FILMOGRAPHIE DE FEODOR CHALIAPINE
DON QUICHOTTE
Film de Georg Wilhelm PABST (1895-1967), assisté par Jean de Limur pour la version française (Don Quichotte) et John Farrow pour la version anglaise (Adventures of Don Quixote) ; tourné en 1933 ; sorti en France le 07 avril 1933 ; scénario de Paul Morand d'après Miguel de Cervantès ; musique de Jacques Ibert, avec un air d'Alexandre Dargomyzski (Sierra Nevada) ; dialogues d'Alexandre Arnoux ; décors d'André Andreew ; costumes de Max Pretzfelder.
Dorville (Sancho Pança, à gauche) et Feodor Chaliapine (Don Quichotte) dans le film [photo Lipnitzki]
personnages |
version française |
version anglaise |
Don Quichotte |
MM. Feodor CHALIAPINE (1873-1938) |
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Sancho Pança | DORVILLE (1883-1940) | George ROBEY (1869-1954) |
Carrasco |
René DONNIO (1889-1934) |
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Chef de Police | Charles MARTINELLI (1882-1954) | Oscar ASCHE (1871-1936) |
1er Aubergiste | Léon LARIVE (1886-1961) | |
2e Aubergiste | Pierre LABRY (1885-1948) | |
le Curé | Charles LEGER (1861-1940) | Frank STANMORE (1877-1943) |
le Duc de Fallanga | Jean de LIMUR (1887-1976) | Miles MANDER (1888-1946) |
le Roi des Gitans | Vladimir SOKOLOFF (1889-1962) | Walter PATCH (1888-1970) |
la Femme de Sancho | Mmes Mady BERRY (1887-1965) | Mmes Emily FITZROY (1860-1954) |
la Duchesse de Fallanga | Arlette MARCHAL (1902-1984) | Lydia SHERWOOD (1906-1989) |
la Nièce de Don Quichotte | Mireille BALIN (1909-1968) | Sidney FOX (1911-1942) |
Dulcinée |
Renée VALLIERS |
Feodor Chaliapine (Don Quichotte) au début du film
Chanson du Duc (Alexandre Arnoux / Jacques Ibert) Feodor Chaliapine, basse Orchestre de l'Opéra de Paris dir Jacques Ibert Gramophone DA 1310, matrice OPG 428-4 enr. le 13 mars 1933
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Chanson du Départ (Pierre de Ronsard / Jacques Ibert) Feodor Chaliapine, basse Orchestre de l'Opéra de Paris dir Jacques Ibert Gramophone DA 1310, matrice OPG 429-3 enr. le 13 mars 1933
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Chanson à Dulcinée (Alexandre Arnoux / Jacques Ibert) Feodor Chaliapine, basse Orchestre de l'Opéra de Paris dir Jacques Ibert Gramophone DA 1311, matrice OPG 430-1 enr. le 13 mars 1933
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Mort de Don Quichotte (Alexandre Arnoux / Jacques Ibert) Feodor Chaliapine, basse Orchestre de l'Opéra de Paris dir Jacques Ibert Gramophone DA 1311, matrice OPG 436-1 enr. le 13 mars 1933
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Feodor Chaliapine (Don Quichotte) dans le film
Dorville « Sancho Pança » nous parle de Chaliapine qui fut son étonnant « Don Quichotte »
Feodor Chaliapine n'est plus.
Une voix unique au monde — cette voix de cristal et d'airain — s'est tue à tout jamais. Et dans les cinq parties du monde, on pleure depuis hier celui qui fut, tel un brillant oiseau migrateur, le plus extraordinaire des Méphisto, le plus merveilleux des Boris Godounov, sans jamais suspendre nulle part son vol à la gloire.
Eternel voyageur, Chaliapine comptait que peu d'amis. Mais, à chacun de ses passages à Paris, il ne manquait pas de voir celui qu’il appelait son « grand ami français », son « Sancho Pança » : Dorville.
« — J'ai connu Feodor Chaliapine à l'époque où, sous la direction de Pabst, il tournait Don Quichotte, nous dit Dorville. J'étais son Sancho Pança. Et, depuis, nous restâmes toujours dans les termes d'amitié. »
Dans sa loge du théâtre des Variétés dont il est actuellement la vedette, le joyeux Dorville ne sourit pas. Il vient d'apprendre à l'instant, brutalement, la fin de son illustre camarade, et ses lèvres tremblent un peu d'émotion et de chagrin, en évoquant son souvenir :
« — C'était l'homme le plus extraordinaire, le meilleur et le pire, et, surtout, combien slave ! soupire-t-il. Une nature ardente et généreuse qui ne pouvait s'accommoder que difficilement des entraves mesquines de notre vie courante. Je l'ai vu, tour à tour, bondissant de joie comme un gamin, et faisant trembler tout le monde sous la violence de ses colères... Un grand enfant !
— Vous avez dû, au cours des prises de vues de Don Quichotte, coudoyer Chaliapine journellement ?
— En effet, j'ai vécu a ses côtés quatre mois durant. Il se prit aussitôt d'amitié pour moi, car, constatant sa difficulté à assimiler le texte français (il ne parlait que difficilement notre langue) j'ai, dès le premier jour, offert spontanément mon aide à l'illustre chanteur. Dès lors, je devins son « grand ami » ; il avait confiance en moi et me demandait conseil à tout propos.
Chaliapine ignorait les demi-mesures et les sentiments atténués : il était farouchement fidèle à ceux qu'il considérait comme ses amis, mais ses antipathies, elles aussi, étaient implacables.
Mais, par moments, quel joyeux compagnon ! Tenez, lorsque nous tournions les extérieurs de Don Quichotte, à 1.500 mètres d'altitude, au-dessus de Grasse. La nature puissante de Chaliapine souffrait des cadres restreints du travail cinématographique ; il rongeait son frein. Alors, tous les matins, il arrivait avec une grande bouteille de vodka qu'il vidait joyeusement, en deux heures de temps ! Et comme par ailleurs on tournait en même temps la version anglaise du film, le comique George Robby, — le Sancho Pança anglais, — avait l'habitude de prendre pour son petit déjeuner, une bouteille de whisky... Aussi, tous les matins, était-ce un match véritable entre Chaliapine et lui... Et tous deux voulaient à tout prix me faire partager leurs libations ! J'ai dû me livrer à de véritables ruses d'Indien pour m'y soustraire !
Non, décidément, ajoute Dorville, le cinéma était trop peu de chose pour cet immense talent. Je me souviens de sa joie, le jour où on dit à Chaliapine que le film était terminé : il eut un hurlement de joie à faire trembler les vitres ! »
Et, en soupirant :
« Voyez-vous, il était coléreux, puissant, fantasque et généreux ; mais il était impossible de ne pas l'aimer ! »
(Claude Hervin, Paris-Midi, 13 avril 1938)
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Feodor Chaliapine (Don Quichotte) dans le film
Jacques Ibert parle de Chaliapine
Jacques Ibert et Mme Jacques Ibert ont bien voulu évoquer pour moi des souvenirs qui, malgré le temps passé, leur restent particulièrement présents : ceux des semaines pendant lesquelles ils ont vu quotidiennement Chaliapine. Lorsque Pabst tourna le film Don Quichotte, dans la région de Grasse, film pour lequel Ibert, nous l'avons précisé, a écrit une fort belle partition, ils habitaient tous à l'hôtel du Mont-Boron, et Chaliapine s'était pris d'amitié pour Jean-Claude Ibert, fils du grand musicien (alors tout jeune encore, et devenu aujourd'hui un bel écrivain). Chaliapine, avec son amour de l'enfance, se penchait vers le petit garçon qu'il appelait câlinement « Mon géant ».
Cependant le travail même du film donna lieu, comme il est d'ailleurs de règle, à des froissements et à des échanges de vues parfois véhéments. Pabst, alors dans sa gloire de metteur en scène et habitué à commander sans que personne osât discuter, ne comprit pas d'emblée le caractère de Chaliapine, et, irrité par une personnalité tellement affirmée, il se cabra... jusqu'au jour où il se rendit compte enfin et, sincèrement, proclama devant Ibert : « Féodor est notre maître à tous ! »
Avec Jacques Ibert lui-même, autres difficultés. L'auteur d'Angélique est le plus courtois des hommes ; mais la liberté de Chaliapine à l'égard des exigences musicales, posait de constants problèmes. Il fallait en sortir : un matin, Ibert, fort gentiment, mais nettement, expliqua à Féodor que, pour arriver aux résultats souhaités, il était indispensable qu'il se soumît à son autorité de chef lorsque la musique était en jeu. Chaliapine l'écouta en silence, le visage tendu : il resta silencieux un instant, puis, dans un de ces élans dont le charme était si puissant, il embrassa Ibert en lui disant simplement : « Tu as gagné, mon Fils ! » Dès lors, il servit de tout son art, selon les indications de l'auteur, cette musique qu'il aima profondément. Il garda à Ibert une fidèle reconnaissance, et, de leur côté, Jacques Ibert et Mme Jacques Ibert témoignent d'une réelle émotion lorsque ces images du « Don Quichotte-Chaliapine » jaillissent de leur mémoire.
(Jacques Feschotte, Ce géant : Féodor Chaliapine, 1968)
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Feodor Chaliapine (Don Quichotte) dans le film (la scène des moulins à vent)