Mireille

 

affiche d'Auguste Lamy (1864)

 

 

Opéra-comique en cinq actes et sept tableaux, livret de Michel CARRÉ, d'après Mirèio, poème provençal (1859) de Frédéric MISTRAL, musique de Charles GOUNOD.

 

 

   partition en 3 actes (1864)   partition en 5 actes (1901)   partition orchestre

 

 

=>  Livret et enregistrements

 

 

Création au Théâtre-Lyrique (place du Châtelet) le 19 mars 1864 dans une version en cinq actes ; décors d'Auguste Rubé.

Reprise au Théâtre-Lyrique le 15 décembre 1864 dans une version modifiée en trois actes.

Représentations au Théâtre-Lyrique : 30 en 1864, 11 en 1865.

 

Premières à Anvers le 10 mars 1865, à Bruxelles (Théâtre de la Monnaie) le 12 avril 1865, à l’Opéra de Marseille le 28 décembre 1865, à Genève le 12 avril 1877, à l’Opéra de Monte-Carlo le 08 janvier 1889, à Alger au printemps 1902, à Saint-Rémy-de-Provence (spectacle en plein air) le 07 septembre 1913, à la Gaîté-Lyrique à Paris le 11 mai 1930, aux Chorégies d’Orange le 15 août 1930, au Caire au printemps 1938, au Festival d'Arles en 1941, aux Chorégies d'Orange le 01 août 1942.

 

=> les Fêtes d'Arles (Comœdia illustré, 15 juin 1909)

=> le Cinquantenaire de Mireille (les Annales, 07 septembre 1913)

 

 

 

personnages

emplois

Théâtre-Lyrique

19 mars 1864

(création)

Théâtre-Lyrique

15 décembre 1864

(reprise)

Monnaie de Bruxelles

12 avril 1865

(1re)

Festival d'Orange

15 août 1930

 

Festival d'Arles

1941

 

Festival d'Orange

01 août 1942

 

Mireille, fille de maître Ramon soprano Mmes Caroline MIOLAN-CARVALHO Mmes Caroline MIOLAN-CARVALHO Mmes Sophie BOULART Mmes Carmen PUJOL Mmes Geori BOUÉ Mmes Henriette BONI
Taven, la sorcière du Val d'Enfer mezzo-soprano Caroline FAURE-LEFEBVRE Delphine UGALDE Amélie FAIVRE Aimée LECOUVREUR Marguerite PIFTEAU Georgette LEYZIEUX
Vincenette, sœur de Vincent soprano Mélanie REBOUX     Germaine MARTINELLI    
Andreloun, petit pâtre de la Crau mezzo-soprano Caroline FAURE-LEFEBVRE Caroline FAURE-LEFEBVRE        

Clémence, jeune fille arlésienne

2e Dugazon

Henriette ALBRECHT

 

 

     

une Voix d'en haut

soprano

MÉRY

         
Vincent, fils d'Ambroise ténor MM. Joseph MORINI MM. Pierre Jules MICHOT MM. Adolphe JOURDAN MM. HEURTIER MM. Jean GUILHEM MM. Roger MAJOUFFRE
Ourrias, bouvier de la Camargue baryton ISMAËL ISMAËL Auguste Armand BARRÉ Ludwig WEBER Michel DENS Lucien GUIRAUD
Maître Ramon, riche métayer de Provence 1re basse Jules PETIT Jules PETIT BRION D'ORGEVAL Jules BALDOUS Adrien LEGROS Adrien LEGROS

Maître Ambroise, vannier de Valabrègue

2e basse

Emile WARTEL

         
le Passeur du gué de Trinquetaille baryton Jean Alexandre PÉRONT          
un Arlésien baryton FERREL          
les Saintes ; les Trèves ; Paysans et Paysannes de Provence ; Bourgeois d'Avignon, d'Arles et de Beaucaire              
Chef d'orchestre   Adolphe DELOFFRE     Lucien LIMOUZE Reynaldo HAHN Louis GRAILLE

 

 

 

 

Caroline Miolan-Carvalho dans Mireille (Mireille) lors de la création [photo Erwin frères, 1864]

 

 

 

Caroline Miolan-Carvalho dans Mireille (Mireille) lors de la création, lithographie d'Alfred Lemoine d'après Erwin frères, 1864

 

 

 

Première à l'Opéra-Comique (2e salle Favart) le 10 novembre 1874, dans une version en trois actes, avec un dénouement tragique ; décors de M. Marchand.

 

Reprise le 29 novembre 1889 dans sa version en cinq actes, mais avec un final modifié : Vincent et Mireille se marient ; décors de M. Marchand. La 100e eut lieu dans cette version le 21 février 1891, mais elle ne fut fêtée que le 24 avril 1891, soir de la 123e réelle, parce que la régie ne tenait pas compte des représentations de 1874.

 

Reprise le 13 mars 1901 dans une version en cinq actes et sept tableaux, en lui rendant son final primitif ; décors de Marcel Jambon.

 

Le 07 janvier 1908, l'Opéra-Comique créait Mireille à la Gaîté où elle connut une carrière de trois années.

 

L'œuvre était affichée le soir de l'Armistice en 1918. Sa 500e représentation, par suite d’une erreur de la régie du théâtre, passa inaperçue le 19 décembre 1920, elle fut fêtée le 07 janvier 1934 alors qu'il s'agissait en réalité de la 602e.

 

Reprise le 06 juin 1939 dans sa version originale (avec récitatifs), scrupuleusement reconstituée par Reynaldo Hahn.

 

821 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950 (dont 490 entre le 01.01.1900 et le 31.12.1950), 3 en 1951, 12 en 1952, 9 en 1953, 6 en 1954, 9 en 1955, 7 en 1956, 4 en 1957, 12 en 1958, 14 en 1959, 12 en 1960, 15 en 1961, 12 en 1962, 5 en 1963, 6 en 1964, 12 en 1965, 5 en 1966, 10 en 1967, 17 en 1968, 5 en 1969, 6 en 1970, 3 en 1971, soit 1015 au 31.12.1972.

 

 

personnages

Opéra-Comique

10 novembre 1874

(1re)

Opéra-Comique

29 novembre 1889

(24e)

Opéra-Comique

26 juin 1898

 

Opéra-Comique

13 mars 1901

(333e)

Opéra-Comique

07 janvier 1908

(salle de la Gaîté-Lyrique)

Mireille Mmes Caroline MIOLAN-CARVALHO Mmes Cécile SIMONNET Mmes LEMEIGNAN Mmes Marthe RIOTON Mmes Marie THIÉRY
Taven GALLI-MARIÉ Esther CHEVALIER Esther CHEVALIER Jeanne MARIÉ DE L'ISLE Jeanne MARIÉ DE L'ISLE
Vincenette Esther CHEVALIER Clarisse YVEL   Mathilde de CRAPONNE Hélène DEMELLIER
Andreloun GALLI-MARIÉ Mathilde AUGUEZ Marie DELORN Cécile EYREAMS Jeanne de POUMAYRAC

Clémence

Jeanne NADAUD

Jeanne LECLERC VILMA Marie-Louise ROLLAND Marthe BAKKERS

une Voix d'en haut

         
Vincent MM. Eloi DUCHESNE MM. Edmond CLÉMENT MM. Edmond CLÉMENT MM. Adolphe MARÉCHAL MM. David DEVRIÈS
Ourrias Pierre-Léon MELCHISSÉDEC Emile-Alexandre TASKIN François MONDAUD Hector DUFRANNE André ALLARD
Maître Ramon ISMAËL René-Antoine FOURNETS André GRESSE Félix VIEUILLE Félix VIEUILLE

Ambroise

Eugène DUFRICHE Alfred MARIS César BERNAERT Emile JACQUIN Paul PAYAN
le Passeur Eugène DUFRICHE Alfred MARIS   Gustave HUBERDEAU Paul PAYAN
un Arlésien          
Chef d'orchestre       Georges MARTY Auguste AMALOU

 

 

 

personnages

Opéra-Comique

14 décembre 1916

(459e)

Opéra-Comique

11 novembre 1918

(481e)

Opéra-Comique

19 décembre 1920

(500e)

Opéra-Comique

07 juillet 1929

 

Opéra-Comique

07 janvier 1934

(602e ; 500e fêtée)

Opéra-Comique

06 juin 1939

(674e)

Mireille Mmes Marianne NICOT-VAUCHELET Mmes Yvonne BROTHIER Mmes Yvonne BROTHIER Mmes Marcelle STACH Mmes Hermine GATTI Mmes Jeanne ROLLAND
Taven Jeanne BOREL Gabrielle Victoire ALAVOINE Germaine BAYE Lucienne ESTÈVE Marguerite PIFTEAU Madeleine SIBILLE
Vincenette Jeanne BILLA-AZÉMA Jeanne BILLA-AZÉMA Jeanne CALAS Germaine CERNAY Henriette LEBARD Lucie THELIN
Andreloun Germaine CARRIÈRE Maud BERNARD Maud BERNARD Andrée VAVON Yvette VIGOUROUX M. Paul DERENNE

Clémence

Jeanne CALAS Andrée FAMIN Jeanne HUCHET-ROUSSELIÈRE Henriette LEBARD Antoinette BOLUT Mmes Ginette GAUDINEAU

une Voix d'en haut

          Martha ANGELICI
Vincent MM. Edmond CLÉMENT MM. Fernand FRANCELL MM. Louis CAZETTE MM. Paul RAZAVET MM. Louis ARNOULT MM. Louis ARNOULT
Ourrias Henri ALBERS Henri ALBERS André BAUGÉ José BECKMANS Robert JEANTET José BECKMANS
Maître Ramon Louis AZÉMA Félix VIEUILLE Jean CADAYÉ Louis GUÉNOT Félix VIEUILLE Henry-Bertrand ETCHEVERRY

Ambroise

Hippolyte BELHOMME Hippolyte BELHOMME Georges BOURGEOIS Raymond GILLES Raymond GILLES Charles CLAVENSY
le Passeur Hubert AUDOIN Hubert AUDOIN Louis MORTURIER Louis MORTURIER Gabriel JULLIA Henri BARBERO
un Arlésien           Georges RAVOUX
Chef d'orchestre Eugène PICHERAN Eugène PICHERAN Félix HESSE Elie COHEN Gustave CLOËZ Reynaldo HAHN

 

 

 

personnages

Opéra-Comique

27 septembre 1956*

(937e)

Opéra-Comique

28 août 1959**

 

Opéra-Comique

07 décembre 1960

 

Opéra-Comique

07 janvier 1961

 

Opéra-Comique

04 avril 1964***

(1016e)

Opéra-Comique

14 mars 1966

 

Mireille Mmes Janine MICHEAU Mmes Jacqueline BRUMAIRE Mmes Jacqueline BRUMAIRE Mmes Andrée ESPOSITO Mmes Andréa GUIOT Mmes Micheline DUMAS
Taven Isabelle ANDRÉANI Isabelle ANDRÉANI Simone COUDERC Simone COUDERC Isabelle ANDRÉANI Isabelle ANDRÉANI
Vincenette Agnès LEGER Georgette SPANELLYS     Georgette SPANELLYS  
Andreloun M. Pierre GIANNOTTI M. Rémy CORAZZA     M. André MALLABRERA  

Clémence

Ginette CLAVERIE Irène SICOT     Eliane DEBATISSE  

une Voix d'en haut

Monique de PONDEAU Jacqueline FRANCE     Magda BOCHER  

les Amies de Mireille

Micheline DUMAS, Irène GROMOVA, Marthe SERRES, Jacqueline CAUCHARD, Jeannine COLLARD Micheline DUMAS, Irène GROMOVA, Marthe SERRES, Jacqueline CAUCHARD, Jeannine COLLARD        
Vincent MM. Nicolaï GEDDA MM. Michel CADIOU MM. Michel CADIOU MM. Roger GARDES MM. Alain VANZO MM. André MALLABRERA
Ourrias Ernest BLANC Gabriel BACQUIER Robert MASSARD   Robert MASSARD Robert MASSARD
Maître Ramon Julien GIOVANNETTI Julien GIOVANNETTI Pierre SAVIGNOL Pierre SAVIGNOL Pierre SAVIGNOL Pierre SAVIGNOL

Ambroise

José FAGIANELLI Charles CLAVENSY     Georges ALVES  
le Passeur Antoine GRIFFONI Jacques MARS     Antoine GRIFFONI  
un Arlésien Jacques HIVERT Robert LAMANDER     Yves BISSON  

les Amis d'Ourrias

  Antoine GRIFFONI, André DAUMAS, Georges DAUM, Jean GIRAUD        
Chef d'orchestre Jean FOURNET Pierre CRUCHON Pierre CRUCHON Pierre CRUCHON Albert WOLFF  

 

* Au 2e acte, la Farandole dansée par Mlles Olga Alexandrowicz, Elyane Fontenier, Doris Jaladis, Christiane Payen, Nicole Davoust, Raymonde Remoncourt, MM. Jacques Chazot, Alain Couturier, Michel Lainer, Daniel Delbrouck.

** Mise en scène de Marcel Lamy.

*** Cinquantenaire de la mort de Frédéric Mistral, centenaire de la création. Mise en scène de Marcel Lamy. Farandole dansée par Mlles Olga Alexandrowicz, Michèle Baude, Christiane Payen, Josette Jeisler, Françoise Lamone, Chantal Quarrez, MM. Jean-Pierre Martino, Antonin di Rosa, Alain Leroy, Jean Taquet, Robert Poujol, Wladimir Huot.

 

 

 

composition de l’orchestre

 

2 flûtes (la seconde joue aussi le piccolo), 2 hautbois (le second joue aussi le cor anglais), 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors naturels, 2 cornets à pistons en alternance avec 2 trompettes, 3 trombones, 1 tuba, 2 timbales, cymbales, grosse caisse, triangle, tambourin, tam-tam, 3 cloches, harpes, cordes.

Sur le théâtre (en coulisses) : orgue et cornet à pistons.

 

 

 

 

lettre de Charles Gounod (17 février 1863) et réponse de Frédéric Mistral (25 février 1863), à propos de Mireille

 

 

 

 

Résumé

L'action se déroule à Arles et alentour, au milieu du XIXe siècle.

Mireille, fille d'un riche fermier, aime le pauvre Vincent, mais son père veut la marier au bouvier Ourrias. Ourrias frappe gravement Vincent, qui est remis sur pied par les soins de la sorcière Taven. Le bouvier, pressé de remords, disparaît ensuite en passant le Rhône. Quant à Mireille qui a voulu rejoindre Vincent à l'Eglise des « Saintes-Maries-de-la-Mer », elle est frappée d'insolation et meurt en arrivant, dans les bras de son fiancé.

 

Analyse

Notre analyse est conforme à la version originale de l'œuvre, laquelle se distingue de celle qui fut si longtemps utilisée en France par l'emploi des récitatifs à la place du parlé, le développement des scènes de la Crau et de la mort de Mireille, enfin par le caractère de soprano dramatique rendu au rôle de l'héroïne.

Sur le désir de la fille de Gounod, la baronne de Lassus Saint-Geniès, M. Henri Büsser réorchestra pour cette version les pages absentes de l'Air de la Crau, ainsi que la scène de la mort de Mireille (Opéra-Comique, 06 juin 1939).

 

ACTE I. — Un enclos planté de mûriers.

Des jeunes filles, sont occupées à la cueillette des feuilles, dont elles emplissent leurs corbeilles [Chœur des Magnanarelles : Chantez, chantez...]. Survient Taven, la sorcière du Val d'Enfer, accueillie par les rires moqueurs des jeunes filles qui s'entretiennent de leurs amours. Mireille, fille du riche fermier Ramon, se mêle à leur conversation. Les magnanarelles s'étonnent qu'elle ait donné son cœur à Vincent, qui n'est qu'un pauvre vannier. Restée seule avec la sorcière, Mireille lui fait ses confidences. Taven éprouve quelques craintes pour Mireille et lui conseille, en cas de danger, de porter son offrande à l'église des Saintes-Maries-de-la-Mer. Taven s'éloigne à pas lents (1). Arrive Vincent qui renouvelle à Mireille ses serments d'amour [Duo : Vincenette a votre âge...].

 

(1) Ici se plaçait la fameuse Valse : « O Légère hirondelle... » de pur style colorature, qui n'existe pas dans la version originale. Elle avait été rajoutée par Gounod (ainsi que de nombreuses vocalises) sur les instances de la créatrice du rôle, Mme Carvalho.

 

ACTE II. — Une fête aux arènes d'Arles.

Bourgeois et paysans chantent et dansent la Farandole. Mireille et Vincent sont là, avec beaucoup d'autres [Chanson dite de Magali (Duo Mireille-Vincent) : La brise est douce et parfumée...].

Mireille apprend de Taven qu'Ourrias, Alari et Pascoul tous trois prétendent à sa main. Elle cherche dans son amour pour Vincent des motifs de se rassurer [Air de Mireille : Mon cœur ne peut changer...].

A la vue d'Ourrias, elle veut fuir, mais il la retient par ses déclarations d'amour et ses brillantes promesses [Air d’Ourrias : Si les filles d'Arles...]. Mireille ne répond que de façon évasive, et s'éloigne en riant.

Ramon, qui a promis sa fille à Ourrias, se présente et le bouvier lui fait part de son mécontentement. Sur ces entrefaites, Ambroise, père de Vincent, vient aussi solliciter la main de Mireille pour son fils, mais il est dédaigneusement accueilli. Vincent et sa sœur Vincenette interviennent. Mireille, pâle et agitée, déclare que seul Vincent aura sa foi. Violente colère de Ramon, qui se livre à des menaces, cependant qu'Ourrias regarde Vincent avec jalousie et colère.

 

ACTE III. —

1er TABLEAU : Le Val d'Enfer.

Ourrias, venu là dans le but de consulter Taven, y rencontre Vincent triste et abattu par le chagrin. Les deux rivaux s'accablent de mutuels reproches et de menaces. Ourrias frappe Vincent de son bâton ferré et le laisse mourant sur place, où la vieille sorcière le rappelle bientôt à la vie.

2e TABLEAU : La berge du Rhône sous la lune.

Ourrias erre, en proie au remords. Il croit voir surgir des apparitions funèbres, appelle le Passeur et monte sur son bateau. Mais la barque chavire et tous deux disparaissent dans les flots. (Ce tableau est fréquemment supprimé.)

 

ACTE IV. —

1er TABLEAU : La cour de la ferme de Ramon.

Les moissonneurs prennent leur repas. Mireille est toujours triste et silencieuse. Les travailleurs s'étant retirés, Ramon reste seul, livré à ses réflexions, puis regagne ensuite son logis.

Mireille rêve à sa fenêtre. Andreloun, le petit berger, chante [Pastorale : Le jour se lève...]. Vincenette vient apprendre à Mireille tout ce qui est arrivé à son frère, y compris sa guérison. Mireille décide d'aller aux Saintes-Maries-de-la-Mer prier pour Vincent.

2e TABLEAU : Le désert de la Crau, sous l'ardent soleil.

Mireille traverse la scène, tête nue en courant. Bientôt, elle est frappée d'insolation et s'éloigne en chancelant, soutenue par la volonté désespérée d'atteindre le but de son pèlerinage.

 

ACTE V. — Devant le porche de l'église des Saintes-Maries.

Les pèlerins défilent processionnellement. Vincent arrive haletant, cherchant Mireille, qui bientôt vient s'effondrer dans les bras de l'aimé. Les pèlerins accourent avec Ambroise, Vincenette, Taven et Ramon, qui, ayant enfin compris le mal causé, veut donner son consentement au mariage. Mais il est trop tard, et Mireille meurt, tendant les bras vers les Saintes, qu'elle aperçoit venant à elle dans une barque.

Notons ici qu'il existait une variante de ce dernier tableau, plus rarement jouée, dans laquelle les Saintes, opérant un miracle, rendaient Mireille à son fiancé. Conclusion plus gaie, mais non conforme à celle du poème de Mistral.

 

 

 

 

 

Théâtre-Lyrique Impérial : Mireille [création].

 

Que de choses à dire, que de discussions à soulever ou poursuivre au sujet du compositeur de Mireille !

L'intérêt qui s'attache à son nom, le succès européen de son œuvre principale, le retentissement que l'on s'est plu à donner à un insuccès dont il a déjà appelé chez nos voisins, le parti très fort que lui a créé son mérite, une certaine animosité que l'on entend reprocher à ses adversaires, parmi lesquels se rencontrent quelques esprits distingués mais prévenus ou exclusifs par tempérament ; l'honneur, enfin, qui lui était réservé de tenir largement déployé le drapeau français dans la mêlée musicale contemporaine, tout cela serait matière à développement d'étude et non à simple préambule de compte rendu.

Allons droit à l'opéra nouveau représenté hier au Théâtre-Lyrique. Mireille, — vous la connaissez : c'est cette jolie héroïne provençale d'un poème analysé par M. de Lamartine dans un de ses « Entretiens », et si généreusement vanté que le pourpoint de son auteur en a dû éclater sur sa poitrine s'il n'était solidement doublé de modestie. — La fille de maître Ramon, Mireille l'Arlésienne, admirée des garçons, jalousée de ses rivales, est recherchée par les plus tiers compagnons. L'un d'eux, Ourrias, riche bouvier de la Camargue, a déjà l'aveu du père, respectueux ami des deniers comptants. Mais l'enfant consulte d'abord son cœur elle aime celui dont elle est timidement aimée, Vincent, un jeune vannier que n'a pas visité la fortune. Ils se sont engagés l'un à l'autre, et maître Ramon, au moment où il y peut le moins songer, se trouve en face d'une résolution virile qui a germé dans cette âme de seize ans. C'est en vain qu'il donne au diable le vannier et son père, en vain qu'il menace sa fille d'une malédiction ; Mireille proteste tout haut de son amour, et, contrainte à l'obéissance, elle attend.

L'amoureux, chassé, va traînant son désespoir dans les lieux déserts. Il rencontre au val d'Enfer le bouvier, son rival. — Ourrias, dont l'orgueil supporte mal l'injure que lui fait la préférence de Mireille, cherche querelle à Vincent et le frappe de son trident de fer. Taven maudit le meurtrier fuyant dans les ténèbres. — Taven est la sorcière du pays, bonne femme qui s'intéresse à l'amour de Mireille. Elle vient au secours du jeune Vincent, et ses soins le rappellent à la vie.

Ourrias, agité par le remords, est arrivé sur les bords du Rhône. Il appelle le passeur : des chants funèbres lui répondent. Les visions de son cerveau en délire peuplent l'espace de fantômes. Les noyés du fleuve viennent défiler devant lui dans une procession fantastique, et les pauvres filles que l'amour a poussées au suicide l'obsèdent de leur lamentation. Enfin, voici le passeur. Ourrias saute dans le bateau ; mais c'est « un poids maudit ». L'eau mugit, tourbillonne, s'entr’ouvre et engloutit le bouvier.

Cependant on fait la moisson. Maître Ramon affecte une gaieté qui n'est pas dans son âme et Mireille pense toujours à Vincent. Elle ignore la rencontre du val d'Enfer. Vincenette, sœur de Vincent, lui apprend à la fois le danger de son frère et sa guérison. Mireille est alarmée, son cœur s'émeut, et la voilà qui part pour le pèlerinage des Saintes-Maries : c'est là qu'elle a donné à Vincent « un pieux rendez-vous ».

 

Si jamais le malheur vient frapper l'un de nous,

Aux Saintes, tous les deux, aux Saintes à genoux...

 

s'est-elle écriée au premier acte.

Pour se rendre à l'église des Saintes, il faut traverser le désert de la Crau, sol aride, brûlé par le soleil, où pas un arbre ne prête son ombrage au voyageur ; où le petit berger, gardien de chèvres, est obligé de se blottir sous la bruyère pour se dérober « aux traits enflammés du jour ».

Mireille n'hésite pas : elle court, elle s'élance dans le début en feu. Le soleil la frappe de vertige... rien ne peut arrêter « la pèlerine de l'amour ». Elle arrive aux Saintes... mais elle y arrive pour mourir. Vaincue par la fièvre, qui l'a d'abord soutenue, elle tombe dans les bras de Vincent, accouru de son côté, et de son père au désespoir, qui l'a suivie.

Deux mots sur un point que souvent l'on oublie, et fort injustement. Le poème provençal de M. Mistral, d'où est tiré le sujet de Mireille, a été coupé pour la scène, par conséquent abrégé de beaucoup, en même temps que traduit en vers français, par M. Michel Carré. Or, celui-ci a fait œuvre de lettré en se servant d'un langage excellent qui porte l'empreinte des meilleures traditions de notre littérature, ce dont il nous importe d'autant plus de lui donner acte que trop peu de gens songent à s'en apercevoir.

Essayons maintenant d'esquisser une analyse de la partition de M. Gounod. Nous avons eu grand soin de nous y préparer par l'audition de plusieurs répétitions générales, et par la lecture (l'œuvre ayant déjà paru chez M. Choudens). Sur vingt morceaux dont elle se compose, à peine en citerait-on deux dont la beauté soit contestable. Nous eussions toujours regretté l'air de la Crau, air tout d'inspiration, auquel une question de force physique a failli faire substituer une scène relativement froide. Il nous est à peu près conservé. — Sans doute, dans une voix robuste, au timbre éclatant, l'effet en eût été entraînant, irrésistible, mais combien celle qui aurait triomphé sur cette situation n'aurait-elle pas été inférieure à Mme Carvalho dans tout le reste du rôle ! Mme Carvalho ne s'est jamais montrée aussi grande artiste que dans Mireille : naïve et touchante dés son entrée, brillante et radieuse dans son air principal ; écrasée sous des applaudissements que lui méritait au double le merveilleux style avec lequel le larghetto en avait été phrasé, elle s'est élevée, dans le finale du second acte, à un pathétique qui touchait au sublime. La cantatrice qui nous a si souvent charmés ne nous avait pas encore donné cette émotion.

Le premier acte de Mireille est une introduction pleine de fraicheur où domine le timbre clair des voix féminines : « Chantez, chantez, magnanarelles » ; les jeunes filles, occupées à la cueillette, préparent pour les vers à soie la feuille de mûrier, et rient de la vieille Taven qui passe au milieu d'elles. Mireille paraît, et, dès la première phrase qu'il lui fait dire, le compositeur pose son caractère de façon à ce que l'on ne puisse plus l'oublier. Il y a ici, avec l'entrée de Marguerite dans Faust, une analogie de conception qui, eu égard au sentiment éveillé et à la pureté du contour mélodique, est une signature de maître. — L'amoureux Vincent cherche Mireille ; il lui parle de sa sœur, qui a son âge et lui ressemble ; on devine à l'avantage de laquelle des deux tournera la comparaison. — « Oh ! c' Vincent ! comme il sait gentiment tout dire ! » répond la fillette.... Mais, nous, comment dire la grâce pudique et le trouble joyeux, à demi voilé, qui palpite sous cette phrase mignonne, enchâssée comme une perle fine dans le duo si délicat qui lui sert de monture !

Au second acte, le rideau se lève sur un magnifique décor dont les Arènes d'Arles occupent le fond. On danse, on chante ; le chœur sonore et coloré de la farandole s'harmonise à merveille avec les tons chauds que l'on a sous les yeux. Dès que Vincent et Mireille sont aperçus au milieu de la fête, on leur demande une chanson d'amour : ils choisissent « Magali ». — Magali est la jeune fille qui met à l'épreuve son amant en lui échappant par toutes les métamorphoses ; mais celui-ci ne se lasse pas de la suivre, jusqu'à ce que, ne pouvant plus douter, elle se livre à sa merci. Ce sujet est populaire dans le midi de la France. Le petit air primitif ne manque pas de physionomie ; mais il est complètement effacé par la composition de M. Gounod, qui l’a laissé de côté pour créer une scène musicale pittoresque, dont le motif principal, d'une franchise élégante et passionnée, est conduit et ramené avec un effet auquel il ne manque qu'une exécution plus fine et plus souple de la partie du ténor.

Taven aussi rôde parmi les danseurs. Elle emmène à l'écart Mireille et lui parle des prétendants qui se disputent, sa main :

 

Voici la saison, mignonne,

Où les galants font leur choix.

 

Cela donne des couplets d'une originalité piquante, que Mme Faure-Lefebvre traduit au public avec la plus spirituelle physionomie.  —  « Trahir Vincent ! » répond Mireille. Là-dessus commence son grand air : « Mon cœur ne peut changer, souviens-toi que je t'aime ! » C'est le larghetto que nous citions tout à l'heure, et dont la distinction est si bien rendue par le chant soutenu de Mme Carvalho. La bravoure de la virtuose se développe à l'aise dans l'allegro de la conclusion. Celui-ci a été applaudi à tout rompre, y compris les deux fusées de la fin, qui sont peut-être de trop. Mais la cantatrice a gain de cause ; elle a conquis son public. Si M. Gounod, faisant trêve pour un instant au style élevé qui lui est habituel, a voulu prouver dans cet allegro que les effets matérialistes de l'école italienne moderne ne seraient pour lui qu'un badinage, il y a complètement réussi : et nous sommes loin de prétendre que l'on doive dédaigner les effets de ce genre ; ils ont leur raison d'être au théâtre ; ils sont, dans l'art musical, ce que les décors sont dans la peinture.

Les couplets d'Ourrias : « Si les filles d'Arles sont reines », n'ont que le tort de venir à la suite de deux airs à grand succès ; on en doit louer l'accent et le coloris. Ismaël, qui les dit avec beaucoup de soin, aurait eu profit à les trouver à une autre place. — C'est à ce moment que maître Arnbroise, père de Vincent, vient sonder les dispositions de maître Ramon. Remarquons, en passant, la bonne diction de Wartel ; il n'a que cette scène pour tout rôle, mais il sait lui donner un relief qui n'est pas indifférent à l'effet du finale.

Ce finale est d'une beauté supérieure. Il commence par une sorte de profession de foi du chef de famille, dont les phrases larges et inities résonnent dans la belle voix du baryton Petit. On est souvent obligé de faire tenir par ce jeune chanteur l'emploi de basse-taille, qui n'est pas tout à fait le sien. Il représente ici maître Ramon, père un peu vif, mais qui n'a pas sujet d'être content de la façon dont sa fille se passe de son avis dans le choix d'un amoureux. Nous nous demandions, au moment où Mireille vient s'exposer au courroux paternel, si la vérité dramatique exigeait bien le cri des notes aiguës dont le compositeur a voulu accentuer le serment qu'elle fait de garder sa foi au joli vannier ? Ce doute exprimé, il ne nous reste que de l'admiration pour l'émouvante scène où Mireille suppliante invoque le souvenir de sa mère. La phrase : « A vos pieds, hélas ! me voilà ! » est un chef-d'œuvre de grande mélodie dramatique, et il n'appartenait qu'au génie de trouver l'accent déchirant : « Ah ! c'en est fait, je désespère », qui ramène cette phrase, triomphe de Mme Carvalho. — L'inspiration du maître se soutient jusqu'au bout, et la péroraison de ce finale est d'une puissance étonnante, d'un pathétique achevé.

Après ce second acte, vraiment, magnifique, et sur lequel il était impossible de ne pas insister, viennent des scènes d'un caractère tout différent. Le jaloux Ourrias, qui a frappé traîtreusement son rival, trouve la mort dans sa fuite. On a supprimé le duo de la querelle ; en en conservant un beau passage, qu'Ismaël fait ressortir avec talent : « Elle t'aime... et moi je l'aimais ! » L'introduction d'orchestre et le petit dialogue choral sur lequel se lève le rideau, puis, le tableau fantastique du Rhône, sont du plus grand intérêt musical. Il faut renoncer à décrire les charmantes curiosités harmoniques et instrumentales qui s'y rencontrent à chaque pas.

Le quatrième acte s'ouvre par un chœur de moissonneurs, dont ne tarderont pas à s'emparer les sociétés orphéoniques. Ce chœur, bien rythmé et d'une sonorité joyeuse, était un peu haut pour les ténors dans le ton de , primitivement adopté par l'auteur ; on le chante définitivement en ut, et il devient facile. Nous pouvons profiter de l'occasion pour complimenter les chœurs du Théâtre-Lyrique. D'un bout à l'autre de l'opéra nouveau, leur bonne exécution mérite d'être remarquée : ils font mieux que leur devoir. Les scènes charmantes du premier acte ont été chantées par les femmes avec une finesse que l'on rencontre bien rarement dans les ensembles ; la franchise et la solidité des voix masculines n'a pas été moins louable dans le chœur de la moisson. — Après ce chœur, vient un chef-d'œuvre de mélodie et de sentiment, le duo entre Mireille et Vincenette ; même les pires sourds, ceux qui ne veulent pas entendre, ont dû se rendre à son charme entraînant. Une jeune chanteuse, qui n'est pas seulement une jolie femme, mais qui promet une artiste, Mlle Reboux, s'y est fait beaucoup d'honneur par la façon tout intelligente dont elle a secondé Mme Carvalho, suivant de près les inflexions de son habile partenaire, et alliant avec goût sa voix à la sienne.

Voici maintenant le désert de la Crau. Un pâtre, que précède le son de sa musette, traverse la plaine : c'est le petit Andreloun. — Sous ses habits on reconnaît Mme Faure-Lefebvre, qui a quitté la robe grise de Taven, mais qui a gardé la distinction dont elle ne peut se dépouiller. Elle dit avec un art remarquable sa chanson pastorale : « Le jour se lève et fait pâlir la sombre nuit ». Morceau plus difficile qu'il ne semble, et que l'on ne manquera pas de comparer à la chanson du pâtre de Sapho, en lui préférant celle-ci ; de même que l'on eût préféré celle de Mireille si elle avait précédé celle de Sapho : par cette règle qu'un motif déjà connu l'emporte toujours, à mérite égal, sur celui qui en est à sa première apparition. Il y a pour nous ici mérite égal, et nous admettons qu'un auteur ait le droit de traiter deux fois le même sujet.

La cavatine de Mireille : « Heureux petit berger », plaît par son tour gracieux et naïf. Reste à savoir si, malgré tout son mérite, elle ne refroidit pas la scène en arrêtant un peu trop la pèlerine, qui se rend à l'église des Saintes. L'air : « En marche, comme Maguelonne », dont nous avons parlé dès le début, est certainement une des plus belles inspirations de M. Gounod. On peut s'en apercevoir encore dans l'état où il nous reste ; mais on peut aussi constater qu'il exige de Mireille, déjà fatiguée, un effort de haute lutte.

Le cinquième acte avait trois morceaux. Nous regrettons la cavatine du ténor, que l'on a voulu supprimer. — La marche, avec chœur, de la procession, est tout empreinte de couleur locale ; on ne peut rien entendre de plus expressif dans ce rythme simple, de plus religieux en même temps et de plus provençal. Le finale a pour base une phrase largement développée, comme sait en créer l'auteur de la Méditation sur le prélude de Bach. Il termine avec effet cette belle partition, qui restera comme un des titres les meilleurs de M. Gounod à la célébrité, comme une de ses preuves les plus complètes et les plus décisives.

Nous aurons à motiver nos opinions dans quelques considérations d'ensemble et à parler des impressions du public à la première représentation. Ce sera, pour dimanche prochain, le sujet d'un article complémentaire.

 

(Prosper Pascal, le Ménestrel, 20 mars 1864)

 

 

Nous diviserions volontiers les compositeurs en deux grandes familles : ceux qui travaillent à l'éducation musicale de leur public, et ceux qui demandent au caprice de ce public la ligne qu'ils auront à suivre ; ceux qui s'efforcent d’éclairer son goût en l'élevant à un idéal, et ceux qui s'incline vers lui pour le flatter : les initiateurs et les courtisans.

Depuis son avènement au monde musical jusqu'à ce jour, M. Gounod n'a cessé de lutter avec les premiers, et au premier rang. Nous l'aimons pour cela ; nous l'aimons parce qu'il réalise incessamment la féconde alliance de la science et du sentiment, d'où naissent les œuvres durables ; nous l'aimons, enfin, parce que sa musique nous donna fréquemment sensation du beau, ainsi qu'à tous ceux de qui un parti pris ne tient pas l’âme fermée.

Mais quel déplorable servage est celui du compositeur au théâtre, et comme il lui faut chèrement acheter le privilège de passionner la foule !... Trois conditions disposent de son sort, et seulement une des trois est dans sa main : si l'auteur dramatique, son associé, n'a pas réussi à intéresser le spectateur, ou si l'exécution ne rend pas à peu près exactement sa pensée, le mérite de la composition, le seul qui dépende de lui, demeure lettre morte devant l'indifférence du public. Rien au monde d'aussi décourageant ! — quoi de plus triste en effet, pour un être né viable, que de mourir par la faute d'autrui ! — Tel ne sera pas le sort de Mireille, malgré les attaques dont son libretto peut rester l'objet. — Les épreuves subies par cet opéra auront certes été compliquées ! — Entre la première et la deuxième représentation, on a supprimé ce qui avait été conservé de l'air dramatique du quatrième acte où « une longueur » se faisait sentir. — Mieux eût valu ôter ce que l'on gardait, et garder ce que l'on ôtait ; le remède devenait pire que le mal ; il ne restait à cet endroit que le vide d'action. On s'en est aperçu dès la troisième soirée, et enfin une heureuse inspiration aurait, dit-on, fait prendre aux intéressés la détermination suivante : d'abord Vincent reparaîtrait dans le tableau du Val d'Enfer ; on rétablirait son duo avec Ourrias, et le spectateur serait témoin, ainsi que Taven, du coup porté par le meurtrier. — C'était la version primitive. — Puis, des deux tableaux du quatrième acte on ne ferait qu'un seul, ainsi réglé : 1° le chœur de la Moisson, chanté en plein air ; 2° la chanson du Pâtre ; 3° la cavatine, « Heureux petit berger », que Mireille, ignorant encore le danger de son amoureux, aurait scéniquement le droit de filer à son aise ; 4° l'arrivée de Vincenette et le touchant duo qui en résulte ; après quoi Mireille partirait pour le pèlerinage des Saintes ; le décor changerait à vue et l'on entrerait avec intérêt dans le cinquième acte.

Ceci vaut mieux que tous les palliatifs : le froid reproché disparaît et les beautés restent en nombre. C'est un coup de fortune pour le Théâtre-Lyrique. A la place de M. Carvalho, nous prendrions, sans balancer, le parti dont la direction de l'Opéra vient de donner l'exemple, dans une occasion toute récente : nous convoquerions, mercredi prochain, la presse parisienne à une nouvelle audition de Mireille dans son état définitif.

S'il faut maintenant faire un peu le prophète, nous pensons qu'il arrivera de ces deux choses l'une : ou la partition, intéressante comme elle l'est, et soutenue d'une bonne interprétation, restera victorieuse dès demain, ou, pareillement à ce qui s'est vu pour quelques devancières illustres, si elle semble d'abord céder le terrain, elle viendra le reconquérir par une reprise triomphale comme celle de Faust.

Nous n'avons nullement l’intention de défendre M. Gounod qui n'a pas besoin d'être défendu. Nous raisonnons sur des faits, et nous sommes tenté de profiter de l'occasion pour relever une erreur répandue en divers lieux, laquelle consiste à croire que l'auteur de Mireille, se soit fait l'adepte d'une école antimélodiste, née en Allemagne, il y a quelques années et dont chacun peut nommer les principaux représentants, fort maltraités jusqu'ici parmi nous. — S'il a plu au maître français de reconnaître l'incontestable science de ces parias de notre critique, c'est son droit ; mais, entre l'applaudissement qui rend un hommage, et l'imitation qui naît de l'analogie des tempéraments, il y a tout un abîme. Conclure de l'un à l'autre serait d'une philosophe bien superficielle ! — Qui a plus admiré Racine qu'Eugène Delacroix ? qui lui a moins ressemblé dans sa façon d'interpréter la nature ?... — L'opinion erronée que nous signalons est destinée à tomber d'elle-même ; chaque page de Mireille, partition essentiellement mélodique, vient lui donner un démenti direct. Mais tout cela est probablement fort indifférent à son auteur, et nous connaissons des gens qui rient sous cape de s'entendre accuser, sur des apparences aussi vaines, de tendances diamétralement opposées aux leurs.

Nous venons de dire pourquoi notre admiration est acquise à la personnalité musicale de M. Gounod : est-il besoin d'ajouter que cette admiration est aussi désintéressée que possible, et que, loin d'aspirer à recueillir les miettes de sa gloire, nous nous proposons formellement de ne chercher jamais à suivre ses traces. — Non. Dans les arts, ainsi que dans la vie privée, que chacun garde son indépendance ; sachons nous plaire à toutes les belles œuvres, de quelque tempérament qu'elles émanent, comme nous goûtons le parfum de fruits divers ; mais n'imitons personne : l’imitation est stérile ; elle ne produit que l'exclusivisme qui est une faiblesse, quoi qu'en dise Beyle, et les coteries détestables qui ont, de tout temps, semé d'embûches la route du génie.

Du reste, ne plaignons pas trop les artistes qui rencontrent des détracteurs acharnés ; l'opposition qu'on leur fait est le contrôle de leur valeur.

Complétons cependant notre compte rendu de dimanche dernier.

La première représentation de Mireille se terminait à peine au moment où paraissait le journal : nous n'avions donc pu faire mention des incidents de la soirée, des morceaux redemandés par exemple. — Les bis se sont adressés au chœur si frais des Magnanarelles, du premier acte ; aux ravissants couplets de Taven : Voici la saison, mignonne (2e acte) ; au fragment choral des enfants : Voici la moisson finie, et à la mélodie : Heureux petit berger (4e acte).

Nous avons déjà, chemin faisant, noté quelques détails sur l'exécution. On peut la dire bonne du fait de chacun, et véritablement supérieure de la part de Mme Carvalho qui brille plus que jamais au premier rang où elle s'est placée parmi les cantatrices. Mme Faure-Lefebvre fait merveille dans ses couplets bissés : toute la salle entre en communication de sympathie avec cette fine et élégante artiste ; Petit est justement applaudi dans le beau finale du second acte. — Au ténor Morini, de qui l'on a dû sabrer le rôle, il faut encore savoir gré de ses efforts pour corriger une fâcheuse prononciation alsacienne, et de la chaleur qu'à défaut de désinvolture il laisse soir en quelques passages. Mais il n'est pas le personnage de Vincent, et l'effet de la pièce s'en trouve mal.

En somme, nous ne voyons rien à retrancher à l'éloge que nous avons fait du nouvel opéra de M. Gounod, Il y aurait lieu d'y ajouter, au contraire. — L'ouverture, dont nous n'avons rien dit, est aussi nette dans son plan qu'intéressante par son inspiration ; elle donne un plaisir croissant : toute musique non banale gagne ainsi à être réentendue. Le chœur de la farandole est superbe malgré le roulis de la danse, qui empêchera les neuf dixièmes de nos oreilles françaises de l'apprécier. — Le tableau du Rhône a produit autour de nous une sensation marquée, à la seconde représentation surtout. Ismaël s'y comporte en artiste. — Le duo de Mireille et de Vincenette a positivement droit à la qualification que nous n'avons pas hésité à lui donner tout d'abord. La mélodie débordante y est soutenue des plus charmantes sonorités, exemple la phrase : C'est aujourd'hui que l'église des Saintes, ou d'harmonies d'une rare délicatesse, telles que celles qui passent sous ces paroles : Tous mes pauvres bijoux, tout mon petit trésor, j’en fais don aux saintes Maries ! La marche de la procession, avec son allure simple, laisse après elle je ne sais quel parfum de poésie champêtre qui fait rêver...

Reprocherons-nous au compositeur la noblesse d'expression, le chant presque majestueux que par moments il prête à ses héros campagnards ?... — Nous croirions tomber dans une erreur, attendu que le sentiment et la passion, dès qu'ils sont en jeu sincèrement, se traduisent chez tous les hommes à peu près de la même manière. Il y a longtemps que cela est démontré. — C'est dans les parties accessoires, et en dehors des mouvements de l'âme, que peuvent se peindre les mœurs spéciales, et se refléter ce que l'on est convenu d'appeler la couleur locale. Or, dans Mireille et autre part, M. Gounod a fait amplement connaître qu'il était passé maître coloriste : le contester aujourd'hui serait nier l'évidence.

Il ne serait que juste d'insister sur les mérites de l'orchestre et des chœurs qui se sont distingués tout particulièrement ici. L'orchestre, sous l'intelligente direction de M. Deloffre, s'acquitte avec un talent remarquable du rôle important qui lui est confié ; les chœurs, par la précision de leurs attaques et leur bonne observation des nuances, apportent à l'oreille un plaisir sur lequel on n'est pas blasé.

Décors, costumes et mise en scène sont d'un grand luxe, on le devine ; M. Carvalho n'en est pas à faire ses preuves. Rien de plus beau que le tableau du Rhône, le décor des Arènes d'Arles ou celui du pèlerinage des Saintes, avec la longue procession variée qui le traverse.

Nous souhaitons, pour conclure, que les discussions sur Mireille se prolongent jusqu'à ce que tout le monde ait entendu trois fois celle riche et mélodieuse partition.

 

(Prosper Pascal, le Ménestrel, 27 mars 1864)

 

 

 

Théâtre-Lyrique : Mireille [reprise du 15 décembre 1864].

 

Elle a eu lieu cette épreuve curieuse et disons-le d'abord, elle a été accueillie avec tous les applaudissements qu'elle mérite. On s'était accordé à trouver que l'œuvre nouvelle de M. Gounod paraissait trop longue, par le défaut d'une action dramatique insuffisante à remplir cinq actes. M. Gounod s'est bravement amputé, et il a même sacrifié des parties qui avaient été très favorablement accueillies dans leur nouveauté, comme le chœur de la Moisson.

La première édition de Mireille avait eu, sauf quelques restrictions, toutes nos sympathies. Nous avons trouvé et nous trouvons encore que les situations les plus scéniques ne sont pas précisément les moins réussies ; cela est toujours préjudiciable au succès d'un drame lyrique ; mais nous sommes plus épris que jamais de la poésie du sujet, des grâces élégiaques et pastorales de la partition et du style enfin, qui est d'un vrai musicien et que nous souhaiterions à tels opéras en vogue.

L'ouverture dont le début et la conclusion surtout ont un rare sentiment de grandeur, a été plus applaudie encore qu'autrefois. Rien n'a été retranché au premier acte. Et qu'y pouvait-on retrancher ? Le chœur des Magnanarelles est une des plus aimables inspirations de M. Gounod ; il a des parties aussi joliment dialoguées que le chœur des Sabéennes de la Reine de Saba. La phrase de la sorcière Taven : « Écoutez-les chanter et rire... » est ravissante. Nous n'aimons guère moins les éclats de rire et le caquetage des jeunes filles répondant à Taven, et la première phrase de Mireille, dont le caractère chaste et gracieux rappelle la première apparition de Marguerite traversant la kermesse de Faust. Le premier duo de Mireille et de Vincent a des phrases très vraies d'accent ; puis revient le chœur féminin pour encadrer ce premier acte, qui est une charmante idylle. On y a ajouté une sorte de valse chantée par Mireille, dont le mérite est d'être faite pour mettre en valeur l'adorable virtuosité de Mme Carvalho. On l'a couverte de bravos et bissée.

La farandole très vivante et très animée qui ouvre le deuxième acte continue gaiement le succès, et la chanson de Magali le redouble. Elle est d'une grâce et d'une distinction exquises, cette chanson, et comme elle gagne à être chantée par Michot ! Elle ne faisait que la moitié de son effet l'hiver dernier. Le Magali a été bissé tout entier. — Bissée aussi la chanson de Taven, que Mme Ugalde a dite à ravir ; elle était écrite un peu trop bas pour Mme Faure-Lefebvre, qui d'ailleurs enlevait aussi le bis... Nous n'avons rien de nouveau à dire de l'air de Mireille, qui commence si bien et finit dans la manière de Verdi, de l'air d'Ourrias, ni du finale...

Le troisième acte, composé du tableau du Val d'Enfer et du tableau des Bords du Rhône, qui tranchait crûment par sa couleur sombre et fantastique sur le fond rosé de la pastorale, a tout entier disparu. — Le tableau du Désert de la Crau est également supprimé ; seulement l'air du pâtre Andreloun et les couplets de Mireille : « Heureux petit berger !... » forment maintenant l'introduction du tableau de la Ferme. La scène du pâtre est tout ce qui reste aujourd'hui à Mme Faure-Lefebvre de sa création : elle y est charmante pour tout un grand rôle ; elle sait chanter et elle sait dire, elle donne un sens et une physionomie aux moindres choses ; elle a de simples façons de se poser qui font tableau. Ajoutons que cette chanson d'Andreloun est, à notre goût, la plus belle mélodie de la partition.

Le duo chanté autrefois par Mireille et Vincenette l'est maintenant par Mireille et Taven, qui vient raconter à la jeune fille la rencontre de Vincent et d'Ourrias. Ce dernier morceau est encore plein d'inspirations charmantes, et clôt brillamment l'avant-dernier tableau.

Le dernier se compose du cantique provençal de Saint-Gen, habilement arrangé par M. Gounod ; d'un air de Vincent que Morini passait et que Michot dit bien ; d'un duo qui n'était qu'indiqué en germe dans la première partition, et que le compositeur a développé ; enfin d'un chœur final. Disons-le, ce dernier tableau n'est pas devenu le meilleur, mais il est très court, et il y a tant de choses charmantes dans la partition !

Le rôle de Mireille est la moitié de la pièce, et Mme Carvalho y a mis autant de talent que dans la création de Marguerite. C'est un autre type, moins poétique, moins illustre, moins bien défini d'avance dans tous les esprits, mais plus riant et plus énergique à la fois. Et puis il y a tant d'affinités intimes entre son talent et celui de M. Gounod ! C'est un talent poétique aussi, plutôt que dramatique. Qui donc saurait, comme elle, dégager tous les parfums d'élégance, de distinction et de grâce que le maître met dans ses cantilènes ?

Nous avons dit le succès de Michot et les chances nouvelles qu'il apporte à l'ouvrage. Tous les autres rôles, surtout après le travail de réduction, sont devenus des bouts de rôle, mais ils sont chantés par Mmes Ugalde et Faure-Lefebvre, par Ismaël et Petit. L'orchestre et les chœurs sont excellents. Et il faut enfin savoir autant de gré à M. Carvalho du zèle qu'il a déployé pour relever cette œuvre d'art compromise que de toutes les belles révélations musicales qu'il a pu faire.

 

(Gustave Bertrand, le Ménestrel, 18 décembre 1864)

 

 

 

 

                   

 

 

         

 

Buste de Charles Gounod par Antonin Mercié, à Saint-Rémy-de-Provence, inauguré en 1913 pour le cinquantenaire de la venue de Gounod à Saint-Rémy [photos ALF 2012]

 

 

 

 

Le livret a été tiré du charmant poème Miréio de M. F. Mistral, déjà très admiré dans le midi de la France avant que M. de Lamartine n'en ait fait l'éloge dans un de ses Entretiens littéraires. Mireille, la jeune et jolie Arlésienne, est fille de maître Ramon. Un riche bouvier de la Camargue, Ourrias, l'a demandée en mariage à son père et a obtenu de lui sa main ; mais la jeune fille aime ailleurs. C'est le pauvre vannier Vincent qui possède les trésors de tendresse de cette pure et innocente créature. Elle résiste aux menaces, aux imprécations de son père. Son amour est plus fort que la mort. Les deux rivaux se rencontrent au val d'Enfer ; Ourrias frappe Vincent de son bâton ferré et le laisse mourant sur la place ; mais la vieille sorcière Taven le rappelle à la vie. Le meurtrier, en proie à ses remords, erre sur les bords du Rhône ; son imagination est frappée par des apparitions funèbres ; les noyés, des jeunes filles trompées par l'amour défilent en procession devant ses yeux. Il appelle le passeur, monte dans son bateau ; mais sa présence porte malheur. La barque chavire et le bouvier disparaît dans les flots. Mireille ignore ce qu'est devenu Vincent. On fait la moisson. Vincenette, jeune sœur de Vincent, lui apprend ce qui est arrivé à son frère et sa guérison. Mireille et son amant s'étaient donné rendez-vous au pèlerinage des Saintes-Maries, dans le cas où un malheur viendrait à l'un d'eux. Elle part, traverse la plaine aride de la Crau sous un soleil brûlant. Là se trouve l'épisode charmant d'un petit chevrier blotti sous les bruyères pour se dérober à la chaleur du jour. Mireille arrive aux Saintes, mais en proie à une fièvre violente, et elle meurt de fatigue et d'amour dans les bras de Vincent et de son père au désespoir. La partition de Mireille nous semble la plus remarquable et la mieux inspirée de celles que M. Gounod ait produites au théâtre. La partie descriptive, qui occupe une grande place dans l'ouvrage, est peut-être mieux traitée que l'action dramatique. Le chœur d'ouverture : Chantez, chantez, magnanarelles, au premier acte ; le chœur de la farandole, la chanson de Magali, la déclamation dogmatique de Ramon au second acte ; le tableau fantastique du Rhône au troisième ; le chœur de la moisson, la chanson pastorale du petit Andreloun : Le jour se lève et fait pâlir la sombre nuit, l'air de Mireille : Heureux petit berger, au quatrième acte, tels sont les morceaux dans lesquels le compositeur a su le mieux allier à un goût littéraire très vif une science musicale flexible et expérimentée. Ce sont là des tableaux et des études du plus haut intérêt. Quant au côté dramatique de l'œuvre, il offre aussi des beautés incontestables. Dans la scène de l'entrée de Mireille au premier acte, cette phrase : Oh ! c’ Vincent ! comme il sait gentiment tout dire, peint la situation avec vérité et délicatesse. Le grand air de Mireille : Mon cœur ne peut changer, souviens-toi que je t'aime, est un des plus beaux airs du répertoire moderne. Nous signalerons encore le finale du second acte, dans lequel se détache cette phrase inspirée : Ah ! c'en est fait, je désespère. Mme Miolan-Carvalho a interprété avec un grand talent cette remarquable partition. Les autres rôles ont été créés par Ismaël, Petit, Morini, Mme Faure-Lefebvre et Mlle Reboux. Cet ouvrage a été repris en trois actes, le 15 décembre 1864, avec des changements qui avaient pour objet de raccourcir un peu la représentation. Il faut espérer que l'adoption d'une forme définitive aidera à le maintenir au répertoire. Il y aurait aussi quelques modifications à introduire dans le cinquième acte. M. Gounod est un homme de goût. Il en a manqué une fois en sa vie en choisissant, pour être joué sur l'orgue de l'église des Saintes-Maries, le chant de la prose : Lauda Sion salvatorem. Ce chef-d’œuvre de la liturgie ne doit être entendu qu'à l'église. Entonné par les choristes du Théâtre-Lyrique, il affecte péniblement le cœur et l'oreille des auditeurs catholiques. Le christianisme n'est pas devenu une mythologie où l'on a le droit de prendre ce qu'on veut pour produire un effet dramatique. Tous les compositeurs, sans exception, qui ont eu à traiter des scènes religieuses, se sont bien gardés de dérober à la liturgie des chants consacrés par le culte public. Meyerbeer dans Robert le Diable, Halévy dans la Juive, Herold dans Zampa, Verdi lui-même dans Il Trovatore, se sont donnés la peine d'écrire une musique spéciale pour exprimer l'effet dont ils avaient besoin. M. Gounod aurait dû imiter en cela leur réserve et puiser, comme ils l'ont fait, dans sa propre inspiration les chants religieux dont il avait besoin.

(Félix Clément, Dictionnaire des opéras, 1869)

 

 

 

 

 

Mireille à la salle Favart.

 

C'est le 15 mars 1864 que la Mireille de Charles Gounod faisait son apparition au Théâtre-Lyrique de M. Carvalho. Cette fois, l'un des deux frères siamois du livret, Michel Carré, avait travaillé seul, et, délaissant son collaborateur habituel, M. Jules Barbier, seul avait tiré sa pièce du poétique roman de M. Frédéric Mistral. Les vers de Mireille sont jolis, — la pièce est écrite en vers libres — mais la charpente du drame est défectueuse, et le fameux tableau du Rhône, sur lequel on comptait beaucoup, et qui n'est qu'un hors-d'œuvre lugubre, fit tort au succès de l'ouvrage. Les deux premiers actes avaient cependant fort bien disposé le public, le premier surtout, qui est charmant, tout ensoleillé, tout parfumé de jeunesse et de poésie, et qui constitue un chef-d'œuvre en son genre ; mais quand on vit arriver cette scène du Rhône, avec son cortège d'apparitions sinistres, d'ombres échevelées, de cadavres flottant au fil de l'eau, le public fut tout effaré et comme pris de vertigo. La musique de ce tableau, — on peut dire la vérité à un artiste de la trempe de Gounod — était insuffisante à racheter l'erreur de son collaborateur ; elle manquait de puissance, de grandeur et surtout des développements symphoniques exigés par une pareille scène ; bref l'on y voyait que le musicien lui-même avait été dérouté par le caractère fâcheux du terrible épisode qu'il était chargé d'interpréter. La dernière partie de l'ouvrage ne put racheter l'impression produite par ce malencontreux troisième acte, et sa réussite s'en ressentit profondément.

Malgré l'immense talent déployé par Mme Carvalho, malgré les rares qualités de chacun des autres interprètes, qui n'étaient autres que Michot [erreur : c’est Morini et non Michot qui a créé le rôle de Vincent ; Michot l’a repris ensuite], Ismaël, Petit, Mme Ugalde [erreur : c’est C. Faure-Lefebvre et non D. Ugalde qui a créé le rôle de Taven] et la toute charmante Mme Faure-Lefebvre, Mireille n'obtint qu'on nombre restreint de représentations.

Ce que voyant, les auteurs reprirent leur œuvre, la remanièrent profondément, y pratiquèrent de larges coupures, au nombre desquelles se trouvait le tableau du Rhône, et, finalement, de cinq actes la réduisirent à trois. Ainsi transformée, Mireille fut de nouveau offerte au public juste neuf mois après sa première apparition, le 15 décembre 1864. Cette seconde édition, revue, corrigée et considérablement... diminuée, fut un peu plus heureuse que la première, mais cependant l’ouvrage ne put parvenir à se maintenir au répertoire.

C'est pourtant sous sa forme primitive, qui convenait encore bien moins à son cadre qu'à celui du Théâtre-Lyrique, que l'Opéra-Comique, en se l’appropriant, a jugé à propos de reprendre Mireille. Comme autrefois, le premier acte a émerveillé le public, avec l'adorable scène des Magnanarelles, avec la jolie canzone de Mireille, avec le duo touchant des amoureux ; comme autrefois aussi, le second acte a fait le plus grand plaisir, et, quoique moins complet, moins achevé que le précédent, il a contribué pour sa bonne part à charmer l'auditoire ; mais, comme autrefois encore, le troisième acte est venu tout compromettre et n'a produit qu'un effet bien éloigné sans doute de celui qu'on en espérait. Cet interminable défilé de cadavres flottants donnait des nausées aux plus intrépides, et il est fort à craindre que le sentiment répulsif qui, à ce spectacle, dominait le public de la première représentation, se produise de nouveau aux représentations suivantes. Cette malheureuse scène viendra-t-elle encore une fois enrayer le succès d'une œuvre d'ailleurs remarquable à beaucoup de points de vue, et dont certaines parties sont absolument exquises, d'une œuvre qui, musicalement, est celle d'un vrai poète et d'un poète souvent inspiré ? Nous verrons.

Il est juste de dire, toutefois, que l'Opéra-Comique a fait on ne peut mieux les choses. Non seulement Mireille est montée avec un luxe scénique incontestable, non seulement les décors de cette idylle provençale qui tourne trop au drame sont merveilleux de fraîcheur et de vérité, mais l'interprétation de l'ouvrage est vraiment remarquable, et l'on pourrait presque dire irréprochable.

Tout d'abord, il faut le déclarer, nous avons retrouvé Mme Carvalho plus parfaite, plus admirable que jamais, dans ce joli rôle de Mireille, qu'elle avait créé naguère au Théâtre-Lyrique. Non seulement elle y apporte une grâce touchante et pénétrante, mais la pureté, la simplicité, la solidité de son style n'ont jamais été plus complètes, et jamais l'art du chant n'a produit, avec des moyens en apparence si simples, de plus merveilleux effets. Il faut lui entendre dire sa jolie phrase du premier acte, dont l'accent est si exquis :

 

Et moi, si par hasard quelque jeune garçon

Me disait doucement : Mireille, je vous aime !

Fût-il pauvre et timide, et honteux de lui-même,

J'écouterais mon cœur plutôt que ma raison ;

Et sans souci des rires ni du blâme,

Comme dans une eau claire ayant lu dans son âme,

Je lui tendrais la main — et je serais sa femme.

 

Il faut écouter ses inflexions caressantes dans le duo avec Vincent, il faut surtout admirer l'art incomparable qu'elle déploie dans la valse du premier acte, qui est pourtant un morceau de virtuosité, et auquel elle enlève ce caractère un peu banal en le disant presque d'un bout à l'autre dans une demi-teinte merveilleuse, qui en double la difficulté et lui donne un charme inouï. Le grand succès de la soirée a été pour la grande cantatrice, que Charles Gounod, en quelque sorte caché au fond d'une baignoire, est allé féliciter chaudement à la fin du premier acte.

M. Duchesne, chargé aujourd'hui du rôle de Vincent, créé par Michot, a fait preuve d'excellentes qualités. Il a su faire apprécier aussi, avec une voix généralement bien posée, un style plus simple et d'heureux accents dramatiques ; malheureusement, et pour vouloir trop faire, il a faibli dans la scène de l'église, où il s'est laissé, emporter plus que de raison, et où, en exagérant l'effet, il l'a détruit en partie. Peut-être est-ce aussi par un peu d'exagération que pêche M. Melchissédec, à qui est échu le rôle d'Ourrias ; il est vrai que le caractère du personnage lui-même est outré, et que la réserve n'y est point facile ; cette réflexion faite, on doit des éloges au jeune baryton, pour son intelligence de la scène et ses qualités très réelles de chanteur et de comédien. C'est Ismaël, l'Ourrias du Théâtre-Lyrique, qui joue aujourd'hui maître Ramon, le père de Mireille. Il y est parfait. Les rôles secondaires sont très bien tenus, et l'orchestre et les chœurs ont marché avec un ensemble assez rare à l'Opéra-Comique. Si je ne dis rien de Mme Galli-Marié dans le double personnage de Taven la sorcière et du petit berger, c'est que l'admirable Mignon y fait regretter Mme Ugalde et Mme Faure-Lefebvre de l'ancien Théâtre-Lyrique ; — Quelle singulière idée aussi de lui infliger le même soir la responsabilité de ces deux rôles épisodiques !

 

(Arthur Pougin, le Ménestrel, 15 novembre 1874)

 

 

 

 

 

Traduction et adaptation scénique de Miréio, poème provençal de M. Mistral. — Décors superbes et scrupuleusement exacts, représentant : les arènes d'Arles ; la plaine de la Crau ; le village de Saint-Rémy ; les marais de la Camargue ; etc. — Interprétation supérieure par Morini, Ismaël, Petit, Mmes Miolan-Carvalho et Faure-Lefebvre. — Pourtant Mireille n'eut qu'un nombre assez restreint de représentations. Alors les auteurs, remettant sur le métier leur ouvrage, le réduisirent à trois actes. Ils supprimèrent notamment la scène répugnante où l'on voyait des cadavres de noyés sortir des eaux du Rhône et défiler en procession au clair de la lune. Mais, par une compensation heureuse, ils ajoutèrent une valse chantée au rôle de Mme Carvalho. Cette nouvelle édition de Mireille fut offerte en décembre 1864, au public, qui l'accueillit froidement. — Enfin, l'opéra de M. Gounod reparut en 1875, à l'Opéra-Comique (avec les noyés) et n'obtint pas un meilleur sort.

(Albert de Lasalle, Mémorial du Théâtre-Lyrique, 1877)

 

 

 

 

extrait de Mireille, manuscrit de Charles Gounod

 

 

 

Peu d'ouvrages ont subi autant de modifications et de remaniements. Il fut accueilli avec froideur à son apparition. On le mit alors en trois actes, en changeant le dénouement et en remplaçant la mort de Mireille par son mariage avec Vincent. En 1874, Mireille, reprise à l'Opéra-Comique, fut remise en cinq actes, mais avec son nouveau dénouement, et sans plus de bonheur. Il fallut attendre jusqu'en 1889, où une nouvelle reprise eut lieu dans de nouvelles conditions ; on en revint à la version en trois actes, mais encore modifiée, quoique toujours avec le mariage final. Cette fois, enfin, le succès fut complet. En 1901, l'Opéra-Comique remit Mireille à la scène, en reprenant exactement la version primitive. Musicalement, l'œuvre est remarquable en son ensemble et exquise en certaines parties. Le premier acte, plein de soleil et de lumière, de jeunesse et de fraîcheur, forme un tableau délicieux avec le chœur des magnanarelles, l'air de Mireille et son duo avec Vincent. Dans le second acte, il faut citer l'épisode de la fête des Arènes, la chanson de Magali, la farandole, la chanson de Taven : Voici la saison, mignonne, et les couplets d'Ourrias. Exquis encore est le tableau de la Crau, au troisième acte, avec la chanson d'Andreloun et le joli rondeau de Mireille : Heureux petit berger. La partie purement dramatique, comprenant le finale de la demande en mariage, la scène des deux rivaux au val d'Enfer, la vision d'Ourrias sur les bords du Rhône, est sans doute la moins bien venue, quoiqu'elle soit loin d'être sans valeur.

(Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)

 

 

 

 

 

Cette œuvre pleine de poésie et toute colorée du soleil de Provence est une des plus populaires de Gounod. En passant du livre à la scène, le poème de Mistral n'a pas trop souffert. Les tableaux du Val d'Enfer et du Rhône, celui des Saintes Maries sont à la vérité d'une réalisation scénique un peu difficile et sur les théâtres de province rendent rarement ce qu'on serait en droit d'en attendre. L'habitude prise de façon assez générale de supprimer le tableau du Rhône doit être vivement regrettée : ce tableau est très utile à l'action et musicalement il est un des plus réussis.

Mais passons à notre récit. Le rideau se lève sur la cueillette des feuilles de mûrier pour les vers à soie. Taven, la sorcière du Val d'Enfer, traverse cette scène, mais uniquement, semble-t-il, pour faciliter l'exposition. Et voici ce que nous apprenons : Mireille, la fille du riche propriétaire Ramon, aime Vincent, le fils du pauvre vannier Ambroise et en est aimée. Ce choix de son cœur sera difficilement ratifié par Ramon, qui a pour sa fille de plus hautes ambitions. Tout le drame est là-dedans. Ce premier acte contient un ravissant duo de Mireille et de Vincent. Les deux amoureux se jurent fidélité éternelle et, en cas de malheur, se donnent rendez-vous au pèlerinage révéré des Saintes Maries de Camargue.

Le second acte est un tableau de fête devant les arènes d'Arles. Mireille et Vincent sont là, avec beaucoup d'autres et chantent la page la plus célèbre de la partition, le duo de Magali.

Taven traverse de nouveau l'action, porteuse cette fois de fâcheuse nouvelle. Elle apprend à Mireille que trois prétendants à sa main ont décidé de s'en rapporter au choix de Ramon. Celui que le père agréera fera sa demande à la fille ; les autres lui cèderont la place. Mireille affecte d'en rire, bien qu'elle soit inquiète au fond. Elle cherche dans son amour pour Vincent des motifs de se rassurer.

Et justement s'approche Ourrias, le bouvier de Camargue. C'est lui qui a été agréé par Ramon et il vient demander à Mireille sa main. Refusé, il éprouve un vif dépit et communique le résultat de l'entrevue à Ramon survenu sur ces entrefaites.

Nous assistons ensuite à une démarche désespérée d'Ambroise le vannier en faveur de son fils Vincent. Le pauvre Ambroise doit se retirer avec pertes. Mais Ramon doit encore soutenir le choc de sa propre fille, qui lui déclare qu'elle épousera Vincent ou personne. La scène est violente entre la fille calme mais résolue et le père emporté et brutal. Ourrias, qui a assisté à l'entretien, ressent toutes les affres de la jalousie et regarde Vincent avec des yeux de meurtrier. Cependant Ramon demeure inflexible et l'acte s'achève sur un ensemble pathétique d'un bel effet dramatique.

Le troisième acte passe sans transition du réalisme au fantastique. Le premier tableau représente le Val d'Enfer, où habite la sorcière Taven. Là, Ourrias rencontre Vincent. Altercation entre les deux hommes, courte lutte, et Vincent tombe frappé au front d'une large blessure. Ourrias est effrayé de ce qu'il a fait et fuit.

Taven, attirée par le bruit, trouve Vincent étendu inanimé. Elle le soignera et le guérira.

Le tableau suivant est fréquemment supprimé à cause des difficultés de mise en scène qu'il présente. Le théâtre doit figurer le Rhône sous la lune, avec une berge bordée d'ajoncs. C'est là qu'Ourrias, poursuivi par le remords, arrive dans sa fuite. Il appelle le passeur qui ne répond pas. Des brumes s'élèvent du fleuve et le malheureux est l'objet d'une hallucination. Des fantômes semblent sortir des profondeurs de l'eau ; des voix se font entendre. Ce sont les « trêves », les âmes des morts qui se promènent à minuit ; ce sont les filles mortes d'amour. Ourrias est de plus en plus affolé. Il appelle de nouveau le passeur et cette fois celui-ci se présente avec son bateau. Mais à peine Ourrias y est-il monté que les flots s'ouvrent et l'engloutissent, lui, le passeur et la barque.

Le quatrième acte nous ramène dans le monde réel. Nous assistons au repas des moissonneurs à la ferme de Ramon. Mireille est toujours triste et silencieuse. Comme elle est restée seule, Vincenette se présente, la sœur de Vincent. Elle apprend à Mireille à la fois la tentative de meurtre dont Vincent a été victime et l'heureuse issue de l'aventure. Vincent est hors de danger. Mireille, exaltée, décide d'aller aux Saintes Maries prier pour son fiancé.

Le décor change et représente le désert de la Crau, sous un soleil ardent. Mireille traverse la scène, tête nue, en courant et échange quelques mots avec un berger. Celui-ci la met en garde contre les dangers du soleil à cette heure, sur ce pierrier torride. Et bientôt nous avons la preuve que l'avertissement était raisonnable : Mireille est frappée d'un coup de soleil. En chancelant elle s'éloigne, soutenue par la volonté désespérée d'atteindre le but de son pèlerinage.

Le cinquième acte est court. Il se passe tout entier devant le porche de l'église des Saintes Maries. Les pèlerins défilent processionnellement.

Vincent arrive haletant, cherchant Mireille dont il a appris la dangereuse équipée. Et voici qu'elle paraît, plus morte que vive. Elle se croit sauvée : n'est-elle pas dans les bras de l'ami ? Pourtant soudain elle s'affaisse. Au cri poussé par elle accourent les pèlerins, auxquels se sont joints Ramon, Ambroise, Vincenette, Taven. Ramon, comprenant le mal qu'il a causé, accorde son consentement au mariage ; mais il est trop tard. Et voici que les Saintes elles-mêmes apparaissent sur une barque, ainsi que les décrit la légende. Mireille les voit ; elles l'appellent, et se dégageant des bras de Vincent, elle expire les bras tendus vers la céleste vision.

Ceci est la version primitive et celle qui est actuellement presque universellement adoptée. Mais il y en a une autre. Pour plaire à Carvalho, directeur Théâtre-Lyrique, Gounod avait consenti à écrire une variante de ce dénouement, variante heureuse et plus « opéra-comique ». Selon cette version, les Saintes opéraient un miracle et rendaient Mireille à son fiancé. Tout finissait le plus joyeusement du monde. Cette conclusion avait toutefois le grave défaut d'être en complet désaccord avec celle du poème, aussi n'est-elle que rarement adoptée à l'heure qu'il est.

(Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)

 

 

 

 

 

Mistral a dédié « Mireille » à Lamartine. « Je te consacre « Mireille » : — c'est mon cœur et mon âme ; — c'est la fleur de mes années ; — c'est un raisin de Crau qu'avec toutes ses feuilles t'offre un paysan... » Il s'agit naturellement du beau poème provençal publié dans la langue originale en 1859 sous le titre de « Miréïo ».

Avec très peu de changements apportés à l'anecdote, Michel Carré donna de Mireille une adaptation en 5 actes, le 19 mars 1864, sur les planches du Théâtre-Lyrique, toujours brûlantes, après un lustre, du succès triomphal de Faust. — Et « Mireille » c'était encore Mme Miolan-Carvalho, l'inoubliable « Marguerite ». — La partition, fort importante pour l'œuvre, était également du grand maître Charles Gounod, le musicien-poète par excellence. Ce sujet convenait admirablement à sa nature rêveuse par ce qu'il comportait de romantisme et son talent de symphoniste religieux s'accommodait plus que tout autre de la piété naïve qui fait le fond de la légende.

Et cependant Mireille eut tout d'abord peu de succès. Les auteurs firent alors subir à l'ouvrage un premier remaniement, et une nouvelle version, d'une conclusion différente, plus consolante, plus adéquate à son public, fut représentée en trois actes et cinq tableaux, le 15 décembre de la même année 1864. Enfin, dix ans plus tard, une solennelle reprise en eut lieu sur la scène de l'Opéra-Comique (octobre 1874) ; la distribution réunissait les noms de Galli-Marié, qui chantait le rôle de Taven, Melchissédec, Ismaël, Dufriche, Duchêne — et de Mme Miolan-Carvalho dans le personnage qu'elle avait créé. Pour elle, Gounod venait de glisser dans les pages de sa partition la ravissante valse aux vocalises cristallines.

Le livret, plusieurs fois retouché, comporte dans son intégralité cinq actes entiers — le 3e et le 4e se divisent en deux tableaux.

 

***

 

Mireille, fille de Ramon, riche fermier du pays d'Arles, aime Vincent, gentil vannier sans fortune. Au début du drame, les jeunes filles de la contrée procèdent à la cueillette des feuilles de mûrier pour l'élevage des vers à soie, la grande industrie du cru, en chantant le chœur des « Magnanarelles ». — Rieuses, elles se moquent bien un peu de la caducité d'une vieille paysanne, la bonne Taven, à qui l'on a fait plus ou moins gratuitement une réputation de sorcière — et, pas trop rassurées tout de même, elles battent en retraite devant son courroux. Seule, Mireille est restée... Elle n'a pas peur de Taven qu'elle défendrait volontiers contre les railleries de ses turbulentes compagnes — et lui confiera son secret... Justement paraît l'amoureux. Taven se retire discrètement, et Mireille et Vincent expriment en duo les sentiments qui les animent. Ils se jurent fidélité, s'assignant en cas de disgrâce un pieux rendez-vous au pèlerinage des Saintes-Maries de Provence.

C'est fête aux arènes, où s'est réunie toute la jeunesse. Mireille et Vincent ont les honneurs de la journée en chantant le célèbre duo de « Magali ». — Cependant la petite Arlésienne est très courtisée ; parmi les plus assidus auprès d'elle, on remarque le bouvier de Camargue Ourrias, prétendant à sa main avec l'assentiment et la promesse de Ramon. Repoussé par Mireille, Ourrias va se plaindre au père, qui s'emporte et malmène le pauvre Ambroise, venu pour solliciter le dur fermier en faveur de son fils Vincent. Mais Mireille soutient le choc, refuse d'épouser un autre que Vincent, et résistera s'il le faut à l'autorité de ce « chef de famille », dont Mistral a tracé par ailleurs un si beau portrait, dans les Iles d'Or.

Ourrias est dévoré de jalousie et il a fait serment de se venger. Il tend à son rival une embuscade au « Val d'Enfer », où la vieille Taven fait commerce de sorcellerie blanche, lui cherche querelle, et le frappe avec son bâton ferré de bouvier. Vincent tombe baigné dans son sang. Ourrias le croit mort et s'enfuit. Taven sort de son antre et recueille Vincent dont elle panse les blessures.

Cependant, l'assassin, bourrelé de remords, égaré sur les berges du Rhône, halluciné comme Caïn, croit apercevoir dans les brumes qui se dégagent du fleuve le spectre de sa victime. La folie s'empare de lui ; à ses appels désespérés qui réclament en vain le passeur, répondent des gémissements... une lugubre théorie de formes livides flotte dans l'eau glauque : Ce sont les « Trêves », mortes d'amour, qui se réveillent à minuit... Une barque fantôme approche... Ourrias s'élance... et s'engloutit.

Mireille préside, morne et découragée, au repas des moissonneurs dans la métairie du maître Ramon. Vincenette, sœur de son ami, est venue lui annoncer la tentative de meurtre commise sur Vincent, et comme quoi le vannier est sain et sauf.

La jeune fille juge l'heure propice pour accomplir son vœu aux Saintes-Maries. La voici qui traverse les plaines de la Crau, désert brûlé par le soleil méridional... Elle n'a pas l'accoutumance des pâtours qu'elle y rencontre. L'astre l'a blessée de sa flèche d'or, et c'est mourante qu'elle tombe devant le parvis de l'église, sur le passage de la procession.

Vincent, éperdu, a rejoint Mireille au rendez-vous des mauvais jours et il la reçoit dans ses bras. Ramon, Ambroise, Vincenette et Taven arrivent assez tôt pour les unir. Et Mireille, heureuse avant de mourir, a la céleste apparition des « Saintes » qui l'appellent pour l'emporter dans la barque de la Légende dorée.

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .  

Selon la variante adoptée lors de la première reprise — sur la demande expresse de Carvalho, soucieux de donner satisfaction aux âmes tendres — les « Saintes » consentirent à faire un miracle. Et elles ont rendu Mireille à la vie et à son amour.

(Roger Tournefeuille, les Grands succès lyriques, 1927)

 

 

 

 

 

Le poème de Frédéric Mistral fut publié en 1859, écrit en provençal, il parut avec une traduction française en regard. Lamartine, à qui il était dédié, salua, avec enthousiasme, en son Cours de Littérature, l'apparition « d'un grand poète, épique, un poète primitif, qui, d'un patois vulgaire, faisait un langage classique. »

Peu après, Michel Carré tirait de ce poème un livret d'opéra ; Gounod en faisait la musique et Mireille était représenté, pour la première fois à Paris, sur le Théâtre-Lyrique, le 19 mars 1864.

M. Albert Soubies parle des changements subis par cet opéra ; peu d'œuvres, en effet, ont été aussi remaniées. D'abord en cinq actes, puis en trois avec Mireille épousant Vincent au final ; reprise en 1874, à l'Opéra-Comique, Mireille eut de nouveau cinq actes, mais garde son dénouement heureux ; en 1889, Mireille reprise, n'a plus que trois actes et garde le mariage des deux amoureux.

Enfin, en 1901, M. Albert Carré, avec sa haute intelligence artistique, comprenant que les chefs-d'œuvre doivent être respectés, remit Mireille à la scène avec sa version primitive. Les principaux interprètes s'appelaient alors MM. Maréchal, Dufranne, Vieuille, Mmes Rioton et Marié de l'Isle.

Depuis, Mireille entrée enfin au répertoire, n'a cessé d'être jouée. Du 13 mars 1901, jusqu'en 1910 inclus, l'œuvre de Gounod a été représentée cent vingt et une fois.

Le librettiste a suivi de près le poème de Mistral.

Voici, au début, la cueillette des feuilles de mûrier dans un enclos inondé de lumière, de jeunes Arlésiennes font la récolte en chantant. Mireille, la fille de Maître Ramon, le métayer, se mêle à elles et leur avoue, excitée par leurs amicales railleries, son amour pour le petit Vincent, fils du pauvre vannier Ambroise

Oui, elle l'aime, elle le répète et l'affirme à Taven, la vieille sorcière du Val d'Enfer qui connaissant, hélas ! les hommes, ne voit pas sans crainte cet innocent amour. Est-ce que le riche Ramon voudra donner sa fille au misérable Vincent ?

Tout ce début est purement délicieux ; il respire une bonne et saine odeur agreste ; on est bien au pays d'Arles, en pleine nature. Le chœur des magnanarelles a de la couleur et de la fraîcheur ; l'air de Mireille : Vers l'enclos des mûriers et son duo avec Vincent, s'en venant lui avouer ingénument son grand amour, sont de toute beauté.

La vieille sorcière avait raison, le riche Ramon va repousser Vincent. Nous allons le voir implacable alors que sa fille lui apprendra son amour.

En pleine fête, aux Arènes d'Arles, après la joyeuse farandole, après que Mireille et Vincent auront, obéissant à leurs jeunes amis, chanté une chanson d'amour, Mireille apprendra que son père a décidé de son sort, qu'il la donne à Ourrias, le bouvier de la Camargue.

Elle ne veut pas, elle ne peut pas être à Ourrias ; elle aime Vincent ; seul, ce dernier a son amour. Et elle l'avoue à Ramon qui, furieux de voir que sa fille ose lui résister, lève la main sur elle.

Hélas ! Mireille a beau prier, supplier, son père reste insensible à ses larmes.

Cet acte, si joyeux au début avec sa farandole, sa jolie chanson de Magali, renferme encore d'autres morceaux à citer, la chanson de la sorcière : Voici la saison Mignonne et les couplets d'Ourrias : Si les filles d'Arles sont reines.

Maintenant le malheur s'abat sur les pauvres amants. Ourrias, le bouvier, rencontrant Vincent au Val d'Enfer, n'écoutant que son ressentiment, le frappe de son trident pour, après, s'enfuir épouvanté de son action.

Mireille, triste et dolente, vivant à la métairie, ne songeant qu'à l'aimé, apprend que celui-ci, blessé par son rival, a été recueilli par la vieille Taven.

Surexcitée, éperdue, n'écoutant que son amour, Mireille va se rendre à l'Eglise vénérée des Saintes ; elle ira là, en pèlerinage, prier pour le rétablissement de Vincent.

Et elle part, pèlerine d'amour ; il lui faut traverser le désert de la Crau ; elle va, sous le soleil ardent. Soudain, elle vacille ; en un éblouissement, elle est comme pris de vertige et dans le ciel elle croit voir la Jérusalem céleste... mais la vision s'efface ; elle va repartir : une douleur à la tête ; elle tombe frappée par le soleil. Avec effort, après un long temps, elle se relève : là-bas les Saintes l'attendent.

Mireille arrivera à l'Eglise. Elle va mourir dans les bras de Vincent. Mais Ramon survient et donne son consentement. Mireille, qui guérira, épousera Vincent.

(programme de l'Opéra-Comique, 07 juillet 1929)

 

 

 

 

              

 

 

Hôtel de Tourrel d'Almeran-Maillane à Saint-Rémy-de-Provence, où Gounod fit entendre Mireille pour la première fois [photos ALF 2018]

 

 

 

Mireille (1864) doit à la célébrité de Gounod plus qu'elle n'y ajoute, car c'est au fond un ouvrage d'une faiblesse extrême, d'où émergent seulement quelques pages agréables. La partition a d'ailleurs subi une série de remaniements où l'on ne se reconnaît pas très bien et qui ne permettent pas de fixer la pensée définitive de Gounod, comme fait la seconde version de Faust. C'est tantôt un opéra avec récitatifs chantés et tantôt un opéra-comique avec dialogue parlé ; tantôt Mireille meurt au dénouement et tantôt elle guérit pour épouser Vincent ; tantôt il y a cinq actes et tantôt trois seulement. La valse si fâcheuse chantée par Mireille au premier acte n'appartient pas à la version originale et n'a été ajoutée que pour procurer à la créatrice du rôle, Mme Miolan-Carvalho, vocaliste experte, un succès dont l'œuvre bénéficierait. Tous ces flottements trahissent une indécision qui, en effet, amollit la partition tout entière.

Gounod, pour rester en contact avec Mistral et respirer l'air de ses personnages, a composé Mireille sur place, à Saint-Rémy-de-Provence. Il n'en a rien retenu et nous le verrons au contraire enlever tout parfum à un thème délicieux du folklore provençal. Cette pâleur tourne à la plus insipide lividité quand on la compare au chef-d'œuvre ardent, coloré, sensible que la même Provence — sans qu'il y eût jamais séjourné — devait inspirer quelques années plus tard Bizet, dans la musique de scène de l'Arlésienne.

 

*

 

L'ouverture seule est déjà d'une étrange niaiserie. Après quelques mesures d'une introduction banale, elle expose une pastorale vive, mais qui tourne à une trivialité soulignée par quelques touches de triangle, puis, sur le même rythme, un fragment emprunté à un duo de l'œuvre. Après beaucoup de redites qui n'ont rien d'un développement et parce qu'il faut bien finir, une coda y pourvoit dans une allure de pas redoublé. Tout cela semble annoncer une comédie guillerette, quand il y aura au contraire, avec une fille chassée par son père, le coup de poignard d'un jaloux, celui-ci précipité aux abîmes, une héroïne mourant d'un coup de soleil devant son amoureux désespéré (ou n'échappant à cette mort qu'au seuil du dernier soupir), des scènes infernales et des visions célestes.

Le premier acte est le tableau d'une magnanerie où, sur un chœur vulgaire de magnanarelles et les plats couplets de l'une d'elles, l'ambitieuse Clémence, ne se détache guère que la phrase charmante de Mireille, opposant aux visées trop hautes de sa camarade le simple désir de rencontrer l'amour le plus humble, s'il est sincère. Phrase charmante, oui, mais où l'on sent l'effort, réalisé à demi seulement, de donner un pendant au : « Je ne suis demoiselle, ni belle » de Marguerite dans Faust.

Oublions la valse... Le duo du vannier Vincent et de Mireille a d'abord de la grâce et ensuite une légèreté souriante, mais d'un phrasé formel, d'une affectation de paysannerie toute artificielle, avec laquelle contraste d'une façon un peu bien soudaine l'engagement de recourir aux « Saintes » en cas de malheur.

Après la magnanerie la ferme, celle de Maître Ramon, père de Mireille. La farandole chantée qui ouvre le deuxième acte est d'une platitude qu'aplatira davantage encore, dès 1872, la comparaison inévitable avec celle, si ensoleillée, de l'Arlésienne. Pour agrémenter la fête, Mireille et Vincent chantent ici leur fameuse chanson dialoguée de « Magali » : le thème poétique d'un amoureux déjouant toutes les métamorphoses imaginées pour sa bien-aimée pour lui échapper appartient à plus d'une province. Quant à la musique, celle de Gounod est aimable, malgré son cloisonnement :

 

 

mais elle a laissé éventer l'arôme de l'exquise et rêveuse cantilène provençale (impropre, il est vrai, à tout développement) d'où elle est tirée (*) :

 

 

(*) Je l'entends encore dans la voix d'Emma Calvé, dont il existe, je crois, un disque rarissime.

 

La fin du deuxième acte noue le drame, Maître Ramon voulant imposer pour époux à Mireille le bouvier Ourrias, Mireille refusant par amour pour Vincent et chassée par son père. Une ariette de la souriante sorcière Taven, un air assez conventionnel où Mireille affirme sa fidélité à Vincent, de robustes et rudes couplets d'Ourrias (non sans rapport avec ceux de Vulcain dans Philémon et Baucis) et pour conclure un finale où l'autorité courroucée de Ramon veut briser l'amour de Mireille et de Vincent s'y succèdent.

Le premier tableau du troisième acte est celui du Val d'Enfer où le bouvier Ourrias vient demander à la sorcière le breuvage qui vous fait aimer de toutes les femmes. Pour évoquer le mystère des puissances infernales, le prélude d'orchestre emprunte des souvenirs à la « Nuit de Walpurgis » de Faust. Dans ce val maudit, Vincent se trouve face à face avec Ourrias qui, d'abord sur le rythme le plus surprenant de valse lente, le provoque et finit par le frapper.

Le second tableau est celui d'une scène également fantasmagorique. Ourrias, croyant avoir tué Vincent et bourrelé de remords, erre la nuit sur le bord du Rhône, où il entend des voix mystérieuses et menaçantes. Il appelle pour traverser le fleuve, un « passeur d'enfer » qui le précipite dans le Rhône : il y a ici plus d'accent dans les remords d'Ourrias que de couleur dans les chœurs surnaturels.

Le quatrième acte ramène d'abord la paysannerie la plus banale, avec des chœurs de moissonneurs, chez Maître Ramon que désespère l'amour de Mireille pour Vincent. Mireille apprend de Vincenette (*), sœur de Vincent, la blessure de celui-ci. Pour obtenir la guérison de son ami, elle décide d'aller faire le pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer.

 

(*) On substitue parfois dans cette scène Taven à Vincenette.

 

Le tableau suivant, après quelques mesures d'orchestre qui répètent le début même du premier prélude, commence par des épisodes champêtres qui renferment assurément les meilleures pages de la partition, une mince et naïve musette, soupirée par un hautbois pastoral, la chanson languide d'un petit chevrier, une cantilène où Mireille envie le bonheur naïf du jeune pâtre, une reprise de la musette, tandis que l'enfant s'éloigne. Mireille, restée seule, veut poursuivre sa marche vers l'église des Saintes, mais le soleil l'accable : son vertige se peuple de visions et elle tombe.

Le dernier tableau a subi beaucoup de modifications Vincent, dans une cavatine inférieure à celles de Faust et de Roméo, s'inquiète de ne pas rencontrer Mireille à l'heure du rendez-vous et, craignant pour elle les effets de l' « ardent soleil d'été », invoque les Anges. Dans la version primitive, Mireille mourait ici, dans un enveloppement de chœurs religieux. A ces chœurs, Gounod a substitué un chœur d'une grandiloquence assez plate, après lequel seulement Mireille expirait, dans une ultime version des « Saintes ».

Mais, pour respecter l'optimisme que la tradition inspirait encore aux dénouements de l'Opéra-Comique, du temps de Gounod, cette dernière page a été remplacée par une autre où, pardonnée par son père et accordée par lui à Vincent, Mireille revit tandis que le chœur chante la gloire des Saintes-Maries.

 

(Jean Chantavoine, Petit guide de l’auditeur de musique, Cent opéras célèbres, 1948)

 

 

 

 

 

Mistral et Gounod

 

En cette belle matinée du 12 mars 1863, la minuscule gare de Saint-Remy-de-Provence vivait des heures inoubliables. Le chef de gare et l'homme d'équipe avaient judicieusement refoulé, à un bout de quai, les quatre campagnardes provençales, au chignon cerclé du traditionnel velours noir, et aux bras chargés d'invraisemblables paniers. Puis, le responsable de cette station avait campé, bien en vue, devant la « Sortie de Messieurs les Voyageurs », une sorte de géant, noblement drapé dans une cape noire, coiffé d'un immense feutre sombre incliné sur l'oreille droite — curieux personnage aux yeux clairs, pourvu d'une magnifique moustache « à la gauloise » complétée par une barbiche « à l'impériale ».

Debout comme une figure de proue, face à la trouée d'où allait bientôt surgir la « locomotive dévoreuse d'espace », le géant, immobile et impénétrable, attendait. L'assistance également — vaguement terrorisée.

Lorsque, enfin, le convoi pénétra en gare, dans un bruit de tonnerre, et que le mécanicien eut immobilisé son coursier d'acier, les quatre campagnardes, habilement manœuvrées par l'homme d'équipe, disparurent, avec leurs paniers, dans un compartiment de 3e classe. Tandis que, au flanc du « coupé » de 1re classe, s'ouvrait subrepticement une portière.

Allègrement, un petit homme sautillant, pimpant, nerveux, mit pied à terre. Il courut aussitôt vers le géant solitaire. Le géant ouvrit ses bras. Le petit homme s'y précipita. Accolade. Pas un mot.

Les deux hommes ne s'étaient encore jamais rencontrés. Mais ils s'étaient reconnus. Le grand s'appelait Frédéric Mistral. L'autre, Charles Gounod.

Le grand avait déjà écrit, en langue provençale, son célèbre poème intitulé « Miréio ». Le petit se proposait maintenant de composer, en deux mois, la partition d'un opéra-comique destiné au Théâtre-Lyrique de la place du Châtelet, et qui, sous le nom de « Mireille », allait être appelé à une certaine célébrité.

 

***

 

On embarqua dans la carriole familiale, qui attendait devant la gare. On chargea le bagage du « Parisien », auquel les gens du cru trouvaient un drôle d'accent. Fouette, cocher ! Et en route pour Maillane.

Pourquoi ce voyage ? Lorsqu'il s'était agi d'écrire « Sapho », « Ulysse », ou « Philémon », Gounod n'avait pas eu la moindre idée d'aller excursionner en Grèce ! Mais, pour la Provence, il en décida tout autrement. De fait, il considérait comme nécessaire de se rendre aux lieux mêmes où Mireille avait « vécu » — si l'on peut dire. Il voulait découvrir la terre et la civilisation provençales, qu'il ignorait. Et, surtout, il désirait prendre contact avec le félibre qui avait chanté Mireille — il était impatient de soumettre son plan à l'auteur du poème.

Ne nous étonnons pas si, dans la charrette qui file grand train sur la route blanche, Mistral et Gounod deviennent aussitôt les meilleurs amis du monde. Naturellement, Mireille fait les frais de la conversation. Dès l'arrivée au mas, on se met à table, face à face. Fourchette en main, on disserte encore sur Mireille. Le repas terminé, Mistral, sans désemparer, entraîne son hôte au village de Saint-Remy-de-Provence. Les voici bientôt dans la montagnette, au centre d'un chaos de rochers aux profils sauvages, aux silhouettes fantastiques. (« On en ferait un magnifique décor », note Gounod, homme de théâtre vraiment incorrigible.) Un ciel radieux ; les bourgeons, qui commencent à éclater, annoncent le printemps tout proche.

Jour après jour, nos deux compagnons vont parcourir à pied, inlassablement, le pays de Mireille : visite au Val d'Enfer, où se trouve la caverne de la sorcière Taven — méditation dans les amoncellements chaotiques des Baux — longues extases devant l'horizon immense : plaine de Crau, Camargue...

Certain jour, dans un coin de campagne sauvage, à l'ombre d'un rocher ombré de bleu, Gounod se hasardera à lire son libretto à Mistral. Et le poète de pleurer, comme un enfant.

Mais ce sont là amusettes de vacances, Gounod doit maintenant songer à travailler sérieusement.

 

***

 

Nous avons de la chance. La correspondance que Gounod entretint presque journellement avec sa femme — restée à Paris — va nous permettre de suivre, pas à pas, la genèse de la partition de « Mireille ». Ce n'est certes pas très banal d'assister ainsi à la naissance d'une œuvre lyrique. D'ordinaire, les compositeurs n'aiment guère livrer leurs secrets. Mais Mme Gounod a eu l'imprudence de conserver les lettres de son mari (*), qui constituent un véritable journal de travail. Tant mieux pour nous — et pour l'histoire de « Mireille ».

 

(*) « Correspondance de Gounod ». — On en trouvera de larges extraits (particulièrement en ce qui concerne la période qui nous intéresse) dans l'ouvrage de Camille Bellaigue, « Gounod » ; c'est, là, le principal intérêt de ce livre, par ailleurs assez superficiel. — Très supérieur, et sérieusement conçu, est l'ouvrage de J. C. Prodhomme et A. Dandelot « Gounod (1818-1893), sa vie et ses œuvres d'après des documents inédits », 2 vol.

 

Après une dizaine de jours passés à Maillane, dans le mas de Mistral (12 mars-23 mars 1863), Gounod décide de s'installer dans le village tout proche de Saint-Remy-de-Provence : par l'entremise de M. Iltis (organiste de l'endroit, et, par ailleurs, directeur de l'orphéon « L'Echo des Alpilles » (*), il loue un appartement au deuxième étage de la « Ville Verte », auberge tenue par la mère Rousset.

 

(*) « Cinquantenaire de Mireille : Gounod et Mistral » — Brochure anonyme, Avignon, 1909.

 

Au début, les Provençaux prennent cet original pour un « peintre de Paris ». Désireux de garder l'incognito, il se fait appeler « M. Pépin » — Pépin-le-Bref, car il parle peu.

De Nîmes, il s'est fait envoyer un piano, en location. Mais il ne l'utilisera guère. En effet, c'est au dehors, dans la campagne, en pleine nature que Gounod travaille à son opéra-comique. Tout le jour, du matin au soir, il parcourt les bois et les champs. Levé avec le soleil, il dévale les sentiers, enregistre les chants des oiseaux qui saluent l'aurore, se grise de parfums et de soleil, écoute avec ravissement les crissements des cigales et des grillons, s'émerveille devant la floraison tumultueuse des aubépines et des buissons.

« La campagne — écrit-il — a l'air de faire sa première communion ». Il « broute » le pays...

Le leitmotiv qui, inlassablement, revient dans ses lettres, a trait à la paix de la nature, au calme, à l'atmosphère de repos qu'il trouve dans ce coin béni — loin du « vacarme » de Paris... Avec une surprise amusée, il constate que, dans cette ambiance de parfaite quiétude, sa pensée musicale prend forme d'elle-même, sans effort pénible, « sans crise douloureuse dans l'accouchement ». Jamais il n'a senti l'inspiration si proche, si joyeuse, si aisée. L'instrumentation elle-même se présente avec précision et clarté : il « entend » — et « il écrit ce qu'il entend... » (*).

 

(*) Lettre de Gounod à sa femme, 13 avril 1863. Sauf contre-indication, les dates que nous indiquons par la suite nous sont précisées par cette même correspondance.

 

Le 26 mars 1863, assis près d'un ruisseau dont le fond apparaît tapissé de cailloux brillants et d'herbes souples (« du velours sur du diamant »), et tandis que les oiseaux nichés dans les arbres voisins le régalent d'un « concert de virtuoses », il « trouve » le thème du charmant rondeau pastoral : « Heureux petit berger ! »

Le 31 mars, il passe plus de trois heures dans le vallon de Saint-Clerc, à l'orée d'un petit bois de pins, étudiant son livret, demandant son inspiration au bruissement des milliers d'insectes qui peuplent l'air et le sol.

Le 15 avril, il met au point le fameux duo, ponctué par la délicieuse réplique de Mireille : « Oh ! c' Vincent ! » Il la faut bien, cette scène d'amour... Mme Carvalho qui, il y a quatre ans, a paru en Marguerite dans l'encadrement de sa fenêtre gothique (*) exige également, pour Mireille, de publiques effusions de tendresse... Or, avec un rare bonheur, Gounod opte pour une formule toute nouvelle. Délibérément, il tourne le dos au duo classique, où ténor et prima donna se lancent à la tête, et sur le ton le plus élevé, ces déclarations enflammées que, dans la vie, on se confie, d'ordinaire, à voix basse. Notre compositeur préfère nous présenter, pudiquement, Vincent et Mireille « au moment où ils n'ont plus la force de parler ». Le bonheur, nous explique-t-il, les étouffe. Alternativement, ils font entendre des bouts de phrases entrecoupées — défaillants, du côté de Mireille — haletants, du côté de Vincent... « pendant que les violons, à l'orchestre, font au contraire déborder un chant qui se charge d'expliquer pourquoi les deux amants ne peuvent plus chanter ».

 

(*) « Faust » est de 1859. Noter que, à la « période provençale » de Gounod, « Roméo et Juliette » n'est pas encore composé ; cet opéra ne verra les feux de la rampe qu'en 1867.

 

Entre temps, Gounod cherche — toujours d'après nature — un modèle pour le riche fermier Ramon, père de Mireille. Il ne tardera pas à le trouver en la personne du ... père de Mistral. A travers les récits et les confidences du poète, Gounod reconstitue cette figure de patriarche, à l'autorité immense. Femme, enfants, grands et petits, tous devant lui étaient à genoux. Sa femme ne l'a jamais appelé que « Maître ». Quand il prenait ses repas, elle le servait, mais sans s'asseoir à ses côtés. « C'était de la Bible, Ancien Testament, bien entendu ». Ainsi donc, Gounod ne se contentera pas de porter à la scène le poème de Mistral, il y introduira également... le père du félibre.

Grosse émotion : le 7 avril, il apprend que Georges Bizet (qui vient de mettre en chantier son « Pêcheurs de perles ») a formé le projet de le rejoindre en Provence. Aussitôt, Gounod écrit à son ami : « Viens ! Je t'enfermerai à côté de ma chambre. Tu verras comme on travaille, ici ! (*) » Mais Bizet continuera à pêcher ses perles sous le ciel de Paris...

 

(*) « Revue de Paris », 15 décembre 1869. pp. 696-697.

 

Un peu plus tard — le 19 avril — Gounod va à Tarascon, pour saluer, entre deux trains, Mme Carvalho, qui se rend à l'Opéra de Marseille, où elle doit jouer le rôle de Marguerite, de « Faust ». La grande cantatrice donne des ordres : « Du brillant ! Du brillant ! Du brillant ! » Sur le chemin du retour, Gounod grommelle dans sa barbe : « On fait ce qu'on est ; et, aussi, selon ce qu'on A A FAIRE ! » Ah ! ces artistes. Par bonheur, le compositeur s'aperçoit que « le ciel est orange, lilas et bleu ». Une belle consolation.

Maintenant, il rejoindrait bien Paris... Mais il tient à assister aux grandes fêtes des Saintes-Maries de la Mer. C'est là, pour Gounod, un vrai pèlerinage religieux. Et, aussi, une étude documentaire — puisque, de la terrasse de l'église fortifiée, Mireille, avant d'expirer, contemple l'horizon immense de la Méditerranée. Le compositeur se sent terriblement ému. Ce qui ne l'empêche point de noter : « C'est un beau dernier tableau du dernier acte... »

Mistral — à qui Gounod, de sa jolie voix de tenorino, a chanté toute la partition — ne cache pas sa joie. « Allons — avoue-t-il à Gounod — j'irai pleurer dans un coin, en entendant tout cela ! Vous, vous êtes venu au monde pour découvrir la Provence. Ah ! Vous le tenez, votre opéra... »

Avant de laisser repartir le musicien, les Saint-Remigeois ont tenu à offrir un banquet à leur hôte. En vers provençaux, Mistral lui porte un toast (on dit, là-bas, un brinde). Ensuite, au siège de « L'Echo des Alpilles », sur un vieil harmonium poussif, Gounod donne à ses amis la primeur de son œuvre (*) .

 

(*) La revue provençale, « L'aïoli » (divendre, 27 d'outobre 1893), reproduit le brinde de Mistral ainsi que la lettre de remerciements écrite par Gounod, dès son retour à Paris. — Le brinde a paru également dans « Le jubilé de Frédéric Mistral », par Charles-Roux (Marseille, 1912).

 

Le vendredi 29 mai 1863, Gounod débarque à Paris, où l'attendent son éditeur, Choudens — et Carvalho, directeur du Théâtre-Lyrique.

Ce n'est que le 4 octobre de cette même année que Gounod fera à Carvalho une première lecture de son opéra-comique. Le 19 mars 1864, « Mireille » paraîtra sur la scène parisienne de la place du Châtelet — cinq années jour pour jour après « Faust ».

La critique se montrera très dure. Et le public sera plutôt rétif... En 1865, le Théâtre-Lyrique abandonnera « Mireille », après onze représentations. Il est vrai qu'en son temps « Faust » n'avait pu dépasser sept représentations... Depuis, il faut bien l'avouer, « Faust » et « Mireille » ont bien pris leur revanche. Et nous n'avons pas fini d'entendre chanter les magnanarelles...

 

(Henri Gaubert, Musica, novembre 1955)

 

 

 

 

 

 

Catalogue des morceaux

 

  Ouverture    

Acte I - la Cueillette

01 Introduction Chantez, chantez, magnanarelles Mireille, Clémence, Taven, Soprani
02 Ariette O légère hirondelle Mireille
03 Duo Vincenette a votre âge Mireille, Vincent, Soprani

Acte II - les Arènes d'Arles

04 A - Farandole et Chœur La farandole, joyeuse et folle Mireille, Vincent, Chœurs
B - Chanson de Magali La brise est douce et parfumée Mireille, Vincent, Chœurs
C - Scène et Chœur Place! place aux coureurs! 4 Arlésiens, Chœurs
05 Chanson Voici la saison, mignonne Mireille, Taven
06 Air Trahir Vincent! Mireille
07 Couplets Si les filles d'Arles Ourrias
08 Finale Un père parle en père Mireille, Vincenette, Vincent, Ourrias, Ambroise, Ramon, Chœurs

Acte III - 1er tableau : le Val d'Enfer

09 Prélude    
Scène et Chœur Voici le Val d'Enfer Ourrias, Chœurs
10  Scène et Duo Ils s'éloignent! Taven, Vincent, Ourrias

Acte III - 2e tableau : le Rhône

11 Scène Ah! qu'ai-je fait? une Voix, Ourrias, le Passeur, Chœurs

Acte IV - 1er tableau : la Ferme de Ramon

12 Chœur des Moissonneurs Amis, amis, voici la moisson faite Ramon, Chœurs
13 Duo Ah! parle encore Mireille, Vincenette

Acte IV - 2e tableau : le Désert de la Crau

  Introduction - Musette    
14 Chanson Le jour se lève Andreloun
15 Cantilène Heureux petit berger! Mireille
Sortie du Berger    
16 Scène et Vision Allons, me voilà reposée!... En marche, en marche! Mireille

Acte V - l'Eglise des Saintes-Maries

17 Marche et Chœur Vous qui, du haut des cieux Chœurs
18 Cavatine Mon cœur est plein d'un noir souci... Anges du paradis Vincent
19 Duo Ah! la voilà! c'est elle!... La foi, de son flambeau divin Mireille, Vincent
20 Finale Quelle pâleur sur ton visage Mireille, Vincenette, Vincent, Ambroise, Ramon, Chœurs

 

 

 

LIVRET

 

 

Enregistrements accompagnant le livret

 

- Version intégrale 1954 : Janette Vivalda (Mireille) ; Christiane Gayraud (Taven) ; Madeleine Ignal (Vincenette) ; Christiane Jacquin (Clémence) ; Nicolaï Gedda (Vincent) ; Michel Dens (Ourrias) ; André Vessières (Ramon) ; Marcello Cortis (Ambroise) ; Robert Tropin (le Passeur) ; Chœurs du Festival d'Aix-en-Provence dir. Elisabeth Brasseur, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire dir. André Cluytens ; enr. en 1954, Grand prix du disque 1955 => analyse

 

- Version anthologique 1953 : Mado Robin (Mireille) ; Andrée Gabriel (Vincenette) ; Michel Malkassian (Vincent) ; Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire dir. Richard Blareau ; enr. en 1953

 

- Version anthologique 1962 : Andréa Guiot (Mireille) ; Alain Vanzo (Vincent) ; Rémy Corazza (Andreloun) ; René Bianco (Ourrias) ; Chœurs et Orchestre dir. Giancarlo Amati ; enr. en 1962

 

 

 

 

l'Acte I lors de la création

 

 

(édition originale de 1864)

 

ACTE PREMIER

 

 

L'ENCLOS DES MÛRIERS

 

 

Ouverture

 

 

 

Ouverture

intégrale 1954 (01)

distribution

 

 

 

Ouverture

anthologie 1962 (01)

distribution

 

 

    

 

Ouverture

Musique de la Garde Républicaine

Disque Pour Gramophone 030095, mat. 1635v, enr. à Paris le 09 juillet 1910

 

 

         

 

Ouverture

Musique de la Garde Républicaine dir. César Bourgeois

Pathé saphir 80 tours n° 6744, mat. 7493 et 7494, enr. en 1923/1925

 

 

         

 

Ouverture

Musique de la Garde Républicaine dir. Guillaume Balay

Gramophone K 5066, mat. 230426 et 230427, enr. le 12 janvier 1927

 

         

 

Ouverture

Orchestre Symphonique dir. François Rühlmann

Pathé X 8620, mat. N 300200-1 et N 300201-1, enr. vers 1927

 

 

         

 

Ouverture

Orchestre de l'Opéra-Comique dir André Cluytens

la Voix de son Maître SL 138, mat. 2LA5504-1 et 2LA5505-1, enr. au Théâtre des Champs-Elysées le 14 février 1949

 

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

NORADE, AZALAÏS, VIOLANE, JEUNES FILLES ARLÉSIENNES.

 

CHŒUR.

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

Comme les vertes sauterelles,

Au soleil, dans l'herbe des champs.

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

 

Fillettes rieuses

Et laborieuses,

Un rayon d'été

Nous met en gaîté !

Nous sommes pareilles

Aux blondes abeilles,

Dont l'essaim léger

Sur les fleurs vermeilles

Aime à voltiger !

 

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

Comme les vertes sauterelles,

Au soleil, dans l'herbe des champs.

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

(Elles emplissent leurs corbeilles de feuilles de mûriers. — Entre Taven la sorcière.)

 

 

 

 

Chœur des Magnanarelles

anthologie 1962 (02)

distribution

 

 

         

 

Chœur des Magnanarelles

Chœurs et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Gustave Cloëz

Odéon 165.170, mat. KI 1340-2 et KI 1341-1, enr. en 1927

 

 

 

SCÈNE II
LES MÊMES, TAVEN.

 

TAVEN, s'arrêtant au fond, appuyée sur son bâton de houx.

Ecoutez-les chanter et rire,

Ces fillettes au cœur joyeux !

Elles ne savent pas qu'un charme les attire

Au piège du chasseur, comme l'oiseau des cieux ;

Et qu'un jour vient où l'on soupire

Avec des larmes dans les yeux !

Ecoutez-les chanter et rire,

Ces fillettes au cœur joyeux !

 

LES JEUNES FILLES, riant.

C'est Taven la sorcière

Avec son aiguillon,

Et son vieux cotillon,

Plus gris que la poussière !

 

C'est Taven la sorcière

Avec son aiguillon !

Dans notre humble sillon

Elle a jeté sa pierre !

C'est Taven la sorcière

Avec son aiguillon !

 

AZALAÏS.

Qu'il vienne, le chasseur !... moi, je ris de son piège.

 

NORADE.

Le vert printemps ne craint ni le froid ni la neige !

 

AZALAÏS.

L'oiseau maître de l'air échappe aux oiseleurs !

 

NORADE.

Nos chansons feront fuir les soucis et les pleurs !

(Taven va s'asseoir à l'écart, en hochant la tête d'un air de doute.)


AZALAÏS.

Moi, si j’avais juré de n’écouter personne,

Quand un roi, fut-il des meilleurs,

De Pamparigouste ou d’ailleurs,

Pour obtenir ma main m’offrirait sa couronne,

Mon plaisir serait de le voir,

Pendant sept ans, matin et soir,

Soupirer à mes pieds pour un seul mot d’espoir.

 

NORADE.

Non pas moi, je l’avoue ! Et si, par aventure,

Quelque prince amoureux venait m'offrir sa main,

Jeune, galant, bien fait et de noble stature,

Je me ferais conduire au palais dès demain !

Impératrice et souveraine,

Avec un long manteau qui traîne,

Doublé d'hermine et brodé d'or,

Parmi vous, j'en ris à l'avance,

Je reviendrais pour voir encor

Notre beau pays de Provence !

(Mireille entre en scène, une corbeille à la main. Elle s'avance en souriant an milieu du groupe des jeunes filles.)

 

 

SCÈNE III

LES MÊMES, MIREILLE.


MIREILLE.

Et moi, si, par hasard, quelque jeune garçon,

Fût-il pauvre et timide et honteux de lui-même,

Me disait doucement : Mireille, je vous aime !

J'écouterais mon cœur plutôt que ma raison ;

Et sans souci des rires ni du blâme,

Comme dans une eau claire ayant lu dans son âme,

Je lui tendrais la main... et je serais sa femme.

 

LES JEUNES FILLES, riant.

Qui donc parle ainsi ?

Est-ce toi, Mireille ?

 

VIOLANE.

Vite, ouvrez l'oreille !

Ecoutez ceci :

La belle eut envie

D'un joli panier...

 

AZALAÏS.

En adroit vannier

Vincent l'a servie...

 

NORADE.

Et voyez un peu

Comme tout s'arrange :

Il eut en échange,

Un baiser d'adieu !

 

TAVEN, se levant et s'approchant de Mireille.

Silence ! vous mentez ! Mireille est la plus sage !

 

MIREILLE.

Vincent pour son cadeau n'eut qu'un remercîment ;

Mais de bon cœur… je le dis franchement,

J’aurais voulu lui donner davantage !

 

LES JEUNES FILLES, avec un rire moqueur.

Qui de nous choisirait un vannier pour amant !...

(Elles reprennent leurs paniers et se dispersent sous les arbres.)

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

Comme les vertes sauterelles,

Au soleil, dans l'herbe des champs.

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette, aime les chants !

 

 

SCÈNE IV
TAVEN, MIREILLE.

 

TAVEN.

C'est donc vrai ?... Conte-moi ton secret à l'oreille,

C'est donc vrai que Vincent est aimé de Mireille ?

 

MIREILLE.

Vers l’enclos des mûriers, en passant l’autre fois,

Je l’entends qui m’appelle et j’accours à sa voix :

« Un nid, dit-il, un nid ! » Et, riant de ma joie,

A peine a-t-il parlé,

Qu’il s’élance dans l’arbre ! Et la branche qui ploie

Lui livre son trésor ailé !...

Alors, moi, par malice, et m’asseyant dans l’herbe :

« Ami Vincent, connais-tu le proverbe ?

Lorsque l’on trouve à deux un nid dans un mûrier,

Avant la fin de l’an on se doit marier.

— Pourvu que les petits ne quittent point la cage ! »

Dit-il. « Mon Dieu ! j’ai peur ! dis-je, emprisonne-les ;

Car, s’ils prenaient leur vol, ce serait grand dommage ! »

De ma main aussitôt les gentils oiselets,

Avec mille baisers, glissent en mon corsage,

Et, folle, je m’enfuis, en murmurant tout bas :

« Adieu, Vincent, proverbe ne ment pas ! »

 

TAVEN, tristement.

Richesse et pauvreté s'accordent mal ensemble !

Je lis dans l'avenir, ô Mireille !... Et je tremble !

Ecoute... Si jamais ton cœur navré d'ennui

S'alarme d'un malheur pour toi-même ou pour lui,

Va porter ton offrande à l’église des SAINTES ;

Elles seules là-haut accueilleront tes plaintes,

Et te prêteront leur appui !...

Moi, jusque là, je promets de me taire ;

Et si je puis t’aider d’un avis salutaire,

Si tu crois qu’on fait bien parfois de m’écouter,

Souviens-toi de Taven ! Compte sur moi, mignonne ;

Et viens là bas me consulter.

(Elle s'éloigne à pas lents.)

 

 

 

 

Introduction

intégrale 1954 (02)

distribution

 

 

 

SCÈNE V
MIREILLE, seule, puis VINCENT.

 

MIREILLE, gaiement.

Adieu, bonne Taven !... Adieu !... le ciel rayonne !

L'oiseau chante ! Aujourd'hui rien ne peut m'attrister !

 

Ariette [ajoutée pour la reprise du 15 décembre 1864 ; ne figure pas dans l'édition originale]

 

O légère hirondelle,

Messagère fidèle

Vers mon ami

Vole gaiement           

Et conte-lui

Mon doux tourment,

Parle-lui pour moi-même,

Et dis-lui que je l’aime !

Vincent peut croire à mon serment !

Vole, vole gaiement !

 

 

 

 

Ariette "O légère hirondelle"

intégrale 1954 (02b)

distribution

 

 

 

Ariette "O légère hirondelle"

anthologie 1953 (01)

distribution

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Marguerite Chambellan (Mireille) et Piano

Pathé saphir 90 tours n° 449, enr. en 1905

 

 

         

 

Ariette "O légère hirondelle"

Aline Vallandri (Mireille) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours n° 688, réédité sur 80 tours n° 59, enr. en 1910

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Emma Luart (Mireille) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours n° 432, mat. 2807, enr. en 1923/1925

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Yvonne Brothier (Mireille) et Orchestre

Gramophone P 689, mat. 2-33033, BFR245-2, enr. le 09 novembre 1926

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Flore George (Mireille) et Orchestre dir. Roger Guttinguer

Idéal 12.270, mat. AN 236, enr. vers 1926

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Germaine Féraldy (Mireille) et Orchestre dir. Elie Cohen

Columbia D 15043, mat. LX 354-2, enr. le 05 mai 1928

 

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Lily Pons (Mireille) et Grand Orchestre dir. Gustave Cloëz

Odéon 188.642, mat. KI 2199-3, enr. le 20 février 1929

 

 

    

 

Ariette "O légère hirondelle"

Lily Pons (Mireille) et Orchestre dir. André Kostelanetz

Columbia LFX 814, mat. XCO 35.596, enr. le 05 janvier 1946

 

 

 

Ariette "O légère hirondelle"

Janine Micheau (Mireille) et Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire dir. Roger Désormière

Decca K 2158, mat. FAR 26, enr. le 24 mai 1948

 

 

 

Ariette "O légère hirondelle"

Mado Robin (Mireille) et Orchestre

filmé en public en 1958

 

 

 

(Apercevant Vincent qui passe au fond, sous les arbres.)

C'est toi, Vincent !

 

VINCENT.

Mireille !

(Il fait quelques pas pour s'éloigner.)

 

MIREILLE.

Où donc vas-tu si vite ?

 

VINCENT.

A courir par les prés le beau temps nous invite.

 

MIREILLE.

Ne peux-tu t'arrêter près de moi pour causer ?

(S'asseyant sur un banc de gazon.)

Je suis lasse et je veux un peu me reposer.

 

VINCENT, s'approchant de Mireille.

Ah ! si je suivais mon envie,

Mireille, à vos côtés je passerais ma vie !

Là-bas, dans notre humble maison,

Je suis seul en toute saison,

Avec ma sœur et mon vieux père ;

Et durant les longs soirs de l’hiver, bien souvent

Je n’entends au dehors que le Rhône en colère

Dont le grondement sourd se mêle au bruit du vent !

Le vieux vannier ne parle guère,

Ma sœur travaille et chante... et j'écoute en rêvant.

 

MIREILLE.

Ta sœur, Vincent... jamais tu ne m'as parlé d'elle ;

Comment la nomme-t-on ? est-elle jeune et belle ?

 

VINCENT.

Vincenette a votre âge et vous lui ressemblez.

Mais comme l'humble fleur des blés

Est sœur de la rose vermeille,

Vincenette est sœur de Mireille !

Devant les garçons assemblés

Si vous paraissiez auprès d'elle,

C'est vous qui seriez la plus belle !

 

MIREILLE, un peu confuse.

Oh ! ce Vincent !

Comme il sait gentiment tout dire !

Son parler est si caressant

Qu'on ne peut s'empêcher d'en rire !

Oh ! ce Vincent !

 

VINCENT.

Comme Vincent,

Chacun ici peut vous le dire !

D'un regard tendre et caressant,

Chacun vous suit et vous admire

Comme Vincent !

 

MIREILLE.

Ainsi ta sœur est belle fille,

Et plus qu'elle pourtant tu me trouves gentille !

 

VINCENT.

Oui, certes, et de beaucoup !

 

MIREILLE.

Pourquoi,

Vincent ?... Qu'ai-je de plus pour toi ?

 

VINCENT.

Et qu'a l'oiseau de Dieu qui vole et fend l'espace

De plus que le grillon

Caché dans le sillon,

Sinon la beauté même, et le chant et la grâce !

De mes ennuis, par un refrain moqueur,

Vincenette parfois en riant me console ;

Mais de vous la moindre parole

Enchante mon oreille et réjouit mon cœur !

Le soleil a bruni son front… mais vous, ô belle,

Des rayons brûlants de l’été

L’amour garde votre beauté,

Et vous abrite sous son aile !...

 

MIREILLE.

Oh ! ce Vincent !

Comme il sait gentiment tout dire !

Son parler est si caressant

Qu'on ne peut s'empêcher d'en rire !

Oh ! ce Vincent !

 

VINCENT, l'attirant dans ses bras avec amour.

Comme Vincent,

Chacun ici peut vous le dire !

D'un regard tendre et caressant,

Chacun vous suit et vous admire,

Comme Vincent !...

 

MIREILLE.

Mais le temps passe... Et j'oublie à t'entendre
Que les autres sont à m'attendre.

Adieu, Vincent ! Adieu, gentil vannier ;

Viens m'aider à poser sur mon front mon panier.

 

LE CHŒUR, dans la coulisse.

Mireille !

 

MIREILLE, se dégageant de l'étreinte amoureuse de Vincent.

On me cherche ! On m'appelle !

Vite séparons-nous !...

 

VINCENT, effleurant son front d'un baiser.

Adieu, Mireille ! Adieu !...

 

MIREILLE, pâle et chancelante sous le baiser de Vincent.

Ecoute et souviens-toi ! Sous le regard de Dieu,

Devant le seuil béni de la vieille chapelle,

Je te donne, ô Vincent, un pieux rendez-vous !

Si jamais le malheur vient frapper l'un de nous,

Aux SAINTES tous les deux !... Aux SAINTES à genoux !

 

VINCENT.

Aux SAINTES tous les deux !... Aux SAINTES à genoux !

(Ils se séparent.)

 

LE CHŒUR, dans la coulisse.

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

Comme les vertes sauterelles,

Au soleil, dans l'herbe des champs.

Chantez, chantez, Magnanarelles,

Car la cueillette aime les chants !

(La vieille Taven reparaît au fond et suit des yeux les deux amants, en branlant tristement la tête.)

 

 

 

 

Duo "Vincenette a votre âge"

intégrale 1954 (03)

distribution

 

 

 

Duo "Vincenette a votre âge"

anthologie 1953 (02)

distribution

 

 

 

Duo "Vincenette a votre âge"

anthologie 1962 (03)

distribution

 

 

    

 

Duo "Vincenette a votre âge"

Aline Vallandri (Mireille), Albert Vaguet (Vincent) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours n° 555, enr. en 1910

 

 

    

 

Duo "Vincenette a votre âge"

Ninon Vallin (Mireille), Léon Beyle (Vincent) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours n° 1476, réédité sur 80 tours n° 2519, enr. en décembre 1913

 

 

         

 

Duo "Vincenette a votre âge"

Yvonne Brothier (Mireille), Emile Marcelin (Vincent) et Orchestre

Disque Pour Gramophone U 41, mat. 34316 et 34317, enr. à Paris le 28 mai 1920

 

 

 

 

 

 

l'Acte II lors de la création (scène X)

 

 

 

ACTE DEUXIÈME

 

 

LES ARÈNES D'ARLES

 

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

BUVEURS attablés, BOURGEOIS et PAYSANS DU PAYS DE PROVENCE.

 

CHŒUR et DANSE.

La Farandole

Joyeuse et folle

Entraîne au bruit des chansons

Les filles et les garçons !

 

LES BUVEURS.

Quelles clameurs ! quelle joie !

De Nîmes à Tarascon,

Et d'Arle au pays gascon

Tout s'ébaudit et festoye !

Le bon muscat de Baume et le Férigoulet

Se boivent à la régalade !

Et les chants et le rire, amis du gobelet,

Guérissent plus d'un cœur malade !...

Vivent le vin de Baume et le Férigoulet !

 

 

SCÈNE II
LES MÊMES, MIREILLE, VIOLANE, NORADE, AZALAÏS ET TOUTE LA BANDE DES JEUNES FILLES ARLÉSIENNES.

 

LES JOUVENCEAUX.

Amis, voici Mireille,

La belle sans pareille !

 

LES JEUNES FILLES, bas, en riant entre elles.

Et l'amoureux Vincent, qui l'attendait là-bas,

S'empresse d'accourir au-devant de ses pas !

(Vincent accourt tout essoufflé ; il s'arrête à la vue de Mireille. — Les deux amants échangent un tendre regard à la dérobée.)

 

VIOLANE, bas.

C'est pour lui qu'elle vient !

 

AZALAÏS.

Et Vincent vient pour elle !

 

 

SCÈNE III

LES MÊMES, VINCENT.

 

LES JEUNES FILLES.

Bonjour, Vincent !

 

LES JOUVENCEAUX.

Bonjour, la belle !

 

LE CHŒUR, avec une intention maligne.

Dites-nous à vous deux quelque chanson d'amour.

 

VIOLANE.

Chantez-nous Magali…

 

AZALAÏS.

Magali, pauvre folle,

Qui, pour fuir son amant, se fait oiseau qui vole…

 

VIOLANE.

Et qui finit par aimer à son tour !

 

VINCENT.

Eh bien, que Mireille commence...

 

MIREILLE.

Puisque Vincent le veut, amis, faites silence,
Nous allons chanter tour à tour !

 

Chanson de Magali

 

La brise est douce et parfumée,

L'oiseau s'endort sous la ramée,

Au fond du bois silencieux !

La nuit sur nous étend son voile ;

Et, dans les cieux,

Je vois une amoureuse étoile

Luire à mes yeux !

 

VINCENT.

O Magali, ma bien-aimée,

Fuyons tous deux sous la ramée,

Au fond du bois silencieux !

La nuit sur nous étend ses voiles ;

Et tes beaux yeux

Vont faire pâlir les étoiles

Au sein des cieux !

 

I

MIREILLE.

Non, non, je me fais hirondelle,

Et je m'envole à tire-d'aile !

Tu peux aller au bois seulet.

 

VINCENT.

Adieu donc ! fuis à perdre haleine,

Pauvre oiselet

L'oiseleur te prendra sans peine

Dans son filet.

 

II
MIREILLE.

C'est en vain que tu me crois prise ;

Je suis nuage !

 

VINCENT.

Et moi, la brise,

Je t'emporte sur un rayon !

 

MIREILLE.

Je suis le bluet qui sommeille
Dans un sillon...

 

VINCENT.

Pour t'avoir, je me fais abeille

Ou papillon.

 

III
MIREILLE.

Le cloître enfin m'ouvre ses portes.

 

VINCENT.

Je suis le missel que tu portes ;

C'est moi qui te consolerai.

 

MIREILLE.

Si tu me suis au monastère,
Là je mourrai !

 

VINCENT.

Alors je me ferai la terre ;
Et je t'aurai !

 

MIREILLE.

Maintenant je me crois aimée !

Fuyons tous deux sous la ramée,

Au fond du bois silencieux !

La nuit sur nous étend son voile ;

Et, dans les cieux,

Je vois une amoureuse étoile

Luire à mes yeux !

 

VINCENT et MIREILLE.

La nuit sur nous étend son voile ;

Et, dans les cieux,

Je vois une amoureuse étoile

Luire à mes yeux !

 

LES ARLÉSIENNES et LES JOUVENCEAUX.

Comme le jour au sein des cieux,
Comme une étoile,

Dans l'air sans voile,

L'amour rayonne dans leurs yeux !

(Fanfares joyeuses. Rires et cris confus au dehors. — Mireille et Vincent sont séparés par la foule qui envahit le théâtre.)

 

UN ARLÉSIEN.

Place, place aux coureurs !... sur l'arène brûlante

Au signal ils vont s'élancer !

Landry va disputer le prix à Lagalante !

Qu'ils se donnent la main et l'on peut commencer !

(Les coureurs se donnent solennellement la main. On entend un roulement de tambourins. A ce signal, la foule se précipite vers les portes du cirque.)

 

VOIX DIVERSES.

C'est le signal !... courons !... vite il faut se presser !

(Les coureurs s'élancent hors du cirque, suivis par toute la foule des curieux. Taven et Mireille se rencontrent au fond du théâtre.)

 

Reprise du chœur : La farandole...

 

 

 

 

Farandole et Chanson de Magali

intégrale 1954 (04)

distribution

 

 

 

Chanson de Magali

anthologie 1953 (03)

distribution

 

 

 

Chanson de Magali

anthologie 1962 (04)

distribution

 

 

    

 

Farandole

Chœurs et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Gustave Cloëz

Odéon 165.169, mat. KI 1342-1, enr. en 1927

 

 

    

 

Chanson de Magali

Mary Boyer (Mireille), Franz Gautier (Vincent) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours n° 4619, enr. en 1907

 

 

    

 

Chanson de Magali

Lise Landouzy (Mireille), Gaston Dubois (Vincent) et Orchestre

Odéon 56.166, mat. xP 3749, enr. à Paris en 1907

 

    

 

Chanson de Magali

Marcelle Demougeot (Mireille), Agustarello Affre (Vincent) et Orchestre

Odéon 97.007, enr. à Paris en 1908

 

 

    

 

Chanson de Magali

Aline Vallandri (Mireille), Albert Vaguet (Vincent) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours n° 556, enr. en 1910

 

 

    

 

Chanson de Magali

Ninon Vallin (Mireille), Jean Marny (Vincent) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours 2554, mat. 2061, enr. en 1919

 

 

    

 

Chanson de Magali

Yvonne Brothier (Mireille), Emile Marcelin (Vincent) et Orchestre

Gramophone Y 69, mat. 34221, enr. le 28 mai 1920

 

 

    

 

Chanson de Magali

Marie-Thérèse Gauley (Mireille), Gaston Micheletti (Vincent) et Orchestre de l'Opéra-Comique dir Gustave Cloëz

Odéon 171.017, mat. XXP 6567-2, enr. le 01 juin 1928

 

 

    

 

Chanson de Magali

Germaine Féraldy (Mireille), Edmond Rambaud (Vincent) et Orchestre dir. Elie Cohen

Columbia LFX 99, mat. LX 1404-1, enr. le 03 novembre 1930

 

 

 

Chanson de Magali

Janine Micheau (Mireille), Pierre Giannotti (Vincent) et Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire dir. Alberto Erede

enr. en 1953

 

 


SCÈNE IV
TAVEN, MIREILLE.

 

TAVEN.

Eh bien !... Mireille, on t’abandonne !

Les voilà tous partis ; — tu ne les suis donc pas ?

(Elle s'assoit sur un escabeau et lui fait signe d'approcher.)

Viens là ! Je veux te dire une chose tout bas.

 

MIREILLE.

Parlez, bonne Taven !

(Elle s'approche vivement de Taven.)

 

TAVEN.

Oui, oui, tu me crois bonne

Parce que j'ai promis mon aide à tes amours !

 

MIREILLE, souriant.

Peut-être bien !... Dites toujours !...

 

TAVEN.

Voici la saison, mignonne,

Où les galants font leur choix !...

L'amour vole et papillonne

Par les prés et par les bois !

Les jouvenceaux sont en quête

De filles à marier...

La belle fait la coquette,

Le père se fait prier ;

Et plus d'un anneau se donne,

Qui passe à de jolis doigts !...

Voici la saison, mignonne,

Où les galants font leur choix !

 

MIREILLE, tristement.

Oui ! c'est le temps des accordailles !

Mais pourquoi parler de cela ?

 

TAVEN.

Tout à l'heure, en rôdant par là,

Le long de ces vieilles murailles

J'ai vu trois galants dont j'ai ri,

Se conter leurs amours rivales ;

Ourrias le dompteur de taureaux, — Alari

Le berger, et Pascoul le gardeur de cavales...

 

MIREILLE.

Eh bien ?

 

TAVEN.

A leurs propos, s'il faut ajouter foi,

Celle qu'ils ont choisie et qu'ils aiment... c'est toi !

 

MIREILLE.

Moi ?...

 

TAVEN.

J’ai bien entendu, car je prêtais l’oreille.

« Allons voir, ont-ils dit, le père de Mireille ;

Nous sommes tous les trois jeunes et beaux garçons ;

Qu’il connaisse nos vœux et, sans plus de façons,

Accepte l’un de nous pour terminer l’affaire. »

 

MIREILLE.

Que j'épouse et que j'aime un autre que Vincent,

Non ! mon père ni Dieu n'ont pouvoir de le faire !

 

TAVEN.

N’importe ! J'ai voulu t'avertir en passant.

(Elle s'éloigne à pas lents et disparaît en faisant un signe de la main à Mireille.)

 

 

 

 

Chanson de Taven "Voici la saison, mignonne"

intégrale 1954 (05)

distribution

 

 

    

 

Chanson de Taven "Voici la saison, mignonne"

Rose Heilbronner (Mireille), Suzanne Brohly (Taven) et Orchestre

Disque Pour Gramophone 034125, mat. 02219v, enr. à Paris le 21 novembre 1911

 

 

 

Chanson de Taven "Voici la saison, mignonne"

Germaine Cernay (Taven) et Orchestre dir. Gustave Cloëz

Odéon 188.601, enr. vers 1930

 

 

 

SCÈNE V

 

MIREILLE, seule.

Ah ! que jamais Dieu ne m’emparadise,

S’il faut que l’un d’entre eux m’accompagne à l’église !

Avant que je consente à choisir pour mari

Ourrias, ou Pascoul, ou le pâtre Alari,

Les noirs corbeaux, amis des tombes,

Seront plus blancs que les blanches colombes ;

Les cailloux de la Crau feront un sol fécond,

Et la mer baignera les murs de Tarascon !...

 

Trahir Vincent, vraiment ce serait être folle !

Quand passe le bonheur, s'il n'est pris, il s'envole !

 

Mon cœur ne peut changer !

Vincent, ô mon Vincent, souviens-toi que je t'aime !

Ta triste solitude et ta pauvreté même

Avec toi, pour toujours, je veux tout partager !

Mon cœur ne peut changer !...

 

Dans ta pauvre maison je suis prête à te suivre !

A ton foyer désert je suis prête à m'asseoir !

Cet humble sort m'enchante et ce rêve m'enivre !

Qui croit tenter mon âme emporte un fol espoir !...

 

Vincent, ô mon Vincent, souviens-toi que je t'aime !

Ta triste solitude et ta pauvreté même,

Avec toi, pour toujours, je veux tout partager !
Mon cœur ne peut changer !

(Ourrias paraît au fond.)

 

 

 

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

intégrale 1954 (06)

distribution

 

 

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

anthologie 1953 (04)

distribution

 

 

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

anthologie 1962 (05)

distribution

 

 

    

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

Marie Thiéry (Mireille) et Piano

Pathé saphir 90 tours n° 22, enr. en 1903/1904

 

 

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

Emma Luart (Mireille) et Orchestre dir. Gustave Cloëz

Odéon 188.519, enr. vers 1927

 

 

    

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

Germaine Féraldy (Mireille) et Orchestre dir. Elie Cohen

Columbia D 15043, mat. LX 288-2, enr. le 02 avril 1928

 

 

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

Geori Boué (Mireille) et Orchestre

Odéon 188.945, enr. le 29 mai 1945

 

 

 

Air "Mon cœur ne peut changer"

Jacqueline Brumaire (Mireille) et Orchestre Symphonique (musiciens de l'Opéra) dir. Roger Albin

enr. à la Schola Cantorum en avril/mai 1958

 

 

 

SCÈNE VI
MIREILLE, OURRIAS.

 

MIREILLE.

Ourrias !

(Elle fait quelques pas pour s'éloigner.)

 

OURRIAS.

Pourquoi fuir si vite à mon approche ?

Vous fais-je peur, la belle ? ou bien, sans le savoir,

Aurais-je mérité de vous quelque reproche ?

 

MIREILLE.

Aucun vraiment ! j'ai plaisir à vous voir.

 

OURRIAS.

Et moi, de vous charmer que n'ai-je le pouvoir !

Si comme épouse ou pèlerine,

Vous veniez à Sylvaréal,

Où souffle la brise marine,
Certe vous n’auriez pas grand mal !
Aux rudes travaux condamnée,

Mainte fille là-bas use ses jeunes ans ;

Mais vous, tant que dure l’année,

Vous pourriez vivre en fête et prendre du bon temps !

 

MIREILLE.

Au fond de ce pays sauvage

Dieu me garde de m’égarer !

La mer, en écumant, inonde le rivage ;

Et sous vos toits déserts le vent semble pleurer !

L’oiseau, sur cette terre nue,

Regrette le nid qu’il a fui ;

Et plus d’une que j’ai connue

Y meurt de tristesse et d’ennui !

 

OURRIAS.

Belle, quand on est deux l’ennui n’est pas à craindre.

 

MIREILLE, souriant.

Quand on est deux, l’ennui souvent est partagé !

 

OURRIAS.

Mireille cependant ne serait pas à plaindre

De voir son sort au mien pour toujours engagé !

Dans le cirque poudreux qu’un ciel de flamme éclaire,

Dans l’arène sanglante où grondent les taureaux,

Les filles d’Avignon, d’Arles et de Beaucaire

Des Ferrades m’ont vu proclamer le héros !

I

Si les filles d'Arles sont reines

Quand le plaisir les rassemble aux arènes,

Si les filles d'Arles sont reines,

Les bouviers aussi, je crois,

Dans la lande en feu sont rois !

Oui, là-bas, ils sont rois !...

Et s'ils veulent prendre femme,

La plus fière, au fond de l'âme,

Se soumet à leur choix !...

Mais fier à son tour de son doux servage,

Et quittant pour toi son désert sauvage,

Devant tous, ô belle ! Ourrias vainqueur

Se courbe à tes pieds pour gagner ton cœur !

II

Ourrias, bouvier de Camargue,

N'est point de ceux qu'on dédaigne et qu'on nargue !

Ourrias, bouvier de Camargue,

Son trident de fer en main,

Peut braver le genre humain,

Et suit droit son chemin !

Le dompteur que rien ne dompte

Pour parler à qui l'affronte

N'attend pas à demain !...

Mais fier à son tour de son doux servage,

Et quittant pour toi son désert sauvage,

Devant tous, ô belle ! Ourrias vainqueur

Se courbe à tes pieds pour gagner ton cœur !

 

 

 

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

intégrale 1954 (07)

distribution

 

 

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

anthologie 1962 (06)

distribution

 

 

    

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

Jean Noté (Ourrias) et Orchestre

Pathé saphir 90 tours P 115-1, réédité sur 80 tours P 97, enr. en 1910/1911

 

 

    

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

André Allard (Ourrias) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours 385, mat. 411, enr. en 1921/1923

 

 

    

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

André Baugé (Ourrias) et Orchestre

Pathé saphir 80 tours 426, mat. 1619, enr. le 14 octobre 1924

 

 

    

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

Etienne Billot (Ourrias) et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Albert Wolff

Odéon 171.035, mat. XXP 6498-1, enr. en 1928

 

 

    

 

Couplets "Si les filles d'Arles"

André Pernet (Ourrias) et Grand Orchestre dir. Gustave Cloëz

Odéon 188.716, mat. KI 3241-2, enr. le 11 avril 1930

 

 

 

MIREILLE.

Adieu !... permettez-moi de fuir... ou de me taire.

 

OURRIAS, avec dépit.

Pourquoi ?... parmi tous ceux qui cherchent à te plaire,

Ton père ce matin, croyant sagement faire,

M'a choisi.

 

MIREILLE, gaiement.

Comme lui, sachant votre désir,

Je puis vous écouter, sans paraître aussi sage,

Mais ce n’est pas à mon âge

Que l’on songe au mariage ;

Et nous en parlerons un jour plus à loisir !

(Elle fait quelques pas pour s’éloigner.)

 

OURRIAS, la retenant.

Non, mortdieu ! laissons là le mensonge et la ruse !

Je veux savoir si ton cœur me refuse,

Je veux...

 

MIREILLE.

Votre demande et vos tendres aveux

Me semblent, beau galant, dictés par l'amour même.

Mais, croyez-moi, pour qu'on vous aime,

Ne dites jamais : je veux !

(Elle s'enfuit en riant.)

 

 

SCÈNE VII
 

OURRIAS, seul.

Elle fait fi de moi, la belle !... elle me raille !

Bon ! qu’importe ! le vent brise un fétu de paille !

S’il veut de moi, son père, quelque jour,

Saura bien la forcer d’accepter mon amour !

 

 

SCÈNE VIII
OURRIAS, MAÎTRE RAMON.

 

RAMON, s'approchant d'Ourrias et lui frappant sur l'épaule.

Eh bien, que dit Mireille, ami ? quelle réponse ?

 

OURRIAS, avec dépit.

A l’espoir de lui plaire il faut que je renonce !

Mes vœux sont accueillis d’un sourire moqueur !

Un autre plus heureux est maître de son cœur ;

Mireille, en un mot, me refuse !

 

RAMON, gaiement.

Je m'en doutais, voyant cette mine confuse !

(Frappant sur une table.)

Allons ! buvons un coup !

(Il s’attable en face d’Ourrias. Une servante apporte une bouteille et deux verres. Ambroise, les épaules chargées de corbeilles d'osier, paraît au fond avec Vincent et Vincenette.)

 

 

SCÈNE IX

LES MÊMES, AMBROISE, VINCENT, VINCENETTE.

 

VINCENT, bas à Ambroise, lui montrant Ramon.

Le voilà !... parlez lui !...

(Vincenette aide Ambroise à se débarrasser de ses paniers.)

 

RAMON, à Ourrias en lui versant à boire.

De l’aventure, ami, ne garde point d’ennui !

Je sais soumettre au joug une fille rebelle,

Et l’époux que je veux doit être accepté d’elle !

 

OURRIAS, d’un ton railleur.

Demandez-lui plutôt de nommer son amant.

 

RAMON, avec colère.

Si quelqu’un s’en prétend aimé, je dis qu’il ment !

 

VINCENT, bas à Ambroise, au fond du théâtre.

Parlez-lui ! parlez-lui !... faites qu’il me la donne,

Ou sinon j’en mourrai !...

 

VINCENETTE.

Rendez-vous à ses vœux,

Père… Mireille aussi leur dira : Je le veux !...

A son chagrin faut-il qu’on l’abandonne ?

 

AMBROISE.

Allons !

 

VINCENETTE, bas.

Courage !

(Ambroise s’avance lentement vers Ramon.)

 

RAMON, frappant la table de poing.

Il ment ! Oui, sur mon âme, il ment !

Celui qui se dit aimé d’elle !...

Et j’en prends Dieu lui-même à témoin hautement

Mireille est aussi chaste et pure qu’elle est belle.

 

AMBROISE, lui touchant l'épaule.

Je viens vous demander, compère, un bon avis...

(Ramon se lève, Ambroise l'entraîne à l'écart.)

Depuis longtemps vous connaissez mon fils :

Je lui croyais le cœur bon, l'âme honnête ;

Mais savez-vous ce qu'il s'est mis en tête ?...

Le songe creux ! — Il a, je ne sais où,

Vu, par hasard, je ne sais quelle fille,

De bon renom et de riche famille,

Dont il s'est fait amoureux comme un fou !

« Il me la faut ! dit-il, je ne veux qu’elle !

Allez trouver son père et parlez-lui !

Qu’il ait pitié de ma peine cruelle !

Qu’il me la donne et vous réponde : oui.

Sinon je meurs !... » Hélas ! compère,
Le malheureux pleure et se désespère ;

Mon cœur se fend à le voir dépérir !

D'un bon avis daignez me secourir :

Faut-il aller demander, pauvre hère,

La fille en mariage… ou le laisser mourir ?

 

RAMON.

Bah ! la fille ni lui n'en mourront, je vous jure !

Mais d'un refus certain épargnez-vous l'injure ;

Et s'il ne suffit pas de parler ferme et haut,

Pour lui guérir le cœur,

(Montrant le bâton qu'il tient à la main.)

Vous avez ce qu’il faut !

 

AMBROISE, tristement.

Quand votre chien demande à boire, qu'on l'assomme !

(Mireille paraît au fond et s'arrête pour écouter. Vincent et Vincenette se rapprochent. Ourrias vide son verre d’un air indifférent.)

 

 

 

l'Acte II à l'Opéra-Comique en 1901 avec Marthe Rioton (Mireille), Adolphe Maréchal (Vincent), Félix Vieuille (Ramon), Hector Dufranne (Ourrias), Emile Jacquin (Ambroise)

 

 

SCÈNE X
LES MÊMES, MIREILLE.

 

RAMON.

Un père parle en père, un homme agit en homme !

Le chef de famille autrefois

Etait le maître et tout se courbait à sa voix !...

Et quand Noël voyait devant la table sainte,

S'asseoir l'aïeul, avec sa génération,

Le doux vieillard calmait toute rébellion

Et faisait taire toute plainte,

En versant sur ses fils sa bénédiction !...

Mais que l'un d'eux osât braver sa loi suprême,

Dieu juste !... il l'eût tué peut-être !...

 

MIREILLE, s'élançant vers son père, pâle et agitée.

Tuez-moi !

(Montrant Vincent.)

Je suis celle qu'il aime !...

Et devant Notre-Dame et devant Dieu lui-même,

Je vous jure que nul autre n'aura ma foi !...

(Ramon reste frappé de stupeur. Ambroise s'élance vers son fils comme pour le protéger. Ourrias se lève de table, les yeux fixés sur Vincent. Long moment de silence.)

 

RAMON.

Saints du ciel !... sur mon front c'est la foudre qui tombe !

 

AMBROISE, cherchant à entraîner Vincent.

Viens !... retournons là-bas puisqu'on nous fait affront !

 

VINCENT, avec désespoir.

Avant peu dans la tombe,

Vos mains me descendront !

 

VINCENETTE, bas, à Vincent.

Espère encor, Vincent... nos pleurs le toucheront !

 

OURRIAS, à part, avec rage.

C'est pour ce bel amant qu'elle me fait affront !

 

RAMON, saisissant Mireille par le bras.

Ecoute !... il en est temps !... reprends cette parole !

Démens ce fol aveu !...

 

MIREILLE.

Non, je ne suis pas folle,

Et l'aveu que je fais s'échappe de mon cœur !

 

RAMON, la repoussant.

Eh bien, brave la honte et le mépris moqueur !

Je ne te connais plus !... Adieu !... ma fille est morte !

Suis ton amant, suis l'époux de ton choix !

Va mendier ton pain de porte en porte,

Et chercher loin de nous un abri dans les bois !

(Lui saisissant de nouveau la main.)

Mais non, tu resteras !... je le veux ! je l'ordonne !

Quand je devrais te lier pieds et mains

Pour t'empêcher de courir les chemins !...

Quand je devrais...

(Il lève la main sur Mireille.)

 

MIREILLE.

Frappez... et que Dieu vous pardonne !

(Tombant aux pieds de son père.)

Hélas ! à vos pieds me voilà !

Je suis sans défense et sans armes !

Si ma pauvre mère était là,

Elle aurait pitié de mes larmes !...

Elle pardonnerait, elle tendrait la main

A l’enfant qui vous prie en vain !...

(Ramon détourne la tête sans répondre.)

Ah ! c'est fini !... je désespère

Si Dieu ne vient me secourir !...

(Elle se relève avec effort et cherche à retenir les mains Ramon dans les siennes.)

Vous voulez donc me voir mourir

Comme elle ! — Répondez, mon père !

(Retombant à genoux.)

Hélas ! à vos pieds me voilà !

Je suis sans défense et sans armes !

Si ma pauvre mère était là,

Elle aurait pitié de mes larmes !...

 

RAMON.

Relève-toi ! qu'attends-tu là ?

Je suis insensible à tes larmes !

 

VINCENT.

Hélas ! à ses pieds la voilà !

Il est insensible à ses larmes !

 

AMBROISE.

Viens, viens ! partons !... oublions-la !

Il est insensible à ses larmes !

 

VINCENETTE.

Partons, Vincent, et plaignons-la !

Il est insensible à ses larmes !

 

OURRIAS, à part.

Elle prie et pleure... et voilà

Le père qui cède à ses larmes !

(Quelques paysans passent au fond, et s'arrêtent pour écouter.)

 

RAMON, repoussant Mireille et tournant sa colère contre Ambroise.

C'est toi, misérable vannier !
Toi, qui, traîtreusement, tu ne peux le nier,
As machiné ce rapt infâme !

 

AMBROISE, se redressant avec colère.

Tu mens !... la pauvreté n'avilit point notre âme !

Et, Dieu merci, ma vie est à l'abri du blâme !

 

RAMON.

Quoi ! j'aurai sans repos travaillé si longtemps,

Pour assurer la paix de mes vieux ans,

Laisser mon bien à ceux de ma famille...

Et puis, ton fils me volera ma fille !

Tonnerre et sang !... C'est là ce que tu veux !

(Il saisit un bâton et menace Ambroise.)

 

MIREILLE, s'élançant vers Vincent.

Vincent !

 

VINCENT, retenant Ambroise.

Mon père !

(Les deux vieillards se mesurent un moment avec colère et semblent prêts à s'élancer l'un sur l'autre.)

 

RAMON, jetant son bâton.

Allez au diable tous les deux !

(On accourt de tous côtés. La foule les entoure.)

 

 

SCÈNE XI
LES MÊMES, LE CHŒUR.
 

RAMON.

Oui, que l'enfer de vous s'empare !

Allons ! mortdieu ! qu'on se sépare !

Et malheur à toi si demain

Je te rencontre en mon chemin !

 

AMBROISE.

Garde ton trésor, vieil avare !

C'est ton orgueil qui les sépare !

Puisses-tu rencontrer demain

Honte et malheur en ton chemin !

 

MIREILLE, les bras tendus vers Vincent.

C'est en vain que l'on nous sépare !

Je t'appartiens ! voici ma main !

A bientôt, Vincent ! — à demain !

 

VINCENT, à part, avec désespoir.

Il me refuse ! il nous sépare !

Sa main repousse notre main !

Je ne la verrai plus demain !

 

VINCENETTE.

Pauvres amants ! on vous sépare !

Partons, Vincent ! — Donne ta main !

Il faut nous remettre en chemin !

 

OURRIAS, à part.

Allons, mortdieu ! qu'on les sépare !

Et malheur à lui si demain

Je le rencontre en mon chemin !


LE CHŒUR, à Ramon.

Père cruel ! âme barbare !

C'est ton orgueil qui les sépare !

Pour eux nous t'implorons en vain !

Le ciel te punira demain !

(Ramon arrache Mireille des bras de Vincent. Mireille pousse un cri et s'affaisse entre les bras de son père. Ambroise entraîne Vincent. Taven et les jeunes filles arlésiennes s'empressent autour de Mireille évanouie.)

 

 

 

 

Finale

intégrale 1954 (08)

distribution

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

 

PREMIER TABLEAU

LE VAL D'ENFER

 

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

OURRIAS, JOUVENCEAUX, AMIS D'OURRIAS.

(Ourrias est armé d'un long bâton à triple pointe de fer.)

 

OURRIAS.

Voici le Val d'Enfer et la grotte des fées,

D'où sortent à minuit les plaintes étouffées,

Les rires et les cris des noirs esprits d'en bas,

Dont Taven la sorcière excite les ébats.

 

LE CHŒUR.

C'est ici qu'elle habite ?

 

OURRIAS.

Oui, dans ce lieu sauvage.

(D'un ton railleur.)

Si vous voulez, amis, on peut la consulter ;

Elle cache en lieu sûr, dit-on, certain breuvage

Dont les amants malheureux font usage,

Et qu’il serait prudent peut-être d'acheter.

 

LE CHŒUR,

A quoi bon te mettre en dépense ?

Si l'on fait fi de toi, le plus sage, je pense,

Est de t'en consoler.

 

DEMI-CHŒUR.

D'oublier l'aventure et de n'en plus parler.

 

DEMI-CHŒUR.

Bonne chance au vannier ! — Qu’il garde la donzelle !

 

LE CHŒUR.

Tu trouveras sans peine une fille plus belle.

 

DEMI-CHŒUR.

Et plus riche !

 

DEMI-CHŒUR.

Et plus sage !

 

OURRIAS, avec emportement.

Où donc se cache-t-elle

Cette fille plus belle et plus sage à vos yeux

Que Mireille elle-même ?

Qui de vous la connaît ? — Qui l'a vue... en quels lieux ?

Moi, je n'en veux pas d'autre et c'est elle que j'aime !

(S'écartant brusquement de ses compagnons.)

Mais la nuit vient. — Suivons chacun notre chemin.

 

LE CHŒUR, avec crainte et à demi-voix.

Car c'est l'heure des mauvais rêves !...

L'heure où les farfadets, les lutins et les Trèves

Sur la pointe des flots et le sable des grèves

Dansent au clair de lune en se donnant la main !

 

OURRIAS.

Evitez leur rencontre. — A demain !

 

LE CHŒUR.

A demain !

(Ils se séparent. Ourrias reste seul accoudé contre un rocher.)

 

 

SCÈNE II
OURRIAS, VINCENT.

 

OURRIAS.

N’entends-je pas marcher ?

(Il se penche dans l’ombre et écoute.)

 

VINCENT.

Où suis-je ? — Voici l’heure

De regagner notre pauvre demeure.

(Il fait quelques pas, et se laisse tomber sur une pierre.)

Ah ! je me sens mourir ! — Et je souffre… et je pleure !

(Se cachant la tête dans les mains en sanglotant.)

O Mireille !... Mireille !... Hélas !

 

OURRIAS, à part.

Mort et malheur ! — C'est lui ! Je ne me trompais pas !

Au fond de ce ravin sombre,

Où la nuit répand son ombre,

C'est l'enfer qui le jette au-devant de mes pas !

 

VINCENT.

Au fond de ce ravin sombre,

Triste et seul, errant dans l’ombre,

Je t’appelle, ô Mireille, et tu ne m’entends pas !

 

OURRIAS, s'approchant brusquement de Vincent.

Te voilà donc, heureux garçon qu'on aime,

Galant vannier que l'on préfère à tous,

Et que Mireille même

A choisi pour époux !...

 

VINCENT, se levant.

A mon bonheur, ami, ne porte pas envie !

C'est en vain que son cœur m'a choisi ; — c'est en vain

Qu'elle m'aime ! — Son père a repoussé ma main

Et brisé d'un seul mot le rêve de ma vie !

 

OURRIAS.

Qu'importent les refus du père et son mépris,

Si c'est toi dont le cœur de la belle est épris !

(Avec une rage contenue.)

Mais dis-moi par quel sortilège,

Par quel charme maudit tu l'as prise à ton piège ;

Parle, réponds ! — Quel philtre a troublé sa raison ?

 

VINCENT.

Pourquoi m'outrages-tu par ce lâche soupçon ?

 

OURRIAS.

Et comment donc se peut-il faire

Qu'à la face même de Dieu,

La belle au plus riche préfère

Un vagabond sans feu ni lieu ?...
II faut bien penser, à ce compte,
Qu'elle a perdu l'esprit et perdu toute honte !

 

VINCENT.

Tais-toi ! tais-toi ! c'est mal parlé !

Prends garde d'insulter Mireille !

La colère enfin se réveille

Au fond de mon cœur désolé.

Aussi vrai que Mireille m'aime,

Moi, le vannier, moi, Vincent,

Je vais tout à l'heure, ici même,

Laver tes mépris dans ton sang !

 

OURRIAS.

Tu veux donc que ma main te ploie

Et te brise comme un roseau,

Et te jette comme une proie

Aux loups affamés de la Crau !...

Va-t-en ! n’excite pas ma rage.

Je te déteste ; — je te hais !

Votre amour m’irrite et m’outrage ;

C’est toi qu’elle aime, et je l’aimais !

(Le repoussant avec colère.)

Par le ciel ! — si tu tiens à vivre,

Séparons-nous ! — éloigne-toi !

Un transport furieux m’enivre ;

Je ne suis plus maître de moi !...

 

VINCENT.

Quel transport furieux m’enivre ?

Séparons-nous ! — éloigne-toi !

Demain si je cessais de vivre

Mireille mourrait avec moi !

 

OURRIAS.

Va-t'en ! — va-t'en ! — Malheur à toi !

(Il frappe Vincent de son bâton ferré. Vincent pousse un cri et tombe.)

 

VINCENT.

O Mireille ! — je meurs pour toi !

 

OURRIAS.

Dieu ! — qu'ai-je fait ? — Fuyons !...

(Il disparaît parmi les rochers.)

 

 

SCÈNE III
TAVEN, VINCENT.

 

TAVEN, paraissant au fond.

Quelle sinistre plainte

A traversé la nuit ? — Mon cœur frémit de crainte !

(Elle s'avance et heurte du pied le corps de Vincent.)

Un homme est couché là... le front baigné de sang,

Immobile, muet, glacé !... Dieu tout-puissant !

Je reconnais ses traits dans l'ombre !... C'est Vincent !

(Se redressant avec colère.)

Et lui, le meurtrier, le traître,

Qui fuit là-bas comme un bandit,

Je le connais aussi !... j'ai su le reconnaître !...

Sois maudit, Ourrias ! maudit ! trois fois maudit !

(Elle se penche sur Vincent, et essuie avec un pan de son manteau la blessure de son front.)

 

 

 

 

Acte III tableau I

intégrale 1954 (09)

distribution

 

 

 

 

 

 

 

esquisse de décor du 2e tableau de l'Acte III par Philippe Chaperon (1857)

 

 

 

ACTE TROISIÈME

 

 

DEUXIÈME TABLEAU

LA DANSE DES TRÈVES

 

 

Les eaux du Rhône, éclairées par la lune, couvrent tout le théâtre et se perdent au loin dans la brume. — Une pointe de terre, bordée d'ajoncs sauvages, s'avance au milieu du fleuve. — C'est là qu'Ourrias s'arrête dans sa fuite.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

OURRIAS, seul.
(Il entre précipitamment, pâle, effaré et les cheveux en désordre.)

I

Ah ! qu'ai-je fait ?

La main de Dieu courbe mon front coupable !

De mon forfait

Le souvenir me poursuit et m'accable !

Le remords pour jamais est entré dans mon cœur...

J'ai peur !

II

Le sang versé

Souille mes mains d'un signe ineffaçable !

Pâle et glacé,

Vincent, là-bas est couché sur le sable !...

Le remords pour jamais est entré dans mon cœur...

J'ai peur !

(Tombant à genoux.)

Détournez de moi votre glaive.

Faites-moi grâce, archanges menaçants !
(Après un silence.)

Mais quel vain rêve

Trouble mes sens ?

(Il regarde autour de lui.)

La nuit est calme et claire ;

La plage est solitaire...

(Il se relève.)

Hâtons-nous de gagner l'autre côté de l'eau !
Holà ! passeur, amène ton bateau !

(Son appel, répété par un écho lointain, se perd dans le silence de la nuit. On entend un long soupir traverser l'espace.)

Dieu !... quels accents funèbres

S'exhalent dans les airs !

Quels fantômes hideux passent sous les flots clairs,
Ou se dressent dans les ténèbres ?...

(Des lueurs livides glissent sur les eaux. De blancs fantômes semblent sortir des profondeurs du fleuve. Une cloche lointaine sonne minuit.)

 

 

SCÈNE II
OURRIAS, LES TRÈVES, puis LE PASSEUR.

 

CHŒUR DES TRÈVES.

Voici minuit !

Un feu qui luit

Traverse l'ombre !

Les trépassés

Sortent glacés

Du gouffre sombre !

Le ciel est bleu !

L'air nous enivre !

Béni soit Dieu

Qui nous délivre !

 

LES FILLES MORTES D'AMOUR.

Nous sommes les folles d'amour !

Les pauvres filles délaissées,

Que la mort a sans retour,

Au vieux Rhône fiancées !...

 

VOIX DIVERSES.

O nuit ! ciel étoilé ! doux parfums de la terre !

O mort ! cruel exil ! lamentable mystère !

 

OURRIAS, avec terreur.

Je me souviens !... C'est à minuit
Que les Trèves sans bruit

Sortent du gouffre sombre !

Je les vois... Je les vois glisser sous le flot bleu
Et se dresser dans l'ombre

Les bras tendus vers Dieu !

 

LES TRÈVES.

Le ciel est bleu !

L'air nous enivre !

Béni soit Dieu

Qui nous délivre !

(Les voix se taisent. La funèbre procession disparaît dans la brume.)
 

OURRIAS, se redressant.

A moi, passeur !... à moi, batelier de l'enfer !

 

UNE VOIX.

Qui m'appelle ?

 

OURRIAS, agitant son épieu d'un air de menace.

Ourrias, et son trident de fer !...

(Un bateau semble sortir soudainement du fond de l'abîme. Un batelier, au visage pâle, enveloppé dans une longue cape noire, se tient debout à l'avant du bateau.)

 

LE PASSEUR.

Me voici... hâtons-nous.

 

OURRIAS.

Tu t'es fait bien attendre,

Passeur !... une autre fois tâche de mieux entendre.

(Il saute dans la barque.)

Aborde, maintenant ! aborde !

(Le passeur plonge sa gaffe dans l'eau pour faire marcher le bateau.)

Saints du ciel !

L'eau se gonfle et mugit... et ton bateau s'arrête !

Traître ! tu répondras de mes jours sur ta tête

Et sur ton salut éternel !...

 

LE PASSEUR.

Ourrias, ta colère est vaine !

Mon bateau porte un poids maudit !

Songe à Vincent... frappé par toi !

 

OURRIAS.

Qui te l’a dit ?

 

LE PASSEUR.

Le Dieu vengeur dont la main nous entraîne !

(Ourrias pousse un cri d'effroi : la barque s'engloutit.)

 

 

 

 

Acte III tableau II

intégrale 1954 (10)

distribution

 

 

 

 

 

 

1er tableau de l'Acte IV, estampe d'Eugène Burnand (1874)

 

 

 

ACTE QUATRIÈME

 

 

PREMIER TABLEAU

LE REPAS DES MOISSONNEURS

 

 

Une chambre de ferme. — Grande porte au fond ouverte à deux battants.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

Sur le devant du théâtre, une longue table autour de laquelle sont assis les moissonneurs. Au dehors, dans la cour de la ferme, un grand feu autour duquel les enfants forment une ronde joyeuse.

 

CHŒUR.

Amis, voici la moisson faite !

Entassez les fagots ; — faites flamber le feu !
Et jusqu'au jour que chacun fête

Saint Jean le moissonneur, saint Jean l'ami de Dieu !

 

Les blés mûrs couvrent la plaine ;

L’aire bientôt sera pleine

De grains jaunes comme l’or !

Le divin maître du monde

Force la terre féconde

A nous livrer son trésor !...

 

Amis, voici la moisson faite !

Entassez les fagots ; — faites flamber le feu !
Et jusqu'au jour que chacun fête

Saint Jean le moissonneur, saint Jean l'ami de Dieu !

 

LES ENFANTS, au dehors.

Saint Jean ! saint Jean ! saint Jean !

(Ramon et Mireille paraissent sur le seuil. Les danses s'interrompent aussitôt, les voix se taisent. Les moissonneurs se lèvent et se découvrent avec respect.)

 

 

SCÈNE II
LES MÊMES, RAMON, MIREILLE.

 

RAMON.

Bien ! — réjouissez-vous, amis ! — Voici le maître !

Au diable les soucis et prenons du bon temps !

De vos rudes labeurs, dès que le jour va naître,

Vous serez tous payés en beaux écus comptants.

 

LES ENFANTS, entourant Mireille et lui offrant un bouquet.

Après la moisson finie,

A vous la gerbe bénie,

Faite d'épis et de fleurs !

Que bientôt ainsi Dieu même

Vous donnant à qui vous aime,

Lie à jamais vos deux cœurs !...

Après la moisson finie,

A vous la gerbe bénie

Faite d'épis et de fleurs !

(Mireille prend le bouquet et embrasse sans répondre l'enfant qui le lui offre.)

 

LE CHŒUR, à demi-voix.

Qu'a-t-elle donc ? — Pourquoi cette mine attristée ?

 

RAMON, bas aux moissonneurs, en s'efforçant de rire.

Chut ! — Mireille m'en veut ! — Mireille est irritée !

Je vous dirai pourquoi demain.

(Mireille traverse lentement le théâtre et se retire dans sa chambre.)

Allons, un dernier coup, enfants ! — Le verre en main !

 

REPRISE DU CHŒUR.

Amis, voici la moisson faite !

Entassez les fagots, faites flamber le feu !

Et jusqu'au jour que chacun fête

Saint Jean le moissonneur, saint Jean l'ami de Dieu !

 

LES ENFANTS, au dehors, dansant autour du brasier.

Saint Jean ! saint Jean ! saint Jean !

(Les garçons de ferme ont enlevé la table. Les moissonneurs sortent en chantant. La porte du fond se ferme. Les dernières lueurs du brasier s'éteignent et les voix s'éloignent. Ramon reste seul.)

 

 

SCÈNE III

 

RAMON, seul.

Ah ! malheureuse enfant ! ah ! maudites amours !

Cruels soucis qu'un sort funeste nous envoie !

C'en est fait de ma joie,

Et du repos de mes vieux jours !...

(Avec un accent désolé et le front penché vers la terre.)

Aux jours d'été les grands orages !

Le ciel obscurcit l'horizon ;

L'éclair déchire les nuages ;

Le vent disperse la moisson !

Ainsi le deuil frappe à ma porte !

Ainsi le malheur fond sur moi,

Brisant mon rêve qu'il emporte !...

Telle est de Dieu l'aveugle loi !...

(Il regagne tristement sa chambre. Le théâtre reste plongé dans l’obscurité.)

 

 

SCÈNE IV

MIREILLE, dans sa chambre, puis VINCENETTE.

 

MIREILLE.

O Magali, ma bien-aimée,

Fuyons tous deux sous la ramée

Au fond du bois silencieux !

La nuit sur nous étend ses voiles,

Et tes beaux yeux

Vont faire pâlir les étoiles

Au sein des cieux !...

(Vincenette entr’ouvre doucement la porte du fond. Elle écoute et se dirige sur la pointe du pied vers la chambre de Mireille.)

 

 

 

 

 

Acte IV tableau I début

intégrale 1954 (11)

distribution

 

 

 

VINCENETTE, frappant à la porte de Mireille.

Mireille !

 

MIREILLE.

Qui m'appelle ? — Est-ce lui !

(Elle ouvre sa porte et reconnaît Vincenette.)

Toi, mignonne

 

VINCENETTE.

Oui, oui, ma visite t’étonne !

Mais j’avais hâte de te voir.

Parlons bas ; n'éveillons personne !

Embrassons-nous vite et bonsoir.

(Elle se jette autour du cou de Mireille et l’embrasse.)

 

MIREILLE.

Hélas ! tes yeux sont pleins de larmes !

Qu'as-tu donc ? — Qu'est-il arrivé ?

 

VINCENETTE.

Apaise tes tendres alarmes,

Pauvre Mireille ! — Il est sauvé !

 

MIREILLE.

Sauvé, grand Dieu ! — Qui donc ? — Je tremble !

 

VINCENETTE.

Le mauvais sort cette nuit les rassemble

Sur le chemin du Val d'Enfer,

Et le traître Ourrias, ivre de folle rage,

Le frappe au front de son trident de fer !

 

MIREILLE.

Ciel !... Ourrias !... Vincent !

 

VINCENETTE.

Attends et prends courage !

Le ciel envoie à son secours

Taven qui revenait chez elle ;

Andreloun, le berger, m’apporte la nouvelle ;

Je me lève en hâte et j’accours !

Hélas !... pâle et sanglant, sur un lit de fougère

Je le vois étendu dans l’ombre : « Ne crains rien !

Me dit Taven, tout ira bien !

Il dort ; sa blessure est légère. »

Alors, pour te conter ma crainte et mon souci,

Malgré l’heure, à travers la plaine,

Sans m’arrêter et sans reprendre haleine,

Je vais… je marche… Et me voici !

 

MIREILLE, avec anxiété.

Ah ! parle encore ! achève !... en tremblant je t'écoute !

Tu ne m'as pas tout dit ! tu me trompes sans doute

De peur de m'affliger !

Vincent m'attend !... sa vie est en danger !

 

VINCENETTE, lui prenant doucement les mains.

Non ! non ! que ton cœur se rassure !

Taven guérira sa blessure !

Ne pleure plus, ô Mireille ! et crois-moi :

Si je tremblais pour lui, serais-je auprès de toi ?

 

MIREILLE, avec une exaltation croissante.

Eh bien, c'est aujourd'hui que l'église des Saintes

Ouvre sa porte aux malheureux !

Dieu même, dans le ciel accueillera leurs plaintes,
Et les anges prieront pour eux !

Femmes, vieillards, enfants du pays de Provence,

Les pieds nus et les yeux en pleurs,

Iront porter là-bas leur humble redevance

D'épis mûrs, de fruits et de fleurs !

Moi, je veux, cette fois, arriver la première

Devant le porche du saint lieu ;

Et, dans l'ombre, à genoux, et, le front sur la pierre,

Pour mon Vincent implorer Dieu !

 

VINCENETTE.

Ah ! chère sœur ! chère Mireille !

C'est le ciel qui t'inspire et Dieu qui te conseille !

 

MIREILLE.

Viens !... la nuit nous protège !... et mon père sommeille.
(Prenant à la hâte dans un tiroir tous ses bijoux de jeune fille.)

Bracelets et colliers, anneaux d'argent et d'or,

Rameaux de buis bénit, saintes palmes fleuries,

Tous mes pauvres joyaux, tout mon petit trésor

J'en fais don aux Saintes Maries !

(S'agenouillant.)

O patronnes des amoureux !

 

VINCENETTE, les mains jointes et les yeux au ciel.

Refuge des cœurs malheureux !

 

MIREILLE.

Saintes martyres !

 

VINCENETTE.

Saintes femmes !

 

MIREILLE.

Dont le regard lit dans nos âmes !

 

VINCENETTE.

Dont la main efface nos pleurs !...

 

MIREILLE.

Et guérir toutes nos douleurs !

 

VINCENETTE.

Ainsi qu'à Dieu même,

A vous j'ai recours !

 

MIREILLE.

Protégez les jours

De celui que j'aime !

(Se relevant.)

Il est temps de partir !... allons, n'hésitons pas.

Qu'un bon ange guide nos pas !

(Se tournant vers la chambre de son père.)

Dieu me pardonnera... Pardonnez-moi, mon père !

Adieu !... j'aime !... je crois !... j 'espère !

(Elles sortent.)

 

 

 

 

Acte IV tableau I fin

intégrale 1954 (12)

distribution

 

 

 

Duo "Ah! parle encore!"

anthologie 1953 (05)

distribution

 

 

 

 

 

 

 

ACTE QUATRIÈME

 

 

DEUXIÈME TABLEAU

LE DÉSERT DE LA CRAU

 

 

Vaste étendue de terrain pierreux et aride, éclairé par un soleil ardent. — Sur le premier plan, quelques arbres tordus par le vent. — A droite, une vieille citerne en ruines à demi enfouie sous les herbes. — Le silence n'est interrompu que par le chant monotone des cigales ou le cri aigu de quelque oiseau de proie traversant l'air. — Andreloun entre en scène en soufflant dans un chalumeau.

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

ANDRELOUN, seul.

Le jour s’épanche en traits de feu

Dans le ciel bleu !

Au loin, déjà l'ardente grève

Que nulle brise ne soulève

S'enflamme et luit !

Vers les flots clairs, l'oiseau s'enfuit !

Et moi, tout seul avec mes chèvres,

La soif aux lèvres,

J'erre au hasard, d'un pas tranquille et lent

Dans ce désert brûlant !

Le lézard gris boit la lumière ;

L'humble grillon, dans la poussière,

Chante au soleil,

Et moi, couché dans la bruyère,

Je me sens pris par le sommeil !...

(Il s’asseoit à l’ombre. Mireille entre en courant, les cheveux au vent, et le corsage dénoué.)

 

 

 

 

Chanson "Le jour se lève"

intégrale 1954 (13)

distribution

 

 

 

Musette et Chanson "Le jour se lève"

anthologie 1962 (07)

distribution

 

 

    

 

Chanson "Le jour se lève"

Mary Boyer (Andreloun) et Piano

Pathé saphir 90 tours n° 419, enr. en 1903

 

 

 

SCÈNE II

ANDRELOUN, MIREILLE.

 

MIREILLE.

Vincenette et Taven veillent auprès de lui ;

Moi, dans l’ombre cachée,

Doucement je me suis penchée,

Pour effleurer son front d’un baiser… et j’ai fui !

(Regardant autour d’elle.)

Voici l’ardent désert !... voici la vaste plaine !

Avant d’aller plus loin, reposons-nous un peu

Et reprenons haleine !...

Dieu bon, fais que Mireille accomplisse son vœu !

(Apercevant Andreloun.)

Bonjour, petit berger… Que fais-tu là ?

 

ANDRELOUN.

J’écoute

Les cigales chanter et laisse fuir le temps.

Mais vous, la belle ?...

 

MIREILLE, souriant.

Moi, j’attends

Que tu m’offres ton aide et me dises ma route.

 

ANDRELOUN.

Dans la lande, où tout seul j’erre avec mon troupeau,

Comment vous êtes-vous si matin égarée ?

 

MIREILLE.

Ne pourrais-tu d’abord de quelques gouttes d’eau

Rafraîchir ma lèvre altérée ?

 

ANDRELOUN, montrant la citerne.

Mes chevreaux se sont là tout à l’heure abreuvés ;

(Il se penche et puise de l’eau dans le creux de ses mains.)

Et la source n’est pas encore à sec…

(Tendant ses mains pleines d’eau à Mireille.)

Buvez.

 

MIREILLE.

Merci !

 

ANDRELOUN, l’examinant d’un air curieux.

N’êtes-vous pas Mireille la jolie,

Celle pour qui tous les garçons

Ont fait déjà mille chansons,

Et pour qui tous les cœurs semblent pris de folie ?

 

MIREILLE.

C’est moi qui suis Mireille ; heureux enfant, plains-moi !

Je voudrais être libre et pauvre comme toi.

 

ANDRELOUN.

Pouvez-vous comparer mon humble sort au vôtre !

 

MIREILLE.

Ton bonheur m’eût suffi ; je n’en voulais point d’autre !

(S’asseyant près de lui sur la margelle du puits.)

Heureux petit berger,

Ton sort me fait envie !

Libre et le cœur léger,

Les soucis de la vie

Ne peuvent t'affliger,

Heureux petit berger !

 

Tout seul avec tes chèvres,

Dans ce désert de feu,

Tu dors sous le ciel bleu

Une chanson aux lèvres.

 

Et pendant ton sommeil,

Les joyeuses cigales

Font tinter au soleil

Leurs bruyantes cimbales !...

 

Heureux petit berger,

Ton sort me fait envie !

Libre et le cœur léger,

Les soucis de la vie

Ne peuvent t'affliger,

Heureux petit berger !

(Se levant.)

Mais le temps fuit ; — adieu ! — je te laisse à ton rêve…

 

 

 

 

Cantilène "Heureux petit berger"

intégrale 1954 (14)

distribution

 

 

 

Cantilène "Heureux petit berger"

anthologie 1953 (06)

distribution

 

 

 

Cantilène "Heureux petit berger"

anthologie 1962 (08)

distribution

 

 

    

 

Cantilène "Heureux petit berger"

Jeanne Daffetye (Mireille)

Dutreih D 299, mat. J 38 646, enr. vers 1904

 

 

    

 

Cantilène "Heureux petit berger"

Marie Thiéry (Mireille) et Orchestre dir. Alexandre Luigini

Pathé 90 tours n° 26, enr. en 1905

 

 

    

 

Cantilène "Heureux petit berger"

Germaine Féraldy (Mireille) et Orchestre dir. Elie Cohen

Columbia D 13055, mat. L 1175-1, enr. en 1928

 

 

 

ANDRELOUN.

Où courez-vous ?

 

MIREILLE.

Là-bas, sur la brûlante grève,

Au bord des flots mouvants,

Comme un phare divin battu par tous les vents,

La pieuse chapelle à l’horizon s’élève,

J’y vais porter mon offrande et mes vœux.

 

ANDRELOUN.

Déjà le soleil monte et verse tous ses feux !

Les oiseaux ont fermé leur aile,

Et se tiennent blottis à l’ombre, ô jouvencelle !

Par prudence, faites comme eux ;

Des rayons de midi la blessure est mortelle !

 

MIREILLE.

N’importe !... je ferai seule tout le chemin ;

Et si mon cœur faiblit, Dieu me tiendra la main !

 

ANDRELOUN.

Adieu donc !... traversez la lande ;

Portez aux Saintes votre offrande !

Moi, je reprends gaîment ma flûte de roseau,

Et pour fuir la chaleur trop grande,

Je vais sous cet abri rassembler mon troupeau.

(Il sort lentement en soufflant dans son chalumeau.)

 

 

SCÈNE III

 

MIREILLE, seule.

Allons ! me voilà reposée !...

Le cœur plein d’un espoir divin,

A travers la lande embrasée,

A travers ce désert sans fin,

Remettons-nous en marche, ainsi que Maguelonne !

Les ailes de l'amour et le vent de la foi,

Sous le ciel ardent qui rayonne

Jadis l'emportaient comme moi !...

 

Ni la sombre mer écumante,

Ni la foudre, ni la tourmente,

Ni les traits enflammés du jour,

N'ont arrêté la pauvre amante,

L’humble pèlerine d'amour !

(Elle fait quelques pas.)

Mais le ciel m'éblouit !... le jour m'aveugle !

(Elle s'arrête.)

Où suis-je ?

Je me sens prise de vertige !...

(Tendant les mains vers l'horizon.)

Et là-bas, là-bas, ô prodige !

Dans l'azur transparent des cieux,

Quel rêve de terre promise

Tout à coup surgit à mes yeux !

(On voit au loin se dessiner dans le ciel, par un effet de mirage, une ville miraculeuse au bord d'un grand lac entouré d'arbres.)

Est-ce Jérusalem et sa pieuse église,

Ou le tombeau des Saintes de la mer ?

(L'image disparaît peu à peu et s'efface.)

Mais non !... la vision s'évanouit dans l'air,
L'image ailée
S'est envolée !...

(Elle s'élance en avant et s'affaisse tout à coup en poussant un cri de douleur et en portant ses mains à son front.)

Ah ! de sa flèche d'or

Le soleil m'a blessée !...

Je meurs !... adieu, Vincent !... pleure ta fiancée !

(Après un long silence, se relevant avec effort.)

Non, non !... je ne veux pas mourir ! marchons encor !

Ni la sombre mer écumante,

Ni la foudre, ni la tourmente,

Ni les traits enflammés du jour,

N'arrêteront la pauvre amante,

L’humble pèlerine d'amour !

(Elle s’éloigne en chancelant.)

 

 

 

 

Air de la Crau

intégrale 1954 (15)

distribution

 

 

 

Air de la Crau

anthologie 1962 (09)

distribution

 

 

         

 

Scène de la Crau

Geori Boué (Mireille) et Orchestre dir. Gustave Cloëz

Odéon 188.946, mat. KI 9689-1 et KI 9690-1, enr. en 1947

 

 

 

 

 

 

 

décor de l'Acte V lors de la création

 

 

(édition de 1864)

 

 

ACTE CINQUME

 

 L'ÉGLISE DES SAINTES MARIES

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

MARCHE RELIGIEUSE
 

(La procession des pèlerins entre dans l’église, les cloches sonnent à toute volée.)

 

CHŒUR.

O vous qui du haut des cieux

Voyez les pleurs de nos yeux,

Ecoutez nos prières,

Reines du paradis !

Guérissez nos vieux pères,

Et protégez nos fils !

(Vincent, pâle et haletant, accourt cherchant Mireille dans la foule des fidèles.)

 

 

 

 

Acte V début

intégrale 1954 (16)

distribution

 

 

    

 

Chœur des Saintes Maries

Chœurs et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Gustave Cloëz

Odéon 165.169, mat. KI 1343-1, enr. en 1927

 

 

 

SCÈNE II

 

VINCENT, seul.

Mon cœur est plein d'un noir souci !
Qui l'arrête ? — Pourquoi n'est-elle pas ici ?

 

Anges du paradis, couvrez-la de votre aile !

Etendez dans les airs votre manteau sur elle !

Et toi, cruel soleil d'été,

Fais grâce à sa jeunesse, épargne sa beauté !

 

Je l'ai vue à travers mon rêve,

Dans la lande aux souffles de feu,

Accourant seule vers la grève,

Pâle et le front courbé sous l'éclat du ciel bleu ;

Je l’ai vue, hélas ! dans ma fièvre,

La mort dans les regards et la soif à la lèvre,

Implorant les Saintes et Dieu !

 

Anges du paradis, couvrez-la de votre aile !

Etendez dans les airs votre manteau sur elle !

Et toi, cruel soleil d'été,

Fais grâce à sa jeunesse, épargne sa beauté !

(Mireille paraît. Elle est pâle et chancelante. Ses mains cherchent un appui, ses regards s'arrêtent sur Vincent sans le reconnaître.)

 

 

 

 

Cavatine "Anges du paradis"

intégrale 1954 (17)

distribution

 

 

 

Cavatine "Anges du paradis"

anthologie 1962 (10)

distribution

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Léon Beyle (Vincent) et Orchestre

Disque Pour Gramophone G.C.-4-32164, mat. 9090u, enr. en 1905

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Albert Vaguet (Vincent) et Orchestre

Pathé 90 tours n° 4957, enr. en 1906/1908

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Léon Beyle (Vincent) et Orchestre

Pathé 80 tours n° 156, mat. 1453, enr. en 1911

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Magdeleine de l'Opéra de Nice (Vincent) et Orchestre

Opéra 753, mat. 555, enr. vers 1911

 

 

         

 

Cavatine "Anges du paradis"

Léon Campagnola (Vincent) et Orchestre

Gramophone Y 48, mat. 0-32232, réédité sur W 671, enr. le 13 novembre 1911

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Emile Marcelin (Vincent) et Orchestre

Gramophone Y 46, mat. 032337, enr. le 24 juin 1919

 

 

 

SCÈNE III
VINCENT, MIREILLE.

 

VINCENT, poussant un cri et s'élançant vers Mireille.

La voici ! — la voici ! — c'est elle !...

 

MIREILLE.

O cher Vincent ! — ami fidèle !

Tu m'attendais ! — je te revois !...

(Elle se laisse tomber dans les bras de Vincent.)

Mon cœur se ranime à ta voix !

J'ai retrouvé tout mon courage !...

 

VINCENT.

Ne te souviens-tu pas du pieux rendez-vous ?

Si jamais le malheur vient frapper l'un de nous,

Aux SAINTES tous les deux ; — aux SAINTES à genoux !

 

MIREILLE, relevant la tête avec effort.

Oui ! oui !...

 

VINCENT.

Quelle pâleur, hélas ! sur ton visage !...

Qu'as-tu donc ?

 

MIREILLE.

De ses traits de feu

Le soleil m'a blessée au front ; — mais, grâce à Dieu !

Sous tes baisers mon mal s'apaise ;

Sous tes regards mon cœur tressaille d'aise !

(On entend le chant des orgues dans l'église, accompagnant le cantique entonné par les fidèles.)

 

CHŒUR, dans l'église.
I

Le voile enfin s'est déchiré !

Le noir tombeau soudain s'est éclairé !
Voici le trésor sacré !...

 

— Gloire aux saintes Maries !

Semez partout les lis et les palmes fleuries !

 

II

Un ange descend du ciel bleu ;

Un doux parfum embaume le saint lieu :
Un cri d'amour monte vers Dieu !

— Gloire aux Saintes Maries !

 

MIREILLE, avec égarement.

Ecoute ! — c'est pour nous qu'ils prient !

Mireille et Vincent se marient !

Le ciel a béni leurs amours !...

 

VINCENT.

Que dit-elle ?

 

MIREILLE.

Aimons-nous ! — aimons-nous toujours !...

Sainte ivresse ! — divine extase !

Pur transport dont mon cœur s'embrase !

Rêve heureux ! — doux enchantement !

Le ciel même s'ouvre et s'enflamme !

Et dans l'air comme dans mon âme

Tout est joie et rayonnement !

 

VINCENT.

O délire ! — ô cruelle extase !

Quelle fièvre ardente l’embrase !

 

MIREILLE, s’affaissant tout à coup dans les bras de Vincent.

Ah !... je meurs !...

 

VINCENT.

Dieu !... Mireille !...

(Se tournant vers la foule qui accourt au cri poussé par Mireille.)

Accourez ! — accourez !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, MAÎTRE RAMON, AMBROISE, VINCENETTE, TAVEN, NORADE, AZALAÏS, VIOLANE, LA FOULE DES PÈLERINS.

 

RAMON.

Mireille !... Mon enfant !

 

TOUS.

Mireille !

 

MIREILLE.

Vous pleurez !...

 

RAMON.

Ne meurs pas, chère enfant !... ne meurs pas et pardonne !

(A Vincent.)

Toi, sauve-la, Vincent !... je te la donne !

 

MIREILLE.

Il est trop tard !... Voyez !... Voyez !... le ciel rayonne,

Et les SAINTES viennent à moi !...

 

VINCENT, entourant Mireille de ses bras.

Ah ! je veux les suivre avec toi !

 

MIREILLE et VINCENT.

Sainte ivresse !... Divine extase !

Pur transport dont mon cœur s'embrase !

Rêve heureux !... doux enchantement !

Le ciel même s'ouvre et s'enflamme,

Et dans l'air et dans mon âme

Tout est joie et rayonnement !

 

LE CHŒUR.

O martyres ! O Dieu clément !

Apaisez, apaisez la flamme

Qui consume cette jeune âme !

Dissipez son égarement !

 

RAMON, VINCENETTE, AMBROISE.

La mort déjà trouble son âme

Prends pitié d’elle, ô Dieu clément !

(Les Saintes apparaissent.)

 

MIREILLE.

Les voici !... les voici !... leur douce voix m’appelle !

Le ciel est bleu !... l’onde étincelle !...

Et la pieuse nacelle

M’emporte en paradis !...

(Se dégageant doucement des bras de Vincent.)

Adieu, Vincent !... Adieu !

(Elle meurt.)

 

LE CHŒUR.

Tout est fini !... Son âme a pris son vol vers Dieu !

 

VINCENT, avec désespoir.

O mort ! emporte-moi dans la tombe avec elle !

(Il tombe anéanti sur le corps inanimé de Mireille.)

 

VOIX CÉLESTES.

O Mireille ! suis-nous vers le divin séjour !

Viens goûter dans les cieux la douceur infinie,

Et la grâce ineffable et l'ivresse bénie

De l'éternel amour !

(Pendant que la foule agenouillée entoure la morte, on voit l’âme de Mireille reçue par les Saintes Maries au milieu d’une auréole lumineuse. La barque divine s’éloigne. La vision disparaît peu à peu.)

 

 

 

 

Acte V fin

intégrale 1954 (18)

distribution

 

 

(version de la reprise à l'automne 1864)

 

 

ACTE CINQUME

 

 L'ÉGLISE DES SAINTES MARIES

 

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

MARCHE RELIGIEUSE.
 

(La procession des pèlerins entre dans l’église, les cloches sonnent à toute volée.)

 

CHŒUR.

O vous qui du haut des cieux

Voyez les pleurs de nos yeux,

Ecoutez nos prières,

Reines du paradis !

Guérissez nos vieux pères,

Et protégez nos fils !

(Vincent, pâle et haletant, accourt cherchant Mireille dans la foule des fidèles.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE II

 

VINCENT, seul.

Mon cœur est plein d'un noir souci !
Qui l'arrête ? — Pourquoi n'est-elle pas ici ?

 

Anges du paradis, couvrez-la de votre aile !

Etendez dans les airs votre manteau sur elle !

Et toi, cruel soleil d'été,

Fais grâce à sa jeunesse, épargne sa beauté !

 

Je l'ai vue à travers mon rêve,

Dans la lande aux souffles de feu,

Accourant seule vers la grève,

Pâle et le front courbé sous l'éclat du ciel bleu ;

Je l’ai vue, hélas ! dans ma fièvre,

La mort dans les regards et la soif à la lèvre,

Implorant les Saintes et Dieu !

 

Anges du paradis, couvrez-la de votre aile !

Etendez dans les airs votre manteau sur elle !

Et toi, cruel soleil d'été,

Fais grâce à sa jeunesse, épargne sa beauté !

(Mireille paraît. Elle est pâle et chancelante. Ses mains cherchent un appui, ses regards s'arrêtent sur Vincent sans le reconnaître.)

 

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Gaston Micheletti (Vincent) et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Gustave Cloëz

Odéon 188.510, mat. KI 1133-2, enr. le 09 mars 1927

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Miguel Villabella (Vincent) et Orchestre de l'Opéra-Comique dir. Gustave Cloëz

Odéon 123.550, mat. XXP 6664-1, enr. le 30 avril 1928

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

José de Trévi (Vincent) et Orchestre dir. Piero Coppola

Gramophone P 786, mat. 4-32827, enr. le 14 juin 1928

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Jean Anzani (Vincent) et Orch. dir. Elie Cohen

Columbia LFX 130, mat. LX 1433-1, enr. le 03 novembre 1930

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Miguel Villabella (Vincent) et Orchestre dir. François Rühlmann

Pathé X 90.059, mat. 250.280, enr. vers 1930

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

André d'Arkor (Vincent) et Orchestre

Columbia RF 62, mat. L 3525-1, enr. le 02 mars 1932

 

 

    

 

Cavatine "Anges du paradis"

Georges Thill (Vincent) et Orchestre dir. Eugène Bigot

Columbia LFX 324, mat. CLX 1726-1, enr. le 07 juillet 1933

 

 

 

Cavatine "Anges du paradis"

Charles Richard (Vincent) et Orchestre Radio-Lyrique dir. Jules Gressier

enr. en 1948

 

 

 

Cavatine "Anges du paradis"

Michel Cadiou (Vincent) et Orchestre dir Jésus Etcheverry

enr. vers 1960

 

 

 

Cavatine "Anges du paradis"

André Mallabrera (Vincent) et Orch. Symphonique dir Giancarlo Amati

enr. vers 1960

 

 

 

SCÈNE III
VINCENT, MIREILLE.

 

VINCENT, poussant un cri et s'élançant vers Mireille.

Ah ! la voici ! c'est elle !...

 

MIREILLE.

Toi ! Vincent ! — ami fidèle !

C’est toi qui m'attendais ! — je te revois !...

(Elle se laisse tomber dans les bras de Vincent.)

Ah ! mon cœur renaît à ta voix !

J'ai retrouvé tout mon courage !...

 

VINCENT.

Ne te souviens-tu pas du pieux rendez-vous ?

Si jamais le malheur vient frapper l'un de nous,

Aux SAINTES tous les deux ; — aux SAINTES à genoux !

 

MIREILLE.

Oui, c’est là notre seul abri contre l’orage.

La foi, de son flambeau divin,

Guidait par le chemin

Ta pauvre fiancée.

Des Saintes la divine main

Vers moi s’est abaissée ;

Une céleste ardeur

A ranimé mon cœur !

Dieu bon ! Dieu juste en qui j’espère !

Ecoute mon humble prière,

Désarme la rigueur d’un père !

Ma voix implore ton secours,

Exauce-nous ! Protège nos amours !

 

VINCENT, après elle.

La foi, de son flambeau divin,

Guidait par le chemin

Ma belle fiancée.

Des Saintes la divine main

Vers toi s’est abaissée ;

Une céleste ardeur

A ranimé ton cœur !

Dieu bon ! Dieu juste en qui j’espère !

Ecoute mon humble prière,

Désarme la rigueur d’un père !

Ma voix implore ton secours,

Exauce-nous ! Protège nos amours !

 

MIREILLE.

Unis enfin nos cœurs fidèles !

 

VINCENT.

Bénis nos rêves amoureux !

 

MIREILLE.

Apaise nos peines cruelles !

 

VINCENT.

Soyons époux, soyons heureux !

 

MIREILLE et VINCENT.

Bénis nos rêves amoureux !

Soyons époux, soyons heureux !

La foi, de son flambeau divin,

Etc.

 

VINCENT.

Quelle pâleur sur ton visage !...

Qu'as-tu donc ?

 

MIREILLE, souriant avec effort.

Rien. Rien. De ses traits de feu

Le soleil m'a blessée au front ; mais, grâce à Dieu !

Sous tes baisers mon mal s'apaise ;

Sous tes regards mon cœur tressaille d'aise !

 

VINCENT.

Dieu ! Mireille se meurt !

Accourez !

 

 

 

    

 

Duo "La foi de son flambeau divin"

Ninon Vallin (Mireille), Jean Marny (Vincent) et Orchestre

Pathé 80 tours 2554, mat. 2073, enr. en 1919

 

 

    

 

Duo "La foi de son flambeau divin"

Yvonne Brothier (Mireille), Emile Marcelin (Vincent) et Orchestre

Disque Pour Gramophone Y 69, mat. 034222, enr. le 10 décembre 1920

 

 

    

 

Duo "La foi de son flambeau divin"

Germaine Féraldy (Mireille), Edmond Rambaud (Vincent) et Orchestre dir. Elie Cohen

Columbia LFX 99, mat. LX 1403-1, enr. le 05 novembre 1930

 

 

 

SCÈNE IV

LES MÊMES, MAÎTRE RAMON, AMBROISE, VINCENETTE, TAVEN, NORADE, AZALAÏS, VIOLANE, LA FOULE DES PÈLERINS.

 

RAMON.

Mireille ! Mon enfant !

 

LE CHŒUR.

Mireille !

 

MIREILLE, à la foule.

Vous pleurez ? Vous pleurez ?

 

RAMON.

Ne meurs pas ! Ne meurs pas ! Chère enfant ! et pardonne !

(A Vincent.)

Toi, sauve-la, Vincent ! Je te la donne !

 

MIREILLE.

Ah ! Je renais ! En moi le ciel rayonne !

(Apparition des Saintes.)

O miracle d’une humble foi !

Les Saintes m’ont sauvée !

(A Vincent.)

Et Mireille, Mireille est à toi !

 

VINCENT.

Ah !

 

LE CHŒUR.

Gloire aux Saintes Maries !

Semez partout les lis et les palmes fleuries !

 

 

 

 

Scène finale à l'Opéra-Comique en 1901 avec Marthe Rioton (Mireille), Adolphe Maréchal (Vincent), Félix Vieuille (Ramon), Emile Jacquin (Ambroise)

 

 

 

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