Alfred DELÉHELLE
Jean Charles Alfred DELEHELLE dit Alfred DELÉHELLE
compositeur français
(Paris, 12 janvier 1826* – Paris 11e, 22 juillet 1893*)
Fils de Jean Baptiste Charles Amable DELEHELLE (Saint-Pol, Pas-de-Calais, 07 mai 1798 – Paris ancien 9e, 26 janvier 1859*), huissier [fils de Xavier DELEHELLE], et de Claude Marie PAULIN (Rupt-sur-Saône, Haute-Saône, 25 juillet 1796 – ap. 1859), sage-femme, mariés à Paris ancien 9e le 08 août 1825*.
Elève d’Adolphe Adam et d’Hippolyte Colet au Conservatoire de Paris, il obtint en 1851 le premier grand prix de Rome avec la cantate le Prisonnier, paroles d'Edouard Monnais. On connaît de lui trois œuvres lyriques ainsi qu’une Etude sur Auber (1861).
Il est décédé, célibataire, en 1893 à soixante-sept ans en son domicile, 2bis boulevard du Temple à Paris 11e. Il a été enterré au Père-Lachaise (exhumé le 05 juin 1980).
œuvres lyriques
l’Ile d’amour, opérette en 1 acte, livret de Camille Du Locle (Bouffes-Parisiens, 08 juin 1859) « Petit acte d'une gaieté modérée, type du lever de rideau. Cette pièce a été donnée avec l'Omelette à la Follembuche, pour l'ouverture de la salle des Bouffes-Parisiens aux Champs-Élysées (saison de 1859). » (Albert de Lasalle, Histoire des Bouffes-Parisiens, 1860) Monsieur Polichinelle, opéra-comique en 2 actes et en vers, livret de Léon Morand et Gustave Vattier (Théâtre-Lyrique de l’Athénée, 16 janvier 1873 avec Mlle Marietti (Argeline), MM. Vauthier (Polichinelle), Galabert (Ragoneau), Bonnet (Platin), Lary (Léandre), Guillot (Maître Dandin), Bargusol (Guillaume) ; Renaissance le 31 mai 1877 avec M. Vauthier (Polichinelle)) => partition « On a remarqué un air chanté par Polichinelle : Nargue de la tristesse ; un trio bien fait ; l’air de Pantin : Je suis joueur et paresseux. » (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903) [voir ci-dessous] Don Spavento, opéra-comique en 3 actes, livret de Léon Morand et Gustave Vattier (Théâtre royal de La Haye, 13 janvier 1883) [voir ci-dessous] |
[Monsieur Polichinelle] Il faut avouer qu'il y a des commissaires qui n'ont véritablement pas de chance ; il n'existe qu'un Monsieur Polichinelle au monde, et c'est tout près de la maison de ce malin compère que Ragonneau va choisir sa demeure. Or, petits et grands savent fort bien que mons Polichinelle a deux maladies incurables, sa double bosse et la manie de rosser les commissaires. C'est tenter le diable, aussi je laisse à penser si notre illustre bossu laisse échapper la moindre occasion de se passer avec Ragonneau ses bastonnantes fantaisies. Il n'est pas un citoyen absolument paisible, le sieur Polichinelle, chacun s'en plaint, force est au magistrat d'intervenir et de châtier le drôle. Le vouloir n'est rien, mais le pouvoir est plus difficile, et après bien des chasses de cabarets en cabarets, des poursuites de tripots en tripots, le pauvre Ragonneau n'attrape jamais Polichinelle, mais bien beaux et drus coups de bâton qui finissent par donner à son dos les couleurs de l'azur le plus pur. L'amour vient mettre un terme à cette situation, aussi agréable pour Polichinelle que peu attrayante pour le commissaire. Celui-ci a une fille, Argeline ; son implacable adversaire est orné d'un fils, Léandre, qui n'a aucune de ses bosses (pas même celle de l'esprit) mais qui, fort amoureux d'Argeline, s'est fait aimer d'elle. Roméo-Léandre avoue son amour à Montaigu-Polichinelle, qui, n'ayant aucune rancune dans l'âme, pardonne aisément au commissaire d'avoir reçu ses coups de bâton et se charge de présenter lui-même la demande. Mais Capulet-Ragonneau ne laisse pas échapper une si belle occasion de tirer de son ennemi une éclatante vengeance, et n'accorde Juliette-Argeline qu'à la condition que Polichinelle recevra de sa main, coram populo, en plein midi, vingt-cinq coups de bâton. Polichinelle y consent, le marché est conclu, le contrat est signé, les coups de bâton donnés et le mariage décidé, mais le héros bossu n'a pas reçu une chiquenaude, ayant eu la bonne précaution de mettre en sa place son valet, qui supporte stoïquement, sur une bosse en carton, la magistrale bastonnade du commissaire. Ragonneau s'aperçoit trop tard de la ruse et se réconcilie avec son ennemi, bien heureux si le fils de Polichinelle ne cherche pas un jour à continuer aux dépens de la fille du commissaire les traditions paternelles. Cette petite guignolade (passez-moi le mot) n'est pas toute neuve, mais elle est aimablement faite, sans prétentions et elle est amusante. Les vers ont l'allure leste et vive, et les situations musicales sont bien disposées. MM. Morand et Vattier n'ont eu qu'à se féliciter de la façon dont le public a reçu leur pièce. La partition est la première, si je ne me trompe, que M. Deléhelle nous ait fait entendre. Ce compositeur est, m'a-t-on dit, un prix de Rome (de 1859), ce qui ne m'étonnerait en aucune façon. Ce début est des plus heureux. Dès les premières mesures on sent un musicien sûr de lui et de sa manière ; l'orchestre est plein, fourni, les basses riches et harmonieuses, la disposition des voix juste et bien proportionnée, le dialogue musical vif et mouvementé. La partie bouffe du poème est particulièrement réussie. Toute cette musique est claire, sans viser à l'originalité ; elle dit bien ce qu'elle veut et est toujours en scène. Je reprocherai seulement à M. Deléhelle un peu de lourdeur dans les morceaux de demi-caractère. Bref, je ne puis mieux comparer sa manière qu'à celle de Grisar, mais avec moins de grâce et d'esprit. L'ouverture est courte, mais bien composée. Elle consiste en deux parties, un allegro habilement développé et une phrase mélodique d'une excellente tournure. L'introduction est vivante et gaie, sans que nous ayons rien de remarquable à citer, ainsi que dans le duo d'amour qui suit ; le morceau est bien fait, mais coulé dans un moule trop connu. Il est juste aussi de dire que dans ces sortes de pastiches le musicien est tenu d'observer certaines traditions sans lesquelles la partition n'aurait plus de couleur locale, mais qui nuisent à son originalité. L'air de Polichinelle « Nargue de la tristesse », est de tous points excellent, l'attaque est franche et éclatante, la déclamation comique, le développement logique et clair, l'accompagnement spirituel et bien approprié à la mélodie. Ce morceau, fort applaudi, a été du reste interprété par M. Vauthier avec beaucoup d'intelligence. Les couplets de Léandre « Elle est si belle » sont infiniment moins bons. L'acte est terminé par un quatuor à l'italienne bien écrit, mais que les chanteurs ont légèrement maltraité. L'entr'acte est une bonne page instrumentale, mais le sujet mélodique ne m'en paraît pas suffisamment accusé. L'air de Polichinelle qui suit est long et contourné ; cependant il a été très applaudi, grâce à une excellente phrase « Des battus la troupe est immense », grâce aussi à M. Vauthier. Le trio entre Polichinelle, Ragonneau et le notaire, est avec l'air du premier acte, le meilleur morceau. La phrase en canon « S'immoler pour ses enfants », l'enchaînement de l'ensemble, la clarté de l'idée, la disposition de l'orchestre, la fermeté des basses, tout décèle un musicien d'un réel talent. Après cette page, il faut citer un air charmant de Plantin : « Je suis joueur et paresseux », que Bonnet n'a pas su faire ressortir. Une médiocre romance d'album chantée par Argeline et un finale quelquefois un peu commun, mais amusant, viennent clore la partition. Bref, tout bien considéré, M. Deléhelle a fait un agréable opéra-comique, sur lequel il est permis de fonder quelques espérances, s'il veut rompre encore une fois le silence qu'il avait gardé jusqu'à ce jour. L'interprétation n'est pas des plus complètes, mais la direction a fait en M. Vauthier une acquisition dont nous ne pouvons que la féliciter. Il possède une très bonne voix et il joue fort bien. Il a, dans ce rôle de Polichinelle, des gestes, des intonations, des regards fort comiques, et il a été très applaudi. Galabert est amusant, mais il faut renoncer à lui donner une seule note à chanter. Lary et Bonnet font ce qu'ils peuvent et Mlle Marietti est toute gracieuse et charmante, mais sa voix manque absolument de force et de portée. Malgré ces petites critiques, nous avons à enregistrer un véritable succès pour M. Ruelle et nous en sommes heureux. Nous souhaitons vivement que ce directeur, qui soutient courageusement la cause de nos compositeurs, sorte victorieux de la lutte, et nous espérons que Polichinelle, comme lendemain de Madame Turlupin, pourra tenir longtemps l'affiche. (H. Lavoix, Gazette musicale de Paris, 19 janvier 1873)
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[Don Spavento] On a donné samedi dernier, au Théâtre-Royal de La Haye, la première représentation de Don Spavento, opéra-comique en trois actes, de MM. Morand et Vattier, musique de M. Alfred Deléhelle. On sait que M. Deléhelle, grand prix de Rome, est un musicien des plus distingués, qu'une réserve et une discrétion excessives ont longtemps écarté des théâtres parisiens. Il a pourtant fait jouer il y a quelques années, au théâtre de l'Athénée, placé alors sous la direction de M. Jules Ruelle, un opéra-comique pimpant et léger, Monsieur Polichinelle, qui fut très bien accueilli par le public et par la presse. La nouvelle œuvre de M. Deléhelle n'a pas été moins heureuse, paraît-il, et les Hollandais, malgré leur froideur apparente, ont fait fête aux artistes et aux auteurs. Il ne serait donc pas étonnant qu'un jour ou l'autre Don Spavento ne nous revint à Paris ; nous en serions ravi pour M. Deléhelle, qui mérite le succès mieux que bien d'autres qui le décrochent sans peine, et pour le répertoire de nos jeunes théâtres, qui n'est déjà plus si riche, qu'il puisse faire fi d'une œuvre proprement et finement écrite. (le Ménestrel, 21 janvier 1883)
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C'est avec regret que nous annonçons la mort d'un excellent artiste, M. Deléhelle, dont la carrière a été entravée à la fois par une modestie et par une fierté qui lui faisaient considérer comme humiliantes les démarches et les tentatives auxquelles tout compositeur est obligé pour produire ses ouvrages à la scène. Jean-Charles-Alfred Deléhelle, né le 12 janvier 1826, avait été un des bons élèves d'Adolphe Adam. Il prenait part en 1851, avec MM. Alkan, Erlanger, Galibert, Léonce Cohen et Ferdinand Poise, au concours de Rome et remportait le grand prix de composition musicale avec une cantate d'Édouard Monnais intitulée le Prisonnier (et non Silvio Pellico, comme on l'a dit, par erreur). Sa cantate était chantée par Merly, Boulo et Mlle Félix Miolan, aujourd'hui Mme Carvalho. Le 8 juin 1859, il donnait, non aux Folies-Marigny, ainsi qu'on l'a dit, mais aux Bouffes‑Parisiens, installés alors dans la salle des Champs-Élysées qui prit ce nom plus tard, une opérette intitulée l’Ile d'amour. Le 15 janvier 1873, il reparaissait en public, cette fois à l'Athénée, avec un opéra-comique en deux actes, Monsieur Polichinelle (et non Madame Polichinelle, comme on l'a imprimé), ouvrage charmant, plein de grâce, de verve et de fraîcheur, qui aurait dû lui ouvrir toutes grandes les portes de l'Opéra-Comique. Désespérant pourtant d'y parvenir, c'est au Théâtre-Royal de La Haye qu'il s'en alla donner, le 13 janvier 1883, un opéra-comique en trois actes intitulé Don Spavento. Depuis lors, cet artiste fort distingué et ce très galant homme ne fit plus parler de lui. Deléhelle avait publié en 1861, dans la Correspondance littéraire (n° du 10 juin), une étude intéressante et fine sur le génie d'Auber. (Arthur Pougin, le Ménestrel, 30 juillet 1893)
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