Guillaume POULTIER

 

Guillaume Poultier, lithographie de Marie-Alexandre Alophe

 

 

Guillaume Placide Alexandre POULTIER dit Guillaume POULTIER

 

ténor français

(Villequier, Seine-Inférieure [auj. Seine-Maritime], 27 mai 1814* – Villequier, 20 mai 1887*)

 

Fils de Charles Michel Placide POULTIER (Villequier, 28 septembre 1792 – Villequier, 12 novembre 1870), marin, et de Constance Florence DELAHAYE (Villequier, 08 novembre 1792 – Villequier, 03 février 1825), mariés à Villequier le 03 mars 1814.

Epouse à Villequier le 30 décembre 1876* Ernestine Céline VAGNON (Villequier, 30 juin 1838* – Villequier, 24 mars 1916*), couturière ; parents de Placide Alexandre Ernest POULTIER (Villequier, 25 décembre 1867* –), abbé.

 

 

Il était fils d'un marin et fut d’abord ouvrier tonnelier à Rouen. La beauté de sa voix le décida un jour à entrer dans les chœurs du théâtre de Rouen ; peu de temps après, il chantait seul, en public, avec un succès fou. A partir de ce moment il abandonna l'atelier pour les coulisses. Antoine Louis MALLIOT (Lyon, 30 août 1812* – Rouen, 05 avril 1867*), ténor léger qui chanta de 1835 à 1843 en province et à Bruxelles, et compositeur de l’opéra la Vendéenne, le forma, et en 1840 Poultier partit pour Paris, où les directeurs de l’Opéra l’engagèrent pour cinq ans. Il débuta avec succès sur la scène de l’Opéra de rue Le Peletier en 1841 dans Guillaume Tell, et se fit applaudir ensuite dans la Juive, et surtout dans la Muette de Portici. Ce dernier ouvrage surtout lui valut un triomphe. En 1846, Poultier alla chanter en province et en Italie. Puis il rentra à l’Opéra (1847-1851), chanta à Londres (1851), et fit ensuite diverses tournées en province. On le vit en 1852 au Théâtre-Lyrique créer le rôle principal de Joanita de Duprez. Depuis 1856, il a complètement renoncé au théâtre, se bornant à chanter de temps à autre dans les concerts. Il s'est depuis retiré à Villequier. Ses meilleurs rôles furent dans la Muette de Portici, la Dame blanche, etc.

En 1855, il habitait 17 rue de la Victoire à Paris 9e. Il fit édifier la Villa des Mille Roses à Villequier. Il est décédé en 1887 à soixante-douze ans, en son domicile, à Villequier.

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra de Paris

 

Il y débuta le 04 octobre 1841 dans Guillaume Tell (Arnold).

 

Il y créa le 15 mars 1843 Charles VI (Gontran) de Fromental Halévy ; le 16 juin 1848 l’Apparition (Roger) de François Benoist ; le 25 août 1848 l’Eden (Adam) de Félicien David ; le 24 décembre 1849 le Fanal (Martial) d’Adolphe Adam.

 

Il y chanta Orphée et Eurydice (Orphée) ; la Juive (Eléazar, 30 octobre 1841) ; le Comte Ory (le Comte Ory, 1842) ; la Muette de Portici (Masaniello, 1842) ; Robert le Diable (Robert, 1844) ; la Favorite (Fernand, 1848) ; Lucie de Lammermoor (Edgard, 1848).

Sa carrière au Théâtre-Lyrique

 

Il y débuta le 11 mars 1852 en participant à la première de Joanita (Léonce) de Gilbert Duprez.

 

 

 

 

Académie Royale de Musique.

Débuts de Poultier dans le rôle d’Eléazar.

 

Hier, sur l'annonce que Poultier continuerait ses débuts dans le rôle d'Eléazar, la foule était accourue au théâtre et dans la vaste salle de l'Opéra. Comme aux plus solennelles représentations, on voyait sur la devanture des loges les toilettes les plus élégantes, les plus gracieuses et les épaules les moins vêtues, selon l'agréable usage. A l'orchestre, nous voyons aussi toutes les longues barbes de la critique, tous les gants jaunes de l'aristocratie et toutes les perruques de l'Académie de Musique. Enfin, au parterre, pour compléter le tableau, s'épanouissaient de bonnes et franches figures d'ouvriers dont l'air ébahi et l'attitude émerveillée, attestaient visiblement que ces braves gens étaient venus là pour la première fois. Nous avons demandé quelle était cette foule en veste et en petit habit qui se montrait si étonnée de se voir à l'Opéra, et nous avons appris que c'étaient les tonneliers de Bercy qui avaient quitté un instant leur travail pour venir fêter un confrère.

C'est devant cette assistance d'hommes du monde et d'hommes du peuple que la toile s'est levée, et que la représentation a commencé. Comme Arnold son devancier, Eléazar s'est avancé devant le public en tremblant de tous ses membres ; et le public, toujours magnanime, a ragaillardi le débutant par une bonne salve d'applaudissements. Poultier avait sans doute contre lui la peur, l'émotion, l'éclat de la rampe et l'inexpérience de la scène, mais en revanche il avait pour lui la confiance de son talent, l’effet magique de sa jolie voix et la disposition du public. Avec de pareilles chances, comment ne pas réussir ?

N'ayant pas dans le 1er acte de morceau qui convint à la nature de sa voix, Poultier et le public ont pris patience jusqu'au second acte ; mais là, dans le chant de la Pâque, sa voix se trouvant à l'aise, il a dit toutes les phrases de ce grand air avec un goût exquis, une mesure excellente et une véritable inspiration d'artiste. Tout le récitatif entre Eléazar et la princesse Eudoxie, la reprise du trio :

 

          Je craignais que cette femme

            Ne surprit tous nos secrets,

 

Enfin, le 4e acte est arrivé, et chacun a prêté une oreille attentive au morceau capital de la pièce, à l’air :

 

          Rachel, quand du Seigneur

 

Ici Poultier a fait un coup de maître, et il a chanté son air de manière à donner raison à ses envieux. Les applaudissements sont partis de toutes parts, des mains blanches de nos grandes dames aussi bien que des mains calleuses des tonneliers de Bercy. Tous les connaisseurs en musique semblaient heureux de trouver, au moment où les purs talents semblent s'éteindre, une voix pure et bien posée, qui produit de l'effet sans effort et du charme sans fatigue.

En somme, le début de Poultier dans la Juive a été couronné de succès. Sans doute, ce jeune artiste a grand besoin encore d'une étude approfondie et d'un travail persévérant ; mais il le sait bien, et il a déjà prouvé que ce n'est ni l’intelligence, ni le courage, ni la résignation qui lui manquent.

Nous attendons maintenant Poultier dans le rôle de Masaniello.

(les Coulisses, 31 octobre 1841)

 

 

Que Poultier ait exercé à Rouen la profession de tonnelier, que le hasard en ait fait un chanteur, peu importe, et le public ne demande pas à l’artiste des preuves de noblesse ; mais du goût, du talent, et surtout celui de plaire, le plus incontestable de tous. Poultier est en bon chemin pour acquérir ce dernier ; sa voix douce et quelquefois touchante l’appelait à recueillir l’héritage d’Alexis Dupont… La place était prise. Peut-être que sur une autre scène, loin d’un rival désespérant, Poultier trouverait une énergie que la crainte paralyse, et qu’alors en osant oser… Il n’y a que le boulevard à traverser.

(Théâtres, Acteurs et Actrices de Paris, 1842)

 

 

 

Poultier

Esquisse biographique

 

Nous disions dimanche dernier : « Le Moniteur de la Côte-d'Or, en rendant compte des représentations de la Dame Blanche et de la Muette, que vient de donner Poultier à Dijon, avec un succès peu commun, publie quelques détails biographiques et des plus intéressants sur le ténor-tonnelier, qui a précédé le brasseur Villaret dans la carrière lyrique à l'Opéra. Dès que la place nous le permettra, nous publierons ces détails biographiques, auxquels l'origine et les débuts du ténor Villaret donnent un nouvel intérêt. » Or, ces intéressantes appréciations sur l'homme et l'artiste, en voici les principaux fragments. Nous les reproduisons avec le regret de ne pouvoir donner que les lettres initiales de leur auteur :

 

« Né au sein de la plus humble condition, à Villequier, petit village de Normandie, tristement célèbre par l'horrible catastrophe qui y frappa la famille de Victor Hugo, Poultier a eu cet extrême mérite de franchir tous les obstacles, et de triompher dès qu'il eut osé. A l'âge le plus tendre, il se faisait remarquer par son amour du chant. Tout le monde admirait sa jolie voix, et c'était une fête quand on pouvait, le soir, le faire chanter dans les réunions de famille. A dix ans, il alla à Rouen, chez son oncle, où il apprit l'état de tonnelier. Il devint bientôt un excellent ouvrier, et, tout en frappant en mesure sur les fûts sonores, il jetait dans l'air des fragments de romances et d'opéras, à la grande joie du voisinage, mais peut-être bien au grand chagrin de sa famille, effrayée déjà du mérite sérieux du jeune virtuose.

Il fallait nécessairement un aliment à cet appétit musical ; les sociétés chorales n'existaient pas encore ; le jeune Poultier parvint à se faire admettre, en cachette, dans les chœurs du théâtre de Rouen. Le bruit s'en répandit et parvint jusqu'aux oreilles de son oncle, qui, épouvanté et voulant l'arracher à l'abîme, prit le parti de l'enfermer le soir dans sa chambre. Mais, pour l'art comme pour l'amour, la résistance n'est guère qu'un aiguillon ; la fenêtre s'ouvrait et l'oiseau savait toujours s'échapper de sa cage.

A vingt-trois ans, Poultier ignorait encore les éléments de la musique. Ce fut M. Réthaller, directeur actuel de notre théâtre, alors sous-chef d'orchestre, qui lui donna, pendant trois mois seulement, les premières leçons de solfège.

La fraicheur de sa voix attira bientôt l'attention des artistes, et l'un d'eux, M. Malliot, ténor, aujourd'hui auteur de la Vendéenne, opéra représenté à Rouen, à Toulouse et à Lyon, et de plusieurs jolies romances, notamment de Marie et des Petits bonheurs, que Poultier, depuis, a rendues si populaires, s'intéressa vivement à lui, l'encouragea, le comprit, et, par l'étude des maîtres, alluma dans son âme l'étincelle sacrée.

Enfin, l'heure sonna, Poultier jeta courageusement aux orties la doloire et la tille, et se rendit à Paris, où il se fit d'abord entendre dans les salons de Mme Boieldieu, et obtint immédiatement une audition à l'Académie royale de Musique, en présence de la pléiade des maîtres de cette belle époque : Halévy, Ponchard, Duprez, Levasseur, Barroilhet, Mario. Séance tenante, Poultier fut engagé à l'Opéra. Une année d'études lui fut prescrite sous la direction de Ponchard pour le chant, et de Michelot, de la Comédie-Française, pour la déclamation.

Il était si heureusement doué, la nature avait tant fait pour lui, que ce court délai lui suffit, et, vers la fin de l'année 1841, il fit à l'Opéra ses débuts dans le rôle de Masaniello, de la Muette.

Les acclamations du public, des artistes, de la presse, furent unanimes. Ses succès grandirent chaque jour.

Il y avait, disons-le, dans ce soulèvement électrique, quelque chose de plus qu'une question d'art. Ce blond jeune homme, inculte, qui, hier encore, faisait des tonneaux, et qui, d'un seul coup d'aile, venait de s'élever au niveau des privilégiés de l'éducation et de la fortune, apparaissait rayonnant comme la personnification du Prolétariat transfiguré par l'Art. C'était aussi le temps des ouvriers poètes : du cordonnier Savinien Lapointe ; du coiffeur Jasmin ; du boulanger Reboul, de Nîmes ; de la modiste Antoinette Carré, de Dijon, — et du Compagnon du Tour de France. Le souffle de George Sand embrasait les imaginations. L'égoïsme et le béotisme bourgeois avaient trop longtemps méconnu et redouté dans le peuple les facultés idéalistes. Il se faisait une réaction salutaire, profonde. — On salua donc en Poultier deux êtres : l'artiste et l'ouvrier. C'était comme l'apothéose du peuple.

De 1841 à 1845, Pouitier tint, avec Duprez, la scène de la rue Le Peletier, et y interpréta successivement la plupart des grands ouvrages du répertoire : Robert, la Favorite, Lucie, le Comte Ory. C'est dans cette première phase qu'Halévy écrivit pour lui les couplets de Gontran, dans Charles VI : A minuit, le seigneur de Nivelle, bissés chaque soir.

En 1846, Poultier quitta Paris pour faire une excursion en province et en Italie. L'Opéra le rappela l'année suivante, et il y resta jusqu'en 1851, époque à laquelle il alla à Londres, où M. Lumley avait appelé un nombre prodigieux de célébrités artistique, à l'occasion de l'Exposition.

En 1852, sur la demande de Duprez, il créa avec Duprat, Balanqué, Mlle Duprez, l'opéra de Joanita, au Théâtre-Lyrique.

Poultier se mit ensuite à l'étude de l'opéra-comique, et joua à Rouen, pour la première fois, en 1854, la Dame Blanche, puis il rentra à l'Académie royale de Musique, et se fit applaudir encore à côté de Gueymard et de Roger.

Depuis cette époque, Poultier s'est pour ainsi dire reposé, chantant à ses heures, de loin en loin, sur les principaux théâtres de province.

Aujourd'hui, Poultier est un gros propriétaire de Villequier, possédant maisons et terres au soleil. Mais comme tous les grands cœurs, ni les succès ni la fortune n'ont pu lui faire oublier son origine et ses premières affections. Il n'est jamais plus heureux que lorsqu'il peut réveiller ses impressions de jeunesse. Dernièrement, la hache à la main, il abattait, sur l'une de ses propriétés, trois grands chênes dont il fabriqua ensuite lui-même, pour se refaire la main, des tonneaux, en chantant les airs d'autrefois. Les passants, qui voyaient ce tonnelier chanter si bien en travaillant si fort, disaient : Voilà un brave compagnon qui a le cœur à la besogne ; il fera ses affaires.

Dijon est l'une des stations les plus glorieuses de Poultier. En 1846, 1852, 1853, il y est venu donner à peu près tout son répertoire. Nulle part, de son propre aveu, il n'a rencontré de sympathies plus profondes. Nos poètes lui ont dédié des strophes, les dames lui ont jeté des fleurs, les artistes lui ont offert des couronnes.

Jeudi et dimanche derniers, Poultier faisait donc sa quatrième apparition au milieu de nous. Le tonnelier de Rouen a conservé sa physionomie naïve, robuste, honnête. Les poseurs sont si nombreux dans les arts, que l'on est à la fois étonné et heureux de se voir emporté vers le beau par cette brave figure plébéienne, sur laquelle la vanité n'a jamais eu de prise.

En le revoyant sur notre scène, je n'ai pu résister au désir d'esquisser à larges traits les principales phases de sa vie. D'autres que moi feront beaucoup mieux sans doute. Faibles ou forts, c'est un devoir pour tous ceux qui tiennent une plume de constater l'apparition de ces astres fugitifs qui brillent d'un si vif éclat, et qui ne laissent pourtant après leur passage aucune trace saisissable pour les générations futures.

Pauvres chanteurs ! ce n'est pas eux qui peuvent dire à la fin de leur œuvre, avec Horace : « Je l’ai donc terminé ce monument, plus durable que l'airain ! Et maintenant l'eau peut mordre et le vent briser, le temps détruire ; au bout de toutes ces années innombrables, la meilleure part de moi-même sera vivante ; enfin je ne mourrai pas tout entier. »

Hélas ! que reste-t-il d'eux quand l'âge ou la mort a éteint leur voix ? — Rien ! que le souvenir éphémère de ceux qui les ont entendus, mais qui disparaîtront aussi ; — rien que quelques lignes jetées sur leur gloire, comme des fleurs sur une tombe. »

N. F.

(le Ménestrel, 10 mai 1863)

 

 

 

 

 

Depuis six mois Poultier, du fond de son tonneau,

Chante un air de sommeil qui provoque le nôtre.

Et le public lui dit, blasé sur ce morceau :

« Ténor, percez-nous en d’un autre ! »

 

Caricature de Guillaume Poultier, lithographie de Benjamin Roubaud pour le Charivari

 

 

 

 

Il est le fils d'un marin, qui exerça ensuite la profession de pilote. Le jeune Poultier avait neuf ans environ lorsqu'il fut envoyé à Rouen, chez son oncle, marchand de cidre en gros ; ce fut dans cette ville qu'il reçut l'instruction primaire ; ce fut là également que, séduit par la bonne humeur et les allures laborieuses des ouvriers qu'employait son parent, il finit par prendre a son tour la doloire et le maillet du tonnelier. Avec l'âge sa voix s'était formée, et comme il était doué d'un certain goût musical, il chantait bien souvent en façonnant ses tonneaux ; la réputation du jeune chanteur ne tarda pas à s'étendre ; un sien ami le conduisit chez M. Nicolo, directeur du Théâtre-des-Arts, qui l'admit parmi ses choristes ; enfin, un soir, au Théâtre-Français, Poultier osa se produire devant le public ; il chanta la romance de Guido et Ginevra et les Rouennais applaudirent à outrance le ténor franc et sympathique qu'avaient laissé éclore les brumes normandes.

Chacun montra au jeune homme le chemin de Paris comme étant pour lui la route de la fortune ; en attendant, son éducation musicale étant des plus restreintes, il se confia à l'excellent professeur Malliot, qui n'épargna ni soins ni conseils pour le mettre en état de faire valoir ses dons naturels. En mai 1840, Poultier partit pour Paris ; il se fit entendre chez Mme Boieldieu, en présence de Cherubini et de quelques autres artistes, lesquels conçurent de sa voix une opinion avantageuse, ce qui n'empêcha pas le rigide Cherubini de prononcer sur lui ce verdict : « Il est trop âgé et n'est pas musicien. » Poultier voyait se fermer devant lui les portes du Conservatoire ; fort heureusement, il obtint de MM. Duponchel et Monnais, directeurs de l'Opéra, une audition qui lui procura, pour ainsi dire séance tenante, un engagement pour cinq ans. On lui donna comme professeurs : Ponchard pour le chant, Michelot pour la déclamation, M. Fournier pour le solfège, sans parler des leçons de langue française, de danse et d'escrime. Mais la direction de l'Opéra étant venue à passer entre les mains de M. Léon Pillet, Poultier se vit enlever la plus part de ses professeurs ; on lui avait même supprimé les leçons de déclamation ; mais Michelot, plus confiant que M. Pillet en l'avenir de son élève, lui continua gratuitement ces leçons jusqu'à l'époque de ses débuts. Malgré le mauvais vouloir de son directeur, vis-à-vis duquel il dut même employer les moyens légaux, Poultier débuta le 4 octobre dans Guillaume Tell, et fut rappelé après le troisième acte ; il continua ses débuts dans la Juive et la Muette de Portici, où l'air du Sommeil, chanté par lui avec un art exquis, lui valut un succès qui s'est renouvelé bien souvent depuis, ce morceau étant un de ceux où s'affirmaient le plus complètement ses qualités vocales.

A l'expiration de son engagement, Poultier fit une tournée en province ; puis, désireux d'apprendre le répertoire italien, il se rendit dans la péninsule ; mais bientôt après, rappelé par MM. Duponchel et Roqueplan, il rentra à l'Opéra (1847), où il resta jusqu'en 1851. A cette époque, il alla faire la saison de Londres, au théâtre de la Reine, et recommença ensuite ses tournées en province. En 1853, il étudia avec Malliot le répertoire de l'Opéra-Comique, ce qui lui permit d'ajouter de nouveaux rôles à ceux qu'il possédait déjà. Le rôle de Georges Brown, de la Dame blanche, lui fut particulièrement favorable, et suivant ses propres expressions, « c'était pour lui plaisir et bonheur de se faire entendre dans cet ouvrage ». Rentré à l'Opéra en 1855, il n'y resta qu'un an, et refusa de signer un nouvel engagement que lui proposait M. Crosnier, successeur de Nestor Roqueplan. Poultier a depuis ce temps conservé son entière liberté, et il s'est borné à se faire entendre dans les concerts, ou bien à parcourir, pendant l'hiver, les principaux théâtres de province, pour y donner des représentations.

Dans le cours de ses divers engagements à l'Opéra, il a créé plusieurs rôles : celui de Gontran, dans Charles VI, le rôle du premier ténor dans l'Apparition de Benoist, dans l'Eden de Félicien David, et dans le Fanal d'Adolphe Adam. Poultier, bien que sa voix ne manquât ni de volume, ni d'étendue, n'était pas, à proprement dire, un ténor de force ; sa voix se prêtait davantage au chant expressif et soutenu ; l'étoffe en était moelleuse, le timbre suave, malgré quelques sonorités nasales ; elle a longtemps conservé son charme et sa fraîcheur.

Poultier vit aujourd'hui en bon et paisible bourgeois, à Villequier, sa bourgade natale.

(François-Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens, suppl. d’Arthur Pougin, 1878-1880)

 

 

Il était ouvrier tonnelier et n’avait reçu que l'instruction la plus élémentaire, lorsque des amateurs, frappés du charme et de la fraîcheur de sa voix de ténor, le déterminèrent à suivre la carrière du théâtre. Envoyé à Paris, il fut mis sous la direction de Ponchard. Poultier ne savait pas alors une note de musique et son éducation était à faire de fond en comble ; mais telle fut l'ardeur au travail du jeune homme que, quinze mois plus tard, le 4 octobre 1841, il débutait au Grand Opéra par le rôle d'Arnold, dans Guillaume Tell. Sa voix suave, argentine, bien timbrée lui acquit aussitôt les suffrages du public. Un peu plus tard, il jouait dans la Juive et il y obtint un tel succès, dit Théophile Gautier, « qu'il dut reparaître après le quatrième acte, tant le public mettait d'insistance à le redemander. Une sensibilité vraie, une grande fraîcheur d'organe, une accentuation parfaite, telles sont les qualités du tonnelier de Rouen. Qu'il résiste à la tentation de crier et de forcer sa voix, et il peut se mettre a la tête d'une grande réaction ; car on est las de hurlements et de tapage. » Plus tard, il chanta le rôle de Masaniello, dans la Muette de Portici, de manière à rappeler le souvenir de Nourrit. Jamais l'air du Sommeil n'avait été interprété avec plus de charme. En 1842, Poultier alla donner des représentations à Rouen, où il obtint un succès inouï. En 1843, l'artiste se signala à l'Opéra, dans le Charles VI d'Halévy. Il créa ensuite le rôle d'Adam, dans l’Eden de Félicien David, et aida à la réussite du Fanal, opéra d'Adam ; mais c'est surtout dans l'Eden qu'il déploya toutes les ressources d'un talent trop peu apprécié. La présence de Duprez à l'Opéra avait constamment relégué Poultier au second rang. Lorsqu'il eut quitté le théâtre, le célèbre ténor rendit pleine justice à celui dont il avait entravé l'avenir. Le 11 mars 1852, on représentait au Théâtre-Lyrique Joanita, drame lyrique en trois actes, musique de Duprez, et Poultier, chargé du rôle de ténor, faisait applaudir la partition de son ancien chef d'emploi. Poultier, qui, depuis lors, a pris sa retraite, excellait dans la romance, qu'il chantait à la manière de Garat. Son jeu laissait à désirer, ce qui ne l'empêcha pas de se faire acclamer en province et à l'étranger.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)

Il est mort à Villequier en mai 1887. Il avait quitté la scène depuis une trentaine d’années. Il chanta pour la dernière fois en public en 1874, à Rouen, lors des fêtes du Centenaire de Boieldieu.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

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