Marie CABEL

 

Marie Cabel dans Mignon (Philine) à l’Opéra-Comique, lithographie d’Alfred Lemoine d’après une photo de Bingham (1866)

 

 

Marie-Josèphe DREULLETTE dite Marie CABEL

 

soprano français

(Liège, Belgique, 12 janvier 1827 Maisons-Laffitte, Seine-et-Oise [auj. Yvelines], 23 mai 1885*)

 

Fille de Louis Samson DREULLETTE, officier.

Epouse en 1847 (puis divorce) Georges CABU DIT CABEL (Namur, Belgique, 1822 av. 1884), professeur de chant [frère de Louis Joseph CABEL, baryton, et d’Edmond CABEL, ténor].

 

 

Fille d'un ancien officier de cavalerie de l'armée française, elle épousa fort jeune un professeur de chant, Georges Cabu, dit Cabel, auquel elle dut son éducation musicale, mais dont elle se sépara au bout de quelques années. Après s'être fait entendre, à Paris, aux concerts du Château des Fleurs (1847), elle débuta à l'Opéra-Comique (mai 1849) dans le Val d'Andorre et les Mousquetaires de la Reine, où elle passa complètement inaperçue. C'est au théâtre de la Monnaie, de Bruxelles, qu'elle se révéla l'année suivante et commença sa brillante réputation. Elle y passa deux années (1850-1851). Elle alla ensuite à Lyon, au Havre, à Genève, à Strasbourg, puis vint débuter triomphalement au Théâtre-Lyrique le 06 octobre 1853, où le Bijou perdu et le point d'orgue qu'elle exécutait dans la trop fameuse ronde des Fraises lui valurent un succès inouï. Jeune et jolie, accorte, fraîche et souriantes manquant souvent de style, mais ayant le diable au corps, douée d'une voix merveilleuse, avec cela lançant les traits de vocalisation les plus difficiles avec une sûreté vraiment prodigieuse, Mme Cabel fit courir tout Paris dans ses créations de la Promise, Jaguarita l'Indienne, le Muletier de Tolède, la Chatte merveilleuse, si bien que l'Opéra-Comique la rappela à lui en 1856, cette fois au grand plaisir du public. L'année précédente, elle avait créé à Bade les Amoureux de Perrette de Louis Clapisson. Elle créa à l'Opéra-Comique Manon Lescaut, le Château Trompette, le Carnaval de Venise, la Bacchante, le Pardon de Ploërmel, prit part aux reprises de Galatée, de la Part du diable, de l'Ambassadrice, de l'Etoile du Nord et du Songe d'une nuit d'été, retourna un instant au Théâtre-Lyrique en 1861, y joua en 1863 Peines d'amour, mauvaise adaptation française de Cosi fan tutte, de Mozart, puis revint à l'Opéra-Comique en 1865 [rentrée le 23 décembre dans l'Ambassadrice (Henriette)], pour y créer Zilda, le Premier jour de bonheur et Mignon (Philine). Mme Cabel quitta l'Opéra-Comique en 1871, et alla faire plusieurs tournées en province, se fit entendre de nouveau à la Monnaie de Bruxelles, obtint encore des succès retentissants à l'Opéra-Comique de Londres, et se retira définitivement du théâtre en 1877. Elle fut frappée, l'année suivante, d'une attaque de paralysie dont elle ne put jamais se guérir, et mourut dans l'état intellectuel et physique le plus misérable.

En 1863, elle habitait 11 rue Blanche à Paris 9e. Elle est décédée en 1885 à cinquante-huit ans, en son domicile, avenue Corneille à Maisons-Laffitte.

 

 

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta le 23 mai 1849 dans le Val d'Andorre (Georgette).

 

Elle y chanta les Mousquetaires de la reine (Athénaïs de Solange, 10 septembre 1849).

 

Elle y fit son retour le 23 février 1856 en créant Manon Lescaut (Manon Lescaut) d'Esprit Auber.

 

Elle y créa le 09 décembre 1857 le Carnaval de Venise (Sylvia) d'Ambroise Thomas ; le 04 novembre 1858 la Bacchante d'Eugène Gautier ; le 04 avril 1859 le Pardon de Ploërmel (Dinorah) de Giacomo Meyerbeer ; le 23 avril 1860 le Château Trompette (Lise) de François-Auguste Gevaert ; le 28 mai 1866 Zilda (Zilda) de Friedrich von Flotow ; le 17 novembre 1866 Mignon (Philine) d'Ambroise Thomas ; le 15 février 1868 le Premier jour de bonheur (Hélène) d'Esprit Auber ; le 28 novembre 1868 le Corricolo (Caroline de Lussan) de Ferdinand Poise.

 

Elle y participa à la première le 10 mai 1869 de Jaguarita l'Indienne (Jaguarita) de Fromental Halévy.

 

Elle y chanta Galatée ; la Part du diable (Carlo) ; l'Ambassadrice (Henriette) ; la Fille du régiment (Marie, janvier 1857) ; l'Etoile du Nord (Catherine, octobre 1857) ; le Songe d'une nuit d'été.

Sa carrière au Théâtre-Lyrique

 

Elle y débuta le 06 octobre 1853 en créant le Bijou perdu (Toinon) d’Adolphe Adam.

 

Elle y créa le 16 mars 1854 la Promise (Marie) de Louis Clapisson ; le 16 décembre 1854 le Muletier de Tolède (Elvire) d'Adolphe Adam ; le 14 mai 1855 Jaguarita l'Indienne (Jaguarita) de Fromental Halévy ; le 18 mars 1862 la Chatte merveilleuse (Féline) d'Albert Grisar ; le 30 octobre 1862 Hymne à la musique de Charles Gounod.

 

Elle y participa à la première le 31 mars 1863 de Peines d'amour (Rosaliene) de Mozart [version française de Jules Barbier et Michel Carré de Cosi fan tutte].

 

 

 

 

 

 

Marie Cabel dans la Promise (Marie), dessin d'Eustache Lorsay lithographié par Alexandre-Désiré Collette

 

 

Marie Cabel du Théâtre-Lyrique

 

La noblesse du talent. — Un nouveau parchemin. — Madame Malibran. — Prophétie de madame Viardot. — Époux et professeur. — Le Conservatoire de Paris. — Le Château-des-Fleurs. — L'Opéra-Comique. — Bruxelles. — Lyon. — Le Havre. — Strasbourg. — Le Théâtre-Lyrique. — Le bijou trouvé et la Promise.

 

Pour chanter tes gloires, que n'ai-je

Un luth fécond en mille échos !

Hégésippe Moreau.

 

Déjà, dans le milieu du siècle dernier, les esprits élevés voyaient poindre l'aurore du jour où un homme, n'empruntant tout qu'à lui-même, balancerait par la noblesse de son talent cette noblesse du sang que nos petits-neveux traiteront de dérisoire. Ce temps est venu dans quelque carrière que se manifeste une intelligence d'élite, elle est certaine d'être à l'instant acclamée par les cent bouches de la renommée. Madame Marie Cabel en est un exemple éclatant et de fraîche date. Son nom, inconnu encore il y a quelques années, circule aujourd'hui dans toutes les bouches. Elle doit être, à l'heure qu'il est, littéralement écrasée sous une avalanche de fleurs naturelles et de fleurs de rhétorique ; elle devrait être (si je ne connaissais sa rare modestie) éblouie par l'immense feu d'artifice tiré par tous les critiques parisiens en son honneur. Elle vient enfin de recevoir son parchemin de noblesse, signé par une puissance indestructible : la presse ; et sanctionné par la masse, cette autre puissance, qui se trompe si rarement. Madame Cabel peut, en un mot, parodier ce fameux mot de César : « Je suis venue, j'ai chanté, j'ai triomphé. »

Du reste, si le lecteur veut prendre la peine d'achever cette modeste notice, il verra que jamais blason ne fut octroyé avec plus de justice ; — il comprendra qu'il ne suffit pas d'avoir été doué par la nature d'une rare faculté, mais que ce n'est qu'à force de soins et de travaux qu'on parvient à polir un précieux joyau et à en rendre toutes les facettes resplendissantes.

Madame Marie Cabel est née à Liège (Belgique). Son père, M. Dreullette, d'origine belge, après avoir servi dans l'armée française en qualité d'officier de cavalerie, retourna dans son pays natal. Bien des poitrines insensibles au fardeau de la cuirasse ont contenu un cœur accessible à la voix des muses : M. de Florian, M. de la Rochefoucauld et tant d'autres en sont des preuves immortelles. M. Dreullette ne cultivait pas les lettres ; sa passion était la musique. Pour la satisfaire, il ne dédaigna pas de remplir l'humble emploi d'agent comptable dans les principaux théâtres de Belgique. Ces dispositions naturelles, ce goût inné pour la mélodie, — héritage sans tache et qui vient de Dieu seul, — il les avait transmis à sa petite Marie — qui dès ses premiers ans chantait, comme chantent l'alouette et le rossignol au printemps. Si bien qu'un jour qu'elle s'en allait seulette à travers les prairies qui environnent Bruxelles, égrenant insouciamment au soleil le rosaire de perles de sa voix enfantine, elle fut arrêtée par une dame qui l'avait écoutée. « Quel âge as-tu, mon enfant ? — Neuf ans, madame. — Est-ce que tu reçois des leçons de solfège ? — Non, madame, j'apprends seulement à toucher du piano. — C'est dommage. Il faudra dire à tes parents de te donner des maîtres. Tu as une voix charmante ; tu acquerras du talent, de la réputation, puis de la richesse. Tu auras un château, des voitures. Tu seras un jour ce qu'était ma sœur. »

Cette dame, aujourd'hui madame Viardot, était la sœur de madame Malibran, dont le doux souvenir ne vient jamais au cœur qu'escorté de quelques larmes, et qui habitait alors un château aux environs de Bruxelles. Merci pour madame Marie Cabel, madame Viardot, votre prophétie se réalise.

La petite Marie reçut ces compliments et ces conseils comme elle accueille aujourd'hui les bravos enthousiastes de la foule, c'est-à-dire avec une grâce parfaite et sans la moindre atteinte de cet enivrement parfois si funeste aux artistes. Aux leçons de piano son père joignit bientôt celles de solfège. Elle grandissait ainsi, montrant les plus heureuses dispositions et faisant chaque jour de rapides progrès. Lorsque la mort, qui ne respecte rien, lui enleva son père, — Marie, grâce à son talent de musicienne, devint alors le soutien de sa mère. — Mais, et admirez en ceci les vues de la Providence, — Dieu, voulant que l'œuvre du père s'accomplit, jeta sur les pas de l'orpheline un jeune homme doux, bienveillant, distingué, et de plus professeur émérite de chant ; — ce jeune homme, c'était M. Georges Cabel. — Bientôt Marie Dreullette devint madame Cabel.

M. Cabel, avec cette lucidité de coup d'œil qui le personnifie, ne tarda pas à deviner toutes les ressources qu'on pouvait tirer du don précieux que Marie avait reçu de la nature. Joignant l'intelligence qui féconde à l'élévation d'un caractère tendre et passionné, le mari devint pour sa femme le meilleur professeur qu'elle eût pu rencontrer. Dès lors, renonçant au côté productif de son art, grâce à la plus entière abnégation, à la plus touchante assiduité, il prépara, avec la persistance opiniâtre d'un disciple de Flore, l'épanouissement de cette fleur dont les parfums nous enivrent aujourd'hui. En un mot, privations, veilles, sacrifices de tout genre, rien ne lui coûta pour parvenir à son but ; — ce but était de conduire et de guider son élève dans la grande métropole des arts : Paris, Paris ! reine insatiable d'enchantements nouveaux, mais qui les paye royalement, c'est-à-dire en largesses et en gloire.

Ce fut en 1847 que ce voyage s'accomplit. A peine arrivés à Paris, M. et madame Cabel font connaissance de M. Joseph Colsoul, qui, guidé par son seul goût, devine le talent de madame Cabel et la présente à M. Massard, professeur du Conservatoire, leur compatriote, qui l'accueille avec là plus grande obligeance. Bientôt madame Cabel ne dédaigna pas de jeter les notes perlées de sa voix enchanteresse aux échos du Château des Fleurs. — N'y était-elle pas en famille ? — Mais plus d'un camélia ne tarda pas à se pencher tristement sur sa tige ; car leur sœur disparut pour se montrer au théâtre de l'Opéra-Comique que sous les traits de Georgette du Val d'Andorre ; sous ceux d'Athénaïs de Solanges, des Mousquetaires de la Reine, etc.

Sur ces entrefaites, arriva à Paris M. Hanssens, chef d'orchestre du théâtre de Bruxelles, récemment nommé directeur du théâtre de la Monnaie. Dix minutes lui suffirent pour mesurer le talent de la jeune chanteuse. Peu de jours après, il l'enlevait au public de Paris, à qui le temps avait manqué pour l'apprécier à sa juste valeur. Ici commence une nouvelle ère pour notre prima dona. Ses débuts par les Mousquetaires de la reine et la Sirène furent étourdissants. A peine acceptée, la chanteuse Berthe, du Prophète, ayant fait défaut, elle s'offrit pour la remplacer, et apprit le rôle en onze heures ! Six mois après, elle était l'idole des Bruxellois, devant lesquels elle chanta, pendant son séjour de deux ans, tout le répertoire de l'Opéra-Comique : le Songe d'une nuit d'été, le Toréador, le Caïd, la Dame de Pique, etc. Son engagement expiré, madame Cabel rentra en France. Ce fut Lyon qui eut l'honneur de la posséder ; elle y resta une année, pendant laquelle elle eut le même succès qu'à Bruxelles et y chanta le même répertoire. Entre tous ses triomphes, je citerai celui qu'elle obtint dans Galatée.

En 1854, madame Cabel fit un voyage d'agrément au Havre, où elle séjourna trois semaines. Dieu, qui veille sur tous ceux qui souffrent, avait envoyé là un de ses anges sous l'enveloppe de notre prima dona, qui organisa, au profit des pauvres de cette ville, un concert dont ils garderont la mémoire.

Marie Cabel apparut bientôt à Strasbourg, et les habitants de la capitale de la vieille Alsace parlent encore et parleront longtemps des concerts qu'elle y donna avec Louis Cabel, son beau-frère, l'un des barytons actuels du Théâtre-Lyrique, dont le frère cadet, Edmond, est pensionnaire du Conservatoire de Paris. C'est à ce dernier théâtre qu'après une odyssée si courte, mais si pleine de triomphes, madame Cabel vient de se révéler au public parisien dans toute la maturité de son talent et l'éclat de sa gloire. Citer son double début dans le Bijou perdu et la Promise me paraît surabondant après tout ce qui a été dit et écrit à ce sujet. Madame Cabel, dès son apparition, a subjugué ses auditeurs par la pureté de sa méthode, l'éclat de ses charmes et ce quelque chose de ravissant de simplicité et de naturel qui lui attire immédiatement la sympathie générale. Que vous dirai-je ? ma voix est impuissante à traduire les sensations qu'elle m'a fait éprouver. Je préfère emprunter les lignes suivantes à deux critiques aussi impartiaux qu'éclairés : c'est citer MM. Fiorentino et Théophile Gautier. « On ne saurait, dit ce dernier, rêver une facilité plus étincelante, une vocalisation plus audacieusement heureuse, un brio plus communicatif. Madame Cabel est la diva du Théâtre-Lyrique. Quelles brillantes fusées de notes ! quelles cadences perlées ! quels traits rapides et périlleux ! Comme elle se joue avec les difficultés les plus incroyables, sans que sa physionomie charmante trahisse la moindre émotion ! le plus petit effort. Quelle verve ! quelle finesse ! » Voici maintenant ce que dit M. Fiorentino, auquel on attribue ce mot célèbre : « Il n'y a plus de porte Saint-Denis ! » Madame Cabel « est d'une beauté inquiétante ; elle est d'un charme irrésistible. Aucun théâtre de Paris ni de l'étranger, je pense, ne possède une cantatrice aussi accomplie, aussi distinguée, aussi parfaite dans son genre. Elle sait tout dire ; elle sait tout comprendre ; elle a des gestes qui ne sont qu'à elle, des inflexions de voix qui enlèvent le public. Elle met dans ses moindres intentions tant de grâce, de vérité et de naturel, tant de hardiesse et de modestie à la fois, une gaieté si franche et une mesure si excellente, qu'on ne peut rien souhaiter de plus ni de mieux. » Aussi, l'autre côté de Paris, l'Italie, Saint-Pétersbourg même, voulaient-ils nous l'enlever. Mais madame Cabel, en femme d'esprit et de cœur, ne s'est pas laissé séduire par ce mirage qui offre au loin des perspectives de gloire et de fortune. Soyez-en certaine, madame, tout le monde vous tiendra compte de votre bonne résolution ; car vous êtes appelée, par votre talent, à être un des plus fermes soutiens du Théâtre-Lyrique, en même temps que vous nous préparez pour l'avenir une riche moisson de souvenirs aussi doux qu'ineffaçables.

Madame Cabel n'est pas seulement adorée du public, elle est chérie dans son intérieur. Joignant à une exquise aménité de mœurs la plus parfaite bienveillance de caractère, elle goûte et fait goûter, dans un centre de parents et d'amis spirituels et aimants, les douceurs de la vie domestique. Famille mille fois heureuse que la famille des Cabel ! car elle est unie par les triples liens du talent, du cœur et du sang.

Et maintenant gloire à vous, monsieur Adam ! votre Bijou perdu nous a fait trouver une perle. Gloire à vous, monsieur Clapisson ! vous nous avez envoyé cette Promise que nous attendions depuis si longtemps.

(Émile Dufour, les Théâtres de Paris, Galerie illustrée des célébrités contemporaines, 1854)

 

 

 

 

 

Marie Cabel, lithographie de Charles Baugniet (1850)

 

 

Belge. Elle a été débuter en Belgique, où elle s'est mariée. Son mari chaussait les aristocrates et tenait boutique rue Montagne-la-Cour, à Bruxelles. Il quitta les contreforts, les tiges et les empeignes pour acheter un fonds de déclamation. Depuis, un divorce a séparé ce que Dieu avait uni. Dans la Chatte merveilleuse, le Bijou perdu, Jaguarita, et ces jours-ci, dans la reprise de l’Ambassadrice, madame Cabel a été charmante ; voix souple et d'un timbre limpide, elle sait chanter. Au Théâtre-Lyrique, elle était la rivale, je dirai presque heureuse, de madame Carvalho. On a prétendu qu'elle avait été folle, rien d'aussi faux.

Son origine étrangère lui fait écrire une orthographe de fantaisie, dont voici un exemple : « Un jour, un camarade à elle, répétait ; il avait à dire ce mot dans une réplique : le cauchemar me poursuit. Il appuyait comme on doit le faire sur la première syllabe, qui est longue ; le régisseur, homme peu érudit, fit des observations à l'acteur sur sa mauvaise prononciation ; l'acteur insista : enfin, madame Cabel prit la parole, et, s'adressant en redresseur de torts à l'artiste ahuri, elle lui dit : Pourquoi prononcez-vous ainsi cauchemar ? il n'y a pas d'accent circonflexe sur l'ô. »

(Yveling Rambaud et E. Coulon, les Théâtres en robe de chambre : Opéra-Comique, 1866)

 

 

Elles sont nombreuses, les fauvettes envolées de la cage, avant et depuis la guerre, sans que l'on paraisse songer à les rappeler ou à les remplacer !

Mme Cabel, cette séduisante Marie Dreullette qui n'a pas voulu s'appeler Cabu. Elle roucoulait à vingt ans au Château des Fleurs avec Mlle Ugalde, était dans tout l'éclat de son talent et de ses charmes en 1854 au Théâtre-Lyrique, puis en 1857 à l'Opéra-Comique, où elle revint définitivement en 1866. — D'impertinents rhumatismes la forcèrent à ne plus gazouiller en 1870, après ses succès dans Mignon et le Premier jour de bonheur, mais on nous dit qu'elle a retrouvé sa vivacité, sa voix légère, sa crânerie adorable. Ne reverrons-nous jamais dans l'écrin de Favart ce Bijou perdu ?

(le Théâtre de l’Opéra-Comique, Jules Prével, le Figaro, 17 janvier 1875)

 

 

 

 

 

Fille d'un ancien officier de cavalerie de l'armée française devenu plus tard agent comptable dans divers théâtres de Belgique. Elle montra dès ses plus jeunes années d'excellentes dispositions musicales, et Mme Pauline Viardot, qui habitait alors un château aux environs de Bruxelles, ayant eu occasion de l'entendre chanter, lui prédit un brillant avenir. Son père étant mort, elle donna d'abord des leçons de solfège et soutint sa mère à l'aide de son travail. Bientôt elle devint l'élève d'un jeune professeur de chant, M. Cabu, dit Cabel, qui en devint amoureux et l'épousa. Ce mariage ne fut pas heureux, car au bout de quelques années les deux époux divorcèrent.

En 1847, Mme Cabel vint à Paris et se fit entendre au château des Fleurs, établissement de concerts situé aux Champs-Elysées, puis elle obtint un engagement à l'Opéra-Comique, où elle débuta au mois de mai 1849 dans le rôle de Georgette du Val d'Andorre, après quoi elle se montra dans les Mousquetaires de la Reine. Elle passa alors complètement inaperçue, mais M. Hanssens, chef d'orchestre du théâtre de la Monnaie, de Bruxelles, étant venu l'entendre, la fit engager à ce théâtre, où elle se produisit en 1850 et 1851 avec un énorme succès. Cependant, en 1852, elle allait tenir l'emploi des chanteuses légères à Lyon, aux appointements de 3.000 francs par mois, puis, l'année suivante, se faisait entendre à Strasbourg et à Genève. Enfin, engagée au Théâtre-Lyrique, elle y vint débuter le 6 octobre 1853, dans un ouvrage nouveau d'Adolphe Adam, le Bijou perdu, et fit affluer la foule à ce théâtre par la façon dont elle jouait et chantait le rôle de Toinon. Jeune, fraîche, accorte, souriante, ayant le diable au corps, manquant à la fois de goût et de style musical, mais douée d'une voix adorable, d'une pureté merveilleuse, et dont le timbre brillant et argentin produisait un effet étonnant sur le public, avec cela lançant les traits les plus difficiles avec une crânerie et une sûreté surprenantes, Mme Cabel se fit rapidement une très grande réputation, qui s'accrut encore avec la création qu'elle fit dans la Promise, de Clapisson. Son succès ne fut pas moins grand dans plusieurs autres ouvrages nouveau, Jaguarita l'Indienne, le Muletier de Tolède, la Chatte merveilleuse, si bien que l'Opéra-Comique jugea bon de se rattacher.

Elle reparut à ce théâtre dans un nouvel opéra d'Auber, Manon Lescaut, et cette fois le public ne lui marchanda pas ses applaudissements. Elle reprit alors plusieurs pièces du répertoire, l'Étoile du Nord, l'Ambassadrice, Galatée, le Songe dune nuit d’été, et mit le comble à sa renommée par sa création de Dinorah du Pardon de Ploërmel, bientôt suivies de celles qu'elle fit dans Château-Trompette et dans Zilda. En 1863, Mme Cabel retourna au Théâtre-Lyrique pur jouer Peines d'amour, traduction de Cosi fan tutte, de Mozart, puis elle revint à l'Opéra-Comique établir le rôle de Philine dans la Mignon de M. Ambroise Thomas. Peu après, elle quitta Paris, et depuis lors elle a donné des représentations en province, en Belgique, et à l'Opéra-Comique de Londres, où, en 1872, elle a obtenu de très grands succès.

(F.-J. Fétis, Biographie universelle des Musiciens, supplément d'Arthur Pougin, 1881)

 

 

 

 

Marie Cabel (Galathée) [à gauche] et Palmyre Wertheimber (Pygmalion) dans Galathée de Victor Massé, lithographie d'Henry Fusino (1860)

 

 

 

Son père, Louis-Samson Dreullette, ancien officier de cavalerie dans l'armée française, devenu plus tard agent comptable des principaux théâtres de la Belgique, était un musicien amateur de mérite ; aussi vit-il avec joie sa fille bégayer l'art musical presque au berceau. « Un jour, raconte un biographe, la petite Marie fut arrêtée par une dame qui l'avait écoutée chanter. « Quel âge as-tu , mon enfant ? Neuf ans, madame. Est-ce que tu reçois des leçons de solfège ? Non, madame, j'apprends seulement à toucher du piano. C'est dommage !... il faudra dire à tes parents de te donner des maîtres ; tu as une voix charmante, tu acquerras du talent, de la réputation, puis de la richesse ; tu auras un château, des voitures, tu seras un jour ce qu'était ma sœur. Celle qui parlait ainsi, c'était Mme Viardot ! » La jeune Marie mit à profit le conseil de la grande cantatrice, et bien lui en prit ; car son père mourut, et Marie Dreullette, grâce aux excellentes leçons de M. Georges Cabu, dit Cabel, put faire vivre sa mère en donnant des leçons de solfège. La jeune Marie épousa son professeur et le suivit à Paris, en 1847. Elle reçut le baptême des bravos parisiens aux concerts du Château des Fleurs, puis elle alla se faire entendre au Jardin d'hiver de Lyon. De retour à Paris, après une courte absence, Mme Cabel obtint, à un concert donné dans la salle Sax ; un succès si brillant qu'il attira l'attention de M. Basset, alors directeur de l'Opéra-Comique. Mme Cabel fut engagée à ce théâtre, où elle débuta, le 23 mai 1849, dans le rôle de Georgette, du Val d'Andorre, opéra d'Halévy. « L'actrice chargée de succéder à Mlle Louise Lavoye, écrivit alors le critique musical du Moniteur, M. Fiorentino, chante avec facilité : sa voix est étendue et d'un timbre pur et distingué ; mais ses intonations, d'une justesse quelquefois contestable, blessent les oreilles délicates. Si, comme cantatrice, elle avait fort à faire pour soutenir le parallèle avec l'artiste qui avait créé le rôle, il semblait que, sans efforts , il lui était facile de la remplacer comme actrice. Nous n'oserions néanmoins assurer que les grâces de Mme Cabel, qui rappellent la définition qu'un ancien donnait des femmes du Midi, corpus solidum et succi plenum, offrent aux yeux, à l'imagination du spectateur, ce type gracieux et virginal qu'après six ans au théâtre Mlle Louise Lavoye avait conservé dans tous ses rôles. » Voila une appréciation aigre-douce. M. Fiorentino a-t-il voulu faire des compliments, a-t-il voulu faire une critique ? Nul autre que lui ne le sait : peut-être sa caisse pourrait-elle nous édifier à ce sujet. On sait que la plume du trop fameux critique était d'or, et qu'on n'en devenait digne qu'à beaux deniers comptants.

Mme Cabel aborda, le 10 septembre 1849, le rôle d'Athénaïs de Solange, dans les Mousquetaires de la reine ; l'effet parut médiocre. L'artiste, acceptant sa défaite, quitta l'Opéra-Comique, et, après avoir réussi dans les concerts, elle prit l'emploi de première chanteuse légère du théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, où elle créa avec succès la Fée aux roses, la Dame de pique, Berthe du Prophète, le Toréador, le Caïd et le Songe d'une nuit d'été. Le public de Lyon l'acclama à son tour, au mois de septembre 1852, dans le Toréador et Galatée. Mme Cabel se rendit ensuite à Strasbourg, puis à Genève. Elle obtint dans cette dernière ville un succès inouï, et y reçut, à sa représentation de clôture, une broche ornée de brillants, d'un travail merveilleux, et accompagnée, d'une lettre très flatteuse de S. A. I. la grande-duchesse de Russie. Le retentissement des succès de Mme Cabel décida Jules Seveste, alors directeur du Théâtre-Lyrique, à engager l'éminente artiste, dont le véritable début eut lieu, le 6 octobre 1853, par le rôle de Toinette, dans le Bijou perdu, opéra d'Adolphe Adam. L'enthousiasme fut général, et le pont-neuf des fraises, terminé par un admirable point d'orgue, est resté le chef-d'œuvre de Mme Cabel. La Promise, de Clapisson, le Muletier de Tolède, d'Adam, et surtout Jaguarita l'Indienne, d'Halévy, rendirent Mme Cabel l'idole du boulevard du Temple. Ce dernier rôle permettait à l'artiste de montrer aux yeux du public une partie des trésors de sa luxuriante beauté, ce qui était loin d'amoindrir le succès de la vocaliste par excellence. Enfin, M. Perrin engagea la diva, qui débuta, de nouveau, au théâtre de l'Opéra-Comique, le 23 février 1856, par le rôle de Manon, de Manon Lescaut, opéra d'Auber. Le personnage assombri par les paroliers n'était pas favorable à la cantatrice, qui n'excella que dans la Bourbonnaise : C'est l'histoire amoureuse. Le Carnaval de Venise, opéra d'Ambroise Thomas, n'exigeait qu'une vocaliste ; c'est dire que l'artiste s'y fit applaudir, ainsi que dans la Bacchante, d'Eugène Gautier. Mme Cabel, après avoir paru dans les reprises de la Fille du régiment et de l'Etoile du Nord, créa le rôle de Dinorah du Pardon de Ploërmel, opéra de Meyerbeer. Elle interpréta à ravir la valse de l'Ombre. Les reprises de Galatée et de la Part du diable (rôle de Carlo) furent très favorables à la réputation de la cantatrice, qui tira aussi tout le parti possible du rôle de Lise, dans le Château Trompette, opéra de Gevaert. En 1860, elle recommença ses pérégrinations en province et à l'étranger, puis reparut, temporairement, en 1861, à l'Opéra-Comique. Le 3 septembre de la même année, le Théâtre-Lyrique était en fête : Mme Cabel y chantait le Bijou perdu, et retrouvait son succès d'autrefois. Elle obtint, en 1862, un triomphe mérité dans la Chatte merveilleuse, faible opéra de Grisar, et créa avec talent, en 1863, un rôle ingrat dans Peines d'amour (traduction du Cosi fan tutte, de Mozart). Mme Cabel a fait sa rentrée à l'Opéra-Comique, le 23 décembre 1865, par le rôle d'Henriette de l'Ambassadrice, opéra de M. Auber.

La nature a doué magnifiquement cette cantatrice. Elle lui a donné, sous le rapport physique, une beauté de visage et de formes qui ne laisse rien à désirer, et, sous le rapport musical, une voix d'un timbre flatteur, étendu et flexible.

En résumé ; Mme Cabel est avant tout vocaliste ; elle a plus de voix que de science et de style, et, si, un jour, cet organe si pur et si agile vient à s'altérer, l'expression, qui est l'âme du chant, ne consolera pas les dilettantes des défaillances de la voix, car l'expression fait complètement défaut à Mme Cabel, qui n'en restera pas moins une artiste de premier ordre.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1876)

 

Elle est morte à Maisons-Laffitte le 23 mai 1885 des suites d'une paralysie qui l'avait éloignée depuis longtemps du théâtre. Sa dernière création à l'Opéra-Comique fut le rôle de Philine, dans Mignon. Elle y eut un grand succès. Après quelques tournées faites à l'étranger, Mme Cabel avait abandonné tout à fait la scène vers 1877.

(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 2e supplément, 1888)

 

 

 

 

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