héritages. Mais ceci d'abord se discerne à peine. Avec des défauts, des travers, des vices et des ridicules qu'on relèvera trop bien, il y a des qualités encore, voire des vertus et des choses amusantes chez ces gens qui ne semblent vivre que pour s'amuser ; il y a surtout l'esprit que leur apportent des observateurs subtils et dont ils ne jouiront pas sans en éprouver les pointes. Francis de Croisset est pétri de cet esprit et il n'étonne point qu'on en ait recueilli la quintessence en un petit volume : l'Esprit de Francis de Croisset. C'est évidemment et d'abord le trait, la voltige du causeur et presque le jeu de mots. « D'abord, dit une mère de sa fille, d'abord elle n'a plus vingt ans. Elle en a vingt-trois. Et quand je dis vingt-quatre, elle en a tout près de vingt-six... » On ne veut que nous faire rire et nous rions. Mais il arrive que ces « mots » deviennent cruels et flagellent. « Sans compter » dit Paulette à Marchand, dans le Bonheur, mesdames, « que vous êtes si mal élevé que vous ne vous tenez dans un salon que lorsqu'il y a des domestiques... ». Et, au même endroit : « Mon Dieu, qu'on doit être heureux quand on est bête comme ça !... » C'est là exactement l'arme qui convient à la satire des mœurs. Francis de Croisset en joue en virtuose et n'en abuse point. Il se dégage aussi de la tentation de tout pousser au noir et de feindre que toute sincérité ou toute générosité soient bannies de la surface de la terre. Il joue plus difficile et, s'il rencontre la vertu, il l'emploie sans la rendre fade. Il y a dans le Cœur dispose une jeune fille très riche et un jeune homme très pauvre. Le jeune homme, arriviste de principe et prêt à tout pour arriver, assiège la jeune fille et veut l'épouser par calcul. Il finit par l'épouser par amour. C'est que le cerveau propose et que, précisément, le cœur dispose. On se croit un scélérat et on se découvre un brave garçon. Une telle pièce, par le sujet et même par une certaine allure de l'exécution, semble de l'ordre de Mademoiselle de la Seiglière ou du Roman d'un jeune homme pauvre, et je n'entends trop abaisser, par cette comparaison, ni Jules Sandeau, ni Octave Feuillet, ni Francis de Croisset. Il y a peut-être en celui-ci un esprit plus proche des réalités journalières ou de la réalité perpétuelle, moins attaché aux situations qu'aux caractères, en un mot, un moraliste. On le voit bien à lire Nos marionnettes (1928), charmant recueil composé selon les règles du genre. Il y est traité des femmes, des hommes, des garçons et des filles, de leur façon de s'entendre et de ne pas s'entendre, de la jeunesse des vieux et de la vieillesse des jeunes, de l'amour, naturellement, à propos de quoi il est dit, par exemple, que son « plus grand écueil, c'est son besoin de sincérité... » Il y est traité de théâtre par un professionnel qui sait regarder au-delà de sa profession. « La maison à l'envers », en dit-il. Et, en effet, qu'y remarque-t-on, au rebours de la vie courante ? Que l'homme d'action y est moins à sa place que le paresseux et glace l'intrigue au lieu de l'échauffer, que le rieur ne fait pas rire et que le comique vient surtout des gens de mauvaise humeur : ne le savions-nous pas depuis Arnolphe et Alceste ? On ne s'étonnera point qu'avec de telles préoccupations et de telles aptitudes, Francis de Croisset soit devenu un grand voyageur : le curieux de l'homme n'est-il point attiré partout où l'homme habite ? Toutefois la féerie des apparences n'a pas laissé de retenir d'abord le poète de Chérubin et du Paon. Et c'est bien la Féerie cinghalaise dont il exprimait l'éclat en 1926. Il y disait la paix des solitudes marines, le charme dangereux de file enchanteresse, pythons et cobras compris il y notait aussi les menus et pittoresques incidents de la route, la comédie des êtres, indigènes ou fonctionnaires d'Europe, et il transcrivait avec humour l'impayable français de quelques amis d'Angleterre. Il n'oubliait pas son métier, bien qu'il ne l'exerçât point. On le vit encore aux volumes suivants, marquant d'autres étapes : Nous avons fait un beau voyage (1930), le Dragon blessé (1936), et surtout dans la Dame de Malacca (1935), où se réveille le romancier que recélait le dramaturge et où le corps colonial anglais pâlit un peu, mais gentiment, de la justesse et de la promptitude de coup d'œil de ce même dramaturge. Au demeurant, Francis de Croisset sut s'intéresser aussi aux choses les plus sérieuses qu'il rencontrait sur sa route et interroger les sages sur cette terre d'une sagesse antique. Il est possible, d'après ce qu'on nous dit, que dans le temple de Kandy il se soit soumis aux premiers rites de l'initiation bouddhique. Les regrets qui ont suivi après une courte maladie la mort de Francis de Croisset n'ont pas été de pure convenance. L'homme, dans sa distinction et un esprit qui n'excluait pas le mordant, restait pleinement sympathique. Elégant et le visage d'une étonnante jeunesse encore, les yeux clairs, la parole juste et mesurée, il avait gardé la tradition de cette politesse boulevardière, dernier aspect, avec une ombre d'impertinence, de la politesse française. Il goûtait, s'y reposant de la dispersion de la vie mondaine que son état lui imposait, la vie familiale et se faisait aimer de ses amis malgré ses succès et les honneurs qui accompagnaient justement sa carrière. La Belgique a fait à la France littéraire des présents de diverse sorte. Pour celui-ci, il n'y a qu'à sourire et remercier.
(Gonzague Truc, Larousse Mensuel Illustré, mai 1938)
|